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BlacKkKlansman - J'ai infiltré le Ku Klux Klan (BlacKkKlansman)

Publié le par Rosalie210

Spike Lee (2016)

BlacKkKlansman - J'ai infiltré le Ku Klux Klan (BlacKkKlansman)

Cela faisait des lustres que je n'avais pas vu un film de Spike LEE. En effet il était très actif lors de ma première grande période cinéphilique au début des années 90 car il rencontrait alors beaucoup de succès. Puis il a disparu des radars avec des films plus confidentiels ou qui ont été des flops commerciaux avant de faire un fracassant comeback avec son réjouissant pamphlet contre le poison du suprémacisme blanc qui hier comme aujourd'hui gangrène les USA. C'est avec beaucoup d'intelligence que Spike LEE relie le passé à travers une histoire vraie située dans les années 70 militantes impeccablement reconstituées et un présent encore gangrené par la haine raciale ravivée lors du mandat de Donald Trump. En effet le sujet étant assez lourd comme ça, il choisit une voie carrément jubilatoire, celle d'une comédie policière fondée sur des faits réels dans laquelle Ron Stallworth un policier noir (John David WASHINGTON, fils de Denzel WASHINGTON qui s'avère excellent) va infiltrer par téléphone interposé le Ku Klux Klan autant pour se payer leurs têtes encagoulés de crétins décérébrés que pour neutraliser le danger qu'ils représentent. Pour mener à bien sa mission, il se trouve une doublure en la personne d'un collègue, Flip Zimmerman (Adam DRIVER) qui endosse son identité quand il doit les rencontrer en présentiel (comme on dirait aujourd'hui) tout en cachant ses origines juives, sujettes à une haine presque aussi viscérale que celle qui touche les afro-américains. Le duo fonctionne à merveille et à travers lui, c'est Spike LEE qui infiltre l'histoire américaine dans ce qu'elle a de plus nauséabond ainsi que les représentations des noirs dans le cinéma US avec notamment un grand morceau de bravoure: la réappropriation de "Naissance d'une Nation" (1915) de D.W. GRIFFITH dont il reprend les techniques pour souligner qu'il s'agit non du film fondateur de la nation américaine qu'il prétend être (sans parler de son encombrant statut de film matriciel de la grammaire cinématographique) mais bien d'un appel à la guerre civile, celle qui sous Donald Trump a couvé lors des émeutes de Charlottesville et des mouvements "Black Lives Matter".

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Le Cuirassé Potemkine (Bronenossets Potiomkine)

Publié le par Rosalie210

Sergei M. Eisenstein (1925)

Le Cuirassé Potemkine (Bronenossets Potiomkine)

Oeuvre de commande et de propagande destinée à fêter les vingt ans de la révolution russe de 1905 qui préfigura celle de 1917, il y a belle lurette que "Le Cuirassé Potemkine", second film de Sergei M. EISENSTEIN s'est extrait du contexte historique et idéologique qui lui donna naissance pour devenir l'un des trésors du cinéma mondial. Bien que le film (très court au demeurant, 1h et 11 minutes) soit intéressant de bout en bout, c'est la stupéfiante séquence de six minutes consacrée au massacre des civils dans les escaliers d'Odessa qui en a fait un film matriciel. Véritable machine de guerre cinématographique à l'impact visuel foudroyant, cette séquence qui alterne avec un rythme frénétique (pour l'époque) les gros plans sur les visages martyrisés et les plans larges sur les escaliers que semble dévaler sans fin une foule prise en étau entre une armée qui avance mécaniquement comme une machine à broyer et les cosaques qui les attendent en bas pour les écraser comme des punaises ne se réduit pas seulement aux images devenues iconiques d'un landau qui a continué de dévaler les marches bien après le film, jusqu'à "Brazil" (1985) et à "Les Incorruptibles" (1987). Il montre s'il en était encore besoin la puissance d'un art cinématographique épique qui humanise de façon inoubliable un mouvement révolutionnaire réprimé dans le sang. Car les marins du Cuirassé ont beau venger les martyrs d'Odessa en détruisant les symboles du tsarisme au canon, il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un monde d'hommes surarmés alors que les civils sans défense qui ont payé de leur vie le fait de les avoir soutenus en leur donnant des victuailles étaient des femmes, des enfants et des vieillards. En cela, le film d'Sergei M. EISENSTEIN s'avère prophétique sur la nature des conflits qui jalonneront le XX° siècle.

