Après l'Orient-Express et la croisière sur le Nil, Kenneth BRANAGH adapte une troisième fois Agatha Christie, plus précisément son roman "La Fête du potiron" connu aussi sous le titre "Le crime d'Halloween". Comme les deux autres, il met en scène le détective Hercule Poirot sommé de résoudre une enquête criminelle dans un lieu clos, non plus un train ou un bateau mais cette fois un palais vénitien. Ce qui n'est pas le cas du roman d'origine qui situe l'intrigue en Angleterre, plus propice à développer l'imaginaire autour de la fête de Halloween. Qu'à cela ne tienne. Pour accentuer l'effet huis-clos, Kenneth BRANAGH fait se dérouler l'intégralité de l'enquête de nuit et par une tempête déchaînée. Il ne lésine pas non plus sur les effets visuels et sonores du type jump scare qui tendent à faire croire que le palais est envahi d'esprits frappeurs. La question de la croyance est en effet le fil rouge de l'histoire. Le très shakespearien Hercule Poirot joué par Kenneth BRANAGH s'est réfugié dans la Venise d'après-guerre pour y finir ses jours en se terrant dans sa demeure en véritable misanthrope qui ne croit plus en rien ni en personne. Son amie écrivaine, Ariadne Oliver (Tina FEY) au visage aussi couturé que le sien vient l'en exhumer pour le mettre au défi de résoudre une énigme mêlant mettant en oeuvre des phénomènes soi-disant surnaturels. Si le film a du cachet et figure désormais dans la liste des nombreuses oeuvres mettant en scène la cité des Doges (dont le côté mortifère se marie très bien avec les fantômes de Halloween), l'intrigue à la "Shining" (1980) ne tient pas toutes ses promesses, nombre de pistes restant sous-exploitées. Peut-être est-ce dû au trop grand nombre de personnages qui ne peuvent pas être aussi développés qu'il le faudrait. De même tous les phénomènes "surnaturels" (dont certains tombent dans le grand-guignol, pauvre Michelle YEOH!) trouvent une explication rationnelle décevante. J'aurais aimé plus d'ambiguïté, notamment dans tous ces fantômes que croise Hercule Poirot dont Kenneth BRANAGH a fait une âme tourmentée mais qui cette fois-ci s'efface un peu trop au profit de sa galerie survolée de suspects.
En dépit de quelques longueurs, "L'Autre Laurens" est un film surprenant qui nous dépayse en nous promenant à travers plusieurs genres (le film noir, le road movie et le western surtout) et plusieurs contrées (Belgique, France, Espagne). On y parle trois langues (espagnol, français et anglais) et bien que le terreau soit européen, il y a plusieurs moments où on a l'impression d'être à la frontière américano-mexicaine. C'est le fruit d'un travail remarquable sur la photographie qui joue tantôt sur une ambiance de polar urbain à la "Sin City" (2005) et tantôt au contraire met en avant le paysage, qu'il soit maritime, désertique ou rural. Un choc des mondes que l'on retrouve dans les habitations, notamment une copie de la Maison-Blanche et une grange de ferme où se dénoue une partie du film ainsi que dans les personnages secondaires: un groupe de motards, les "Perpignan bikers" (!) et deux policiers qui auraient pu figurer dans un film de Quentin DUPIEUX ou de Bruno DUMONT. Là-dessus se greffe l'intrigue principale qui joue sur la dualité du personnage joué par Olivier RABOURDIN, détective privé usé et endetté dont on découvre assez rapidement qu'il possède un frère jumeau qui est son miroir inversé (d'où le sens du titre), qu'il déteste et qui s'est tué dans un accident de voiture. Mais sa nièce, Jade (Louise Leroy) débarque dans sa vie pour l'obliger à enquêter sur la mort suspecte de son père. Le duo formé par le privé vieillissant et la jeune nymphette est très charismatique et m'a une fois encore rappelé "Sin City", plus précisément la partie avec Bruce WILLIS. Et j'aime beaucoup la scène finale qui m'a fait penser à un autre film avec ce même acteur, "Pulp Fiction" (1994), plus précisément l'histoire de la montre léguée par le père. Jade se retrouve larguée au milieu de nulle part. Elle a le reste de sa vie à écrire, avec ou sans cette montre et ce qu'elle représente, "telle est la question" (allusion au fait que le réalisateur, Claude SCHMITZ est fasciné par le théâtre de Shakespeare et plus particulièrement "Hamlet").
