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House of Gucci

Publié le par Rosalie210

Ridley Scott (2021)

House of Gucci

Le comique est une affaire de tempo. Or, après un début plutôt réjouissant, "House of Gucci" tiré de faits réels traités sur le mode de la pantalonnade relatifs aux turpitudes de la famille à l'origine de la célèbre marque de luxe souffre hélas de sérieuses baisses de rythme dans sa deuxième partie. Le film aurait mérité d'être plus concis, un défaut désormais récurrent chez Ridley Scott qui dilue ses intrigues sur 2h30. A cela il faut ajouter des acteurs américains qui en font des tonnes en singeant outrancièrement l'accent italien (tout en parlant anglais, cherchez l'erreur) et en gesticulant. On ne sait à qui offrir la palme du plus beau cabot entre Jared Leto (grimé et méconnaissable), Al Pacino (pas grimé mais tout aussi méconnaissable depuis la dernière fois où je l'ai vu) et Lady Gaga qui elle au moins a un vrai personnage à défendre en la personne d'une Lady Macbeth de commedia dell'arte sauf qu'après avoir manipulé son époux pour parvenir à mettre la main sur l'empire Gucci, elle se retournera contre lui lorsqu'il lui échappera. L'époux c'est Maurizio Gucci alias Adam Driver jouant sur la sobriété et la discrétion de son personnage qui contraste avec les excès des guignols qui l'entourent. Contrairement à lui qui longtemps ne s'affirme pas et cherche même à fuir son héritage, sa femme Patrizia est une parvenue avide d'argent et de pouvoir qui considère Maurizio comme sa possession. Son père, Rodolfo (Jeremy Irons qui possède la même réserve que Maurizio mais est autrement plus intelligent) essaye bien de contrecarrer ses plans mais il ne fera pas long feu.

"House of Gucci" est donc une tentative intéressante de traiter l'ascension et la chute d'une grande famille sur un mode bouffon, grotesque, farcesque et parodique (Al Pacino dans le rôle d'un patriarche pas net renvoie forcément à "Le Parrain") mais on rit relativement peu tant le rythme est poussif et on voit bien comment un autre réalisateur aurait pu rendre tout cela beaucoup plus vif et percutant. Il en va de même de la musique, bien choisie (une playlist de tubes disco-pop-rock 70-80 et plusieurs extraits d'opéra italiens) mais qui aurait pu être utilisée de façon plus expressive.

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Le Plein de super

Publié le par Rosalie210

Alain Cavalier (1976)

Le Plein de super

Personnellement, j'ai trouvé "Le Plein de super", échec commercial à sa sortie qu'aujourd'hui les critiques tentent de réhabiliter bourré de défauts: personnages en roue libre, acteurs peu charismatiques (sauf Etienne Chicot et Patrick Bouchitey mais ce dernier est sous-employé), scénario ectoplasmique et incohérent (conçu par les acteurs et le réalisateur), dialogues pipi-caca-prout-poils-queue, laideur des images, provocations qui tombent à plat de par leur aspect régressif plutôt que transgressif etc. Dire que l'amitié entre les quatre passagers de la Chevrolet se construit peu à peu comme j'ai pu le lire est faux. On passe sans transition d'une situation de cohabitation forcée à une camaraderie de chambrée dont on sent qu'elle ne date pas d'hier (et pour cause, il s'agit de celle des quatre acteurs, tous issus du cours Simon). La vraisemblance est remisée au vestiaire de même que toute forme d'enjeu dramatique. 

Cette grosse déconnade entre potes rivalisant de médiocrité et de trivialité dans leur vie comme dans leur propos a au moins permis à Alain Cavalier de se lâcher après des années à se coltiner un cinéma au classicisme formaté. S'il y a un vent de liberté dans le film, c'est dans ses expérimentations formelles, d'autant que le choix du road-movie dans le contexte des seventies fait penser à "Easy Rider" (le choix du modèle de voiture dans lequel voyage les quatre amis -une grosse Chevrolet- n'est pas innocent non plus). Le problème est que si tout le monde semble bien prendre son pied sur le tournage (le cannabis n'a-t-il circulé que dans le film? J'en doute), il oublie de le communiquer au spectateur même si certains y trouveront leur compte. D'autres atteindront vite les limites de ce qu'ils peuvent supporter en matière de beauferie autosatisfaite.

