En attendant une éventuelle sortie en salles en France, il est possible de voir "Les colons", le premier long-métrage de Felipe GÁLVEZ HABERLE qui faisait partie de la sélection du festival de Cannes "Un certain regard" en VOD depuis le 2 mai ou bien en avant-première dans quelques salles. Le film raconte la naissance de la nation chilienne en deux parties. La première qui fait penser à un western évoque les conditions dans lesquelles les colons espagnols ont pris possession des terres de la Patagonie. C'est à dire en faisant "pacifier" la zone, terme occultant la réalité de l'extermination des autochtones. Trois de leurs sbires sont envoyés pour "nettoyer le terrain" des indiens qui dérangent l'ordre que les colons veulent établir en détruisant les clôtures (symbole de propriété privée) et en mangeant le cheptel (symbole de l'économie capitaliste). Contrairement à ce que j'ai pu lire lors des retours critiques après la projection du film, il n'est inexact d'affirmer que l'on voit tout du seul point de vue des blancs. Car le troisième homme, l'employé métis tant par son statut d'inférieur perpétuellement rabaissé et humilié que par sa nature hybride observe et consigne dans sa mémoire les horreurs dont il est le témoin et auxquelles parfois ses supérieurs l'obligent à participer. Supérieurs qui sont montrés sous leur jour le plus barbare ce qui a été également critiqué. Cependant d'une part, le témoignage précieux d'un Bartolomé de La Casas a fait état des atrocités commises par les espagnols en Amérique. D'autre part, il s'agit pour Felipe GÁLVEZ HABERLE de déconstruire leur prétendue oeuvre civilisatrice en montrant la véritable nature de ces missions de "pacification" qui ont précédé la naissance des nations modernes du Chili et de l'Argentine. Ainsi le (pseudo) lieutenant écossais qui joue le rôle de contremaître du propriétaire terrien espagnol, le mercenaire texan que celui-ci lui impose comme compagnon de voyage et le colonel Martin qu'ils croisent sur leur chemin rivalisent de sauvagerie et de cruauté, chacun cherchant par ailleurs à dominer l'autre de la plus brutale des manières. Tout au plus peut-on reprocher au réalisateur de ne montrer les indiens que comme des victimes, même si leur résistance est évoquée quand Segundo (le métis) n'a pas des visions où lui apparaît un guerrier indien. On remarquera également que les violences sont plus suggérées que montrées, elles sont soient racontées, soit cachées derrière un épais brouillard. La deuxième partie du film, non moins intéressante se concentre sur la façon dont les représentants des autorités officielles tentent de maquiller les faits historiques afin de construire un "roman national" autour de la naissance de la nation chilienne pour souder ses divers éléments autour d'un consensus forcément mensonger. Pour parvenir à leurs fins, ces représentants vont à la rencontre de Segundo et de son épouse, une indienne rescapée des massacres qui elle aussi a été témoin et victime. La façon dont elle décide de résister à la mise en scène façon "film dans le film" qui doit nourrir le récit des autorités de la pseudo véracité des images conclue en beauté un film aussi riche que puissant cinématographiquement.
"Médecin de nuit" concentre tout ce qui fait l'efficacité d'un récit: la règle des trois unités (le lieu, le temps et l'action) permettant de dénouer une crise ou bien de faire basculer un destin. S'y ajoute une ambiance à la Bruno NUYTTEN et des acteurs à contre-emploi comme dans le Paris nocturne cafardeux qu'il avait éclairé dans "Tchao Pantin" (1983). Le résultat oscille entre un aspect vériste assez âpre qu'on aurait aimé voir plus développé (un homme seul face à une humanité en souffrance) et un enjeu dramatique plus artificiel. En effet en une seule nuit, Mikaël doit résoudre le chaos qui règne dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle et pour cela, trancher le lien toxique qui le relie à son cousin, Dimitri (Pio MARMAÏ). Belle idée en soi de relier l'aspect documentaire et l'aspect romanesque par le biais de la toxicomanie mais le réalisateur a du mal à doser, finissant par transformer son humble médecin en "vigilante" armé d'un flingue à la manière de Travis Bickle dans "Taxi Driver" (1976). Impossible de ne pas penser au film de Martin SCORSESE, à l'ambiance nocturne et poisseuse, à son anti-héros solitaire, à la rencontre avec une jeune prostituée qu'il souhaite aider, au pétage de plombs final. Mais bien évidemment la comparaison s'arrête là, le film de Elie WAJEMAN s'en tient à une trajectoire individualiste au lieu d'interroger la société dans son ensemble et les "monstres" qu'elle fabrique et transforme en héros ce qui en limite la portée. Mais l'aspect que j'ai trouvé le plus maladroit, ce sont les dialogues sentimentaux ultra clichés que Mikaël débite à sa femme et à sa maîtresse. Je ne pensais pas entendre dans un film français d'auteur du XXI° siècle des "paroles paroles" telles que "tout va s'arranger tu vas voir, je vais revenir et être là pour toi" ou bien "je n'ai jamais arrêté de t'aimer" ou bien "on va partir ensemble". Il y a donc du bon voire du très bon dans le film mais également des choses à sérieusement affiner.
