Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La Mort en direct

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1980)

La Mort en direct

Bertrand TAVERNIER a touché à de nombreux genres. Même s'il est surtout connu pour ses drames historiques et ses polars, il a aussi fait des incursions dans la comédie, le documentaire, le film musical ou comme ici, la science-fiction. Une science-fiction qui relève davantage de l'anticipation visionnaire car "La Mort en direct" se réfère à une émission de télé-réalité, vingt ans avant son apparition en France. Même si le film est dédié à Jacques TOURNEUR, il y a un autre cinéaste qu'admire Bertrand Tavernier et qui est présent implicitement en filigrane tout au long du film. C'est Michael POWELL et son sulfureux "Le Voyeur" (1960) qui inventait "le crime en direct" pour la jouissance de son unique spectateur qui en était aussi l'auteur avec l'aide sa caméra tueuse. Entre Powell et Tavernier, le spectacle de la mort en direct est sorti de sa confidentialité pour devenir un spectacle de masse, à la manière de "The Truman Show" (1998) mais en plus sensationnel. Dans une époque où la mort par maladie est devenue rare, réservée aux vieillards que l'on dérobe aux regards (ce qui est assez conforme à notre réalité), le directeur cynique de l'émission "Dead Watch" (Harry Dean STANTON) échafaude un scénario digne des expériences nazies pour booster ses audiences. Un médecin à sa solde lui déniche le cobaye parfait, une femme encore jeune au profil cinégénique (Romy SCHNEIDER) à qui il annonce qu'elle n'a plus que quelques semaines à vivre. Pour transformer le mensonge en vérité, il lui donne du poison camouflé en médicaments censés soulager son agonie. Et pour contrecarrer toutes les tentatives de fuite de la jeune femme qui a fait semblant d'accepter le contrat, il la fait suivre par un homme qui gagne sa confiance mais qui est en réalité un insoupçonnable caméraman (Harvey KEITEL qui traversait alors un trou d'air dans sa carrière). Et pour cause: l'objectif est directement greffé dans sa rétine. On a donc affaire à un personnage qui est à la fois manipulé (en tant que sujet d'expérience) et manipulateur ce qui lui permet de mettre à la place de la jeune femme comme d'épouser le point de vue de ses tortionnaires. A travers lui, Bertrand Tavernier développe une réflexion sur l'éthique de son métier: jusqu'où filmer sans tomber dans le voyeurisme obscène? On remarque que comme Steven SODERBERGH le faisait en escamotant les scènes de sexe dans "Sexe, mensonges & vidéos" (1989), Bertrand Tavernier refuse de montrer la mort de son héroïne, son pseudo chevalier servant s'étant au passage brûlé les yeux à force de contradictions insurmontables. En prime, le choix de Romy SCHNEIDER s'avère terriblement prophétique puisque un an après le tournage elle perdait son fils et dénonçait les journalistes déguisés en médecin s'étant introduit à l'hôpital pour tenter de photographier son cadavre.

Aussi bien que "La Mort en direct" soit un film imparfait (outre des passages à vide, je trouve l'image très vieillie et le choix de décors sinistres ou désolés dans la région de Glasgow, discutable, dans le sens où rajouter de la misère à l'horreur de la situation détourne l'attention du véritable sujet), l'interprétation de haut vol et la pertinence de la réflexion sur le malheur d'autrui transformé en spectacle mercantile valent le détour.

Voir les commentaires

Les Amants sacrifiés (Supai no tsuma)

Publié le par Rosalie210

Kiyoshi Kurosawa (2020)

Les Amants sacrifiés (Supai no tsuma)

