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Interdit aux chiens et aux italiens

Publié le par Rosalie210

Alain Ughetto (2023)

Interdit aux chiens et aux italiens

"Interdit aux chiens et aux italiens" porte un titre en forme de piqûre de rappel: l'ostracisme n'a pas seulement concerné dans le passé la communauté juive et la France qui s'est construite depuis le XIX° siècle sur l'immigration a aussi une longue tradition de xénophobie dirigée contre les derniers arrivés (italiens à la fin du XIX° surnommés les "macaronis", espagnols républicains à la veille de la seconde guerre mondiale surnommés les "espingouins", maghrébins dès la période des trente Glorieuses et plus généralement africains aujourd'hui). L'animation se prête particulièrement bien aux films de mémoire, c'est à dire le souvenir d'événements historiques par le biais d'un vécu intimiste et subjectif et les exemples sont légion mais le film de Alain Ughetto s'en distingue de façon assez géniale au moins à deux titres:

- D'une part en redonnant vie à ses grands-parents, il peut ainsi interagir avec eux et tout particulièrement avec sa grand-mère qu'il a connu quand il était enfant et qui lui a transmis des bribes de mémoire familiale qu'il peut compléter avec son avatar animé. Et pas seulement par la parole mais aussi par le geste. Dans plusieurs scènes, il n'hésite pas à faire entrer sa main ou son pied dans le champ en prise de vues réelles pour toucher la figurine animée en pâte à modeler de sa grand-mère ou pour enfiler une chaussette que celle-ci a reprisé, rappelant l'une des caractéristiques majeures de l'art qui est d'abolir les espaces infranchissables tracés par le temps. L'hétérogénéité est la marque de fabrique de son film qui mêle donc prises de vue réelles, animation en stop motion, jouets (le gag de la vache désarticulée et du tour de France), vieilles photographies.

- D'autre part en célébrant la noblesse du travail manuel et de l'artisanat. Son art de l'animation en volume qu'il pratique depuis l'enfance, pourtant incompris de son père est un moyen de s'ancrer dans un héritage alors qu'il ne cesse de déménager et de s'inscrire dans une filiation remontant à son grand-père Luigi qu'il n'a pas connu mais qui était un travailleur acharné ayant oeuvré sur plusieurs gros chantiers d'infrastructures indispensables à la France et à l'Europe en voie de modernisation. Et la reconstitution en miniature de l'univers piémontais de ses grands-parents fait appel à des matériaux de récupération récoltés sur les lieux même de leur existence (dont il ne reste que des ruines) qui constituaient alors leur quotidien: de la terre, de la paille, du charbon (pour les montagnes), des brocolis (pour les arbres), des courgettes rondes (pour les maisons) ou encore des châtaignes (pour les figurines).

- Enfin, l'histoire familiale de Alain Ughetto a été façonnée par la grande Histoire. Economique et sociale comme je l'ai déjà mentionné car la pauvreté est la principale raison de l'exode massif des italiens dans des pays plus prospères qu'ils ont contribué à bâtir (la France et la Suisse pour les Ughetto à défaut des USA en raison du naufrage de leurs maigres biens). Mais aussi politique: les Ughetto ont payé un tribut à chaque nouvelle guerre et ont également fui le fascisme présenté comme la principale force d'oppression sur les paysans avec les religieux.

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Les Producteurs (The Producers)

Publié le par Rosalie210

Mel Brooks (1967)

Les Producteurs (The Producers)

"Les producteurs" est le premier long-métrage de Mel BROOKS. Il s'agit d'une satire du milieu du théâtre new-yorkais, plus précisément des productions de comédies musicales de Broadway. L'histoire n'étant pas exempte d'ironie, le film a été adapté à son tour avec succès en comédie musicale en 2001 à Broadway et récemment à Paris sous la houlette de Alexis MICHALIK.