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True Grit

Publié le par Rosalie210

Joel et Ethan Coen (2010)

True Grit

La filmographie des frères Coen est inégale, oscillant entre des films personnels pour la plupart géniaux et des exercices de style et remakes pas inintéressants mais souvent un peu vains. "True Grit" appartient à la seconde catégorie. Remake de "100 dollars pour un shérif" de Henry Hathaway qui permit à John Wayne de décrocher un oscar en 1969, le film est un western très bien réalisé mais qui ne dépasse pas son sujet rebattu, la vengeance*. La soumission des frères aux lois du genre fait que leur personnalité ne ressort pas vraiment. Si le film se suit sans déplaisir, il s'oublie aussi très vite. Cela n'empêche pas Jeff Bridges d'être savoureux dans le rôle truculent de Rooster Cogburn, marshall alcoolique à la gâchette facile. Matt Damon, méconnaissable, est plus fade. Quant à Hailee Steinfeld, elle déréalise complètement le film, donnant l'impression que celui-ci se déroule sur une scène de théâtre. D'une part parce qu'elle est bien trop lisse et propre sur elle. Ainsi la scène reprise à l'identique dans le film des frères Coen où elle sort de la rivière parfaitement sèche est digne de James Bond qui se bat sans faire un seul pli à son costume. De l'autre parce que son jeu est dénué d'émotions: elle semble ne connaître ni la peur, ni le chagrin, ni la joie, sauf vis à vis de son cheval, c'est mince. Deux films brillants que j'ai vu récemment, "Le Crabe-Tambour" et "La loi de Téhéran" montrent que même les guerriers ou les truands les plus aguerris se font dessus avant de mourir, mais visiblement cette jeune fille a le pouvoir magique de ne pas se mouiller, au propre comme au figuré. Cela n'aurait pas été si embêtant si l'adolescente avait ressemblé un tant soit peu aux jeunes femmes de ce temps là vivant dans les conditions très difficiles de l'ouest sauvage, vieillies et endurcies avant l'âge. Voir cette gamine poupine à tresses jouer au cow-boy face à des brutes d'opérette a donc quelque chose de risible. Lorsque enfin, son corps porte les traces de son vécu, c'est hors-champ puis 25 ans plus tard, dans l'épilogue, avec une autre comédienne. Autrement dit, c'est trop tard, l'occasion est manquée. Et c'est dommage car on passe à côté de ce qui aurait pu être le sujet du film: la construction d'un lien père-fille et  l'éveil de cette dernière à la sensualité qui aurait donné plus de sens à son odyssée.

* Chez Tarantino par exemple, ce sujet récurrent dans son cinéma n'est souvent qu'un MacGuffin (comme la fameuse mallette de "Pulp Fiction"), le vrai sujet étant méta filmique (hommage à des acteurs, actrices et genres de seconde zone des années 60-70-80 qui se retrouvent soudainement projetés dans la lumière.)

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Comme des reines

Publié le par Rosalie210

Marion Vernoux (2020)