Dès les premières notes électrisantes du générique, signées par Ennio MORRICONE, on sent que l'on va voir un film iconique, enchaînant les morceaux de bravoure menés de main de maître. Un film à la fois brillant et obscur car derrière la lutte manichéenne du bien contre le mal qui sature le premier plan, le film est parcouru par d'autres enjeux qui lui donnent sa complexité. La première partie, dédiée à la formation et aux premiers succès du quatuor formé par Eliot Ness (Kevin COSTNER), Jim Malone (Sean CONNERY), George Stone (Andy GARCIA) et Oscar wallace (Charles Martin SMITH) se déroule sur une note claire, celle du clairon de la cavalerie sûr de son fait qui culmine dans la scène westernienne triomphale où les quatre hommes attaquent le pont à la frontière vers le Canada. Pourtant si on est attentif, les fausses notes sont nombreuses dans cette première partie. Il y a tout d'abord la fausse bonhommie de Al Capone (Robert De NIRO) qui nous est systématiquement présenté dans des plans en plongée, contre-plongée ou circulaires qui nous enserrent ou nous écrasent, sensation redoublée avec son homme de main cadavérique, Frank Nitti (Billy DRAGO) dont l'acte inaugural (la mort d'une petite fille, allusion à Alfred HITCHCOCK qui dans "Sabotage" (1936) faisait périr un enfant dans un attentat à la bombe) signe l'emprise du mal absolu sur la ville. Face à ces monstres, Eliot Ness fait bien pâle figure, lui et sa famille modèle montrée volontairement c'est Brian DE PALMA qui le dit comme "ce qu'il y a de plus faux dans le film". La séquence où il se fait ridiculiser souligne à quel point il n'est pas de taille. Seuls ses comparses peuvent lui permettre de parvenir à ses fins, mais comme ne cesse de le lui répéter Malone, il n'y a pas de retour possible lorsqu'on est prêt à plonger dans la fosse aux serpents. La deuxième partie du film, plus que jamais sous influence hitchcockienne décline à l'infini le vertige de cette chute à la manière (Brian DE PALMA est un grand maniériste) de "Vertigo" (1958). C'est dans ce cadre que la transposition dans la gare de Chicago de la séquence des escaliers d'Odessa de "Le Cuirassé Potemkine" (1925) prend tout son sens: Eliot Ness doit plonger les mains dans le cambouis s'il veut mettre la main sur le seul homme qui peut compromettre Al Capone en mettant notamment la vie d'un enfant en danger. De même, la seule manière d'en finir avec Nitti ne peut de toute évidence pas être propre. L'héroïsme de la première partie est remplacée par une ambiance crépusculaire voire tragique (scène d'opéra à l'appui) où les hommes qui ont guidé Eliot Ness sont destinés à tomber à leur tour dans un ascenseur (comme dans "Pulsions") (1979) ou au terme d'un long travelling subjectif comme dans les introductions de "Blow Out" (1981) et "Snake Eyes" (1998). Et si Al Capone finit sous les verrous, c'est grâce à l'obscur travail de fourmi du comptable de l'équipe et non grâce à une quelconque "La Chevauchée fantastique" (1939). Car effectivement, je rejoins Claude Monnier dans sa critique du film pour DVDClassik, "Les Incorruptibles" est un John FORD filmé par un Alfred HITCHCOCK. Et Eliot Ness, le chevalier sans peur et sans reproches finit dans de telles eaux troubles qu'il n'est pas loin de rejoindre le monstre que son patronyme suggère.