Le film se divise en trois parties. La première, principalement filmée à l'intérieur du bureau de Max Bialystock (Zero MOSTEL) montre la petite cuisine peu ragoûtante qui préside à la décision de monter le spectacle. En gros une escroquerie pour empocher l'argent d'investisseurs principalement composées des clientes âgées et fortunées de Max, une situation qui n'est pas sans faire penser à celle des vieilles, richissimes et généreuses maîtresses de M. Gustave dans "The Grand Budapest Hotel" (2013). A ceci près que Max et son bureau sont cradingues alors que M. Gustave est le raffinement personnifié. Par ailleurs Max trouve un partenaire privilégié en la personne de Leo Bloom (Gene WILDER dans son premier grand rôle), un petit comptable trouillard, efféminé et infantile (son doudou à lui n'est pas Bourriquet mais un vieux morceau de couverture ^^). La deuxième partie porte sur le choix de l'équipe qui montera la pièce, l'occasion trop belle d'offrir une galerie de personnages plus délirants les uns que les autres et des associations incongrues (un auteur nostalgique du III° Reich avec un metteur en scène gay et un acteur principal inénarrable). La troisième partie relate le spectacle lui-même "Le printemps d'Hitler", monument de mauvais goût mais qui pris au second degré par le public devient un succès retentissant au grand dam des producteurs qui espéraient capitaliser sur son échec annoncé.

Bien que j'ai personnellement trouvé le film inégalement drôle, j'ai eu plaisir à retrouver un humour juif tournant en dérision aussi bien le nazisme que le capitalisme, humour que l'on retrouve chez les Marx Brothers (d'ailleurs Gene WILDER me fait penser à Harpo MARX), chez Woody ALLEN évidemment (Groucho MARX étant l'un de ses maîtres) mais aussi chez les frères Coen. Ainsi je me suis demandé si la chorégraphie "croix gammée" à la Busby BERKELEY filmée en plongée n'avait pas inspirée celle des quilles et des boules de "The Big Lebowski" (1998) qui est aussi une satire carabinée du capitalisme américain avec une légère touche allemande.

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Chien de la Casse

Publié le par Rosalie210

Jean-Baptiste Durand (2023)

Chien de la Casse

La jeunesse rurale en déshérence est décidément un thème porteur en ce moment pour de premiers longs-métrages. Peut-être justement parce que peu traité jusque là. Après avoir vu et apprécié en avant-première "Juniors" (2022) de Hugo P. THOMAS, le concert d'éloges public et critique recueilli par "Chien de la Casse" de Jean-Baptiste DURAND m'a donné envie de le découvrir. L'histoire se déroule dans un petit village médiéval d'Occitanie, théâtre qui ouvre le film et impose aux habitants sa géographie particulière. Les jeunes désoeuvrés y sont comme enfermés dans des logements confinés et un réseau labyrinthique de ruelles, n'ayant à leur disposition pour se retrouver que la petite placette du village. Seules les scènes se déroulant dans la vallée élargissent l'horizon, donnant au film des allures de western moderne. Surtout le film se focalise sur deux amis d'enfance et sur leur relation. C'est dans la richesse et la subtilité de ce double portrait et le talent des deux acteurs à interpréter Mirales et Dog que réside toute l'originalité du film. Si Anthony BAJON fait une fois de plus forte impression, Raphael QUENARD qui accède pour la première fois à un rôle de premier plan est une révélation. Je l'avais remarqué dans "Coupez !" (2021) où il montrait son potentiel comique mais dans le rôle de Mirales il accède à un rôle autrement plus complexe, tout en contradictions. Grande gueule volubile tendant à écraser les autres, dealeur de cannabis à la petite semaine, fringué à la va comme je te pousse et doté d'un accent traînant qui contraste violemment avec la richesse de son vocabulaire, c'est aussi un jeune homme immature et jaloux qui refoule sa véritable personnalité, que ce soit sa culture littéraire, sa sensibilité artistique, sa soif d'amour ou son attirance sexuelle envers son ami Dog. Ce dernier qui passe ses journées à glander et à jouer à la console tout en caressant l'idée d'intégrer l'armée est son contraire, taiseux, mal dégrossi et renfrogné, subissant sans broncher ou presque l'attitude abusive de son ami prêt à se plier en quatre pour le protéger mais capable aussi de l'humilier avec beaucoup de cruauté. Néanmoins une partie de ce comportement odieux s'explique par le fait qu'une fille, Elsa (Galatea BELLUGI) vient s'immiscer entre eux en séduisant Dog lequel cesse alors de jouer le "chien fidèle" de Miralès, au grand désarroi de celui-ci. D'ailleurs le "Chien de la casse" est aussi bien Dog que Miralès avec ses yeux de chien battu contemplant son ami se détacher de lui ou bien jouant avec son propre chien, Malabar (rien que ce surnom souligne à quel point Miralès n'a pas quitté l'enfance). Malabar dont le rôle, assez semblable à celui de Dobby, l'elfe de maison de Harry Potter dans le tome 7 permettra à Dog et de Miralès de sortir de leurs limbes respectives.