Comme des reines

Au cours de ses trente années de carrière, Marion Vernoux a alterné les réalisations pour le cinéma et la télévision en plus d'une activité sporadique de scénariste et d'actrice pour d'autres réalisateurs ou réalisatrices ("Vénus beauté", "Grave"). Les films que j'avais pu voir d'elle tournent autour du désir féminin, qu'il balance entre deux hommes ("Love etc.") ou se porte sur un homme beaucoup plus jeune ("Les Beaux Jours"). "Comme des reines" est différent en ce sens que s'il a lui aussi pour moteur les désirs de trois jeunes filles, il évoque leur fourvoiement dans la prostitution. Le scénario est le point fort du film, c'est d'ailleurs ce qui a conduit Marion Vernoux à le réaliser. Aucun didactisme pesant (alors que c'est souvent la tare des téléfilms à sujet de société), aucune exposition à rallonge, on plonge directement dans le sujet et c'est au spectateur de reconstituer le parcours des trois filles qui représentent chacune un profil différent. Samia, collégienne en échec scolaire issue d'une famille monoparentale modeste éblouie par les paillettes et le fric facile, Jess, jeune femme sans famille d'une vingtaine d'années qui espère s'en sortir par la maternité et enfin Louise qui se prend pour la meneuse du groupe, jeune fille rebelle à peine majeure issue d'un milieu aisé qu'elle a quitté pour suivre Nico, le proxénète de la bande dont elle est follement amoureuse et à propos duquel elle se berce d'illusions. Ledit Nico (Idir Azougli déjà vu dans "Shéhérazade" et qui ne manque pas de présence) dont l'allure détone avec celle de l'image qu'on se fait des caïds est en effet des plus retors et le film expose ses méthodes de pervers narcissique, d'abord séductrices puis tyranniques pour maintenir les filles sous son emprise. Ses sbires, des délinquants de cité frappent par leur aspect juvénile et complètent le tableau d'une jeunesse en pleine dérive sectaire (sauf que l'argent et le pouvoir ont remplacé les idéologies). Les quelques figures parentales du film (le père de Louise joué par Bernard Campan, Louise étant d'ailleurs jouée par sa fille Nina et la mère de Samia jouée par Karole Rocher) semblent isolées et impuissantes. Ils sont d'ailleurs presque de trop, surtout Jean-Philippe, le père de Louise qui arpente la nuit les hôtels et les sites internet pour retrouver sa fille (Bernard Campan en fait trop dans le pathos et ses scènes sont répétitives). La fin n'est pas faite pour rassurer "la première fois elles reviennent toujours", la première fois...

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Loulou

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1980)

Loulou

"Loulou" est le cinquième long-métrage de Maurice PIALAT. Il est marqué par la rencontre avec Gérard DEPARDIEU avec lequel il tournera trois autres films. Quant à Isabelle HUPPERT, c'est la deuxième fois qu'elle tourne avec Gérard DEPARDIEU après "Les Valseuses" (1974). Et bien que Bertrand BLIER soit un réalisateur très différent, beaucoup plus axé sur le théâtre et les dialogues, il y a comme une forme de continuité entre ces deux films, lié au contexte post soixante-huitard et au milieu social opposé d'où sont issus les deux acteurs*. Ainsi Isabelle Huppert (issue d'une famille aisée du XVI° arrondissement de Paris) joue une adolescente puis une jeune femme bourgeoise qui envoie valser les conventions sociales en se rebellant contre ses parents (dans le film de Bertrand Blier) et contre son mari (dans celui de Maurice Pialat) pour sortir avec un voyou issu du prolétariat (alias Gérard Depardieu à qui ce rôle proche de son vécu collait à la peau dans sa jeunesse). Le thème de la lutte des classes à travers l'étude d'un couple qui ne parvient pas à s'accorder n'est pas nouveau chez Pialat, il était déjà présent dans "Nous ne vieillirons pas ensemble" (1972). Mais dans "Loulou" c'est avec André (Guy MARCHAND dans un rôle récurrent de mari macho et cocu ce qui ne l'empêche pas d'être remarquable et sachant que Pialat se dépeint lui-même dans le personnage d'André, on ne peut une fois de plus que saluer son courage et son honnêteté) que Nelly a une relation violemment conflictuelle alors qu'avec Loulou, elle s'éclate, du moins au lit. En dehors de la relation charnelle, ils n'ont pas grand chose à se dire. Tout au plus peut-on souligner chez l'un et chez l'autre beaucoup d'immaturité, tous deux se comportant comme des adolescents entretenus par André. Lorsque pointe l'heure des responsabilités et de la transmission, le couple Nelly-Loulou se retrouve dans une impasse et leur avenir, bien incertain. Comme dans ses autres films, Maurice PIALAT s'approche au plus près du réel et nous restitue des moments de vérité dont le plus frappant est celui du repas dans la famille de Loulou qui rappelle aussi bien le milieu social et la générosité de la famille d'accueil de "L Enfance nue" (1968) que les colères de Jean dans "Nous ne vieillirons pas ensemble" (1972) sans parler du fait que l'on retrouve à l'identique l'acteur jouant le rôle de Bernard dans "Passe ton bac d abord" (1978) comme si "Loulou" en était la suite directe.

* Qui ont été récemment réunis dans "Valley of Love" (2015) de Guillaume NICLOUX qui se situe implicitement dans la continuité de Pialat, donnant à Depardieu un rôle à résonance autobiographique.