"Pacifiction" m'a fait penser visuellement à un Gauguin qui aurait ingéré des racines pas très nettes. C'est un long, très long, interminable trip alcoolisé où l'on alterne entre des paysages polynésiens filmés sous une lumière magnifique et des scènes de discothèque qui se répètent jusqu'au bout de la souffrance du spectateur. Car le film dure près de trois heures et comme il est dénué d'un scénario digne de ce nom et regorge de plans étirés jusqu'à plus soif, ce sont trois heures qui pourraient en durer six ou neuf ou treize sans que l'on voit la différence. Il y a bien une vague intrigue dans "Pacifiction" autour de rumeurs portant sur la reprise d'essais nucléaires en Polynésie qui auraient pu être le point de départ d'un thriller mais celle-ci se perd dans les sables mouvants d'un film mou du genou, décousu, sans enjeu véritable et pire que tout, sans ambiance (les images de carte postale et les stroboscopes ça ne suffit pas). On a bien du mal à croire que Benoît MAGIMEL joue un représentant de l'Etat tellement il est relax, passant le plus clair de son temps à déambuler d'un lieu à l'autre soi-disant pour "tâter le pouls" de la population locale en journée, en réalité pour monologuer des propos improvisés et brumeux avant d'aller passer ses soirées et ses nuits au "Paradise". J'étais même à deux doigts d'éclater de rire dans la scène (magnifique au demeurant) de surf où il chevauche un scooter des mers en costard cravate immaculé et parfaitement sec: une métaphore de nos politiciens hors-sol? ^^ Le seul autre acteur du film est Sergi LÓPEZ que l'on voit quelques secondes et dont on a du mal à identifier le rôle, les autres sont pour l'essentiel des inconnus assez barrés: l'amiral du vaisseau-fantôme bourré aux propos incohérents, un employé transsexuel qui rêve de devenir la secrétaire personnelle du personnage de Magimel (pour apprendre des informations classées top secret?). Bref un film tout sauf abouti, un brouillon et qui le revendique explicitement sous couvert de cinéma expérimental.
Le principal intérêt de "War Pony" réside dans son aspect documentaire, mettant en lumière le triste sort des descendants d'amérindiens vivant dans des réserves, sorte de camps de concentration ruraux aux conditions de vie encore pires que celles des ghettos afro-américains urbains. Le film nous propose une immersion dans l'univers de la réserve la plus pauvre de toutes, Pine Ridge, dans le Dakota du sud. La raison de ce choix réside dans le fait que les deux réalisatrices du film, Riley KEOUGH (fille de Lisa-Marie PRESLEYet petite-fille de Elvis PRESLEY) et Gina GAMMELL se sont appuyés sur les témoignages de deux natifs de Pine Ridge rencontrés sur le tournage de "American Honey" (2015) et qui sont devenus les co-scénaristes du film. Nul doute que les deux personnages principaux du film, Bill et Matho sont leurs avatars. A travers leur parcours pour tenter de s'en sortir ou tout simplement, survivre, le film fait un portrait assez désespérant de la communauté. Bill, 23 ans, deux enfants de deux mères différentes est au chômage comme 90% de la population de la réserve et le film raconte ses tentatives pour monter un "business" légal et ainsi s'intégrer au rêve américain. Sauf que les règles du jeu sont dictées par les propriétaires blancs et donc que les dés sont pipés dès le départ. Matho qui est âgé de 12 ans semble lui être un avatar des enfants livrés à eux-mêmes de "Nobody Knows" (2003). A travers lui sont évoqués le délitement des liens familiaux (un père trafiquant, violent et abandonnant destiné à disparaître très tôt de sa vie), la violence endémique, l'alcoolisme qui touche 85% de la population, la drogue (méthamphétamine, une drogue de synthèse à faible coût) et l'absence totale d'une quelconque prise en charge de la société américaine vis à vis des orphelins de cette communauté (l'école le chasse au premier écart, tout comme le seul "orphelinat" qui est tenu par une "locale" qui trafique elle-même). Face à cet horizon bouché, le film offre bien peu de perspectives, tout au plus quelques réminiscences de leur culture d'origine qui ne se manifeste plus que par bribes tant les jeunes sont acculturés et un final qui déconstruit l'un des mythes fondateur de l'Amérique, celui de Thanksgiving. Il aurait été intéressant de creuser davantage cet onirisme et les personnages plutôt que de les montrer seulement comme des réceptacles des maux de leur communauté n'ayant pas de lien entre eux. On peut également déplorer quelques longueurs et maladresses d'écriture qui affaiblissent le propos.