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Juniors

Publié le par Rosalie210

Hugo P. Thomas (2023)

Juniors

Un teen-movie rural à la française, ça fait penser à "Teddy" (2020) ce qui n'est pas surprenant, le réalisateur, Hugo P. THOMAS ayant fréquenté Ludovic BOUKHERMA et Zoran BOUKHERMA à l'école de la Cité du cinéma avant de réaliser plusieurs courts-métrages et un long-métrage avec eux, "Willy 1er" (2016). Mais "Juniors" est son premier long-métrage en solo. Néanmoins cette comédie dramatique sur les affres de l'adolescence est bien plus proche de "Les Beaux gosses" (2008) que des films de genre horrifiques et régionalistes qu'affectionnent les Boukherma. L'histoire tourne autour de deux amis de 14 ans, Jordan et Patrick qui s'ennuient ferme dans leur petit village au point de regretter de ne pas habiter en banlieue pour avoir des bâtiments à taguer (comme quoi l'article du journal "Le Monde" de Thomas Piketty sur le malaise territorial français englobant rural profond et banlieues sensibles voyait juste). Ils passent leur temps à jouer aux jeux vidéos jusqu'à ce que la Playstation de Jordan rende l'âme. Ils décident alors de monter une cagnotte en ligne en faisant passer Jordan pour malade afin de trouver l'argent nécessaire à son remplacement. Evidemment ce gros mensonge va finir par les dépasser. Si tout n'est pas parfaitement vraisemblable, le scénario est écrit avec une certaine finesse en décrivant avec humour les bénéfices sociaux que la cagnotte mensongère leur offre dans un premier temps. Elle attire l'attention sur eux, les rend populaires, leur permet d'obtenir une série de petits privilèges dans leur collège et de se rapprocher des filles qu'ils convoitent*. En même temps elle révèle combien ces ados sont livrés à eux-mêmes, la famille de Patrick n'apparaissant dans le lointain qu'à la fin et celle de Jordan se limitant à un père hors-champ et à une mère infirmière dont l'absence est soulignée par les post-it qu'elle laisse sur le frigo (Vanessa PARADIS). D'ailleurs face aux ennuis que rencontre son fils lorsque sa supercherie est démasquée, celle-ci est amenée à faire un début d'introspection sur ses choix de vie et on se dit que son cas n'est effectivement pas si différent des jeunes de banlieue élevés dans des familles monoparentales dont le parent travaillant en horaires décalés ne peut en même temps s'occuper de son enfant. La fin du film n'est d'ailleurs pas exempte d'une certaine mélancolie qui souligne qu'il y a un prix à payer pour grandir. Hugo P. THOMAS a donc une approche assez juste de la jeunesse territorialement défavorisée et son film est prometteur en dépit d'un titre passe-partout qui le dévalorise.

* Tout à la fait dans la lignée de la série "Mytho" (2019) qui reposait sur le même mensonge afin de souligner cette fois le mal-être de la femme au foyer.

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Infernal Affairs 2 (Mou gaan dou 2)

Publié le par Rosalie210

Alan Mak, Andrew Lau (2003)

Infernal Affairs 2 (Mou gaan dou 2)