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Adolescentes

Publié le par Rosalie210

Sébastien Lifshitz (2019)

Adolescentes

J'aime décidément beaucoup Sébastien LIFSHITZ, la pertinence de ses questionnements, sa finesse et sa délicatesse d'approche de l'humain, son absence de jugement. Il est sans doute l'un des portraitistes les plus doués de sa génération. "Adolescentes" est au documentaire ce que "Boyhood" (2014) est à la fiction. L'accompagnement sur le temps long d'êtres en devenir avec en arrière-plan, un environnement qui s'obscurcit de plus en plus.

Les deux jeunes filles que filme Sébastien LIFSHITZ de la fin du collège jusqu'au bac sont deux amies d'enfance qui en réalité n'ont pas grand-chose en commun. Dès les premières séquences, on saisit à la faveur du montage tout ce qui les sépare et tout ce qui rend leur divergence d'orientation inéluctable. Emma, belle jeune fille brune filiforme suit des cours au conservatoire, est coaché par sa mère pour tout ce qui touche à ses études, a droit à des soins dentaires, part en vacances bref, tout en elle dénote le milieu aisé. Alors qu'Anaïs, beaucoup plus rondelette est issue d'un milieu défavorisé avec une famille qui cumule les handicaps sociaux, physiques et mentaux. Une famille de "sans dents", de "derniers de cordées" qui aurait été regardée avec mépris par un cinéaste moins sensible à la différence. Mais la finesse du regard de Sébastien LIFSHITZ fait que le portrait de ces jeunes filles dépasse leur caractérisation sociale. Anaïs est une battante et une grande gueule qui prend très tôt son destin en main au point que c'est sa mère qui apparaît la plus dépendante des deux. De plus, elle a une conscience politique qui lui fait très tôt percevoir les dangers de la radicalisation (d'extrême-droite) de son milieu qui nourrit en réaction l'élection de Macron dont elle perçoit qu'il est l'ennemi des classes populaires. Alors que Emma subit l'enfer d'un foyer dysfonctionnel avec un père toujours absent et une mère étouffante, exigeante, toujours insatisfaite et dépréciative. Une mère-coach typique des milieux sociaux aisés obsédés par la stratégie de réussite sociale de leurs enfants. Parce que Emma a une forte personnalité, elle résiste aux injonctions de sa mère mais au prix d'une épuisante tension nerveuse à force d'être toujours en conflit avec elle.

Bien entendu, le film ne se contente pas d'explorer la relation de ces deux jeunes femmes en construction avec leur famille et leur milieu social ainsi que leur parcours scolaire, il évoque aussi leur découverte de l'amour et de la sexualité mais de façon très pudique. Surtout, il filme une expérience universelle: comment une amitié née sur les bancs d'une école symbolisant l'égalitarisme républicain est appelée à se déliter lorsque les déterminismes sociaux reprennent le dessus. Il est assez clair que sans le réalisateur, les deux jeunes filles qui ne fréquentent pas le même lycée se seraient perdues de vue bien avant leurs 18 ans. Le tournage du film ne fait que retarder l'inéluctable.

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L'Odyssée de Choum

Publié le par Rosalie210

Julien Bisaro (2019)

L'Odyssée de Choum

Tchoupi Choum, voilà un film d'animation absolument adorable qui raconte l'histoire d'un bébé chouette tombé du nid dans le bayou à la suite d'une tempête et qui se retrouve plongé au coeur d'un vaste monde inconnu plein de surprises mais aussi de dangers. Pour corser le tout, il égare son petit frère tombé avec lui et qui n'est pas encore sorti de sa coquille. Les deux orphelins doivent se retrouver mais aussi partir en quête d'une maman d'adoption.

Rythmé par des rebondissements permanents, le film qui a obtenu de nombreux prix se met à la hauteur des petits volatiles pour explorer le monde à leur échelle, que ce soit l'environnement naturel du bayou dans lequel ils sont nés ou la station balnéaire toute proche qui suite à la tempête leur envoie ses "spores" les plus inattendus dont une grande roue détachée de son socle qui n'est pas sans rappeler celle du déjanté "1941" (1979) de Steven SPIELBERG. Mais les messages portés par le film sont à la fois écologiques et humanistes. Non seulement les hommes n'ont pas à s'approprier les animaux mais ceux-ci n'ont pas besoin d'eux pour retrouver leur chemin. Et face à l'adversité ils peuvent former tout naturellement des familles recomposées d'espèces différentes alors que le pays dans lequel ils vivent -particulièrement le vieux sud- est marqué par une idéologie raciste phobique du métissage (même si on remarque que leur famille d'accueil humaine est métissée). Quant à son style graphique duveteux et pastel il est enchanteur.

