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Fatty amoureux (Love)

Publié le par Rosalie210

Roscoe Arbuckle (1919)

Fatty amoureux (Love)

"Fatty amoureux" est le troisième et dernier segment de la compilation des trois courts-métrages "Fatty se déchaîne (1917)" sorti en 2016 au cinéma puis en 2017 en DVD. Elle a permis de redécouvrir l'importance de ce réalisateur-scénariste-acteur dans l'histoire du cinéma burlesque primitif longtemps oublié à la suite de l'Affaire qui brisa sa carrière. Pour mémoire il fut accusé à tort de viol et de meurtre sur une jeune actrice et en dépit de son acquittement, fut interdit de plateaux ce qui l'obligea à se cacher derrière un pseudonyme le restant de ses jours.

"Fatty amoureux" (qui existe aussi sous un autre titre en VF "Fatty rival de Picratt") raconte la lutte menée par Fatty pour épouser la jeune fille qu'il aime en dépit de l'opposition du paternel. Celui-ci lui préfère en effet son habituel antagoniste, Al St JOHN pour des raisons parfaitement vénales. Le père de Al lui promet la moitié de ses terres en échange de cette union matrimoniale. Fatty doit donc ruser pour parvenir à ses fins.

On retrouve le schéma classique des comédies de Roscoe Arbuckle: celui de la revanche du loser sur ceux qui le méprisent et l'excluent. Il en fait voir de toutes les couleurs au propriétaire: bottage de fesses en cadence, soupe au savon, multiples chutes au fond du puit (un gag particulièrement étiré dont Roscoe Arbuckle étudie toutes les variations possibles) et enfin séduction par le travestissement. Comme dans les deux autres courts-métrages du programme, Roscoe Arbuckle est particulièrement séduisant lorsqu'il se déguise avec les atours du sexe opposé et il utilise ce pouvoir comme une arme fatale, celle qui lui est refusée dans la vraie vie.

Contrairement aux deux autres courts-métrages, Buster KEATON est absent car il avait été envoyé en France pour divertir les officiers envoyés au front à la fin de la première guerre mondiale. Il est remplacé par Monty BANKS qui n'a pas son talent ni son charisme.

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Mud: Sur les rives du Mississippi (Mud)

Publié le par Rosalie210

Jeff Nichols (2013)

Mud: Sur les rives du Mississippi (Mud)

Un fleuve, une île déserte, un bateau niché dans un arbre, un mystérieux personnage au passé trouble qui y a trouvé refuge (son surnom "Mud" renvoie aussi bien à son opacité qu'au Mississippi). Il n'en faut pas plus pour être embarqué dans un récit d'aventures aux fortes résonances mythologiques. On pense aux récits de Mark Twain dont s'est inspiré Jeff Nichols. Ellis (Tye SHERIDAN) et Neckbone (Jacob LOFLAND), les deux adolescents inséparables qui vivent sur ses rives sont des avatars de Tom Sawyer et d'Huckleberry Finn alors que Mud (Matthew McCONAUGHEY) renvoie quant à lui à Joe l'indien de par son statut de paria et le parfum de danger qui l'entoure. Quoique le pasteur Powell de la "La Nuit du chasseur (1955)" de Charles LAUGHTON ne soit pas non plus très loin (les mains tatouées appartiennent à la copine de Mud, ce dernier ayant préféré avoir un serpent sur le bras et un flingue dans sa poche ^^). Et puis il y a Tom Blankenship (Sam SHEPARD), un vieil homme solitaire qui vit sur l'autre rive et dont le nom renvoie à l'ami d'enfance de Mark Twain (il aurait inspiré le personnage de Huckleberry). D'autre part Tye SHERIDAN et la photographie contemplative deAdam STONE qui magnifie la beauté de la nature évoquent l'univers de Terrence Malick.