Si certains considèrent que la préquelle de "Infernal Affairs" lui est supérieure, ce n'est pas mon cas. Tout d'abord elle n'était pas nécessaire, le premier film se suffit parfaitement à lui-même. Ensuite l'absence de Tony LEUNG Chiu Wai et de Andy LAU se fait cruellement ressentir. Les acteurs qui les incarnent jeunes n'ont pas leur charisme et sont renvoyés à la périphérie de l'histoire. Surtout si la pilule du changement d'acteurs passait dans le premier film dont la datation restait vague et les renvois au passé, limités, le deuxième fait jouer les deux jeunes acteurs de 20-25 ans jusqu'en 1997, soit l'année de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, cinq années seulement avant les événements du premier film où tous deux sont quadragénaires. Mais ce n'est qu'une incohérence parmi d'autres. Cet opus souffre de façon générale d'une inflation de personnages que l'on a d'autant plus de mal à retenir qu'ils ne sont pas développés, que leur comportement est erratique et que l'on connaît par avance leur destin puisqu'on sait qui va mourir et qui va vivre. Et là où "Infernal Affairs" apportait une intrigue originale, sa préquelle fait penser à une variation de "Le Parrain" (1972) et des films de gangsters de Martin SCORSESE. Bref, il y a trop de tout dans ce film plein comme un oeuf (sa durée est d'ailleurs très supérieure au premier volet) qui ouvre des pistes sans véritablement les creuser ni se soucier de leur cohérence. C'est dommage car au vu de l'effacement de l'histoire des deux taupes, leurs patrons respectifs à savoir l'inspecteur Wong (Anthony WONG Chau-Sang) et Sam le mafieux (Eric TSANG) sont beaucoup plus mis en avant et l'intrigue joue beaucoup sur un "effet miroir" qui brouille les frontières entre la pègre et la police. Et ce d'autant plus que Yan, le flic infiltré aux allures de rocker rebelle a fait de multiples séjours en prison et est le demi-frère d'un caïd de la pègre tout ce qu'il y a de plus "bureaucrate" alors que Ming le truand est au contraire un bureaucrate qui présente bien en surface.

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Infernal Affairs (Wu jian dao)

Publié le par Rosalie210

Alan Mak, Andrew Lau (2002)

Infernal Affairs (Wu jian dao)

A l'occasion de la sortie en salles de la trilogie "Infernal Affairs" en mars 2022 (sortie et non ressortie car les deuxième et troisième volets étaient inédits en France), j'avais été invitée à voir les trois films à la suite mais une grève de métro m'en avait empêchée. C'est à cette occasion que j'avais appris que Martin SCORSESE s'en était inspiré pour en faire sa propre version avec "Les Infiltres" (2006). Moins connu, les co réalisateurs de la trilogie, Andrew LAU et Alan MAK ont eux-mêmes puisé leur source d'inspiration dans un film hollywoodien réalisé par un cinéaste Hongkongais, John WOO "Volte/Face" (1997). La boucle est bouclée!

Car "Infernal affairs" aurait tout à fait pu s'ouvrir sur la citation attribuée à Bouddha qui est mentionnée dans "Le Cercle rouge" (1970) de Jean-Pierre MELVILLE, l'autre cinéaste occidental aux influences asiatiques qui a d'ailleurs tout comme Martin SCORSESE été une source d'inspiration pour John WOO. " Quand les hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge." C'est en effet sous le signe du bouddhisme que s'ouvre un film à la structure de mandala qui évoque un "enfer continu de souffrance éternelle". Le cercle renvoie également à la folie liée à la perte d'identité de deux hommes qui ont échangé leurs places et se neutralisent constamment comme si chercher à découvrir l'autre renvoyait à soi-même dans un jeu de vases communicants permanent. Car pour que le film fonctionne, il doit reposer sur un équilibre empêchant l'une des polarités de prendre l'avantage sur l'autre, que l'antagonisme bien/mal s'incarne dans deux corps ou bien qu'ils fusionnent en chacun d'eux, plaçant l'âme qui l'occupe au bord de la schizophrénie.

Ajoutons qu'à la figure omniprésente du cercle infernal vient s'ajouter celle, complémentaire de la chute et donc de la verticalité. Les flics aiment se percher sur les toits tandis que la pègre a une prédilection pour les parkings souterrains mais la figure centrale de l'ascenseur les relie et l'un des moments clés du film voit une figure tutélaire de ce grand double jeu de dupes s'écraser sur le toit d'une voiture ce qui scelle le sort de l'autre, leurs poulains évoluant désormais en roue libre c'est le cas de le dire.

En dépit de toute cette géométrie, d'un dépouillement certain pouvant confiner parfois presque à l'abstraction, l'aspect humain n'est pas évacué du film. Yan, le flic infiltré dans la mafia est joué par Tony LEUNG Chiu Wai dont on reconnaît la profonde mélancolie qui a fait merveille chez WONG Kar-Wai. Yan dont la véritable identité n'est connue que de son supérieur, le commissaire Wong (Anthony WONG Chau-Sang) ne supporte plus sa condition faite de mensonge, de solitude, de renoncement (la femme qu'il a aimé a refait sa vie) et de tension permanente. Ses seuls moments de réconfort sont ceux qu'il passe chez sa psychologue pour qui il nourrit des sentiments (ce qui est logique étant donné le désert de sa vie affective). Ming (Andy LAU) le truand infiltré chez les flics voit dans son identité d'emprunt le moyen de gagner indépendance et respectabilité, brouillant peu à peu les repères.