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Théorème (Teorema)

Publié le par Rosalie210

Pier Paolo Pasolini (1968)

Théorème (Teorema)

"Théorème", mon film préféré de Pier Paolo PASOLINI a gardé intact son pouvoir de fascination plus de cinquante ans après sa sortie. Son titre souligne sa rigueur mathématique implacable. Le film se compose de deux parties d'une durée équivalente. Dans la première partie, un jeune homme qui s'avère être l'incarnation divine vient "visiter" tour à tour les cinq membres d'une famille de la grande bourgeoisie milanaise. Puis il disparaît brusquement au milieu du film. La seconde partie explore le bouleversement que cette rencontre entraîne sur chaque membre de la famille. Elle fait exploser les faux-semblants et met chacun face à lui-même ou plutôt pour la plupart, face à un vide insupportable. C'est le père qui se dépouille de tous ses biens et part errer et crier dans le désert, c'est la mère qui d'étreinte en étreinte cherche en vain à retrouver le moment de plénitude qu'elle a vécu avec le visiteur, c'est la fille qui n'a plus goût à rien et sombre dans la catatonie et le fils qui tente d'exprimer ce qu'il a ressenti par la peinture sans y parvenir. Seule la bonne, retournée dans son village et réfugiée dans une pose méditative parvient à trouver Dieu en elle ce qui se manifeste par des interventions surnaturelles dans la plus pure tradition évangélique: elle opère des guérisons miraculeuses, elle lévite, elle fait jaillir une source de larmes.

Pier Paolo PASOLINI a réussi un film qui démontre que la vraie foi, la vraie spiritualité est incompatible avec les institutions, qu'il démolit méthodiquement. Logique pour quelqu'un qui se situait dans les marges du monde. De ces institutions (l'Eglise et ses dogmes castrateurs mais aussi le capitalisme et son culte de l'argent, la bourgeoisie et sa domination de classe), il en fait littéralement table rase, ne laissant plus à l'image que les étendues désertiques des pentes de l'Etna qui reflètent l'état réel de dénuement des membres de cette famille aisée (en plus de revenir aux sources du christianisme). Et il démontre de manière éloquente et provocante que l'acte sexuel lorsqu'il est don de soi ("ceci est mon sang [...] ceci est mon corps") est l'expérience mystique suprême là où l'Eglise catholique a décrété que la chair n'était que péché, divisant et coupant l'être de toute possibilité de transcendance. Voilà pourquoi un tel film put quasiment en même temps recevoir le grand prix de l'Office catholique et être condamné par le Vatican, faire scandale et porter encore aujourd'hui la mention (sur le DVD que j'ai emprunté à la médiathèque) "interdit aux moins de 18 ans"* alors que n'importe quelle grosse comédie familiale grand public bourrée d'obscénités passe crème.

* Au niveau des images, ce qu'on voit de plus scandaleux, ce sont des gros plans d'entrejambes d'hommes (vêtus) en posture "manspreading" servant à exprimer par l'image le désir sexuel que les membres de la famille ressentent pour le visiteur. Cette soudaine pudeur dans une société saturée de consommation sexuelle a quelque chose de pathétique, de risible. De plus, Pier Paolo PASOLINI alterne ces plans avec ceux des visages en gros plans, beaux comme des icônes. Que ce soit celui de Terence STAMP dans le rôle du messager de l'amour divin, de Silvana MANGANO dans le rôle de Lucia la mère, de Anne WIAZEMSKY dans celui de la fille Odetta ou encore de la sublime Laura BETTI dans celui d'Emilia la bonne, chacun s'est imprimé durablement sur ma rétine.

