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Le Chant du Missouri (Meet Me in St. Louis)

Publié le par Rosalie210

Vincente Minnelli (1944)

Le Chant du Missouri (Meet Me in St. Louis)

Si la qualité d'un film se mesurait juste au scénario, "Le Chant du Missouri" serait un épouvantable navet. Il n'y a pas vraiment d'histoire d'ailleurs dans le film qui se résume à de jolies cartes postales célébrant les valeurs et les rites familiaux les plus traditionnels (Halloween, Noël) avec une grande et belle maison, une grande progéniture (5 enfants!), un pater familias chargé de faire vivre son foyer et donc presque toujours absent, une mère au foyer ménagère modèle assistée d'une domestique intégrée dans le cercle familial et un aéropage de petites filles modèles (le seul garçon, on ne le voit presque pas). Il est amusant de constater que cinq ans plus tard, Mervyn LeROY reprendra une partie du casting pour sa version de "Les Quatre filles du Dr March" (1949) avec Mary ASTOR une fois de plus dans le rôle de la mère (dans les systèmes patriarcaux, il n'y a que deux rôles possibles pour une femme, celui de la maman et celui de la putain, rôle que Mary ASTOR a parfaitement endossé dans "Le Faucon maltais") (1941) ainsi que la jeune Margaret O BRIEN dans le rôle de l'une de ses filles.

Il y aurait donc tout pour s'ennuyer ferme devant cette bluette passéiste (le film date de 1944 mais l'histoire se déroule en 1903) sans autre intrigue que de petits flirts parfaitement inintéressants et un déménagement avorté qui confirme s'il en était encore besoin le caractère viscéralement réac de cette famille qui rejette la grande ville pour les charmes de l'entre-soi à la campagne. Mais voilà c'est Vincente MINNELLI qui est aux commandes pour son troisième film "en chanté" (le premier en couleurs) et c'est un régal aussi bien pour l'oeil (l'utilisation des couleurs, notamment dans les gammes de costumes est prodigieuse) que pour l'oreille (les chansons à l'inverse de l'histoire sont toutes très réussies), le tout enlevé par une sublime Judy GARLAND hyper bien mise en valeur. De plus Vincente MINNELLI peut être considéré avec ce film comme le fondateur de la comédie musicale moderne, celle qui intègre les numéros musicaux et chorégraphiés dans le fil de l'histoire, aussi mince soit-elle, une structure qui donnera plus tard avec des scénarios plus étoffés et plus audacieux des chefs d'oeuvre tels que "Chantons sous la pluie" (1952), "Mary Poppins" (1964) ou "Les Demoiselles de Rochefort" (1967).

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Les Quatre filles du Dr March (Little Women)

Publié le par Rosalie210

Gillian Armstrong (1994)

Les Quatre filles du Dr March (Little Women)