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Inside Llewyn Davis

Publié le par Rosalie210

Joel et Ethan Coen (2013)

Inside Llewyn Davis

Sans en être une puisque le personnage principal est fictif (même si inspiré de personnages réels), "Inside Llewyn Davis" m'a fait penser à une uchronie, un monde parallèle dans lequel cet avatar de Bob Dylan se serait fourvoyé dans une odyssée de l'échec. Un thème cher aux frères Coen tout comme leur talent à inventer des losers attachants dans une Amérique alternative. Les allusions à un double fantomatique sont légion dans le film, du partenaire musical gémellaire disparu aux origines (réelles ou fantasmées) galloises en passant par la confusion entre deux chats fugueurs à l'apparence identique mais de sexe opposé après lequel cours l'anti-héros une bonne partie du film. L'atmosphère hivernale et brumeuse (formidable travail de Bruno Delbonnel à la photographie) renforce l'impression d'irréalité tout autant que la structure cyclique qui commence et se termine par la rencontre entre Llewyn Davis (Oscar Isaac) et un mystérieux personnage noyé dans l'ombre qui l'agresse avant de le quitter sur ces paroles "On se tire de ce trou à rats, on te le laisse". Le "trou à rats" peut désigner la salle de concert folk où se produit Davis comme le film tout entier alors que l'homme de l'ombre s'envole lui pour la gloire, mais en hors-champ, laissant son double malheureux au tapis. Le clin d'oeil à Dylan que l'on entrevoit dans cette même salle de concert à ses débuts peut faire penser qu'il s'agit de lui mais au fond peu importe. Car le héros de l'histoire, c'est le perdant que l'on suit dans son errance bohème en quête d'un canapé où dormir et de contrats à décrocher, son entêtement à vivre de son art n'ayant d'égal que son incapacité à connaître le succès. Incapacité que l'on peut voir comme un refus des compromissions, de l'arrogance, de l'inadaptation sociale, de la malchance ou de l'inconséquence selon le point de vue que l'on choisit d'adopter, celui de Jean par exemple (Carey Mulligan qui avait déjà joué avec Oscar Isaac dans "Drive") fermant provisoirement la marche des relations sans avenir entretenues par le folksinger "adulescent". Comme Ulysse (le chat ^^), Davis reviendra à son point de départ sans avoir avancé d'un pouce non sans nous avoir au passage gratifié de quelques beaux morceaux de son répertoire solitaire et mélancolique. Et en contrepoint ironique, les frères Coen lui font participer à la séquence devenue culte de l'enregistrement d'une chanson aux paroles absurdes, "Please Mr Kennedy" avec Justin Timberlake et Adam Driver dans le rôle d'un autre musicien crève-la-faim. Adam Driver qui était encore au début de sa carrière mais n'allait pas, contrairement à son personnage rester dans les bacs encore longtemps!

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Onésime horloger

Publié le par Rosalie210

Jean Durand (1912)

Onésime horloger

Jean DURAND, ex-journaliste et dessinateur satirique a débuté chez Pathé en 1908 puis la Lux avant de passer à la Gaumont en 1910 où il réalise notamment des séries de courts-métrages burlesques autour des personnages de Calino (interprété par Clément Mégé), Zigoto (interprété par Lucien Bataille) et Onésime (interprété par Ernest Bourbon). Dans sa troupe d'acteurs-acrobates (les "Pouittes"), on trouve une future vedette, Gaston MODOT (le garde-chasse jaloux poursuivant Carette dans "La Règle du jeu" (1939) de Jean RENOIR, c'est lui!). Le style de ses courts-métrages préfigure celui des comédies de Mack SENNETT et de ses Keystone cops et il est bien dommage que son nom soit aujourd'hui oublié.

