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A.K.: Akira Kurosawa

Publié le par Rosalie210

Chris Marker (1985)

A.K.: Akira Kurosawa

Chris Marker a consacré plusieurs documentaires au Japon, l'une de ses terres de prédilection*: "Le mystère Koumiko" en 1965, le magnifique "Sans soleil" en 1982 et donc "A.K.", les initiales de Akira Kurosawa qu'il a pu filmer en train de tourner les séquences lunaires de "Ran" sur les pentes du mont Fuji en 1984. Mi portrait, mi journal de bord, "A.K." tire son originalité de sa forme. Il est en effet découpé en petites séquences avec un titre écrit en kanji qui au-delà de la description des méthodes du "maître" ("sensei" en japonais) invite à méditer sur sa capacité à faire avec l'imprévisibilité des éléments naturels, "cette beauté qui n'était pas la sienne" et qu'il sait pourtant admirablement capter. L'un des chapitres s'intitule en effet "patience", un autre "pluie", un autre "feu" et encore un autre "brouillard". Par contraste, une séquence que Chris Marker intitule "laque et or" d'après une technique décorative japonaise et qui se caractérise par sa complète artificialité (lune de Méliès dessinée par Kurosawa lui-même et épis peints en dorés) sera coupée au montage, sans doute justement parce qu'elle devait trop jurer avec le reste et ce bien qu'il y ait nombre de trucages disséminés dans le film. Le passé d'Akira Kurosawa est également évoqué quand il peut éclairer le présent, que ce soit un événement traumatique ayant eu lieu en 1923 et ayant pu lui inspirer la grande scène de massacre au milieu du film ou ses débuts en tant qu'assistant au travers de son amour des chevaux ou encore les films ayant pu préfigurer "Ran" comme "Le Château de l'araignée". Le résultat est un making of atypique assez aride et énigmatique mais qui rend bien compte de la démesure d'une telle entreprise que seul un génie du cinéma pouvait accomplir. On peut reprocher à Marker son admiration absolue pour Kurosawa mais au vu du chef d'oeuvre qu'est "Ran" et du travail titanesque qu'il a demandé, on ne peut qu'éprouver un profond respect et accepter de remettre la dimension critique à plus tard. 

* Un bar de Golden Gai dans le quartier de Shinjuku à Tokyo s'appelle "La Jetée" d'après son œuvre la plus célèbre.

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Ran

Publié le par Rosalie210

Akira Kurosawa (1985)

Ran

"Ran" signifie "Chaos". C'est avec "Le Château de l'araignée" (inspiré de Macbeth) le plus shakespearien des films de Kurosawa puisqu'il s'agit d'une libre transposition du Roi Lear dans le Japon féodal. Les genres y sont inversés puisque les trois filles de Lear deviennent les trois fils du seigneur Hidetora Ichimonji dont le trait de caractère dominant est immédiatement identifiable à l'aide de la couleur primaire qui est attaché à chacun d'eux*. A Taro l'aîné revient le jaune de l'orgueil, à Jiro le cadet le rouge de la violence et enfin à Saburo le benjamin, le bleu de la sagesse, cette sagesse qui fait tant défaut à Hidetora en dépit de ses regards implorants vers le ciel et les nuages. Celui-ci en effet, aveuglé par son orgueil "voit rouge" quand Saburo ose mettre en doute la pertinence de sa stratégie de division du domaine familial. Bref il est jaune et rouge (les couleurs dominantes de ses costumes) mais certainement pas bleu. Autrement dit au lieu de la retraite tranquille à laquelle il aspire, il s'est préparé une descente aux enfers liée à son manque de discernement autant qu'à l'effet boomerang de son monstrueux passé. "Qui sème le vent récolte la tempête". Comment peut-il espérer de la gratitude de la part de fils à qui il n'a enseigné que l'orgueil et la violence? Le passé de terreur d'Hidetora s'incarne à travers Kaede et Sué, deux survivantes de clans adverses qu'il a exterminé, ne les épargnant elles que pour les marier à ses fils selon une logique de "butin de guerre" très semblable à celle de "L'Illiade". Les séquelles de cette politique de terre brûlée (symbolisée par les pentes volcaniques du Fuji-San où ont été tournées une partie des scènes) sont visibles dans la haine dévastatrice de Kaede, assoiffée de vengeance et "mauvais génie" du clan Ichimonji, dans les ruines du château de la famille de Sué et sur le corps de Tsurumuru son jeune frère dont les yeux ont été crevés par Hidetora (il n'a pas été tué parce qu'il était encore enfant au moment des faits mais Hidetora s'est assuré qu'il ne pourrait jamais se venger). Cependant, là encore, Kurosawa montre que l'être humain a toujours le choix, quels que soient les événements tragiques auxquels il a été confrontés. Sué en effet a trouvé l'apaisement dans la foi et le pardon tout comme Tsurumuru. Mais aucun d'eux ne peut arrêter la spirale infernale de violence dans laquelle finissent par sombrer corps et biens tous les Ichimonji.