Depuis les origines du cinéma, on compte au moins une version cinématographique ou télévisuelle des "Quatre filles du docteur March" par génération. Celle de Gillian ARMSTRONG qui date des années 90 était la plus récente du moins au cinéma jusqu'à la nouvelle adaptation de Greta GERWIG attendue pour janvier 2020. On peut souligner qu'il s'agit dans les deux cas de versions réalisées par des femmes ce qui est la moindre des choses avec un roman écrit par une femme sur des femmes (Le titre en VO est d'ailleurs "Little Women"). S'il a fallu attendre si longtemps, c'est que la transposition s'est effectuée dans une forme d'art longtemps monopolisée par les hommes. Comme le dit la regrettée pionnière Agnès VARDA dans "Visages, villages (2017)", "Une femme pour 78 hommes [dans la réalisation au cinéma], c'est à peu près la proportion, oui". La "grande" littérature a elle aussi été longtemps accaparée par les hommes contrairement à la littérature dite "de genre/de gare" considérée comme moins prestigieuse qui a laissé plus de place aux femmes que ce soit par exemple le roman champêtre (George Sand), le roman policier (Agatha Christie, Patricia Highsmith, Elizabeth George, Fred Vargas, Mary Higgins Clark etc.), le romantisme gothique/horrifique (Daphné du Maurier) ou encore la littérature jeunesse (Enid Blyton, la Comtesse de Ségur, JK Rowling, Frances Hodgson Burnett etc.) genre dans lequel s'est également illustré Louisa May Alcott. La version de Gillian ARMSTRONG atténue au maximum les aspects les plus obsolètes du roman (la morale judéo-chrétienne béni oui oui) pour mettre le plus possible en valeur ce qu'il a de définitivement et d'inaltérablement moderne: la quête d'identité et de reconnaissance de jeunes filles qui veulent vivre, penser et se définir par elles-mêmes. Jo est bien évidemment la figure de proue de ce féminisme combatif avant la lettre. Double de l'auteur, elle se heurte à un monde de l'édition masculin qui veut la cantonner aux magazines féminins ou aux sous-genres pré cités. Ce rôle en or est bien servi par la fougue de Winona RYDER et face à elle, les personnages masculins sont particulièrement bien écrits. Laurie (Christian BALE qui l'interprète comme un jeune blanc-bec) est englué dans les conventions propres à son milieu et débite des platitudes sentimentales ce qui donne au refus de Jo tout son relief. Ce qu'elle refuse, c'est justement une vie dictée par les conventions. A l'inverse le professeur Bhaer joué de façon remarquable par Gabriel BYRNE est pétri d'humanité et il fait tout pour que Jo se réalise, quitte à s'effacer du paysage. C'est d'ailleurs cette attitude humble qui touche le cœur de Jo. Il faut dire qu'à l'inverse de Laurie, Bhaer n'est pas un héritier, il est même sans le sou ce qui le complexe. C'est Jo qui est l'héritière d'une maison qu'elle veut transformer en école et qui lui propose un travail à ses côtés en même temps que le mariage. Une approche très moderne! Les 3 autres personnages féminins sont en revanche moins bien mis en valeur. Meg l'aînée (Trini ALVARADO) est des quatre filles la plus formatée socialement et donc la moins intéressante. C'est la seule qui n'a d'ailleurs pas de violon d'Ingres. Il est donc logique qu'elle soit un peu sacrifiée, comme dans les autres versions. Claire DANES dans le rôle de Beth joue avec beaucoup de sensibilité mais son physique de belle plante s'accorde mal avec l'aspect souffreteux du personnage qui disparaît faute de trouver sa place dans le monde. Enfin Amy jeune est formidablement interprétée par Kirsten DUNST mais comme celle-ci n'avait que 12 ans au moment du tournage, elle est remplacée pour la deuxième partie de l'histoire par Samantha MATHIS qui n'a pas le même charisme.

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Hommage à Agnès Varda

Publié le par Rosalie210

Hommage à Agnès Varda

« L’émotion c’est quelque chose qu’on ne peut pas contrôler. Oh oui bien sûr c’est rigolo que Vilar mette ses lunettes noires en moustache plutôt que normalement, il regarde ses comédiens. Mais moi je… je vois surtout qu’ils sont morts, voilà. Et je leur apporte des roses et des bégonias. A Casarès qui n’est plus là, des bégonias. A Gérard Philippe qui n’est plus là, pour Noiret qui est mort, pour Denner qui est mort, pour Germaine Montero qui est morte, pour Vilar que j’admirais tant, pour ce jeune homme flamboyant. Toutes les jeunes filles étaient amoureuses de Gérard Philippe. Voilà, il est mort. Je les pleure, très sincèrement. Et je les expose comme une artiste qui est fière de montrer ce qu’elle sait faire, qui est fière d’être invitée, qui est fière que les gens disent « Ah les belles photos, ah la belle chapelle ». Comme ils étaient jeunes et beaux. Evidemment je pense à Jacques. Il n’y a pas de mort qui ne rebondisse sur Jacques. Il n’y a pas de larmes, il n’y a pas de fleurs, de roses et de bégonias que je ne jette pour Jacques. Il est le plus chéri des morts. » (Les Plages d'Agnès)