"Mud" offre donc un univers signifiant mais le message qui se dégage de ce récit initiatique laisse perplexe. Passe encore que Ellis cherche un modèle positif qu'il ne trouve pas dans sa propre famille et qu'il se heurte à des adultes fuyants et/ou irresponsables. Son foyer se désagrège à cause de la mésentente de ses parents. Mud qui lui sert de père de substitution est immature, violent et manipulateur. Il est peut-être attaché à lui mais il l'implique dans ses problèmes d'adulte ce qui le met dans des situations trop lourdes pour son âge. Là où le réalisateur charge carrément la barque, c'est dans l'accumulation d'échecs amoureux ou d'amours impossibles (Mud et Juniper jouée par Reese WITHERSPOON, Tom et sa femme, Ellis et sa copine, l'oncle de Neckbone joué par Michael SHANNON) et l'ajout de pénibles histoires de fausse couche, de bébé mort né, de stérilité, de fils assassinés ou à l'inverse d'orphelin. Il n'y aurait pas eu besoin de tout ces éléments mélodramatiques pour expliquer les agissements des personnages s'ils avaient eu plus de profondeur.

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New York-Miami (It Happened One Night)

Publié le par Rosalie210

Frank Capra (1934)

New York-Miami (It Happened One Night)

"New York-Miami" est considéré comme le film fondateur de la screwball, ce genre de comédie typiquement américaine des années 30 et 40 qui reprend les schémas du cinéma burlesque muet tout en l'adaptant au parlant. La screwball se caractérise en effet par des échanges dialogués vifs et piquants au sein d'un couple que tout semble opposer alors qu'en vérité ils sont fait l'un pour l'autre. C'est pourquoi on parle également souvent de "comédie du remariage". Soit qu'il s'agisse d'un couple déjà formé sur le point de se séparer et qui finit par se rabibocher, soit de deux personnes qui se rencontrent et qui après s'être bien frottées l'une à l'autre (d'où les étincelles!) vont finir par rompre leurs engagements pris ailleurs pour former un couple.

C'est à ce dernier cas de figure qu'appartient "New York-Miami" qui repose sur un choc des mondes. Soit Ellie (Claudette COLBERT) une jeune héritière pourrie gâtée et totalement ignorante de la réalité de la vie que son désir de liberté pousse à sauter hors du yacht paternel bien protégé pour se mêler à la plèbe en voyageant en bus (moyen de locomotion du pauvre aux USA) et dormant au camping. Elle se retrouve compagnie de chômeurs (la grande dépression est évoquée au travers d'une passagère qui s'évanouit d'inanition), d'hommes lubriques et de Peter, un reporter bourru en rupture de contrat porté sur la boisson et les potins (Clark GABLE) qui lui porte un intérêt immédiat. Est-ce pour ses beaux yeux ou pour le profit qu'il peut en retirer? Toujours est-il que la suffisance des deux personnages (à coups de "Non, mais je peux me débrouiller toute seule, je suis une grande fille moi" tout de suite démenti par la réalité ou de "Je me fiche bien de vous", également contredit par la suite des événements) produit des étincelles comiques réjouissantes tandis que sous le vernis conflictuel perce rapidement la romance.

Le génie de Capra est d'avoir mis en mouvement cette intrigue théâtrale en l'intégrant dans un espace-temps parfaitement maîtrisé. Le film est en effet un road movie qui emprunte son rythme effréné aux films d'aventure et aux polars: poursuite, couple en fuite, fausses identités, atmosphère nocturne. Ce mélange réjouissant est enfin pimenté par un érotisme latent qui est un perpétuel défi à la censure. Capra joue énormément avec les situations scabreuses permises par la promiscuité (que ce soit dans le bus ou au camping) ainsi qu'avec les symboles. La scène hilarante de l'auto-stop voit s'affronter deux formes de phallisme et c'est la jambe bien galbée d'Ellie qui claque le beignet au pouce "trois positions" de Peter censé être imparable (Clark GABLE s'avère au passage être d'une efficacité comique redoutable avec un sens de l'autodérision proche de celui d'un Hugh GRANT). Il en va de même avec la nourriture, a-t-on besoin de préciser pourquoi Ellie refuse de s'alimenter à bord du yacht alors que quelques heures plus tard elle apprend à tremper correctement son donut dans le café sous les directives de Peter puis accepte de mordre dans une carotte?

Mais sa plus grande audace ne réside-elle pas dans le dernier plan? La chute du mur de Jéricho symbolise aussi bien l'union sexuelle que l'abolition des barrières sociales ou des préjugés sexistes (Ellie revêtant le pyjama et la robe de chambre de Peter, c'était déjà un premier pas.)