"Les Amants sacrifiés" qui a obtenu le Lion d'argent à Venise avait tout pour séduire sur le papier: son réalisateur, Kiyoshi Kurosawa (auteur du très beau "Tokyo Sonata"), son scénariste, Ryusuke Hamaguchi (son ex-élève devenu lui aussi réalisateur à succès avec "Drive my car"), son argument (la dénonciation des crimes commis par le Japon en Mandchourie dans les années trente et pendant la seconde guerre mondiale sur fond de thriller d'espionnage et de romance). Mais après un début prometteur témoignant de la folie xénophobe, militariste et nationaliste qu'a connu le Japon avant et pendant la guerre, la grande histoire est reléguée en toile de fond (sauf à deux ou trois reprises avec quelques scènes-chocs servant de piqûre de rappel) au profit de celle de ses protagonistes principaux, un riche entrepreneur et son épouse vivant à l'occidentale dont les agissements ne vont cesser d'aller vers une opacité croissante jusqu'à perdre le spectateur en chemin. La mise en scène de Kiyoshi Kurosawa très précise souligne bien les enjeux (un simple regard suffit à signifier au spectateur que le mari de retour de Mandchourie à des choses à cacher à sa femme). Mais la mayonnaise ne prend pas. Le film est certes de bonne facture mais incohérent, désincarné, impersonnel. Les personnages sont mal écrits et mal interprétés par des acteurs peu charismatiques et qui ne semblent pas d'ailleurs savoir dans quelle direction aller. Le pire de tous est Satoko (Yu Aoi, hyper niaise) qui passe sans transition de l'ingénuité bébête à l'amoralité la plus complète, la jalousie et la folie comme si elle était bipolaire pendant que son mari (Issey Takahashi) reste d'une impassibilité indéchiffrable. La manière dont leur entourage est traité n'est pas plus convaincante: l'infirmière que Satoko soupçonne d'être la maîtresse de son mari est (soi-disant) retrouvée assassinée mais ça n'émeut personne (et surtout pas le spectateur qui l'a vue trois secondes), elle dénonce son neveu qui est affreusement torturé sans que là encore ça n'émeuve qui que ce soit, son mari l'abandonne (et peut-être la trahit ou la sauve, on ne sait puisque le spectateur n'a pas accès à ce qu'il pense et ressent), elle ne comprend pas comment son ami d'enfance a pu devenir policier (entendez par là tortionnaire), lui "si gentil" (on appréciera la subtilité des dialogues), etc. L'impression que ce film m'a donné, c'est que Kiyoshi Kurosawa était resté étranger au scénario écrit par Hamaguchi dont il ne comprenait pas plus que le spectateur ou les acteurs les tenants et les aboutissants. Il a donc fait comme eux, il a fait semblant de piger alors que je pense il n'y a tout simplement rien à comprendre. C'est creux mais ça plaît aux snobinards qui peuvent ainsi renchérir sur les méandres tortueux d'un scénario retors (comparé à un jeu d'échecs, rien que ça!) auquel le simple quidam n'aurait pas accès (il est trop bête pour ça). Tout le contraire du thriller hitchcockien auquel ce film fait un évident appel du pied sans pourtant lui arriver à la cheville (et ne parlons même pas du titre VF hors-sujet et racoleur qui fait référence à Kenji Mizoguchi, cité également en passant dans le film, histoire d'en rajouter dans les références).

Voir les commentaires

Les Fleurs de Shanghai (Shang haï hua)

Publié le par Rosalie210

Hou Hsiao-hsien (1998)

Les Fleurs de Shanghai (Shang haï hua)

Le film dont s'est inspiré Bertrand BONELLO pour "L Apollonide, souvenirs de la maison close" (2010) présente les mêmes qualités mais aussi les mêmes défauts que sa version française. Côté qualités, "Les Fleurs de Shanghai" est une merveille d'esthétisme. Huis-clos situé dans un bordel de Shanghai à la fin du XIX° siècle, il se déroule dans seulement trois décors où ont été filmé une suite de plans-séquence composés comme des tableaux ce qui permet au spectateur d'en admirer chaque détail. Le passage d'une séquence à l'autre se fait par un fondu au noir ce qui donne l'impression que l'on éteint et rallume une lanterne. Les couleurs et lumières sont travaillées à l'extrême avec des dominantes rouges, vertes et jaunes et le tout baigne dans la fumée d'opium. Dans ce qui peut s'apparenter à un théâtre, on observe le jeu de dupes qui s'instaure entre les habitués (des hommes hauts placés, plus ou moins jeunes qui viennent là pour se distraire de leur vie toute tracée parmi lesquels se détache M. Wang joué par Tony LEUNG Chiu Wai) et les courtisanes aux noms de fleurs, de métaux ou de pierres précieuses, des filles orphelines ou abandonnées achetées au berceau et formées par des mères maquerelles qui attendent d'elles un retour sur investissement. Tous jouent le jeu de la séduction, se montrent jaloux de leurs rivals/rivales, promettent ou espèrent le mariage alors que tout cela ne s'avère être qu'un simulacre dissimulant un monde où règne la seule loi du rang et de l'argent. La seule fille qui semble parfaitement lucide est Emeraude qui utilise ses gains pour racheter sa liberté à sa patronne et fonder sa propre maison de passe. Un tel film n'est pas sans résonance avec ceux de Kenji MIZOGUCHI, notamment "La Rue de la honte" (1956). Mais là où Mizoguchi réalisait un film coup de poing pour dénoncer la condition de ces femmes, HOU Hsiao-Hsien se contente d'un bel exercice de style abstrait et répétitif dans lequel on ne ressent aucune espèce d'implication personnelle. D'ailleurs le paradoxe est que non seulement il n'y a aucun commerce charnel visible à l'écran mais que les personnages semblent privés de libido. On les voit tout au long du film causer, jouer au mah-jong, dîner, fumer de l'opium, se regarder en chiens de faïence et c'est à peu près tout. Autrement dit un court-métrage de 15 minutes aurait suffi plutôt que ce bien long exercice d'auto-contemplation. Autant j'aime les films autobiographiques de HOU Hsiao-Hsien, autant je n'arrive décidément pas à adhérer à ses films en costume, même si celui-ci est plus lisible et intéressant que "The Assassin" (2015). L'art pour l'art, très peu pour moi!