Agnès Varda les a rejoints au firmament du cinéma français. Elle qui avait commencé sa carrière comme photographe et avait fixé pour l'éternité des clichés des plus grands acteurs du TNP dirigé par Jean Vilar au début des années 50 avait aussi rendu éternel son cher Jacques Demy en lui offrant l'un de ses plus beaux films "Jacquot de Nantes", reconstitution de son enfance alors même qu'il ne lui restait que quelques mois à vivre. Elle avait également filmé Michel Legrand disparu deux mois avant elle dans son chef d'oeuvre, "Cléo de 5 à 7" qui abordait l'étroite relation entre la vie et la mort, un leitmotiv de toute son oeuvre.
Agnès Varda laisse derrière elle outre son oeuvre de photographe et d'artiste plasticienne une cinquantaine de films et en tant que première cinéaste française femme a avoir reconnu une reconnaissance internationale éclatante (Trois César dont un d'honneur, un Lion d’Or à Venise, une Palme d’honneur à Cannes, un Oscar d’honneur), un héritage inestimable.

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Les Disparus de Saint-Agil

Publié le par Rosalie210

Christian Jacque (1938)

Les Disparus de Saint-Agil

"Les Disparus de Saint Agil" sorti à la fin des années 30 appartient à un genre qui faisait fureur à l'époque dans le cinéma français, celui du film de pensionnat (pour n'en citer que quelques uns: "Zéro de conduite" (1933), "Merlusse" (1935), "La Cage aux rossignols" (1944) etc.). Ici cependant, le pensionnat devient la la métaphore d'une France xénophobe et repliée sur elle-même. Les professeurs ont des attitudes plus rances les unes que les autres, résumées par celui qui proclame que "Bons ou mauvais, c'est toujours avec les étrangers que nous auront la guerre" (le film est rempli de punchlines bien senties écrites mais non signées d'un certain Jacques PRÉVERT dont les idées antimilitaristes et antifascistes imprègnent le film). Bien que l'action se situe à la veille de la première guerre mondiale, il est évident que le film fait allusion à l'imminence d'un nouveau conflit ce que nul ne pouvait plus ignorer en 1938. Et ce qui est remarquable, c'est que le réalisateur Christian JAQUE prend parti pour l'étranger et contre les français comme s'il avait senti que le sauvetage de la France ne viendrait pas pour l'essentiel de ses habitants de souche mais de l'extérieur. Comme s'il avait le don de prédire l'avenir, il rend hommage dans son film à la fois aux Etats-Unis et aux réfugiés allemands anti nazis alors qu'il n'est pas difficile de deviner que les enseignants du pensionnat sont de futurs collaborateurs en puissance. Il y en a même un, Lemel joué par Michel SIMON qui annonce bien la couleur brune avec sa petite moustache et sa frustration de peintre raté ^^^^.

L'hommage de Christian JAQUE est aussi bien dans le contenu du film que dans sa forme. Les trois membres de la société secrète des "Chiche-Capons", Baume, Sorgue et Macroy ne rêvent que de s'échapper du pensionnat pour aller aux Etats-Unis. En attendant de s'évader pour de bon, ils quittent leur lit la nuit pour aller conspirer dans la salle de sciences naturelles sous l'orbite bienveillante du squelette Martin ^^. Il n'est guère étonnant que le quatrième membre de cette petite contre-société en rupture de ban devienne le professeur Walter qui bien qu'enseignant l'anglais symbolise l'Allemagne à travers son interprète, Erich von STROHEIM. Celui-ci est (ô surprise) la bête noire des autres professeurs et tout spécialement de Lemel. Dans une scène-clé, Walter propose aux enfants une dictée basée sur le livre de H.G. Wells "L'Homme invisible", métaphore de celui qui est rejeté par la société. Mais contrairement à Lemel qui est aigri et paranoïaque, Walter a conservé son âme d'enfant. Il est le seul membre de l'équipe à être capable de se mettre à leur place et à prôner des méthodes éducatives moins coercitives ce qui le fait encore plus mal voir des autres en le rendant décidément "inassimilable". En rejoignant les enfants, il choisit l'avenir alors que l'équipe professorale représente le passé gangrené par la haine et la corruption. Et Christian JAQUE d'appuyer cet hommage en situant son film à la lisière du fantastique avec des apparitions/disparitions inexpliquées qui donnent notamment au personnage joué par Robert LE VIGAN un caractère spectral (l'homme invisible, c'est lui!). La mise en scène suggère l'aspect quasi surnaturel de ces disparitions ainsi que les éclairages expressionnistes tout droit sortis des films muets allemands des années 20 qui rendent le pensionnat inquiétant et mystérieux, son prolongement étant le moulin dans la forêt, proche des contes de fées. D'autre part, le caractère policier de l'intrigue le rapproche aussi des films noirs américains qui étaient réalisés à la même époque.