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Fatty à la clinique (Good night, Nurse)

Publié le par Rosalie210

Roscoe Arbuckle (1918)

Fatty à la clinique (Good night, Nurse)

En apparence "Fatty à la clinique" n'est pas un film cohérent. Il se compose de trois tableaux aux liens assez ténus: Fatty ivre sur la voie publique qui fonctionne comme un court-métrage autonome, Fatty chez lui et enfin Fatty à la clinique de l'eau tarie. Cependant il est possible et même assez facile de les relier si l'on comprend la personnalité de Fatty et le sens de son cinéma.

En effet la première partie qui se déroule dans la rue, sous une pluie battante montre des personnages qui ont en commun d'être des exclus de la société: Fatty, une bohémienne et un noir (en fait un blanc grimé en noir, seule possibilité de les représenter à l'époque). Fatty tente à plusieurs reprises de se réfugier dans un drugstore mais il se fait systématiquement rejeter dans le caniveau. Ca ne l'empêche pas de poursuivre une idée fixe: allumer une cigarette! La deuxième partie montre pourquoi Fatty vit dehors. Lorsqu'il rentre chez lui avec ses nouveaux amis, le domestique a pris sa place sur le canapé et sa femme l'attend pour l'envoyer en cure de désintoxication. Par conséquent la tentative de Fatty pour subvertir sa grande maison bourgeoise en lieu de rigolade et de plaisir tourne court. A la clinique enfin qui est plutôt un asile d'aliénés, il est anesthésié par une équipe menée par un boucher (joué par Buster KEATON qui avait déjà fait une apparition travesti en femme au début du film).

Il ne lui reste plus qu'à se venger en rêve, la partie la plus excitante du film. Dans celle-ci, il s'enfuit de la clinique après l'avoir mise sans dessus-dessous avec une bataille de polochons d'anthologie où les plumes envahissent l'écran. Poursuivi par les médecins, il va si vite qu'il gagne une course sans s'en rendre compte (un gag directement repris par Jacques TATI dans "Jour de fête (1947)"). Enfin, toujours dans le but de leur échapper, il se déguise en nurse et fait les yeux doux à Buster KEATON qui tombe également sous son charme. Une scène de séduction aussi désopilante que troublante par son caractère non-conformiste. Le visage ravissant d'Arbuckle et tout particulièrement la douceur de son regard est particulièrement bien mis en valeur par la caméra mais aussi par les attributs féminins. Ce qui n'est pas surprenant, le féminin allant de pair avec les rondeurs. Des attributs physiques rejetés par les sociétés occidentales dont on connaît également la profondeur de la misogynie. Fatty célèbre ainsi la beauté et la sensualité de ce qui est hors norme sur la rigidité de ce qui est formaté. Pas étonnant que l'on y voit l'impensable, c'est à dire Buster KEATON avec la banane car "Fat is beautiful"!  

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Fatty Garçon boucher (The Butcher boy)

Publié le par Rosalie210

Roscoe Arbuckle (1917)

Fatty Garçon boucher (The Butcher boy)

Un gros bébé joueur au visage d'ange aussi corpulent que léger, voilà la fascinante proposition burlesque de Roscoe ARBUCKLE . Ce dernier avait fait d'ailleurs du surnom méprisant qu'il traînait depuis l'enfance "Fatty" (gros lard) son étendard, retournant ainsi le stigmate en sa faveur (exactement comme l'ont fait plus tard d'autres minorités opprimées, tels les noirs avec leur "Black is beautiful").

En 2015 avec la rétrospective "Fatty se déchaîne (1917)" (incluant "Fatty garçon boucher"), on a redécouvert ce grand comique burlesque qui débuta à la Keystone un an avant Charles CHAPLIN et fit découvrir Buster KEATON. Sa carrière fut brisée à la suite d'une accusation de viol et d'homicide dont il fut pourtant reconnu innocent. Mais entretemps, il était devenu le bouc-émissaire de toutes les turpitudes d'Hollywood. il fut donc blacklisté et nombre de ses films furent détruits. Il ne put continuer à travailler que sous un pseudonyme avant de mourir et de sombrer dans l'oubli.