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Octobre (OKTJABR)

Publié le par Rosalie210

 Sergei M. EISENSTEIN (1927)

Octobre (OKTJABR)

Superproduction commandée à Sergei M. EISENSTEIN pour le dixième anniversaire de la révolution bolchévique et film expérimental à l'impact visuel parfois ébouriffant, "Octobre" est un paradoxe vivant. En effet en tant que film de propagande, il manqua complètement son objectif. Il ne plut ni aux masses qui ne comprirent pas les métaphores visuelles du film, ni au régime qui était en train de tomber aux mains de Staline. Même si Sergei M. EISENSTEIN effaça la figure de Léon Trotsky dans un mouvement de falsification de l'histoire qui toucha tous les supports visuels prouvant son rôle dans la Révolution d'octobre, son film ne correspondait plus aux attentes d'un dictateur qui désirait édifier un culte à sa gloire et écraser toute création artistique personnelle (donc potentiellement dissidente). Au lieu de quoi, "Octobre", film puissamment lyrique et populiste célèbre "la puissance du peuple en marche" à l'aide de plans courts et rapprochés célébrant l'élan collectif ou de plans larges et éloignés permettant d'embrasser la multitude en mouvement. Son film célèbre également le pouvoir du cinéma comme source de métaphores visuelles pour traduire des idées abstraites. L'introduction avec le déboulonnage de la statue du Tsar est déjà puissamment évocatrice, jouant sur les échelles (au sens propre et figuré) avec la statue d'une taille démesurée semblant tenir le monde entre ses mains et les lilliputiens qui s'agitent sur elle mais qui finissent pourtant par l'abattre (le poids du nombre tant redouté par les classes dirigeantes). La menace de la réaction des russes blancs est traduite de façon tout aussi efficace par la reconstitution de cette même statue. Le cumul des pouvoirs par le chef du chef du gouvernement provisoire est symbolisé par le même homme qui gravit des escaliers sous des titres différents, son orgueil est traduit par une statue de paon qui fait la roue. La révolte des femmes est associée à une statue d'enfant en colère. Alors que la lutte des classes entre bourgeois et prolétaires est retranscrite dans une scène stupéfiante, celle de la levée des deux parties d'un pont lors de l'échec des soulèvements de juillet 1917 pour empêcher les ouvriers de rejoindre le centre-ville. On n'est pas près d'oublier le cadavre du cheval qui pendouille dans le vide ni celui d'une jeune femme aux longs cheveux que le pont ne semble jamais avoir fini d'engloutir.

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La Cour de Babel

Publié le par Rosalie210

Julie Bertuccelli (2014)

La Cour de Babel

De Julie BERTUCCELLI, je connaissais son documentaire "Dernières nouvelles du Cosmos" (2016) consacré à Hélène Nicolas dite "Babouillec", autiste sans paroles mais capable en alignant des lettres plastifiées non seulement de communiquer mais d'écrire des textes d'une beauté fulgurante. Deux ans auparavant, la réalisatrice avait planté sa caméra au sein d'une classe d'accueil pour élèves primo-arrivants allophones dans un collège du X° arrondissement de Paris. Une sorte de sas entre leur pays d'origine et l'intégration dans la scolarité classique, le temps pour eux de se mettre à niveau, de comprendre les règles de leur pays d'accueil et surtout, de maîtriser suffisamment la langue, point commun avec le documentaire consacré à Babouillec. On est frappé par la diversité des origines de ces élèves puisque pas moins de 22 nationalités différentes sont représentées dans une même classe. Une manière élégante de rappeler que la France est un vieux pays d'immigration ayant connu des vagues successives d'arrivants depuis deux siècles qui ont contribué à bâtir le pays. En dépit des restrictions posées à l'immigration depuis 1974, ceux-ci ont continué à venir soit comme demandeur d'asile (un jeune serbe raconte qu'il était persécuté à cause de ses origines juives) soit au travers du regroupement familial (pour fuir la guerre, la misère, les maltraitances, les traditions barbares telles que l'excision). Le temps d'une année, Julie BERTUCCELLI filme leurs progrès mais aussi leurs doutes et parfois leurs déceptions. La question de la maîtrise du langage n'est pas le seul aspect abordé. Se pose aussi bien sûr la question de la situation familiale qui est souvent marquée par la précarité (juridique, économique, sociale) ce qui perturbe la scolarité ainsi que les différences de culture notamment vis à vis de tout ce qui touche à la religion. La laïcité n'est qu'un rempart imparfait, on s'en compte face à la tentation du repli sur soi et la communauté. Mais c'est l'espoir qui l'emporte autour d'un projet commun et la plupart de ces jeunes frappent par leur courage et leur volonté de s'en sortir.