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Kirikou et les hommes et les femmes

Publié le par Rosalie210

Michel Ocelot (2012)

Kirikou et les hommes et les femmes

Pour ce troisième opus de la saga Kirikou, les fans du petit héros de Michel OCELOT évolueront en terrain connu. "Kirikou et les hommes et les femmes" est un copié-collé de la structure de "Kirikou et les bêtes sauvages (2005). D'abord parce qu'il se situe lui aussi dans la temporalité de "Kirikou et la sorcière" (1998) avant la transformation de Karaba et ensuite parce qu'il s'agit encore d'un film à épisodes, les aventures de Kirikou étant toujours racontées par son grand-père. Autrement il s'agit là encore d'un film assez anecdotique plutôt destiné au très jeune public.

Du moins en surface car ces histoires sont moins lisses qu'elles n'en ont l'air. A travers ce film, Michel OCELOT répond aux pays qui ont censuré la trilogie à cause de la nudité des personnages. Ceux du Moyen-Orient mais également les pays anglo-saxons comme les USA ou le Royaume-Uni. Face à cette dictature du puritanisme religieux -qui quoique moins ostensiblement prégnante en France a toujours une emprise sur les mentalités bien plus forte que ce que l'on peut croire- Michel OCELOT dépeint un monde qui n'a pas connu la Genèse, un monde où la nudité est restée innocente tout comme ses corollaires, l'érotisme et la sensualité c'est à dire non associée au mal, au péché. Un monde proche de la nature où il est possible de vivre intensément les sensations dans son corps, aucun obstacle ne le coupant du reste de l'univers. Dans la première histoire, celle de la "Femme forte", une tempête balaye le village et les enfants qui vivent entièrement nus en profitent pour aller danser sous la pluie, les mères les contemplant avec envie. Il existe une scène similaire dans "Lady Chatterley" (2006) le film de Pascale FERRAN adapté de l'œuvre de D.H. Lawrence qui était justement une déclaration de guerre au puritanisme britannique. Histoire d'une libération et d'une reconnexion à la nature, on y voit les deux amants jouer nus sous la pluie c'est à dire retourner à l'état d'enfance, cette innocence primitive qui leur a été volée. Dans une autre histoire "Kirikou et le monstre bleu" qui narre la rencontre entre les enfants du village et un jeune touareg, derrière le choc des civilisations, c'est la question du relativisme culturel qui est abordée. Comme les héros sont noir africains et que l'on s'identifie à eux, Michel OCELOT peut déconstruire nos propres normes. Pour les enfants du village de Kirikou, la pâleur de la peau de Anigouran et ses vêtements sont associés à la maladie et ils ont peur de le toucher. Ils ne raisonnent que par rapport à leurs normes culturelles: nudité et couleur de peau foncée. A travers eux, Michel OCELOT nous tend un miroir: Seule l'ouverture d'esprit et des expériences hors de la communauté permettent de dépasser les préjugés comme le montrent Kirikou et sa mère.

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Kirikou et les bêtes sauvages

Publié le par Rosalie210

Michel Ocelot (2005)

Kirikou et les bêtes sauvages

Autant "Kirikou et la sorcière" (1998) fait partie de ces grands films d'animation qui grâce à leurs différents niveaux de lecture peuvent parler à un très large public, autant "Kirikou et les bêtes sauvages" est davantage destiné aux très jeunes enfants. Il se compose en effet de petites histoires qui n'ont pas trouvé leur place dans le long-métrage d'origine. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une suite mais d'une bifurcation du premier récit. "Kirikou et les bêtes sauvages" commence en effet sur une scène vue dans "Kirikou et la sorcière" (1998): celle où l'eau jaillit de nouveau de la source et manque noyer Kirikou. Puis il enchaîne quatre récits d'une vingtaine de minutes chacun reliés par un griot (le grand-père de Kirikou) et des rencontres avec les éléments de la nature africaine (animaux, plantes, paysages) où Kirikou devient successivement jardinier, potier, marchand, voyageur et médecin:

- Premier récit: le combat de Kirikou contre une hyène noire ayant ravagé le potager du village.
- Deuxième récit: un mystérieux buffle dont Kirikou est le seul à se méfier compromet la vente de la production artisanale du village indispensable pour échapper à la famine.
- Troisième récit: la tentative d'enlèvement de Kirikou par Karaba et son étrange voyage dans la savane sur la tête d'une girafe.
- Quatrième récit: la tentative de Kirikou, déguisé en fétiche de s'emparer des fleurs jaunes qui poussent près de la case de Karaba, seul antidote aux fleurs qui ont empoisonné les femmes du village.

En dépit de leur caractère anecdotique, ces petites histoires faciles à suivre ont plusieurs intérêts notables: elles sont bien racontées et toujours aussi magnifiquement illustrées (l'esthétique de Kirikou est une merveille). Elles offrent des éclairages bienvenus sur une culture que nous connaissons beaucoup plus mal que celle des américains, l'Afrique n'étant pas c'est le moins que l'on puisse puisse dire au coeur de la mondialisation culturelle. Il y a donc un aspect documentaire important dans ce film comme dans le précédent que ce soit dans le domaine des techniques agricoles (entretien et irrigation du potager), artisanales (la fabrication et la cuisson des poteries), celui des rites ou celui de l'alimentation (la bière nouvelle). Enfin cela fait toujours du bien de suivre un personnage libre-penseur qui ne suit pas le troupeau, n'a pas ses peurs et ses préjugés, fait preuve de curiosité et d'initiative. Un beau miroir tendu aux spectateurs, quel que soit leur âge.

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Dans la ville blanche

Publié le par Rosalie210

Alain Tanner (1983)

Dans la ville blanche

"Dans la ville blanche" est un film essentiellement contemplatif, un film en "creux" propice aux réflexions et aux déambulations. On y voit un homme, Paul, mécanicien sur un bateau qui lors d'une escale à Lisbonne met sa vie entre parenthèses. Il déserte le navire, prend une chambre d'hôtel, et décide de se mettre en retrait du monde. Son impuissance éclate lors les rares événements qui l'affectent tel le vol de son portefeuille, son agression ou la disparition de Rosa qu'il est condamné à subir. Le rôle a été écrit spécifiquement pour Bruno GANZ et il est vrai qu'on reconnaît dans cette errance, cette introspection et cette crise existentielle nombre de films des années 80 où il a tourné depuis "Le Faussaire" (1981) jusqu'aux "Les Ailes du désir" (1987).

Il se dégage une certaine poésie de ce film notamment lorsque le réalisateur et son personnage filment les pulsations et les méandres de la ville, l'un en 35 mm et l'autre avec une caméra super 8. Mais son intérêt reste tout de même limité tant le travers de l'ego trip occidental masculin viril (comme dans "Le Faussaire") (1981) a tendance à tout recouvrir. Il y a un effet "posture" désagréable dans ce film où le personnage principal se regarde beaucoup trop filmer et s'écoute beaucoup trop penser. Paul est même un avant-gardiste du selfie et de la sex tape. Un personnage qui veut vraiment se perdre entre dans un pays "sans langage" comme le dit Travis dans "Paris, Texas" (1984)". Sans langage et sans miroirs. De ce point de vue, Paul échoue sur toute la ligne. Si Rosa prend le large en comprenant qu'elle n'a rien à attendre d'un homme indécis qui se laisse dériver sans but en contemplant son petit nombril, on plaint sa femme restée au pays qui n'est pour lui que le réceptacle de ses lettres et vidéos où il étale ses "réflexions" et "expériences" souvent à caractère sexuel sans tenir compte de ce que peut ressentir son destinataire (qui est furieuse mais le film survole le personnage). On comprend pourquoi il n'a guère envie de revenir chez lui et de se confronter au réel où il ne sera plus son propre centre (il casse d'ailleurs son miroir et vend ses enregistreurs vidéo juste avant de quitter son hôtel). Le film laisse percevoir cette dimension mais il n'a aucune vraie dimension critique, dommage.