Historiquement "Fatty garçon boucher" est un jalon important aussi bien dans la carrière de Roscoe ARBUCKLE que dans l'histoire du cinéma. C'est en effet le premier film qu'il a réalisé pour la Comique film corporation (la société de production qu'il a fondée avec Joseph M. SCHENCK) ainsi que la première apparition de Buster KEATON en tant qu'acteur. La complémentarité harmonieuse qui se dégage de leurs échanges finit d'ailleurs par éclipser l'autre faire-valoir du film, le rectiligne Slim (Al St. JOHN) incarnation de l'antagoniste sec et sinistre. En effet Roscoe ARBUCKLE est si content de la prestation de Buster KEATON qu'il rallonge son rôle, quitte à nuire à la cohérence du film. Celui-ci apparaît en effet décousu et les différentes apparitions de Buster KEATON sont mal raccordées entre elles. Il est d'ailleurs remarquable que Buster KEATON qui à l'origine ne devait qu'assister au tournage ait revêtu d'emblée le costume du personnage qui le rendra célèbre (avec notamment le célèbre chapeau plat).

Mais peu importe au vu du sentiment de liberté qui imprègne le film. Celui-ci est conçu avant tout comme un espace de jeu régressif et transgressif. Dans ce monde, tout est permis: jouer avec la nourriture, détruire le décor, se travestir… Fatty incarne la vie dans toute sa générosité, dans tous ses débordements (par opposition à l'allure squelettique de Al St. JOHN). Chacune des libertés qu'il s'offre est une revanche pour lui et une source de plaisir pour le spectateur. Ajoutons que cet humour slapstick est tellement poussé qu'il produit des images d'ensemble proches de l'abstraction avec le remplissement progressif de l'écran par le nuage de farine. Blake EDWARDS est sans doute le meilleur héritier de ce style d'humour burlesque car on le retrouve dans plusieurs de ses films ("La Party (1968)" et la destruction du décor social au profit de la mousse qui envahit tout, "La Grande course autour du monde (1964)" et sa bataille de tartes à la crème qui finit par transformer le décor en gigantesque toile peinte…)

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L'Homme de la rue (Meet John Doe)

Publié le par Rosalie210

Frank Capra (1941)

L'Homme de la rue (Meet John Doe)

Grand film sur la manipulation des masses, "L'Homme de la rue" devrait être étudié dans toutes les écoles tant il est éclairant sur la fragilité de nos sociétés démocratiques contemporaines. Les ingrédients qui ont fait basculer une partie du monde dans le totalitarisme et la seconde guerre mondiale (époque de la réalisation du film) sont en effet plus que jamais d'actualité: rôle clé des médias, du spectacle et de la communication (et toutes ses dérives, du sensationnalisme aux fake news), politique politicienne, corruption, populisme, extrémisme sur fond de crise économique, sociale et morale.

Contrairement à la plupart de ses autres films, Capra ne fait ici aucun compromis. Il n'y a pas de chevalier blanc à se mettre sous la dent même si l'humanisme profond du réalisateur nourri de valeurs chrétiennes tempère ce pessimisme radical. Le fait que John Willoughby (Gary COOPER) "l'interprète" et Ann Mitchell (Barbara STANWYCK) le "cerveau" finissent par croire à la créature qu'ils ont créé de toutes pièces (le fameux John Doe, porte-parole de la colère et des espérances du peuple) ne change rien au fait qu'il s'agit d'un coup monté qu'ils cautionnent et alimentent. Ils manipulent la foule et se font manipuler eux-mêmes par les journalistes et les politiciens qui espèrent en retirer un bénéfice personnel. On ne perd jamais le vue les avantages matériels qu'ils en retirent ce qui porte un sacré coup à leur sincérité vis à vis des idéaux qu'ils sont censés défendre et dans lesquels ils finissent d'ailleurs par se perdre (Willoughby finit par être dévoré par son personnage alors que son pygmalion tombe amoureuse sa créature dans une configuration pas si éloignée du "Vertigo (1958)" de Alfred HITCHCOCK).