Voir les commentaires

Tokyo Sonata (Tôkyô Sonata)

Publié le par Rosalie210

Kiyoshi Kurosawa (2008)

Tokyo Sonata (Tôkyô Sonata)

Ma première incursion dans le cinéma de Kiyoshi KUROSAWA grâce à France.tv qui propose en ce moment en replay un échantillon de films asiatiques s'est avérée concluante: j'ai beaucoup aimé "Tokyo Sonata". Si je m'étais pas renseignée sur ce réalisateur, j'aurais pu croire en voyant ce film qu'il avait un peu le même profil que Hirokazu KORE-EDA c'est à dire qu'il se positionnait comme un héritier de Yasujiro OZU. Or il a commencé dans le genre du cinéma fantastique et d'horreur de série B avant de bifurquer vers des longs-métrages plus susceptibles de toucher le grand public. "Tokyo Sonata" est la parfaite illustration de ce tournant. Il s'agit en effet d'un film réaliste qui dissèque la profonde crise économique, sociale et culturelle que traverse depuis trente ans le Japon au travers de la décomposition puis de la recomposition d'une famille japonaise typique dont chaque membre traverse une profonde remise en cause de son identité et de sa place dans le monde au point d'être menacé de disparition. C'est le père de famille qui se retrouve brutalement effacé de son entreprise, la mère qui à la suite d'un événement rocambolesque part avec un cambrioleur au bord de la mer et est tentée de s'y dissoudre, le fils aîné tout le temps absent qui décide de s'engager dans l'armée américaine en Irak et le plus jeune qui joue du piano sur un clavier muet ramassé dans une décharge et détourne l'argent de la cantine pour prendre des cours clandestinement. Car tout n'est que secrets et mensonges au sein de cette famille où l'on se croise mais où personne ne se parle. Le père cache sa situation en faisant semblant de continuer à travailler tout en tuant le temps en compagnie d'un ex-cadre plus jeune mais également au chômage*. La mère soumise se tait et fait semblant de n'avoir rien vu alors qu'il n'en est évidemment rien. Les fils subissent la tyrannie du père qui s'oppose à leurs désirs juste pour affirmer son autorité (d'une manière aussi arbitraire que dans "Shine" puisqu'il s'agit dans les deux cas de compenser un traumatisme d'anéantissement) (1996) sans pour autant qu'il ne parvienne à garder son contrôle sur eux. Et ce constat familial est aussi sociétal. Kiyoshi KUROSAWA filme la crise économique du Japon, la fin de l'emploi à vie, le déclassement (le père se retrouve agent d'entretien dans un centre commercial et la mise en scène insiste sur l'humiliation que cela représente un peu de la même façon que dans "Le Dernier des hommes" (1924)) de F.W. MURNAU), le chômage, la misère des SDF et des soupes populaires et en montre les conséquences sur le patriarcat et les institutions (école, police) qui abusent de leur pouvoir parce que celui-ci ne repose plus que sur du vent. Car de façon discrète mais précise, Kiyoshi KUROSAWA fait intervenir un élément quasi animiste dans le film: des rideaux qui se soulèvent au gré du vent. Ils ouvrent et ferment le film et sont annonciateurs d'ouverture et de changement. Ainsi après avoir touché le fond, la famille finit par se reconstituer autour d'un espoir porté par les notes d'un air de Clair de Lune de Debussy magnifiquement joué au piano. Ainsi tout réaliste qu'il est, le film fait incontestablement ressentir la présence d'une dimension invisible issue de la culture japonaise et de la filmographie passée de Kiyoshi KUROSAWA.