"Un homme est passé" est le premier film de John STURGES que je vois grâce au Cinéma de minuit qui comme la plupart des émissions et sites dédiés au cinéma s'est mis à l'heure du festival de Cannes. En effet Spencer TRACY y avait reçu le prix d'interprétation pour le personnage de Macreedy.
John STURGES a la réputation d'être un cinéaste inégal, "Un homme est passé" est en tout cas à placer en haut du panier. C'est une petite merveille d'efficacité dramaturgique respectant les trois unités du théâtre classique. Le décor, celui d'un western à peine modernisé par les voitures souligne à quel point le voyageur qui s'arrête à Black Rock entre dans un univers vivant sous cloche, hors de l'espace-temps. D'ailleurs, cette impression se confirme dans le contraste entre le costume moderne et urbain de Macreedy et ceux des hommes du village, tous vêtus de tenues de cow-boy. De même, l'allure des bâtiments comme leur décoration semble ne pas avoir évolué depuis un siècle. Néanmoins la suite de l'histoire évoque moins le western que le thriller, Macreedy faisant penser à un privé par son allure et par son comportement (et à Groucha, le présentateur félin de "Téléchat" avec son bras plâtré dont les séquences au Milk bar ressemblaient à celles des films noirs). Macreedy est en effet manchot ce qui ajoute une dose de mystère à sa présence en un lieu qui manifeste ostensiblement son hostilité vis à vis des étrangers. Les différents spécimens humains qu'il croise sur sa route offrent en effet autant de variations sur les tares de la communauté vivant en autarcie sous la loi mafieuse des terreurs du coin, lesquelles sont incarnées par des acteurs habitués à ce type de rôle: Robert RYAN dans le rôle du "parrain" flanqué de deux grosses brutes incarnées par Lee MARVIN et Ernest BORGNINE. La scène où Macreedy corrige ce dernier après les multiples provocations et humiliations qu'il lui a infligées est un moment hautement jouissif. Mais si Macreedy, un vétéran de la seconde guerre mondiale a du sang-froid et de l'expérience, ce n'est pas un justicier ni un redresseur de torts, encore moins un homme invincible puisqu'il n'est pas armé et est handicapé. Il se rend juste à Black Rock pour solder une dette d'honneur et appuie sans le vouloir là où ça fait mal, déclenchant un engrenage fatal. Par-delà sa dénonciation du racisme, le film, tourné dans le contexte du maccarthysme (à la même époque que "Johnny Guitar" (1954) où jouait aussi Ernest BORGNINE) épingle la lâcheté collective et les lynchages, faisant penser par son intrigue à un "Jean de Florette" (1986) à la sauce américaine bien que la présence de Spencer TRACY ait des relents de "Furie" (1936). Heureusement, son personnage n'est pas tout à fait seul. Il peut compter sur le sidekick préféré du western alias Walter BRENNAN, quatre ans avant "Rio Bravo" (1959).