Le dispositif que Capra met en place oblige le spectateur à faire preuve d'esprit critique. Si le discours prononcé par John Willoughby à la radio est avalé tel quel par la foule crédule, il n'en va pas de même du spectateur. D'abord parce que nous savons que Willoughby joue un rôle (Capra fait également de son film une réflexion sur le pouvoir du cinéma à créer l'illusion et à manipuler les foules). Ensuite parce qu'il nous dévoile les coulisses de l'opération en nous offrant d'autres points de vue. A un extrême, celui du politicien D.B Norton (Edward ARNOLD) propriétaire du journal où travaille Ann Mitchell et financeur des comités John Doe qui se frotte les mains en songeant à la façon dont il va pouvoir utiliser ce mouvement d'opinion pour se hisser au pouvoir. Et à l'autre l'extrême, celui de l'ami de Willoughby, le Colonel (Walter BRENNAN), un marginal libertaire en rupture avec les valeurs de la société américaine auteur d'une tirade sur l'aliénation par la consommation d'une incroyable justesse. Par conséquent il voit clair dans le jeu de chacun dès le départ et ne souhaite qu'une chose: fuir, tant qu'il est encore temps.

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Malec chez les fantômes (The Haunted house)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F Cline (1921)

Malec chez les fantômes (The Haunted house)

Ce court-métrage de Buster Keaton est un peu disparate avec une première partie tournée vers le passé et une deuxième, vers l'avenir. En effet, la première partie assez statique repose sur un gag quasi-unique repris du premier court-métrage tourné par Keaton avec Roscoe ARBUCKLE, "The Butcher Boy (1917)". Il s'agit de la colle répandue sur l'argent et les vêtements et de l'eau bouillante utilisée pour les décoller. L'ampleur du décor qui manque à Keaton pour déployer son corps dans l'espace est résolue dans la deuxième partie. Celle-ci repose en effet sur une réjouissante chorégraphie dans une maison "hantée", en réalité remplie de pièges et de mécanismes qui préfigurent ceux de "The Electric House (1922)". L'escalier-toboggan qui dans le rêve de Keaton se transforme en échelle de Jacob puis en escalier en colimaçon lorsqu'il dégringole en enfer est une trouvaille désopilante. Au sein de cette deuxième partie se niche un gag surréaliste qui fait penser aux trucages de Georges MÉLIÈS: deux squelettes assemblent un homme morceau par morceau. Lorsqu'il est complet, il prend vie et se met à marcher. Cette image du puzzle convient tout à fait pour définir un film forcément inégal à cause de son manque d'unité foncière.

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20th Century Boys chapitre 1 (20-seiki shōnen: Honkaku kagaku bōken eiga)

Publié le par Rosalie210

Yukihiko Tsutsumi (2008)

20th Century Boys chapitre 1 (20-seiki shōnen: Honkaku kagaku bōken eiga)

A l'origine de cette adaptation efficace mais platement illustrative, il y a un des meilleurs manga jamais créés. "20th Century boys" de Naoki Urasawa, un dieu du genre au même titre que son maître, Osamu Tezuka est riche, complexe et haletant de bout en bout. Il a obtenu une pléthore de récompenses prestigieuses et méritées aussi bien au Japon qu'en France et aux USA. Il a contribué avec "Monster" à la reconnaissance internationale de son auteur.

En dépit des allers-retours constants entre plusieurs temporalités, l'histoire est finalement assez simple à résumer. A la fin des années 60, un enfant d'une dizaine d'années, Kenji Endo écrit et dessine avec l'aide de sa bande d'amis un récit d'anéantissement de l'humanité par une arme bactériologique. Trente ans plus tard à la fin des années 90, il voit ce récit apocalyptique qu'il a complètement oublié en grandissant se réaliser point par point. Derrière l'accomplissement de ce sinistre scénario, un gourou qui se fait appeler "Ami" et sa secte qui grandit tel un cancer pour noyauter progressivement toutes les institutions du Japon ou les faire exploser. Le parallèle avec la montée du nazisme s'impose d'autant plus aisément que Naoki Urasawa a souvent donné à ses récits des références germaniques ("Monster" se déroule en Allemagne, "Pluto" a pour héros le professeur Gesicht etc.) Et ce, même si une référence plus contemporaine s'impose immédiatement, celle des attentats au gaz sarin commis par la secte Aum entre 1989 et 1995. Kenji comprend rapidement que "Ami" est l'un de ses anciens camarades de classe qui a gravité autour de sa bande des années 60 sans jamais parvenir à s'y intégrer. A partir de cette exclusion, il a développé une haine qui le pousse à accomplir le récit de Kenji en lui faisant porter le chapeau des attentats. Kenji et ses amis, tous devenus des quadragénaires à la petite vie médiocre doivent alors affronter leurs responsabilités (et une dernière chance de se réaliser en tant qu'individu). La scène où ils déterrent la boîte contenant les souvenirs de leur passé commun a une valeur éminemment symbolique.