* La scène de repas chez l'ami du père (qui cache lui aussi sa situation à sa famille) entièrement organisée autour de faux-semblants est particulièrement finement observée avec des regards dans le vide et des silences éloquents.

Voir les commentaires

Phantom Thread

Publié le par Rosalie210

Paul Thomas Anderson (2017)

Phantom Thread

Après avoir vu "Phantom Thread", j'avoue que je suis perplexe. Je m'attendais à un mélange de "Saint-Laurent" et de "Les Vestiges du jour" mais j'ai été déçue sur les deux tableaux. Certes "Phantom Thread" est un film maîtrisé, aux cadres bien composés mais je l'ai trouvé long, pesant, académique et trempé dans le formol. J'ai été étonnée qu'il n'y ait à ce point aucune sensualité ni aucun charme qui se dégage du travail de création de Reynolds Woodcock, couturier inventé de toutes pièces présenté comme génial mais dont les robes années cinquante destinées au gotha ressemblent à des meringues ou bien lorsqu'elles sont en forme de fourreau, leurs courbes sont cassées par un hideux mantelet à col rigide. D'ailleurs Woodcock est ravi que sa muse ait peu de formes. Le mot muse relève davantage de la note d'intention que de ce que l'on perçoit dans le film: celui-ci ne montre pas en quoi Alma a inspiré le travail de création de Reynolds, sa place est plutôt en cuisine. La relation amoureuse est en effet à l'avenant de ce personnage sec comme une trique qui ne semble pouvoir lâcher-prise qu'en se faisant du mal. Il trouve de ce point de vue chaussure à son pied avec Alma, jeune femme au visage d'ange mais au coeur d'ogre qui va réussir à lui ouvrir l'appétit en mettant un peu de souffre dans son omelette ^^ (la meilleure scène, mais il faut attendre presque deux heures de film pour la voir). J'ai eu à plusieurs reprises l'impression que Paul Thomas Anderson (alias PTA pour les intimes) essayait de faire du Hitchcock (la soeur envahissante et castratrice de Reynolds a de faux airs de Mme Danvers dans "Rebecca", le personnage-pygmalion fait penser à "Vertigo") tout en recherchant à s'en émanciper en surprenant avec des idées originales. Mais tout cela est sans enjeu, mécanique, froid et la relation de co-dépendance sado-masochiste entre Reynolds Woodcock et Alma, trop alambiquée pour sonner juste, en dépit de comédiens impeccables. C'est d'ailleurs avec ce film que Daniel Day-Lewis a tiré sa révérence envers le monde du cinéma, lui que j'avais découvert chez James Ivory, cinéaste américain autrement plus fin et sensible dans sa description de la riche société corsetée anglaise (mais qui n'a jamais eu les faveurs de la critique européenne contrairement à PTA).

Voir les commentaires

Quai d'Orsay

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (2013)

Quai d'Orsay

Le beau parleur au tempérament volcanique, les satellites azimutés, l'homme de l'ombre flegmatique et le scribouillard énarque mais novice composent le tableau du personnel du ministère des Affaires Etrangères tel qu'il est brossé dans la première "vraie" comédie de Bertrand Tavernier. Une comédie certes mais qui répond à ses préoccupations de filmer les coulisses de l'histoire en marche, du côté de ceux qui la produisent. La nouveauté réside plus dans le ton que dans le thème. Tavernier a adapté la BD de Blain et Lanzac (alias Antonin Baudry, diplomate et ex-plume de Dominique de Villepin qui s'inspira de son expérience entre 2002 et 2004 au Quai d'Orsay et qui est représenté dans le film par le personnage qu'interprète Raphael Personnaz) et offre une version qui ne manque pas de piquant. De façon assez déconcertante en effet, le film se compose d'un aspect documentaire (il a été tourné dans les lieux même du pouvoir, en France comme à l'étranger et montre d'une façon méticuleuse les coins et recoins de la machine ministérielle, nous en faisant découvrir tous les rouages) tout en y greffant un aspect burlesque (les portes qui claquent et les feuilles qui s'envolent à chaque passage du ministre, les conseillers tous plus farfelus les uns que les autres). Son origine bédéique se retrouve également dans les pseudo-pays imaginaires évoqués tels que l' "Oubanga" ou le "Lousdémistan" qui n'ont rien à envier à la Syldavie et la Bordurie des albums Tintin. Néanmoins tout le monde comprend qu'il s'agit de la période durant laquelle les néoconservateurs américains dirigés par George W Bush décidèrent de faire une guerre préventive contre l'Irak à laquelle s'opposa la France lors du célèbre discours prononcé par Dominique de Villepin à l'ONU en 2003.