Voilà un film qui ne manque pas de références! A commencer par le titre qui rend hommage à la série de peintures que David Hockney a consacré aux piscines californiennes dans les années 60 dont une trilogie représentant les éclaboussures d'un plongeon intitulée "The Little Splash", "The Splash" et "A Bigger Splash". Mais bien évidemment, le film de Luca GUADAGNINO est surtout le remake de "La Piscine" (1969), le célèbre film de Jacques DERAY avec Alain DELON et Romy SCHNEIDER. Imagine-t-on "Le Mépris" (1963) avec une autre actrice que Brigitte BARDOT? Il y a des films qui ont si bien imprimés la mémoire collective et des acteurs si iconiques que vouloir les remplacer, c'est déjà courir à l'échec. Alors tout n'est pas complètement raté dans "A Bigger Splash". L'île sicilienne de Pantelleria offre un très beau cadre avec ses roches volcaniques et ses lacs bleu azur. Et Ralph FIENNES impose un Harry survolté et fan des Rolling Stones vraiment amusant. Mais c'est à peu près tout ce qu'il y a à sauver. On se demande ce que la fille de Harry, Penelope (Dakota JOHNSON) vient faire là (si on fait abstraction du scénario) tant elle semble déconnectée du film. Le couple formé par Tilda SWINTON et Matthias SCHOENAERTS ne fonctionne pas et n'a rien à dire, littéralement puisque Marianne est aphone et Paul, mutique mais aussi métaphoriquement. L'idée d'avoir fait de Marianne une David BOWIE féminine colle à la peau de l'actrice androgyne (qui a d'ailleurs tourné un clip avec lui) mais elle ne peut pas en même temps incarner la chair féminine tentatrice épanouie et sensuelle autour de laquelle tourne les mâles. Il y a là une contradiction insurmontable. C'est pourquoi le choix fait par le réalisateur d'user et d'abuser de la nudité et de scènes de sexe pour tenter de compenser le déficit de magnétisme animal et d'alchimie entre les acteurs est un flop complet. Le pouvoir de la suggestion est inversement proportionnel à celui de la monstration. Le pire reste quand même Matthias SCHOENAERTS qui traverse le film comme un somnambule en tirant une gueule de trois mètres de long. Rien à voir avec Alain DELON dont on sentait derrière l'attitude taciturne le fauve prêt à bondir. L'art de la suggestion toujours alors que la rivalité Paul/Harry dans "A Bigger Splash" tend à se résumer à un concours de quéquettes plus ou moins fièrement exhibées. Quant aux idées de mise en scène (flashbacks, allusions aux migrants), elles semblent complètement à côté de la plaque.
Première adaptation du roman "Sangre y arena" de Vicente Blasco Ibanez qui bénéficiera par la suite de deux remakes (l'un en 1941 avec Tyrone POWER Linda DARNELL et Rita HAYWORTH, l'autre en 1989 avec Christopher RYDELL Sharon STONE et Ana TORRENT), le film est un mélodrame convenu voire édifiant sur fond de corrida dont le principal intérêt (c'est d'ailleurs pour cela que je l'ai regardé) est son acteur vedette, Rudolph VALENTINO, le premier "latin lover" (l'étiquette fut inventée pour lui) de l'histoire du cinéma, devenu une star avec "Les Quatre cavaliers de l'Apocalypse" (1921) et "Le Cheik" (1921). Sa carrière fut courte (un peu plus de 10 ans) car il mourut en 1926 et se caractérise par l'exotisme de ses rôles. "Arènes sanglantes" ne fait pas exception à la règle puisqu'il y incarne Juan, un toréador aux origines modestes qui connaît le succès mais se retrouve tiraillé entre sa vertueuse épouse Carmen (Lila LEE) et une femme fatale, Dona Sol (Nita NALDI). Les scènes de séduction à léger parfum SM entre Juan et Dona Sol dégagent un érotisme troublant qui vient pimenter un film sinon assez fade et même moralisateur. Ce qui me fait doucement rire sous cape car Juan est implicitement comparé à un bandit qui mérite d'être puni alors qu'il n'a fait qu'assurer le "show". Mais la morale puritaine hypocrite est sauve.