J'ai passé un très bon moment avec le dernier Woody ALLEN tourné en France avec des acteurs français. Il y avait bien eu il y a douze ans "Minuit a Paris" (2011) mais le contexte était tout autre et il y avait somme toute peu d'acteurs français au casting (et pas les plus intéressants). "Coup de chance" n'est certes pas un grand Woody ALLEN car un peu lent et inégal. Le début est poussif et bourré de clichés avec encore une fois un Paris qui se réduit soit aux appartements de milliardaires soit aux mansardes bohème-chic dans un périmètre allant de l'avenue Foch jusqu'à la porte Maillot mais dans sa deuxième partie, lorsque la romance un peu trop convenue se change en comédie policière à suspense, la mayonnaise prend. On reconnaît la trame de nombre de ses films où une enquêtrice amateure démasque un beau gosse trop lisse pour être honnête et où le hasard et le destin ménagent leurs lots de rebondissements. Cette fois, ce n'est pas une bague ni une petite torche mais un simple manuscrit qui a le dernier mot. Si on pense un temps que ce sera le personnage joué par Lou De LAAGE qui jouera les fouineuses avec ses faux airs de Emma STONE, le rôle de l'enquêtrice échoit finalement à la mère de son personnage interprétée par une Valerie LEMERCIER qui rappelle furieusement Diane KEATON dans "Meurtre mysterieux a Manhattan" (1992). En face, le beau ténébreux aux sombres secrets est joué par un Melvil POUPAUD qui s'est hélas mis en mode "cabotin". Mais la mise en scène et les dialogues ("je ne crois pas en la chance, je la provoque") compensent son surjeu parfois pénible.
"Péril en la demeure" que je n'avais jamais vu et qui a été en son temps un succès me semble être un film complètement surfait. Il y a certes une atmosphère un peu étrange qui court tout au long du film et pourrait presque le faire passer pour un rêve éveillé. Aucun réalisme dans les situations mais une succession de clichés-fantasmes autour du sexe, de la mort et de l'argent. Des photos prises sur les lieux du crime (comme dans "Blow-up" (1966), des vidéos tournées en caméra cachée (comme dans le film au titre éponyme de Michael HANEKE), des dessins, des plans-tableaux à base de nus et de natures mortes, des morceaux de guitare, une ambiance de maison hantée avec des portes et des fenêtres qui claquent, du vent qui souffle, de trop grands intérieurs vides. Il faut dire que le film semble peuplé de fantômes plus que d'êtres humains. le personnage joué par Christophe MALAVOY se complaît dans les lieux délabrés et les situations dangereuses et malsaines. Les gens qu'il fréquente sont à son image et ce mélange mortifère d'opacité et de perversité finit par lasser, l'érotisme étant lui-même assez froid. Au final, on a un film incontestablement chic mais creux.
Au bout de quelques minutes de visionnage du film, j'ai eu l'impression de me retrouver dans un sympathique nanar. Rien n'est vraiment crédible dans le scénario qui est mal ficelé. John WAYNE déguisé en Davy Crockett s'invite tranquillement dans la calèche d'une belle jeune femme qu'il séduit d'un claquement de doigts pendant que son fiancé officiel tourne le dos. Ladite jeune femme s'avérant être une sérieuse candidate au rôle de la meilleure potiche de l'année 1949. Là-dessus débarque le faire-valoir de Davy Crockett qui n'est autre que Oliver HARDY lui aussi déguisé en trappeur dont les gags sont si laborieux qu'on ne rit presque jamais. Leur régiment disparaît et réapparaît à volonté selon les besoins du scénario et on ajoute plein de protagonistes, hommes et femmes qui n'ont pas assez de développement à l'écran pour que leur rôle ait de la consistance. Je conçois qu'en 1949, le public américain qui sortait de la guerre ne faisait pas le difficile et avait besoin de légèreté mais force est de constater que le film a mal vieilli. Il faut attendre la dernière demi-heure pour qu'enfin il y ait un peu d'action lorsqu'une bataille rangée oppose d'anciens généraux de Napoléon venus s'installer avec leur famille en Alabama après la défaite de Waterloo (fait historique authentique) aux notables véreux qui essayent de s'emparer de leurs terres dont le meneur n'est autre que le fiancé officiel de la jeune femme séduite par John WAYNE un peu plus tôt. C'est l'occasion d'entendre en fond sonore résonner la Marseillaise mais on a du mal à voir ce que le régiment de trappeurs du Kentucky et les frenchies ont en commun. L'argument des beaux yeux (et épaules) de Fleurette (Vera RALSTON) est à l'image du film, un peu léger. Tout à fait dispensable et même parfois disons-le, ridicule.