Disons-le tout de suite, la prestation de Niels Arestrup dans le rôle du directeur de cabinet Maupas m'a bluffée dans le film et je n'ai pas du tout été étonnée du prix du meilleur acteur dans un second rôle qu'il a reçu aux César. Quand il s'endort au milieu des séances de blablas, quand il fait appel à tout son self-control pour désamorcer une situation étrangère explosive alors qu'il est dérangé toutes les cinq minutes ou quand il doit faire preuve de diplomatie et d'autorité pour orienter les décisions dans le sens qu'il souhaite, il est impressionnant. On découvre ainsi le rôle clé de celui qui tient les rênes du ministère et agit pendant que le ministre fait le show à l'avant-scène. Autrement dit on assiste à une édifiante (et instructive) répartition des rôles. D'un côté le roi de l'éloquence et ses sous-fifres chargés de le conseiller ou de lui (ré)écrire (10 mille fois) ses discours qui se tirent dans les pattes ou lui servent de souffre-douleur (ou plutôt de boules anti-stress). De l'autre le manoeuvrier de l'ombre, celui qui agit dans les coulisses mais laisse à d'autres le soin de monter en première ligne. Car le personnage du ministre (joué par Thierry Lhermitte qui avait déjà été Louis XIV chez Véra Belmont) est une pile électrique qui use son entourage à force d'extravagances et d'exigences mais c'est lui qui s'expose et se prend les coups comme le montre la séquence africaine où il est chahuté par une manifestation anti-française en "Oubanga" alias la Côte d'Ivoire (séquence inspirée d'un épisode réel durant lequel Dominique de Villepin fut bloqué pendant une heure par des manifestants pro-Gbagbo à Abidjan).

Voir les commentaires

37°2 le matin

Publié le par Rosalie210

Jean-Jacques Beineix (1986)

37°2 le matin

J'étais curieuse de revoir "37°2 le matin" découvert en salle durant mon adolescence et qui avait été un marqueur de cette période (comme pour beaucoup de gens de ma génération) en raison de son succès immédiat puis de son statut de "film culte" et aussi parce que la bande originale était devenue "virale" alors même que internet n'existait pas. Si je l'ai beaucoup écoutée, je n'ai jamais fait partie des afficionados du film et J'avoue qu'après ce nouveau visionnage mes impressions sont plus que jamais mitigées. Je n'ai pas fait un rejet total mais certains aspects du film m'ont fortement déplu.

Du côté du positif, on ne peut pas continuer comme certains le font avec mépris à caricaturer Jean-Jacques Beineix en simple "faiseur de publicités". Comme "Diva", "37°2 le matin" est doté d'une âme qui s'exprime dans une soif d'absolu*, soif qui ne peut s'étancher que dans l'art (lyrique dans "Diva", littéraire dans "37°2 le matin") et dans la passion amoureuse fiévreuse et tragique (même si dans "Diva" elle se consume sur les planches et non dans les coulisses). De plus, l'esthétique du film conserve un réel potentiel de séduction: la bande originale composée par Gabriel Yared est toujours aussi envoûtante et le jeu des couleurs à dominante jaune et bleu (ou rose et bleu pour le ravalement des façades des chalets de Gruissan), pas très éloigné des filtres utilisés par Jean-Pierre Jeunet ou de Percy Aldon est agréable à l'oeil (et puis le bicolore était à la mode à l'époque, Jeanne Mas chantait "En rouge et noir" ^^). Enfin les acteurs sont charismatiques, en particulier la tornade Béatrice Dalle qui crevait l'écran en emportant tout sur son passage. Ce film plus que d'autres m'a d'ailleurs fait réaliser le travail que le temps a effectué sur les visages et sur les voix (pas seulement de Béatrice Dalle ou de Jean-Hugues Anglade mais aussi de Vincent Lindon qui avait déjà du flair pour les films décalés à gros potentiel). 