A cet aspect humain, on peut même ajouter un contexte géopolitique, celui de Hong-Kong au début des années 2000, rétrocédée à la Chine par le Royaume-Uni mais pas encore absorbée par elle. Cette période de transition ("Un pays, deux systèmes") se ressent évidemment dans un film qui traite d'une identité duale réalisé dans un pays alors écartelé entre sa culture anglo-saxonne et ses origines chinoises.

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Le Pharaon, le Sauvage, et la Princesse

Publié le par Rosalie210

Michel Ocelot (2022)

Le Pharaon, le Sauvage, et la Princesse

Neuvième film de Michel OCELOT, "Le Pharaon, le sauvage et la princesse" forme une sorte de tétralogie avec "Princes et Princesses" (1998), "Les Contes de la nuit" (2011) et "Ivan Tsarevitch et la princesse changeante" (2016). La différence provient du choix de varier les styles d'un conte à l'autre. "Le Pharaon" qui comme son titre l'indique se déroule entre l'Egypte antique et le Soudan utilise la 2D et colle au graphisme de cette époque (personnages de profil mais torse de face), "Le beau sauvage" qui se déroule en Auvergne au Moyen-Age revient aux ombres chinoises ce qui dans la lignée de "Les Contes de la nuit" (2011) magnifie d'autant plus les couleurs, quant à "la princesse des roses et le prince des beignets", il s'agit d'une "turquerie" XVIII° sècle en 3D qui fait beaucoup penser à "Azur et Asmar" (2006). Quant au fond, il est assez balisé. Le premier récit, le plus historiquement documenté est un conte initiatique où pour arracher sa belle des mains d'une mère qui ne veut pas lâcher le pouvoir, un jeune soudanais conseillé par les Dieux part à la conquête du trône d'Egypte. Le second combine "Blanche-Neige" et "Robin des Bois". Le troisième est une histoire d'amour et d'exil dont la conclusion se perd dans les sables. Si l'ensemble est une splendeur graphique, force est de constater que Michel OCELOT semble à court d'idées neuves comme le dirait Anton Ego dans "Ratatouille" (2007). L'impasse est d'ailleurs figurée par le décor qui relie les trois histoires par lequel on peut deviner que le vieux cinéma abandonné dans lequel s'élaborait les contes a été détruit et remplacé par un chantier d'immeubles en construction. Un clin d'oeil à Jacques TATI?

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Sauve qui peut (la vie)

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1979)

Sauve qui peut (la vie)

Présenté comme un retour de Jean-Luc GODARD au cinéma "commercial", ce "Sauve qui peut (la vie)" (1979) est en réalité un film expérimental de plus dans sa carrière. Il est vrai qu'à la différence de ses films les plus radicaux, il y a des stars (Jacques DUTRONC, Nathalie BAYE, Isabelle HUPPERT), Gabriel YARED à la musique, Jean-Claude CARRIERE au scénario avec Anne-Marie MIEVILLE, la compagne de Godard, de beaux plans de ville et de montagne. Mais on est loin du film classique et davantage dans une collection de fragments. D'une certaine manière, "Sauve qui peut (la vie)" est une mise en pratique de ce que Godard théorisait dans "Le Petit soldat" (1960), à savoir que "la photographie c'est la vérité et le cinéma c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde". Du moins c'est comme cela que j'ai compris les nombreux arrêts sur image et ralentis qui décomposent le mouvement et rappellent que le cinéma capture le temps qui suspend ainsi son vol. A cette succession d'images correspondent les instants de vie de trois personnages qui se croisent plutôt qu'ils ne se rencontrent. l'isolement (dans le cadre comme dans la vie) est assez omniprésent dans le film qui correspond assez bien à l'image d'un Godard misanthrope qui tourne le dos à "Les Lumieres de la ville" (1927) de Charles CHAPLIN tout en le citant pour évoquer la deshumanisation des rapports sociaux, lesquels se réduisent à du sexe mécanique et tarifé. Jean-Luc GODARD décrit dans son film surtout des échecs, que ce soit celui du couple ou celui de la famille. Le personnage de Paul Godard (qui souligne à quel point le film est autobiographique) incarne même le nihilisme absolu, rappelant dans sa marche vers l'autodestruction le parcours d'un Michel Poiccard ou d'un Ferdinand. On comprend le choix de sa dernière compagne, Denise Rimbaud (encore un nom à référence) de prendre le large ou plutôt de se mettre au vert. Quant à Isabelle qui fait commerce de son corps, elle navigue entre l'aliénation de l'un (la peur) et la volonté émancipatrice de l'autre (l'imaginaire) ce qui me semble assez bien résumer les contradictions du cinéma. Il y a donc un équilibre dans ce film construit comme une partition à quatre temps et entre les images (plutôt belles voire lyriques) et les paroles (souvent obscènes). Un film intéressant certes mais loin d'être fait pour la majorité ce qui me paraît être la définition du cinéma commercial.