Deuxième court-métrage de Stephane BRIZE, "L'oeil qui traîne" raconte sous des dehors réalistes l'enfermement d'un jeune homme qui ne parvient pas à s'insérer dans la société. Accumulant les petits boulots sans lendemain, il ne parvient pas à s'émanciper de la cellule familiale pas plus qu'à communiquer avec ses parents, chacun étant enfermé dans sa bulle. Chacune de ses rencontres, sentimentale, professionnelle ou même simplement sociale tourne mal, ses réactions inappropriées face aux situations, en particulier conflictuelles se retournant contre lui. Evidemment le côté systématique de ses échecs finit par devenir quelque peu mécanique même si heureusement le film ménage une respiration lorsqu'il joue de la guitare électrique, son seul moment d'évasion. Evasion est en effet le mot approprié au vu d'une chute à la fois logique et surprenante qui fait basculer le film dans une dimension plus mentale, à la frontière du fantastique. Ainsi si le film qui date de 1996 a quelque peu vieilli et est une oeuvre de jeunesse un peu scolaire, le style Brize s'impose déjà avec force dans ce drame social et familial qui n'est pas sans faire penser à "Je ne suis pas la pour etre aime" (2004) et à "Quelques heures de printemps" (2011).
Malgré les apparences, il n'y a pas plus cosmopolite que "Je suis un fugitif": film noir britannique réalisé par le franco-brésilien Alberto CAVALCANTI et produit par La Warner dans l'après-guerre. Cependant, si les codes du film sont américains, l'identité qui ressort le plus est britannique avec une brutalité, un pessimisme et un humour noir typiquement british. "Je suis un fugitif" est ainsi un exemple de "spiv film", genre de l'après-guerre désignant les malfrats de petite envergure ("spiv" dans le langage argotique anglais) régnant sur des bas-fonds creusés par la misère, les privations et le rationnement. Venu du documentaire, Alberto CAVALCANTI peut ainsi affûter son sens de l'observation de la réalité sociale sordide régnant dans les grandes villes britanniques au sortir de la guerre. Les décors eux-mêmes rappellent fortement les bas-fonds du Londres de Charles Dickens tandis que les deux acteurs principaux incarnent des personnages qui font penser pour Narcy (abréviation de Narcisse) joué par Griffith JONES à Dorian Gray et pour Morgan à un prolongement du rôle joué par Trevor HOWARD dans "Breve rencontre" (1945) de David LEAN. Le parallèle que je fais entre Narcy et Dorian Gray est lié à son apparence quelque peu dandy, à la façade de respectabilité qu'il recherche en recrutant Morgan et au plan déformant son visage dans le miroir où il apparaît pour ce qu'il est, un psychopathe particulièrement sadique envers les femmes. Morgan est quant à lui un vétéran de guerre alcoolique qui pour tromper son désoeuvrement fait l'erreur de s'acoquiner avec la bande de Narcy, laquelle, comme Lime et ses comparses dans "Le Troisieme homme" (1948) (film contemporain de celui de Alberto CAVALCANTI) se livrent à toutes sortes de trafics. Autre point commun avec le film de Carol REED, l'expressionnisme avec une superbe lumière de Otto HELLER. Car Narcy, figure profondément malfaisante jusqu'à son dernier souffle de vie (comme Lotso dans le final mémorable de "Toy Story 3") (2010) règne sur un monde gangrené d'où il s'avère impossible de s'échapper. La violence et la désespérance sont omniprésentes, on n'est pas prêt d'oublier la scène où Morgan en cavale se réfugie chez une femme qui veut l'utiliser pour abattre son mari. Morgan lui-même est un desperado qui sait que la rédemption est hors de sa portée (les symboles sont nombreux jusqu'à la bagarre spectaculaire et hitchcockienne sur un toit surmonté des lettres "RIP") lancé dans une course contre le temps qui se dérobe.
La projection et les commentaires autour de "The Dead Don't Die" (2018) de Jim JARMUSCH* ne constitue pas seulement le climax hilarant du dernier film de Aki KAURISMAKI (qui a compris le potentiel comique "décalé" du film et en joue fort bien). Il donne une bonne définition de son dernier opus. Avec Hayao MIYAZAKI, celui-ci constitue le plus célèbre vrai-faux retraité du cinéma mondial. Visiblement il n'est pas si simple d'en finir avec le septième art quand celui-ci fait à ce point partie de vous, chacun des deux cinéastes incarnant en prime en tout ou en partie son pays à l'international. Et puis un film qui s'appelle "Les Feuilles mortes" avec deux personnages qui ont tout de zombies, cela ressemble assez au style Aki KAURISMAKI. Des cadres figés, des décors démodés, des couleurs délavées, des visages fatigués, des nouvelles tournant exclusivement autour de la guerre en Ukraine, histoire de rappeler que la Finlande partage une frontière de 1300 km avec la Russie, des rues désertées, un monde du travail déshumanisé, il y aurait de quoi se flinguer. C'est oublier que le monde froid et gris de Aki KAURISMAKI est constellé d'humanisme, d'humour, de touches de couleurs vives et d'amour. Car "Les Feuilles mortes" raconte surtout cela: une histoire d'amour entre deux prolétaires solitaires et malmenés par la vie dont les rencontres, systématiquement contrariées sont ponctuées de chansons et de cinéma. Comme dans ses autres films, la figure tutélaire de Charles CHAPLIN veille sur les amoureux avec une fin entre "Une Vie de chien" (1918) et "Les Temps modernes" (1936).