La force de "20th Century boys" est de jouer sur plusieurs niveaux. Derrière le récit spectaculaire millénariste et apocalyptique se cache une histoire intimiste mélancolique voire nostalgique sur le thème des illusions perdues. Tout lecteur ou spectateur lambda ne peut que se demander après la lecture ou la vision de cette oeuvre ce qu'il a fait de ses idéaux et rêves de jeunesse. Mais Urasawa ne se contente pas d'être dans le passé, il trace aussi des perspectives d'avenir. Ce guitariste autodidacte pour qui "le rock est une philosophie et Bob Dylan est son prophète" parsème son oeuvre de références à son idole et plus généralement au rock des années 60 et 70, à commencer par le titre de son manga, référence au tube éponyme du groupe T-Rex. Cependant dans le film, il souligne que le "club des 27" (rockeurs ayant pour point commun le fait d'être morts à l'âge de 27 ans) n'est pas une fin et qu'il est possible de s'accomplir ou de rester au zénith à tout âge, y compris à 80 ans. Phrase clé pour le destin de Kenji et de ses amis, tous des quadragénaires ratés qui ne deviendront des adultes accomplis qu'aux alentours de la soixantaine.

L'adaptation cinématographique, très fidèle au manga est comme je le disais plus haut platement illustrative mais efficace. Elle a le mérite de la clarté, utilisant des codes couleurs aisément identifiables pour se répérer (sépia pour le passé, bleu pour l'avenir et une ambiance naturaliste pour le présent). L'interprétation surjouée tire le film vers la série Z mais la qualité du scénario est telle que l'on s'y laisse prendre. L'ampleur de l'histoire (le manga fait 22 tomes) explique le choix de la découper en trilogie, le premier volet couvrant les 5 premiers tomes.

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L'Armée des douze singes (Twelve Monkeys)

Publié le par Rosalie210

Terry Gilliam (1995)

L'Armée des douze singes (Twelve Monkeys)

Le plus grand film de Terry Gilliam avec "Brazil (1985)" dont il est par bien des aspects le prolongement. Terry Gilliam considère d'ailleurs que "L'Armée des douze singes" est le volet central d'une trilogie sur les mondes dystopiques qui a commencé avec "Brazil (1985)" et s'est terminée avec "Zero Theorem (2013)".

La figure circulaire revient d'une manière obsédante dans "L'Armée des douze singes", instaurant une atmosphère carcérale, claustrophobique, étouffante. Le générique donne le ton: le motif d'une ronde d'où tente de s'échapper l'un de ses membres sur la musique d'un tango lancinant joué à l'accordéon. Puis nous plongeons directement dans l'univers post-apocalyptique de 2035 où les survivants se terrent comme des rats dans les sous-sols et sont enfermés dans des cages pour subir des expérimentations scientifiques, tels des cobayes humains. Parmi eux, James Cole (Bruce WILLIS), un "repris de justice" dont le seul crime est d'avoir conservé sa liberté d'esprit (les scènes de confrontation entre Cole et les scientifiques rappellent celles de Sam et de ses tortionnaires dans "Brazil (1985)"). Le passé étant la source du présent et du futur, Cole est envoyé en 1990 (soit l'époque contemporaine de la réalisation du film) ce qui nous permet d'observer par nous-même les "racines du mal": un monde déjà régimenté par une science toute-puissante qui impose ses normes (rationalité, contrôle, réduction du vivant au rang d'objet technique, culte de la consommation) et enferme les déviants à l'asile de fous où ils sont abrutis de drogues. Cole y rencontre un alter ego en la personne de Jeffrey Goines (Brad PITT), un militant anti-consumériste et défenseur des animaux en rupture avec son père scientifique. Avec une ironie grinçante et désespérée, Gilliam dégomme la prétendue toute-puissance de la science en montrant ses failles (par deux fois, Cole est envoyé par erreur dans des époques où il n'a rien à y faire) et la finalité autodestructrice du pouvoir. Enfin lorsque l'on arrive au dénouement du film, on se rend compte qu'il s'agit d'une boucle temporelle sans début, ni fin.