L'Epouvantail est un film absolument magnifique et injustement oublié en dépit de sa Palme d'Or en 1973. Une étude de caractère extrêmement fouillée et portée par deux acteurs en état de grâce: Gene HACKMAN que je n'avais jamais vu dans un rôle aussi profond et Al PACINO, un diamant brut qui n'en était qu'à son quatrième film mais qui imposait déjà sous ses traits juvéniles sa dimension de star. "L'Epouvantail" est un film typique du nouvel Hollywood des années 70, la rencontre de deux marginaux sillonnant l'Amérique profonde en stop, en train, à pied, écumant ses bars et ses hôtels miteux avec chacun un désir chevillé au corps et incarné par le bagage qu'ils transportent avec eux. Max (Gene HACKMAN) est un roc taiseux, renfrogné, mal embouché, rugueux qui cache sous ses multiples couches de vêtements un bouillonnement d'émotions incontrôlées qui lorsqu'elles explosent le font replonger dans les bras de toutes les femmes qu'il croise et dans l'enfer des bagarres et de la taule. Or il veut se sortir de ce cercle vicieux en montant avec ses économies une station de lavage de voitures dont il porte les plans sur lui. Francis "Lion"el (Al PACINO) est son opposé, un jeune chien fou sans collier, un homme-enfant affamé d'amour qui multiplie les pitreries pour faire rire et accorde sa confiance sans réfléchir mais qui s'avère immature, instable et fragile psychologiquement. Il porte toujours sous son bras un cadeau par lequel il espère nouer un lien avec l'enfant qu'il a abandonné avant sa naissance. Réunis par le hasard de la route à la suite d'une introduction muette magistrale où se noue leur relation, le film tient en haleine de par la manière dont elle évolue, c'est à dire contrairement à la route pas en ligne droite et ensuite par ce que chacun finit par révéler de lui-même. Max s'ouvre au contact de Lion ce qui le fragilise au risque de la sortie de route alors que Lion qui semble au départ le pan solaire du duo se prend des coups (au propre et au figuré) qui menacent son équilibre mental précaire. Je ne sais si la métaphore de l'Epouvantail, fil rouge du film illustré par le ruban du cadeau est reliée au pays d'Oz mais en tout cas, cela y ressemble, même si la route n'est pas pavée de briques jaunes. Gus VAN SANT n'a pas pu ne pas s'en inspirer pour "My Own Private Idaho" (1991).
Il est rare que je regarde un film deux fois de suite, c'est pourtant ce que j'ai fait pour "Le sourire de ma mère". La première fois en effet, je n'ai pas tout compris tant le film a un caractère énigmatique mais j'ai trouvé le personnage d'Ernesto et l'acteur qui l'interprète (Sergio CASTELLITTO) si beaux que j'ai eu envie de recommencer le voyage. Le film raconte l'histoire d'un homme qui se retrouve plongé en plein cauchemar kafkaïen le jour où un prêtre vient chez lui pour lui annoncer que l'Eglise veut béatifier sa mère et qu'elle a besoin de lui pour faire parler le responsable de son assassinat, lequel n'est autre qu'un frère d'Ernesto qui souffre de maladie mentale. Cauchemar car Ernesto qui est athée et ne supportait pas sa mère confite en dévotion mais incapable d'aimer subit les pressions de sa famille à l'origine de la demande de canonisation mais il choisit de résister, pour conserver son libre-arbitre et le transmettre à son petit garçon dont il est très proche. C'est ce combat pour conserver son intégrité face à un microcosme social corrompu que raconte Marco BELLOCCHIO avec un onirisme teinté de surréalisme qui n'est pas sans rappeler Luis BUÑUEL. Face au cynisme et au conformisme de ses autres frères, de ses tantes, de son ex-épouse qui envisagent la religion sous un angle mercantile, une "assurance-vie", un "investissement sûr" qui ne "coûte rien" et la canonisation comme un titre conférant prestige social et protection des puissants, Ernesto qui est peintre et illustrateur se réfugie dans la sublimation conférée par l'art et par l'amour. "Votre peinture est pleine de couleurs, de mouvement autour d'un sujet, vous travaillez l'arrière-plan comme les maîtres de la Renaissance dans le peu d'espace laissé par Jésus et les saints. Dans les espaces inutiles se libère un talent qui me manque" lui dit avec admiration l'institutrice de son fils dont il tombe amoureux et dont on peut douter de sa réalité lorsque le voile de son identité est levé. Quant au sourire du titre, il est moins celui de sa mère qui "ne souriait jamais" que celui qu'elle a transmis à Ernesto, lequel offre ce sourire évanescent comme un bouclier face au cynisme du monde qui l'entoure et contre la dépression qui menace. Oui, un bien beau film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.