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Green Book: Sur les routes du sud (Green Book)

Publié le par Rosalie210

Peter Farrelly (2018)

Green Book: Sur les routes du sud (Green Book)

Comme ses héros en mouvement, Peter FARRELLY ne sait pas rester à la place qui lui a été assignée. Après avoir réalisé pendant quinze ans des comédies délirantes et provocantes avec son frère mettant en scène Jim CARREY ou Ben STILLER, le voilà qui se lance en solo dans le drame humaniste, un cheminement qui peut faire penser en France à celui de Albert DUPONTEL. Mais bien qu'ayant changé de genre, Peter FARRELLY ne renonce pas à son humour très physiologique. Rien de tel qu'une bonne dose de subversion pour déjouer (du moins en grande partie) les pièges du film à grand sujet pétri de bons sentiments. Dans cette nouvelle histoire d'Intouchables tirée d'une histoire vraie, tous les repères sont inversés. le (petit) blanc, Tony Lip est un prolétaire brutal confiné dans son ghetto rital du Bronx et son ignorance crasse. Mais il a envie d'aller voir ailleurs et son appétit est sans borne (il est champion de concours de hot-dog ^^). Et Viggo MORTENSEN, inattendu dans ce rôle, d'enfiler continuellement des tonnes de junk food en y initiant son patron tout en recrachant avec mépris les canapés servis dans les grandes maisons bourgeoises. Le reste est à l'avenant: siège avant transformé en poubelle, flingue à la ceinture, billets de banque bien en évidence dégainés au moindre problème, tendance à confondre sa poche et celle des autres, langue bien pendue et poings prompts à partir. Derrière lui, son employeur, le Docteur Shirley (Mahershala ALI) se définit par ce qu'il n'est pas "pas assez noir, pas assez blanc, pas assez homme". Cette identité par soustraction varie selon les lieux où il passe. A New-York, il est surtout un grand bourgeois raffiné et un pianiste virtuose proche des cercles du pouvoir. Dans le sud profond du début des années 60 où il décide courageusement de se produire, il n'est plus aux yeux des blancs qu'un "nègre" qui se prend de plein fouet la violence de la ségrégation et de la discrimination raciale, ceux-ci ne l'acceptant comme l'un des leurs que dans le cadre étroit de la salle de concert. Pour aggraver son malheur, il ne peut pas davantage se fondre dans la masse de ses "congénères" (comme ne cesse de lui dire Tony Lip dont le racisme essentialisant est partagé par les bourgeois se voulant ouvert d'esprit, persuadés que tous les noirs aiment le poulet frit), car il est trop différent d'eux. Il est donc condamné à rester seul et à se faire rejeter de tous les côtés. Ou presque, la cohabitation avec le remuant Tony Lip dans l'habitacle de la voiture s'avérant au final un havre de douceur et de délicatesse comparée aux grandes maisons de maître et aux commissariats du sud. De quoi décoincer un peu le si guindé et snob Docteur Shirley alors que sous sa direction, Tony Lip se met à articuler et à écrire du Shakespeare à sa femme ("putain, c'est romantique!" ^^). Il y a même une scène où Tony, surprenant son patron dans une situation délicate révèle des trésors de tact alors qu'il aurait pu verser (et Peter FARRELLY avec lui) dans la lourdeur.

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Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1975)