* Dans "Night on earth" (1991), la dernière séquence se déroulait à Helsinki et mettait en scène un acteur fétiche de Aki KAURISMAKI, Matti PELLONPAA.
Dommage que sur la forme, le film soit si médiocre, nous embrouillant avec des allers-retours temporels inutiles et des reconstitutions malhabiles. Le sujet, lui, était passionnant, décortiquant une affaire retentissante vieille de 30 ans qui avait offert sur un plateau d'argent à la justice un coupable idéal, immigré, illettré et ne maîtrisant pas la langue française. D'autres affaires (celle de Patrick Dils, celle de Marc Machin) illustrent combien le fait d'être démuni socialement et intellectuellement pénalise dans un tribunal. Même dans "Anatomie d'une chute" (2022) qui se déroule dans un milieu aisé et lettré, le fait de ne pas bien maîtriser la langue française met Sandra en difficulté lors de son procès. Alors que dire d'un jardinier marocain employé chez des veuves fortunées sur la côte d'Azur! Non seulement ses multiples handicaps ont empêché Omar Raddad de se défendre, mais le film souligne assez bien combien l'enquête a été paresseuse, négligeant les pistes qui pouvaient conduire à des conclusions différentes.
Hélas, cinématographiquement, le film de Roschdy ZEM n'a qu'un seul intérêt: la prestation poignante de Sami BOUAJILA dans le rôle principal.
"Ridicule" est avant d'avoir été un film un bijou d'écriture qui n'est pas sans faire penser aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Le scénariste Remi WATERHOUSE aurait d'ailleurs voulu le réaliser mais pour que le film puisse voir le jour, c'est Patrice LECONTE qui s'en est chargé sans changer une seule virgule au texte d'origine. "Ridicule" et "Les Liaisons dangereuses" qui se situent à la fin du XVIII° siècle dans les milieux privilégiés utilisent en effet le langage comme une arme pour séduire, tromper, humilier et même tuer. Dans "Ridicule", les traits d'esprit ouvrent les portes autant sinon plus que la courtisanerie ou l'argent. Mais le moindre faux pas s'y avère fatal et tôt ou tard, chacun y succombe. Dans les deux oeuvres, les libertins manipulateurs finissent pris à leur propre piège et le visage défait de la comtesse de Blayac (Fanny ARDANT) dans la scène finale n'est pas sans rappeler celui de la marquise de Merteuil jouée par Glenn CLOSE en train d'ôter son maquillage en versant des larmes de rage. Son pendant masculin, l'abbé de Villecourt (exceptionnel Bernard GIRAUDEAU, scandaleusement sous-employé dans le cinéma français) subit également le sort d'une humiliation publique et son désarroi presque enfantin le rend autrement plus sympathique que le vicomte de Valmont (qui on se le rappelle y laisse la vie). Cependant, "Ridicule" à la différence des liaisons dangereuses offre un prisme plus large que celui du panier de crabes des salons de Versailles ou des hôtels particuliers de la noblesse. Les candides s'y font initier mais pas dévorer. Car "Ridicule" colle à la réalité historique d'une époque contrastée où pendant que le monde ancien décadent et vain agonisait à l'image du baron de Guéret, un monde nouveau surgissait, en prise avec le réel, nourri de l'esprit des Lumières. Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles BERLING) est un noble provincial éclairé et proche de ses paysans dont il veut améliorer les conditions de vie, plombées par l'insalubrité de leur milieu naturel. Son ami, Bellegarde (Jean ROCHEFORT) est physiologiste et a élevé sa fille dans des principes rousseauistes, laquelle fille (Judith GODRECHE) a la stature d'une Marie Curie avant l'heure (allusion au fait que dans "Les Palmes de M. Schutz" (1996) mais aussi dans le plus récent "Marie Curie" (2016), Charles BERLING joue son mari, Pierre Curie). Enfin, une courte apparition de l'abbé de l'Epée (Jacques MATHOU) qui a favorisé la diffusion de la langue des signes dans son institution pour les sourds ou d'un Indien décoré par le roi Louis XVI trace des perspectives encore plus larges que celles de la question sociale en incluant les femmes, les handicapés ou les coloniaux.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.