"Onésime horloger" qui fait partie d'une série de 56 films réalisés entre 1910 et 1914 est parfaitement représentatif de ce style et de cette époque dans laquelle les deux pays s'influencent mutuellement pour construire un genre qui sera l'un des piliers de l'âge d'or du cinéma muet. Avec en plus ici un caractère expérimental autour de la manipulation du temps, l'horloge qui s'affole devenant le cinéma lui-même, formidable machine à voyager dans le temps par le procédé des images accélérées (effet spécial que l'on retrouve dans d'autres Onésime mais pas sur les trois-quarts du film comme ici). Comme quoi Luc BESSON avec sa "Lucy" (2006) n'a rien inventé (sauf qu'elle remontait le temps alors qu'Onésime lui le descend à toute vitesse). Le résultat est un enchaînement frénétique de gags entraînant un vertige métaphysique, soit par la répétition mécanique des mêmes mouvements dans le monde urbain moderne confinant à l'absurde (certains passages préfigurent la célèbre séquence du travail à la chaîne de "Les Temps modernes" (1934) elle-même inspirée par "À nous la liberté" (1931) qui démontre une fois de plus comment la France et les USA se sont mutuellement influencés), soit par la métamorphose avec la séquence du mariage express, suivi de la croissance non moins rapide d'un enfant qui se révèle être Gaston MODOT!

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Tous les autres s'appellent Ali (Angst essen Seele auf)

Publié le par Rosalie210

Rainer Werner Fassbinder (1974)

Tous les autres s'appellent Ali (Angst essen Seele auf)

Avec cette relecture de "Tout ce que le ciel permet" de Douglas Sirk dans la RFA des années 70 prise en tenaille entre les fantômes du nazisme et le rideau de fer, Rainer Werner Fassbinder met en évidence l'un des plus grands dilemmes auxquels les êtres humains ont à se confronter: vivre en conformité avec les attentes de son milieu social en étouffant sa véritable nature (traduit par l'expression qui donne son titre au film en VO "la peur dévore l'âme") ou vivre en accord avec soi-même mais en rupture avec la société (traduit par une maxime empruntée à Max Ophüls et qui s'inscrit durant le générique, "le bonheur n'est pas gai"). La majorité des gens choisissent, souvent inconsciemment le conformisme. Ceux qui ont le courage de s'aventurer dans la seconde voie font l'expérience de la marginalité, de la clandestinité, de l'exclusion, de la violence souvent. Comme le dit Emmi, jamais elle n'a été aussi heureuse mais jamais non plus elle n'a connu un tel torrent de haine. Et si Ali n'exprime aucune souffrance face au déluge de racisme qu'il subit au quotidien, son corps le fait à sa place lorsqu'il craque sur la fin. Schématisant et théâtralisant l'opposition entre le couple transgressif (âge, origine, langue etc.) et le reste de la société, Fassbinder multiplie les scènes où celui-ci, isolé dans le cadre qui les enferme est regardé (jugé?) en contrechamp par un groupe de personnes statufié se situant de l'autre côté d'une barrière invisible (celle d'un tribunal?). Il en va de même quand Emmi est ostracisée par ses collègues de travail après l'avoir été par d'autres cercles (famille, voisins, commerçants). Avec ironie, Fassbinder reprend ensuite par un effet de symétrie les mêmes scènes avec les mêmes personnages qui une fois la première réaction viscérale de rejet passée prennent une attitude hypocrite dictée principalement par l'intérêt. L'ostracisme se déplace alors sur d'autres bouc-émissaires, la mise en scène demeurant identique afin de montrer l'immuabilité du théâtre social (seuls les acteurs changent de place et Emmi et Ali peuvent alors eux aussi passer de l'autre côté de la barrière, parfois l'un contre l'autre).

 Bien que distordu par un prisme anti-glamour au possible (les corps y sont usés, vieillis, ingrats, mal fagotés), le film est un magnifique hommage au mélodrame sirkien, réalisateur d'origine lui-même allemande dont Fassbinder retire le maquillage hollywoodien. Reste alors la satire sociale, impitoyable (la relecture de la scène dans laquelle les enfants de Jane Wyman lui offrent une télévision en guise de compagnie vaut son pesant d'or) mais aussi quelques bouffées de tendresse et de chaleur humaine, des airs arabes qui poussent une Emmi assoiffée à entrer dans le bar où elle rencontre Ali à leur dernière danse dans ce même bar.