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La Nuit nous appartient (We Own the Night)

Publié le par Rosalie210

James Gray (2006)

La Nuit nous appartient (We Own the Night)

"La Nuit nous appartient" est le premier film de James GRAY que je vois auquel j'adhère pleinement. Peut-être parce que la tragédie shakespearienne sied bien à sa vision du monde faite d'appartenances étanches les unes aux autres et auxquelles il est impossible d'échapper (alors que dans la vie quotidienne, cette vision fataliste de l'existence m'exaspère). D'ailleurs son dernier film "Armageddon Time" (2021) met en pièces le mythe du melting pot new-yorkais à travers notamment la ségrégation scolaire révélant des fractures sociales et ethnico-religieuses que l'on retrouve également dans le pays ayant inspiré aux USA une partie de ses valeurs: le nôtre.

L'ouverture de "La Nuit nous appartient" est magistrale car programmatique. Elle est en effet fondée sur un hiatus cinématographique (fixité contre mouvement, noir et blanc contre couleurs, travail contre fête etc.) présentant deux camps que tout oppose entre lesquels le héros va devoir choisir. Le titre est d'ailleurs en soi signifiant. En étant la devise cousue sur les uniformes des policiers de la brigade anti-criminelle de New-York alors que l'on sait parfaitement que la nuit est le royaume des hors-la-loi, celle-ci devient l'enjeu d'une guerre de territoire, "eux" contre "nous". Tout est dit en quelques images avec une efficacité imparable. Mais bien que l'histoire s'inscrive dans un contexte historique (la guerre contre la drogue), c'est son volet intime qui intéresse James GRAY. A savoir le parcours de Bobby (Joaquin PHOENIX) prétendu roi de la nuit mais en réalité roi du "passing". En sociologie, le passing désigne la capacité d'une personne à être considérée comme membre d'un groupe social autre que celui auquel elle appartient réellement. Bobby s'est désaffilié au point de prendre le nom de sa mère et de se choisir un père de substitution en la personne du patron de la boîte dont il est le gérant. Evidemment pour que l'imposture fonctionne, le secret doit être bien gardé. En dehors de sa petite amie, Amada (Eva MENDES), personne ne sait qu'il est issu d'une famille de policiers et lui-même ne veut pas savoir ce qui se trame derrière les paillettes de sa vie d'hédoniste immature (en cela, son personnage préfigure celui de "Two Lovers") (2007). Sauf que lorsque l'heure de vérité sonne, c'est à dire lorsque les liens du sang sont mis en péril, la vie de Bobby bascule en un clin d'oeil exactement comme celle de Michael dans "Le Parrain" (1972) (modèle évident du film de James GRAY). Comme dans le film de Francis Ford COPPOLA, une scène initiatique scelle le destin du héros qui mue de "fils rebelle" à "héritier" qui doit prendre la tête d'une famille dont le père (Robert DUVALL) a disparu et dont le frère (Mark WAHLBERG) a été mis hors-jeu par sa blessure. Une mue douloureuse et payée au prix fort puisque les pertes jalonnent son parcours de plus en plus tumultueux (le point de vue subjectif de la séquence de course-poursuite sous la pluie est un must) et qu'il se retrouve seul à l'arrivée, emprisonné dans un destin qu'il avait fui et qui l'a rattrapé. James GRAY redonne ainsi au mot "lien" tout son sens, remettant en cause la réalité du libre-arbitre du héros au profit de forces qui le dépassent (ce qui est le sens de la tragédie). Et si la mafia russe qui se cache derrière les paillettes des night-clubs est montrée sans aucune complaisance, la police apparaît comme un monde dévitalisé, normatif et intolérant (la façon dont ils renvoient sa petite amie à son origine en la surnommant "la portoricaine" fait comprendre d'emblée qu'elle n'aura pas sa place dans ce monde-là).