La figure du cercle est indissociable de celle de la spirale, l'autre grand motif de "L'Armée des douze singes" rythmé par ses vortex spatio-temporels. Grand film de cinéphile comme l'était déjà "Brazil (1985)", "l'Armée des douze singes" est à ce jour l'ultime excroissance du séquoia de "Vertigo (1958)" d'Alfred HITCHCOCK qui avait auparavant étendu ses ramifications dans "La Jetée (1963)" de Chris MARKER dont "L'Armée des douze singes" constitue un remake étendu. Quant à Hitchcock, il est cité directement lorsque Cole et Kathryn (Madeleine STOWE) vont se cacher dans un cinéma qui diffuse du Alfred HITCHCOCK en boucle (logique!). Mais sur les quatre films annoncé par l'enseigne du cinéma ("L Inconnu du Nord-Express (1951)", Vertigo (1958), "Psychose (1960)" et "Les Oiseaux (1962)"), seuls deux d'entre eux sont montrés, la séquence la plus longue étant logiquement celle du séquoia de "Vertigo (1958)". Elle annonce la transformation de Kathryn en blonde (sur la musique de Bernard HERRMANN) afin de matérialiser la vision de la femme qui obsède Cole depuis la première image du film dont on ne sait s'il s'agit d'un rêve ou d'un souvenir. "L'Armée des douze singes" partage en effet avec "Vertigo (1958)" et "La Jetée (1963)" une confusion permanente entre la réalité, le rêve, la mémoire et la folie. Mais contrairement à "Vertigo (1958)", l'apparition de Katryn blonde ne s'accompagne pas d'une lumière verte mais rouge. Il ne s'agit pas en effet d'une vision mortifère mais d'un pôle de résistance de la vie sur la mort (l'amour, la passion, la liberté d'esprit de Cole). D'ailleurs Gilliam a également joué avec les prénoms (dans le film de Alfred HITCHCOCK, un acteur prénommé James embrasse un personnage prénommé Madeleine. Dans "L'Armée des douze singes", un personnage prénommé James embrasse une actrice prénommée Madeleine ^^). Gilliam ayant une imagination très picturale, il puise cet idéal féminin dans la célèbre "Naissance de Vénus" de Botticelli qui revient dans plusieurs de ses films dont "Brazil". Quant à la séquence de l'asile, elle sort tout droit du film de Milos FORMAN "Vol au-dessus d un nid de coucou (1975)", le rôle de Brad PITT rappelant celui tenu par Jack NICHOLSON. Brad PITT qui n'était pas encore une star nous gratifie de la prestation la plus remarquable du film. Tel un diable sorti de sa boîte, il offre une interprétation azimutée et hystérique en phase avec les personnages de cartoons de Tex AVERY qui sont diffusés sur une télévision située à l'arrière-plan. Il est avec Cole ce singe rebelle qui tente de s'échapper du cercle à la manière des Marx Brothers passagers clandestins dans "Monnaie de singe (1931)" (Gilliam fait un parallèle avec le titre du film des Marx mais joue aussi sur les sonorités du mot Monkey, key signifiant clé [de l'évasion]).

Enfin "L'Armée des douze singes" par son aspect millénariste fait penser à deux manga qui lui sont contemporains:
- Tout d'abord "X" des Clamp (1992-2002) qui est une libre adaptation de l'Apocalypse selon saint Jean (dont un extrait est cité dans "L'Armée des douze singes"). On y voit s'affronter sept sceaux et sept anges, les premiers cherchant à sauver l'homme et les seconds, à le détruire pour sauver la terre.
- Ensuite "20th Century Boys" d'Aoki Urasawa (1999-2006) qui narre comment une secte apocalyptique dirigée par Ami précipite la fin du monde en répandant sur terre un virus semblable à celui d'Ebola (c'est également une arme biologique qui est responsable de la mort de 99% de l'humanité dans "L'Armée des douze singes").