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Le Professeur (La prima notte di quiete)

Publié le par Rosalie210

Valerio Zurlini (1972)

Le Professeur (La prima notte di quiete)

"Le Professeur", avant-dernier film de Valerio ZURLINI est mal servi par son titre en VF qui met au centre ce qui n'est qu'un expédient rapidement jeté aux oubliettes (il n'est question d'enseignement qu'au début du film de la part d'un remplaçant qui refuse en réalité d'enseigner). Mieux vaut traduire son titre en VO "La première nuit de quiétude" pour savoir de quoi il est réellement question. A condition d'avoir la référence littéraire. Il s'agit en effet d'une citation de Goethe qui parle de façon poétique de la mort. On est prévenu: ça va être très noir. De fait, non seulement "Le Professeur" est noyé dans le spleen mais c'est aussi le portrait d'une certaine bourgeoisie italienne oisive et débauchée des années 70. Si par moment, l'atmosphère romantico-dépressive ressort avec force grâce à la musique jazz, aux plans sur la jetée de Rimini dans le brouillard qui m'ont fait penser à "La Maîtresse du lieutenant français" (1981) et à la prestation de Alain DELON dans un registre de loser fatigué et tourmenté qui ne lui est pas habituel, le côté sordide de l'intrigue (tous les personnages sont plus glauques les uns que les autres) et l'ambiance uniformément sinistre finit par avoir un côté poseur façon "poète maudit revenu de tout" assez irritant. Il y a plus subtil pour créer un mystère autour du personnage féminin principal que de lui donner le prénom de Vanina (en appuyant bien le fait qu'il s'agit d'un prénom Stendhalien), lui faire tirer la tronche et de répéter à son sujet "elle a un lourd passé, un présent fragile et pas d'avenir"; "elle est pourrie" etc. Et si Delon est remarquable, son personnage est tout aussi opaque. Les raisons profondes de son désespoir qui ne sont révélées qu'à la fin apparaitront quelque peu obscures à qui n'est pas issu d'une élite aristocratique déchue. Néanmoins, il est très intéressant de voir ce film pour découvrir la face cachée de celui qui a été révélé dans "Plein soleil" (1960).

 

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Passe ton bac d'abord

Publié le par Rosalie210

Maurice Pialat (1978)

Passe ton bac d'abord

Après l'échec commercial de "La Gueule ouverte (1974), Maurice PIALAT resta quatre ans sans tourner. "Passe ton bac d'abord", son quatrième film jette les bases de ses deux films suivants. "Loulou" (1980) et "À nos amours" (1983) reprennent de façon plus approfondie le thème des jeunes paumés qui montent zoner à Paris et le comportement rebelle d'Elisabeth, une adolescente jouée par Sabine HAUDEPIN en conflit ouvert avec sa mère et qui nargue son copain officiel en essayant tous les garçons de sa bande.

En rupture en effet avec les chroniques adolescentes enjolivées de l'époque, Maurice PIALAT décrit un milieu ouvrier situé à Lens, ville charbonnière du Nord alors ravagée par la pauvreté et le chômage lié à la désindustrialisation. Dans ce paysage morne, les jeunes du film sont privés de perspective d'avenir, l'injonction des adultes (impuissants, démissionnaires ou eux-mêmes douteux) qui sert de titre au film leur semblant vide de sens. La plupart désertent donc les bancs de l'école au profit du seul bar du coin, de chambres d'hôtels d'où ils sont vite délogés, du camping sauvage et de la rue. D'ailleurs l'école n'apparaît que lors du générique de début, une scène reprise ensuite à la fin sous un autre angle qui enferme dans une boucle les deux jeunes filles qui tentent de reprendre leurs études. Mais on sait déjà que c'est peine perdue, l'une étant démotivée et l'autre enceinte. Face à cet horizon bouché, les ados du film conjurent leur peur de l'avenir en vivant l'instant présent avec une apparente insouciance, ne cessant de changer de partenaire sexuel (Elisabeth et Bernard étant les champions de la polygamie avant que la première ne "se range") et n'ayant dans leur logiciel que deux ou trois issues: le mariage précoce vu comme une bonne planque mais qui tourne rapidement à l'enfer conjugal; les boulots non qualifiés donc mal payés et minés par l'oppression patronale (bien avant "La Loi du marché" (2014), Maurice PIALAT montre le flicage que subissent les hôtesses de caisse) ou bien qui dissimulent des intentions douteuses (la proposition de séance photos dans une villa avec piscine à une adolescente de 16 ans); et enfin l'exode incertain vers Paris comme ultime échappatoire.

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