Néanmoins "37°2 le matin" outre son scénario que l'on peut trouver erratique voire absurde (mais pas plus que dans certains films de la nouvelle vague ou de Bertrand Blier!) donne une représentation de l'amour "made in années 80" purement physique où chacun se tirait la bourre à qui irait le plus loin dans la monstration frontale des scènes de sexe et de nudité en titillant la fibre voyeuriste du spectateur sans pour autant tomber dans le porno. La scène inaugurale est donc bien longuette et alors qu'elle se voulait provocante en 1986, elle est juste ringarde en 2022. Alors qu'on cherche aujourd'hui à davantage représenter la diversité en matière de sexualité et d'une manière plus originale, on y voit ce qu'il y a de plus plat et formaté dans la chose: un homme qui s'agite sur une femme qui bien sûr en redemande avec orgasme simultané en prime. Tout ça en guise de présentation des personnages, on peut dire que le ton est donné. Plus encore que Béatrice Dalle, Jean-Hugues Anglade, visiblement fou de son corps se montre à poil toutes les 5 minutes et on se demande ce que ce zizi fièrement exhibé apporte à l'histoire. Mais ce que je trouve le plus pénible dans le film, c'est la confusion entre amour et hystérie. Entre le personnage de Clémentine Célarié qui est nymphomane et saute sur tout ce qui bouge et celui de Béatrice Dalle dont les accès de sauvagerie se muent en folie furieuse, les femmes sont dépeintes comme des furies dangereuses et incontrôlables. Betty est d'ailleurs un étrange collage fantasmatique entre une apparence extérieure de pin-up ou de poupée gonflable et un âge mental d'environ deux ans, l'âge où l'intolérance à la frustration provoque des crises de colère envoyant les objets à terre, provoquant griffures et morsures. Pas très progressiste tout ça pour un film qui se voulait tendance voire avant-gardiste et paraît aujourd'hui bien daté.

* Elle ne doit pas être étrangère au caractère excessif du film.

 

Voir les commentaires

Pina

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (2011)

Pina

Wim Wenders est l'un de mes cinéastes préférés. Et l'un de mes films préférés, "Parle avec elle" de Pedro Almodovar s'ouvre sur un extrait de "Café Müller" qui m'a fait découvrir la danseuse contemporaine et chorégraphe de génie Pina Bausch et les larmes qu'elle pouvait faire verser aux hommes (Wim Wenders inclus qui a déclaré avoir fondu en larmes devant ce même spectacle en 1985 alors que la danse l'avait jusque là toujours laissé froid). La mort brutale de la chorégraphe allemande en 2009 ne mit pas pour autant fin au projet que Wenders avait eu de tourner un film avec elle et de fait "Pina" (que j'ai vu sur France TV, en 2D alors qu'il a été tourné en 2011, époque où la 3D était à la mode) est bien un film qui fusionne leurs deux univers. En apparence, il s'agit "juste" d'un film-hommage qui donne la parole aux danseurs de la troupe de Pina Bausch -certains préférant d'ailleurs garder le silence- et montre des extraits de ses spectacles les plus célèbres qui font ressortir des traits communs (le style vestimentaire des danseuses avec leurs cheveux lâchés et leurs longues robes fluides, leurs grands mouvements circulaires avec les bras, le jeu avec les éléments -terre battue, pierre, eau- mais surtout les mouvements sans cesse répétés d'attraction, de répulsion et de chute des corps féminins, rattrapés -ou non- par les corps masculins). Mais on reconnaît aussi dans "Pina" l'univers de Wim Wenders. Tout d'abord à travers l'environnement. Lorsque les danseurs sont filmés sur la scène, le sol se couvre de terre, d'eau ou de chaises. Mais lorsqu'ils sont lâchés dans la nature, ils serpentent dans des lieux importants de la filmographie de Wim Wenders, le long des restes du rideau de fer (vus dans "Au fil du temps") ou sous le train suspendu de Wuppertal (où se trouve le siège de la compagnie de danse contemporaine de Pina Bausch) dont j'avais découvert l'existence en regardant "Alice dans les villes". Ensuite les origines très diverses des danseurs qui s'expriment dans leur langue maternelle répondent à une préoccupation commune. Comme Pina Bausch, Wim Wenders est un infatigable voyageur qui a arpenté le monde avec des lieux fétiches (les USA, le Japon, Lisbonne) qui résonnent avec les origines asiatiques, latino ou russes des danseurs et danseuses de Pina Bausch, leur langage commun étant la danse, celle-ci faisant office de tour de Babel.