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Daniel

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1983)

Daniel

La ressortie en salles le 24 juin en version restaurée de "Daniel", film méconnu de Sidney LUMET frappe d'emblée par ses similitudes avec l'un de ses films les plus aboutis "A bout de course" (1988) réalisé cinq ans plus tard. Dans les deux cas, des parents activistes d'extrême-gauche compromettent l'avenir de leurs enfants qui subissent les terribles conséquences des choix de leurs parents. Si "Daniel" est resté dans l'ombre, c'est d'abord parce qu'il a été un gros échec au box-office et ensuite parce qu'il est porté par des acteurs peu connus bien que Amanda PLUMMER qui joue Susan, la soeur de Daniel ait par la suite acquis une certaine notoriété avec des films comme "Fisher King" (1991) et surtout "Pulp Fiction" (1994). On peut aussi ajouter qu'à la différence de "A bout de course", c'est la noirceur qui l'emporte en dépit des quelques touches d'espoir apportées par le personnage principal (joué par Timothy HUTTON).

"Daniel" est l'adaptation par E.L. Doctorow de son livre "The book of Daniel" qui s'inspire de l'affaire Rosenberg. Ceux-ci, un couple de juifs new-yorkais communistes avaient été accusés d'espionnage au profit de l'URSS en pleine chasse aux sorcières maccarthyste et exécutés en 1953. Dans le film de Lumet, Julius et Ethel Rosenberg sont renommés Paul et Rochelle Isaacson. Le film navigue entre plusieurs époques principalement celle des années cinquante lorsque les parents sont arrêtés, jugés et exécutés, laissant leurs deux enfants orphelins et celle de la fin des années soixante lorsque ceux-ci devenus adultes se confrontent à ce terrible héritage. Dès la première scène, on découvre que Susan et Daniel n'ont pas réagi de la même manière face au traumatisme qu'ils ont subi. Daniel s'est adapté et a reconstitué dès qu'il a pu une famille autour de lui alors que Susan qui n'est pas parvenu à tourner la page est une marginale révoltée qui s'abîme jusqu'à l'autodestruction dans son chagrin et sa colère. La déchéance de sa soeur pousse Daniel à se remémorer le passé et à tenter de découvrir la vérité au sujet de ses parents. Mais à l'image de l'affaire Rosenberg, Lumet et Doctorow conservent des zones d'ombre autour du couple afin de ne pas éluder leur part de responsabilité dans ce qu'ils ont infligé à leur progéniture, à la fois abandonnés et instrumentalisés (par les soutiens de leurs parents). En revanche, peu de films sont parvenus à dénoncer la peine de mort avec autant de force que celui-ci. Dès son premier film, "Douze hommes en colere" (1957), Sidney LUMET est apparu comme un cinéaste engagé mettant en lumière les dysfonctionnements des institutions américaines et particulièrement de sa justice. Le procès des Isaacson est montré comme joué d'avance, reposant sur des bases fragiles (un seul témoignage à charge). Leur exécution, filmée frontalement selon un rituel d'une froideur clinique fait penser à la distanciation par la technique des mises à mort nazies. Quant au traumatisme vécu par les enfants, deux scènes les condensent avec force: la dernière entrevue en prison où la lumière ambrée du passé devient celle, froide, du présent par la mise en scène d'un irréparable éclatement. Et la tentative vouée à l'échec des enfants de retourner dans leur ancien logis dont il ne reste plus rien.

Dommage que le film comporte certaines lourdeurs inutiles (les gros plans de Daniel racontant les différentes techniques de mise à mort selon les époques par exemple) et que l'enquête de ce dernier soit si peu développée en dehors d'une séquence forte avec le dénonciateur et sa fille.

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