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

"Pique-Nique à Hanging Rock", le deuxième film de Peter WEIR a conservé intact plus de quarante ans après sa sortie son pouvoir d'envoûtement et son mystère. Le dépoussiérage du film en 1999 (deuxième partie raccourcie, étalonnage neutre au lieu de la teinte jaunâtre d'origine, remixage du son en Dolby stéréo) a contribué à lui garder toute sa fraîcheur. Il a été souvent comparé à un autre chef d'oeuvre du cinéma fondé sur une énigme métaphysique "2001, l'odyssée de l'espace" (1968). Mais à titre personnel, c'est à un autre film de Stanley KUBRICK qu'il me fait penser, "Shining" (1980). L'Australie, comme les Etats-Unis se sont fondés sur l'appropriation du territoire des indigènes dont la culture a été détruite et la population en grande partie massacrée. Hanging Rock comme le cimetière sur lequel a été construit l'hôtel Overlook sont des sites indigènes sacrés immémoriaux transformés par les colons européens en vulgaires espaces de loisirs au XIX° ou au début XX° après que la population locale en ait été chassée. Mais la mémoire des lieux, elle, demeure, et peut ressurgir à tout moment. Les flots de sang jaillissent de l'ascenseur de l'hôtel (en référence à tous les crimes commis en ce lieu depuis son origine), le grondement de la terre fait entendre sa voix et les rochers semblent animés de vie. Les êtres humains qui s'en approchent de trop près finissent non par les posséder mais par être possédés au son d'une ensorcelante flûte de pan. Dans l'un et l'autre cas, on assiste à une sorte de vengeance des lieux (des Dieux?) ainsi bafoués. Dans "Pique-Nique à Hanging Rock", l'offense faite aux indigènes se double en effet d'une offense faite à la nature. Ceux-ci avaient intuitivement ressenti un épicentre spirituel dans le site volcanique de Hanging Rock ce que les colons anglo-saxons qui se prennent pour le centre du monde nient. Et ce d'autant mieux qu'ils se sont coupés de la nature en se barricadant dans des vêtements corsetés et des bâtiments fortifiés pour mieux refouler leurs instincts et leurs émotions. "Pique-nique à Hanging Rock" est une parfaite illustration des pires travers de la civilisation occidentale anti-nature qui a conquis le monde durant les révolutions industrielles. Certes, le film ne montre pas de désastre écologique mais il montre ce qui le rend possible: des êtres humains dont on s'ingénie à nier la nature animale, le siècle victorien en étant en quelque sorte l'acmé. Les jeunes filles de bonne famille du pensionnat d'Appleyard apprêtées comme de fragiles bibelots anciens semblent aussi déplacées dans le bush australien qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Jusqu'à ce que plusieurs d'entre elles faussent compagnie à leurs chaperons et s'aventurent au cœur des méandres du chaos rocheux (un parcours labyrinthique qui n'est pas sans rappeler là encore celui de "Shining" (1980), l'aspect géométrique en moins). Plus elles s'approchent de l'épicentre du rocher, plus leur corps se libère du carcan qui l'oppresse. Après les gants et les chapeaux, elles enlèvent leurs chaussures, leurs bas et (hors-champ) leurs corsets, libérant la sensualité et l'érotisme qui font défaut à tant de films occidentaux faute de lien avec les forces de la nature. Comme si elles étaient sous hypnose (hypothèse renforcée par le fait que les survivantes sont amnésiques), on les voit s'engouffrer dans une ouverture dont elles ne ressortiront plus: une fin tragique car quelle que soit la croyance en ce qu'il y a derrière, la plénitude de la vie ne peut s'accomplir dans l'ici et le maintenant qui conditionne le futur. Ajoutons que le même phénomène touche indifféremment les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux. Parce que c'est sur elles que s'exerce le plus le contrôle social étouffant de la période victorienne, l'histoire est focalisée sur des adolescentes en plein éveil amoureux, sensuel et sexuel. Mais leur professeure plus âgée dont les tourments inavouables sont révélés à la fin du film subit le même sort. Et plus tard, il arrivera la même chose à Michael (Dominic GUARD), un jeune anglais amoureux de Miranda (Anne-Louise LAMBERT), la Vénus Boticellienne du pensionnat que sa beauté rayonnante prédestinait à être engloutie par le rocher. Parti à sa recherche, on le voit également se défaire des vêtements qui l'engoncent et se perdre jusqu'aux limites de la démence dans les défilés rocailleux. Le film réussit à distiller sa troublante ambiguïté en se situant toujours à la frontière du réalisme et du fantastique, de l'art et de la vie, de la nature et de la culture, du charnel et de l'éthéré sans jamais basculer de manière décisive dans l'une ou l'autre de ces dimensions mais en brouillant au maximum les frontières.