Voir les commentaires

Drive My Car

Publié le par Rosalie210

Ryusuke Hamaguchi (2021)

Drive My Car

A plusieurs reprises, Ryusuke Hamaguchi filme dans "Drive My Car" en plan aérien les autoroutes avec leurs embranchements complexes, de préférence la nuit. Le film est construit un peu comme cela tant dans son scénario que dans sa mise en scène: comme une autoroute remplie de bifurcations que l'on prend sans même sans rendre compte tant le récit se déploie de façon fluide et logique, à l'image de la conduite pleine de délicatesse de Misaki. Par ailleurs, "Drive My Car" m'a renvoyé à plusieurs autres films. Le début et son atmosphère entre chien et loup m'a fait penser à la plus belle scène de "Burning" de Lee Chang Dong et pour cause: les deux oeuvres puisent à la même source, celle des nouvelles de Haruki Murakami. C'est aussi leur limite d'ailleurs car ces récits distillent une certaine perversion "chic" un peu poseuse (dans les deux cas, il est question de relation à trois mais jamais frontale). 

Drive My Car

Par la suite, j'ai beaucoup pensé à mon film préféré de Pedro Almodovar "Parle avec elle" quand Oto, l'épouse du metteur en scène Yusuke Kafuku lui dit qu'elle souhaite prendre le temps de lui parler, non pas "après la corrida" mais le soir quand il rentrera... un après qui ne viendra jamais, illustrant dans les deux cas l'impossible communication ayant dressé un mur entre deux personnes qui pourtant sont attachées l'une à l'autre, la peur de faire face à l'autre et ensuite les regrets lorsqu'il est trop tard. Ironie de l'histoire, Yusuke Kakufu dont l'introduction (qui dure tout de même quarante minutes!) souligne l'incapacité à communiquer dans l'intimité, aime monter des pièces de théâtre d'auteurs étrangers où il fait appel à des acteurs s'exprimant dans des langages différents (japonais, mandarin, coréen et même langue des signes), traduits sur un écran au fond de la salle. Après "En attendant Godot" de Samuel Beckett (où il joue également), il est invité à mettre en scène "Oncle Vania" de Anton Tchékhov à Hiroshima, lieu lourdement symbolique s'il en est comme le sont les pièces qui reflètent ses états d'âme mais aussi ses préoccupations et même ses fantasmes (le recrutement du jeune amant de sa femme en lieu et place du rôle qu'il devait interpréter lui-même, celui de Vania). Un enregistrement des dialogues de la pièce par Oto qu'il écoute en boucle dans sa voiture (avec des silences lors des passages où Vania s'exprime) souligne bien le paradoxe d'un lien qui se perpétue par delà la mort via le truchement de l'art(ifice) puisque le vrai dialogue n'a pu avoir lieu. De façon plus générale, la relation entre Yusuke et Oto, fondée sur le non-dit a quelque chose de mortifère et de vampirique (outre le fait que le seul enfant qu'a produit leur union est un enfant mort, Oto se voit dans un rêve comme une lamproie -le poisson-vampire par excellence- et elle trouve l'inspiration des scénarios qu'elle écrit pour la télévision en faisant l'amour avec Yusuke, autrement dit en avalant sa substance).

Drive My Car

Ce n'est donc pas sur les planches ou sur cassette et encore moins dans le passé que Yusuke trouvera la résilience dont il a besoin pour continuer à vivre mais bien dans la réalité présente. En effet "Drive My Car" déjoue (mais en partie seulement*) son caractère élitiste (qui a facilité, ne nous voilons pas la face, les critiques dithyrambiques que le film a reçu lors de la projection à Cannes en mode "ah je ris de me voir si belle en ce miroir") grâce à la relation avec sa conductrice, Misaki, issue d'un milieu social opposé au sien, fruste et quasi-mutique (et que ça fait du bien dans un film où on s'écoute quand même beaucoup parler!), mais qui a 23 ans, soit exactement l'âge qu'aurait eu la fille de Yusuke et Oto si celle-ci avait vécu. Le rapprochement entre ces deux pôles opposés est particulièrement souligné dans la mise en scène (de celle des escaliers qui marque le fossé entre eux à celle, prévisible, dans laquelle l'évocation de leurs souffrances respectives les amène à se prendre dans les bras). Et ce qui se tisse entre ces deux personnages m'a cette fois-ci renvoyé à "Gran Torino" de Clint Eastwood et à cette relation filiale d'adoption entre un vétéran américain de la guerre de Corée et un jeune coréen qui passe par la transmission d'une voiture, non une Gran Torino mais une Saab 900 rouge qui symbolise Yusuke (d'où sa difficulté à accepter le lâcher-prise c'est à dire de se laisser conduire). C'est avec Misaki, et avec elle seulement que Yusuke va entreprendre un voyage sur un coup de tête au bout duquel il va tomber le masque pendant qu'elle va pouvoir enfin au contraire reconstruire son visage sur lequel perce même enfin un embryon de sourire.