Néanmoins, le film manque de recul critique et je dirais même d'une véritable contextualisation politique. Car la cure austéritaire post-crise 2008 n'a pas épargné l'école et les choix gouvernementaux sont allés vers la réduction voire l'extinction de ces dispositifs jugés coûteux surtout pour un public considéré comme indésirable (et dont une partie n'a pas vocation à s'installer forcément durablement). Cet aspect là est totalement occulté ce qui biaise un peu le propos.

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Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli)

Publié le par Rosalie210

Luchino Visconti (1960)

Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli)

"Rocco et ses frères" est sorti la même année que "Plein soleil" (1960). Deux films très différents mais qui ont en commun leur fascination pour la gueule d'ange de Alain DELON avec un sous-texte homosexuel implicite mais plus qu'évident. Dans "Rocco et ses frères", tout est dit par le regard caméra qui s'attarde longuement sur le visage en gros plan de la star montante mais aussi sur son corps et ceux de ses frères, filmés nus d'ailleurs lors d'une scène de douche évocatrice. Et le rôle joué par Alain DELON dans le film a aussi quelque chose à voir avec les héros pasoliniens, beaux comme les dieux de l'Olympe, surtout quand ils sont voués au sacrifice.

"Rocco et ses frères" est un film puissant qui par moment prend aux tripes. Mêlant avec réussite néoréalisme italien d'après-guerre et tragédie opératique rejouant l'histoire de Abel et Caïn, il narre le parcours d'une famille du Mezzogiorno composée d'une matriarche et de ses cinq fils venus tenter leur chance à Milan. Luchino VISCONTI voulaient qu'ils soient cinq, unis comme les doigts de la main. Et pourtant, ce qu'il raconte, comme dans beaucoup de ses films, c'est une désagrégation familiale sous le poids des changements historiques. L'unité des Parondi ne survivra pas à l'épreuve de la ville. Ce sont les fractures qui la scindent en dépit des efforts de la mère pour maintenir l'entité familiale qu'observe Luchino VISCONTI. D'un côté il y a ceux qui s'intègrent. L'aîné, Vincenzo (Spiros FOCÁS) qui est déjà dans la place avant l'arrivée des autres, est fiancé à Ginetta (Claudia CARDINALE) et se forge un destin de petit-bourgeois. Ciro (Max CARTIER) trouve un travail d'ouvrier spécialisé dans une usine Alfa Romeo et se fiance également. Surtout, il est "le traître", celui qui refuse la loi archaïque du clan faite d'omerta et de sacrifice de soi en dénonçant la brebis galeuse, Simone (Renato SALVATORI). Son geste fait de lui un nouveau guide pour Luca, le plus jeune des frères (Rocco Vidolazzi). Simone est conçu comme le miroir inversé de Rocco (Alain DELON). Boxeur, comme lui. Instable, comme lui. Attiré par Nadia (Annie GIRARDOT), comme lui. Mais Simone est une brute épaisse gouverné par ses pires instincts ce qui le conduit à sa perte. A l'inverse, Rocco le "saint" est un modèle de masochisme qui accepte de se sacrifier pour tenter de sauver son frère, y compris quand celui-ci par jalousie lui inflige la pire des humiliations. Ces deux figures archétypales surgies du fond des temps n'ont aucune place dans la petite vie étriquée de l'Italie du nord industrielle et capitaliste. Elles doivent donc disparaître, ainsi que l'objet de leur folie, Nadia, fille perdue que leur fratricide condamne au même supplice que Rocco.

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Yoyage à Yoshino (Vision)

Publié le par Rosalie210

Naomi Kawase (2018)

Yoyage à Yoshino (Vision)

"Voyage à Yoshino" m'a fait penser à un remake de "La Forêt de Mogari" (2007) avec Juliette BINOCHE qui s'était alors embarquée dans un trip avec les cinéastes japonais du festival de Cannes (encore que "La Vérité" (2019) de Hirokazu KORE-EDA se déroule à Paris). Il m'a également fait penser par son ésotérisme à "Still the Water" (2014) l'un des précédents films de la cinéaste.