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La Loi du silence (I Confess)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1953)

La Loi du silence (I Confess)

"La Loi du silence" est considéré à tort comme un film mineur d'Hitchcock. Encore qu'au sein des cinéastes de la Nouvelle Vague, il ait eu dès l'origine de fervents supporters. Aujourd'hui, bien que toujours dans l'ombre de ses chefs-d'œuvre ultérieurs, il suscite davantage d'intérêt de la part des cinéphiles et tend à être réévalué.

Il serait dommage en effet de sous-estimer cette véritable petite pépite qui se situe directement dans le prolongement de son prédécesseur "L'inconnu du Nord-Express". En effet, il y est également question d'un transfert de culpabilité sur fond de frustration sexuelle le tout généré par le catholicisme, la religion dans laquelle a été élevé Hitchcock.

Si l'on en reste au niveau de l'interprétation religieuse, le père Logan (Montgomery CLIFT) est un martyr qui au nom de la foi et de ses principes moraux accepte de prendre sur lui le fardeau de son domestique, Keller (Otto E. HASSE). En refusant de révéler l'aveu du meurtre entendu en confession, le père Logan endosse la culpabilité que Keller ne veut pas assumer afin de racheter sa faute, dans la lignée du sacrifice christique.

Mais Hitchcock sait d'autant mieux la limite d'une lecture seulement religieuse que le catholicisme est minoritaire aussi bien en Angleterre qu'au Etats-Unis (bien que le film ait été tourné dans la ville de Québec): « L’idée de base n’est pas acceptable pour le public. Nous savons, nous les catholiques, qu’un prêtre ne peut pas révéler un secret de la confession, mais les protestants, les athées, les agnostiques pensent : "C’est ridicule de se taire ; aucun homme ne sacrifierait sa vie pour une chose pareille." »

C'est pourquoi le film atteint une dimension universelle dans son deuxième niveau de lecture qui est psychanalytique. Le père Logan n'est un faux coupable qu'au niveau des faits. Il ne l'est plus dès que l'on analyse le niveau des pulsions et des désirs. En tuant l'avocat véreux Villette (Ovila LÉGARÉ), Keller n'a fait que réaliser le souhait inconscient du père Logan, l'argent servant de substitut au sexe comme le souligne "L'interprétation des rêves". En effet Villette menaçait de révéler la liaison secrète entretenue par Michael Logan avant son ordination avec une femme mariée, Ruth Grandfort (Anne BAXTER). Une relation sur laquelle nous n'avons que le point de vue idéalisé de Ruth mais que Michael Logan n'a cessé de fuir, d'abord en allant à la guerre, puis en se faisant ordonner prêtre.

Si le scénario n'avait pas été doublement censuré, le film aurait été encore plus radical et subversif. Logan et Ruth devaient à l'origine avoir un enfant naturel, preuve irréfutable que leur liaison avait été consommée. Le film tel qu'il est reste évasif sur cette question, on comprend pourquoi alors qu'aujourd'hui encore le tabou entourant la sexualité des prêtres catholiques a bien du mal à être levé. D'autre part, le prêtre devait aller jusqu'au bout de son sacrifice masochiste et être pendu. Cette fin tragique a été refusée au profit d'une fin plus consensuelle et commerciale.

En dépit de ces réserves scénaristiques qui altèrent un peu la lisibilité du film, celui-ci se distingue évidemment par la qualité de sa mise en scène, de sa photographie expressionniste et de son interprétation. Montgomery CLIFT tout en intériorité tourmentée est particulièrement intense. Son antagoniste, le rationnel et déterminé inspecteur Larrue est tout aussi finement joué par Karl MALDEN. Hitchcock donnait beaucoup d'importance aux regards et à l'introspection lui qui disait qu'un mauvais film était un film de gens qui parlent. Les films d'Hitchcock sont des films de gens qui pensent.

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