* Le personnage du jeune amant de Oto, Takatsuki sonne par exemple faux. En effet il est dépeint comme un impulsif qui séduit et cogne à tour de bras mais se fend d'une interminable auto-analyse dans la voiture de Yusuke typique de ce cinéma très cérébral. C'est pourquoi autant je suis d'accord avec le prix qu'il a reçu à Cannes (qui aurait pu être également celui de la mise en scène), autant la Palme d'or aurait été surdimensionnée pour un film qui, aussi virtuose, élégant et profond soit-il s'adresse avant tout à l'élite intellectuelle et bourgeoise européenne dont il adopte la plupart des codes.

Voir les commentaires

Un long dimanche de fiançailles

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet (2004)

Un long dimanche de fiançailles

"Un long dimanche de fiançailles" est l'un des rares films de Jean-Pierre Jeunet que je n'avais pas encore revu. Maintenant, je me dis que c'est le destin d'avoir gardé ce film en réserve pour pouvoir rendre hommage à Gaspard Ulliel dont c'était le premier rôle majeur, couronné par le César du meilleur espoir masculin. On peut d'ailleurs saluer la qualité et la variété de la distribution qui certes, reprend une bonne partie du casting de "Delicatessen" et de "Le Fabuleux destin de Amélie Poulain" (de Audrey Tautou à André Dussollier en passant par Dominique Pinon, Ticky Holgado, Jean-Claude Dreyfus ou Urbain Cancelier) mais en ajoute pas mal de nouveaux, venus d'autres horizons comme Albert Dupontel, Denis Lavant, Clovis Cornillac, Jean-Pierre Daroussin, Julie Depardieu, Jodie Foster, Jean-Paul Rouve, Michel Vuillermoz ou bien alors des nouveaux venus à l'aube d'une belle carrière: outre Gaspard Ulliel, l'étoile montante Marion Cotillard confirmait son talent en obtenant le César du meilleur second rôle alors qu'elle n'apparaît que huit minutes dans le film (mais dans un rôle de justicière qui redouble celui de Mathilde la détective).

Cette densité de talents au mètre carré se retrouve dans l'intrigue et dans l'image. L'histoire, adaptée du roman de Sébastien Japrisot mêle deux récits (le passé de la guerre en couleurs sombres, le présent de l'après-guerre en sépia) et est originale en ce sens que c'est une femme (handicapée qui plus est) qui en est le centre et le moteur. La première guerre mondiale et ses horreurs* est évoquée en effet en fonction des progrès de l'enquête que Mathilde mène en 1920, seule contre tous ou presque à croire que son fiancé a survécu sur la foi d'une intuition intime (que l'on peut comparer à la quête de Tintin à la recherche de Tchang dans "Tintin au Tibet" alors que tout le monde le croit mort). L'obstination de ce petit bout de femme à découvrir la vérité l'amènera à croiser d'autres destins et à recouper leurs témoignages pour en démêler le vrai du faux. La scène cruciale de l'Albatros, l'avion allemand qui tire sur Manech alors qu'il grave les lettres de son amour à Mathilde (MMM) sur le tronc d'un arbre calciné est ainsi revue plusieurs fois, la version de cet épisode variant selon les témoins (français ou allemand, depuis la tranchée ou dans le no man's land à la manière d'un "Râshomon"). Quant aux lieux, ils sont superbement reconstitués avec tout le savoir-faire méticuleux d'un réalisateur attentif au moindre détail. Et si le récit tient en haleine avec un sens du rythme qui n'est plus à démontrer et des rebondissements perpétuels, il ménage des pauses solitaires et mélancoliques dans lesquelles les deux éternels fiancés pensent l'un à l'autre dans le désert, l'un en gravant ses lettres d'amour éternel dans le bois au milieu de l'enfer et l'autre en jouant du tuba face à la mer.

* La première guerre mondiale a fait l'objet de nombreuses oeuvres marquantes auquel le film de Jeunet fait référence, des BD de Jacques Tardi (dès les premières images, j'ai reconnu le cadavre du cheval pendouillant dans un arbre) jusqu'aux "Sentiers de la gloire" de Stanley Kubrick (les exécutions pour l'exemple).

Voir les commentaires

1 2 3 4 > >>