Bilan: Les images sont sublimes mais la narration est confuse. Quant à histoire de deuil et de renaissance par le ressourcement dans la nature, elle est bien mieux traitée dans "La Forêt de Mogari" (2007). Pourquoi? Parce qu'il en émanait une fraîcheur et une simplicité dont celui-ci est dépourvu à force de surcharger la barque spatio-temporelle. Il n'y avait pas non plus une célèbre actrice occidentale dans le film qui semble plaquée artificiellement sans parler du fait que la manière dont elle est introduite est d'une insigne maladresse. Elle est présentée comme une touriste alors qu'elle est censé avoir tout un passé douloureux dans cette forêt et posséder des connaissances shintoïstes pointues. De plus elle est accompagnée par Hana, une jeune guide japonaise qui disparaît brutalement du récit sans que cela n'entrave en rien la communication entre elle et son hôte -et bientôt amant- Tomo (Masatoshi NAGASE). Mais ce qui vaut pour Hana, vaut en fait pour tous les personnages du film. Flottants à l'extrême, ils apparaissent et disparaissent du champ pour philosopher, se mettre en situation de transe chamanique (ou amoureuse) ou bien chasser et tuer ou encore mourir et renaître (tout est toujours cyclique chez Naomi KAWASE). Tout cela donne une impression éthérée qui finit par contredire la sensualité véhiculée par les images tant les personnages et leurs relations sont opaques et le dispositif autour, fumeux. Et finalement la montagne accouche d'une souris car cet écran de fumée lorsqu'il se dissipe enfin révèle un dénouement d'une platitude totale.

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La Part des anges (The Angel's Share)

Publié le par Rosalie210

Ken Loach (2012)

La Part des anges (The Angel's Share)

J'ai tendance à fuir les films de Ken LOACH parce que je les trouve souvent pesants voire déprimants et pas toujours subtils à force de tout voir par le prisme binaire de la lutte des classes. Avec la "La part des anges", il change de registre sans renoncer à son identité de cinéaste. La comédie est en effet atypique dans sa filmographie mais elle n'en reste pas moins ancrée dans un lourd atavisme social. En témoigne l'ouverture avec ses jeunes délinquants aux gueules cassées qui défilent à la barre en comparution immédiate. Parmi eux, Robbie qui traîne de lourdes casseroles tant sur le plan de l'hérédité que sur celui de l'environnement sans parler de l'acte irréparable qu'il a commis et qui a brisé une vie innocente. L'horizon apparaît donc bouché de tous les côtés malgré la lueur d'espoir que lui donne sa compagne Léonie qui vient d'accoucher et qui lui vaut d'effectuer des TIG plutôt que de retourner en prison. Le fait est que Robbie est poursuivi par ses démons et son passé et que de quelque côté qu'il se tourne, il n'entrevoit pas d'issue. Jusqu'à ce qu'il fasse une bonne rencontre. Un petit coup de pouce du destin que certains trouvent invraisemblable mais on est au cinéma et pour une fois Ken LOACH assume la célèbre phrase de Alfred HITCHCOCK. A savoir qu'il s'agit de nous présenter non une tranche de vie mais une tranche de gâteau ou plutôt un bon verre de whisky millésimé plutôt que l'amère potion de la vie réelle. Certains trouvent que ça jure avec le réalisme social, moi pas, je trouve ça plutôt réjouissant et il vaut mieux pour une comédie. Alors voilà que Robbie et ses compagnons d'infortune, tous plus abrutis les uns que les autres (bon en fait il y en a un qui est plus abruti que les autres, c'est Albert dont la crétinerie nous vaut une scène d'introduction mémorable!) se retrouvent dans une distillerie de whisky puis dans une séance de dégustation et que Robbie se découvre (miraculeusement là aussi) un "nez" qui va le mener, lui et les autres, métamorphosés par le kilt au passage jusque dans les Highlands. Très belle idée d'avoir fait prendre l'air à ces jeunes et de les avoir transplantés dans les grands espaces à l'horizon ouvert. Là encore, le scénario offre des opportunités à Robbie pour transformer son larcin en success story avec l'idée sous-jacente qu'il vaut mieux que cela profite à des petits jeunes sans le sou qu'à de très gros bonnets-voyous à l'apparence respectable. Ca c'est le côté "Robin des bois" de Ken LOACH qui revient au galop sans trop de finesse mais qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse et de ce point de vue "La part des anges" est une comédie rondement menée, savoureusement dialoguée et très drôle par moments.

* Je connais d'ailleurs une association "Seuil" de réinsertion des jeunes délinquants qui fonctionne exactement sur ce principe. Les sortir de leur environnement habituel pour les faire marcher, seuls avec un accompagnateur dans les grands espaces afin de leur permettre de réfléchir à leur avenir.

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