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Hantise (Gaslight)

Publié le par Rosalie210

George Cukor (1944)

Hantise (Gaslight)

George CUKOR est surtout connu pour ses comédies."Gaslight" réalisé pendant la guerre révèle une autre facette de son talent. Il s'agit d'un sommet du thriller psychologique et gothique qui doit absolument être redécouvert tant pour sa valeur intrinsèque que pour l'influence qu'il a exercé par la suite. Il est passionnant d'analyser par exemple la relation étroite qu'il nourrit avec les films de Alfred HITCHCOCK situés dans la même période. Comme "La Corde" (1948), l'histoire est tirée d'une pièce de théâtre de Patrick Hamilton qui avait déjà été adaptée au cinéma par les anglais en 1939. La résidence lugubre et hantée ainsi que la servante maléfique rappellent "Rebecca" (1939) alors que le comportement du mari fait penser à " Soupçons" (1941). Mais à l'inverse, "Les Amants du Capricorne" (1949) découle du film de George CUKOR. Tout d'abord parce que l'on retrouve dans les rôles principaux Ingrid BERGMAN et Joseph COTTEN et ensuite parce que des thèmes, des images voire des scènes entières font écho à "Gaslight": la femme malade et cloîtrée, la connivence entre la servante et le mari, les gros plans sur le visage apeuré de Ingrid BERGMAN, la séquence mondaine qui tourne au fiasco par la faute du mari. Quant au thème de la demeure victorienne hantée et maléfique, il se prolonge bien au-delà des années 40. "Psychose" (1960) toujours de Alfred HITCHCOCK en est l'exemple le plus évident (le plan de l'ombre de la mère qui passe devant la fenêtre est repris d'ailleurs de "Gaslight") mais beaucoup plus récemment dans le domaine littéraire, la sinistre demeure londonienne des Black située au 12 Square Grimmaurd dans la saga "Harry Potter" de JK Rowling est la copie conforme du 9 Square Thorton de "Gaslight".

Comme d'autres films gothiques de la même période tels que "Dragonwyck" (1946) de Joseph L. MANKIEWICZ, "Gaslight" est une remarquable description des mécanismes de l'emprise conjugale. Tellement remarquable que le terme "gaslighting" a pris un nouveau sens après le film: celui d'une technique de manipulation consistant à faire douter la victime de sa propre santé mentale. Grégory, le personnage du mari manipulateur joué de façon remarquable par Charles BOYER commence par fondre sur sa proie et ne plus la lâcher. George CUKOR nous fait comprendre dès le départ qu'il s'agit d'un prédateur. Lorsque Paula (Ingrid BERGMAN) lui demande de lui laisser faire un voyage seule pour prendre le temps de décider si elle l'épouse ou non il fait semblant d'acquiescer mais au moment où elle sort du train, on voit soudain sa main surgir dans le cadre et l'agripper par le bras. On comprend alors qu'il ne lui laissera aucun répit. Lors de leur lune de miel, Cukor filme Grégory au premier plan comme une silhouette noire floue et de dos, contemplant tel un oiseau de proie sa future victime vêtue de blanc dormir dans le fond du champ. La manipulation peut commencer. Grégory obtient sans difficulté de Paula d'aller vivre dans la maison où dix ans plus tôt la tante de cette dernière a été assassinée. Il s'ingénie à la couper de l'extérieur et à lui faire perdre confiance en elle et en ses facultés mentales. Il lui fait croire qu'elle a des visions, qu'elle perd la mémoire, qu'elle a des absences. Il souffle sans arrêt le chaud et le froid pour mieux la déstabiliser et l'affaiblir, le tout avec la complicité de Nancy, la servante dévergondée avec laquelle il joue un jeu de séduction assez pervers (pour son premier rôle à seulement 17 ans, Angela LANSBURY future héroïne de la série "Arabesque" crève l'écran). On flirte avec le fantastique suggéré par l'atmosphère expressionniste et le fait que Grégory et Paula rejouent l'histoire de Boris et d'Alice dix ans plus tôt dont ils sont les "réincarnations". L'un joue sur sa double identité, l'autre est la nièce de la défunte et lui ressemble trait pour trait comme Brian (Joseph COTTEN, l'admirateur d'Alice et le sauveur de Paula) le lui fait remarquer. Néanmoins cet aspect de l'histoire n'est que survolé et sera beaucoup mieux exploité par... Alfred HITCHCOCK, encore lui dans "Vertigo" (1958).

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