La déchéance d'Hidetora et la destruction du clan Ichimonji sont admirablement dépeintes à travers un travail époustouflant sur les décors naturels qui reflètent les états d'âme des personnages tout en les noyant dans l'immensité d'un univers d'où la transcendance est visiblement absente. A une scène de folie d'Hidetora dans une prairie battue par les vents répond la zénitude de Sue au crépuscule. Mais les plans où Hidetora cherche une réponse divine restent muets et Tsurumuru est condamné à errer seul dans les ténèbres. Et la scène centrale de la bataille pour la prise du troisième château lors de laquelle les frères s'entretuent est d'une puissance inégalable (inégalée?) de par le choix du silence qui contraste avec l'accumulation des cadavres autour du vieillard à qui suprême ironie la mort est refusée au profit d'une errance spectrale autrement plus terrible.

*La formation de peintre de Kurosawa ressort de façon saisissante dans le film comme on peut le voir sur les images composées comme des tableaux avec une utilisation extraordinaire de la couleur.

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Only Lovers Left Alive

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (2013)

Only Lovers Left Alive

Selon l'état d'esprit de chacun "Only lovers left alive" peut paraître (très) ennuyeux ou (très) planant puisqu'il adopte un point de vue non-humain (donc déréalisé) sur le monde humain. C'était aussi le cas des "Ailes du désir" de Wim Wenders par exemple mais il s'agissait d'anges bienveillants, d'ailleurs ils étaient dans une telle empathie avec les humains qu'ils finissaient par les rejoindre dans le mouvement d'une histoire qui était sur le point de basculer. Rien de tel évidemment avec les vampires dandys-décadents et somno-lents de "Only lovers left alive" que la jeune sœur d'Eve, Ava (Mia Wasikowska) vampire elle aussi mais nettement plus pêchue traite de snobs, non sans raison. Le plus désenchanté des deux est Adam (Tom Hiddleston), un parfait asocial vivant dans les faubourgs sinistrés de Détroit dans un manoir gothique qui reflète bien sa posture byronienne. D'ailleurs il veut en finir mais c'est sans compter sur sa femme Eve (Tilda Swinton) qui veille de loin sur lui et le rejoint lorsqu'il va trop mal. Eve vit en effet dans la médina de Tanger mais cet orient se réduit à quelques rues presque vides et à un café (nommé "les 1001 nuits"!) à l'exotisme de pacotille. Il symbolise donc tout autant l'exil terrestre que Détroit, un lieu hors du monde et hors du temps. Ces vampires pratiquent en effet un entre-soi très aristocratique et cultivent des goûts d'esthètes raffinés inaccessibles au commun des mortels (comme quoi tout se tient!) Adam joue de tous les instruments (qu'il collectionne) et compose à l'aide de machines vintage car il rejette la modernité. Son credo est qu'avant c'était mieux, que le monde court à sa perte, que les humains sont des "zombies" etc. Il tourne donc le dos à ses fans qui sont obligés de pirater ses morceaux. Chez Jarmusch la femme s'adapte davantage à son environnement mais il n'en reste pas moins que Eve ne se sépare jamais de ses vieux livres écrits dans toutes les langues et a pour meilleur ami le vampire Christopher Marlowe (John Hurt) qui prétend avoir écrit la plupart des pièces de Shakespeare. 

Cette réinvention du film de vampires qui par moments fait penser au film de Neil Jordan (Mia Wasikowska a de faux airs de Kirsten Dunst) est un bijou d'esthétisme raffiné en particulier au niveau de la musique et des mouvements de caméra mais son caractère d'objet arty dénué d'intrigue et l'attitude hautaine (pour ne pas dire détestable) de ses personnages principaux provoque un certain éloignement du spectateur, sauf s'il se sent inclus dans le même "chapelle" (étroite tout de même). Il y a bien quelques passages ou le réalisateur ironise sur ses personnages, à la fin notamment où il montre qu'en dernière extrémité ils n'hésitent pas à en revenir aux bonnes vieilles méthodes animales pour se nourrir mais cela reste à dose trop homéopathique!

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Dr. Akagi (Kanzo Sensei)

Publié le par Rosalie210

Shohei Imamura (1998)

Dr. Akagi (Kanzo Sensei)

Les plus timbrés ne sont pas ceux que l'ont croit semble nous dire Shohei Imamura dans son avant-dernier film, "Kanzo Sensei" (littéralement "Docteur foie"). En effet il nous dépeint comment un petit groupe de marginaux pittoresques tente de s'accrocher à la vie en se tenant les coudes alors même que le Japon sombre dans la barbarie et le chaos dans les mois qui précèdent la fin de la guerre. Le film alterne le burlesque (voire le grotesque) et la violence en montrant comment chacun à sa façon, le Dr Akagi et les déclassés qui gravitent autour de lui tentent de résister au naufrage de leur pays. Néanmoins ils ne sont pas tous traités avec la même profondeur. Le bonze débauché, le chirurgien morphinomane, le prisonnier évadé hollandais et la tenancière de la maison de geishas jouent le rôle de satellites du "couple" principal à savoir le Dr Akagi et son employée, la jeune Sonoko dont le film s'attache à suivre le parcours semé d'embûches. Le Dr Akagi est un homme entre deux âges atteint d'une étrange monomanie. Passant son temps à courir (littéralement!) d'un patient à l'autre, il diagnostique à chaque fois qu'il est atteint du foie (comique de répétition à la Molière garanti!) ce qui lui vaut son surnom un rien méprisant. Pourtant il s'avère qu'il s'agit surtout d'un docteur humain qui tente de soulager (avec du repos et de la nourriture tout simplement!) le supplice que l'attitude insensée de l'armée et de ses chefs au pouvoir inflige à la population. On comprend également que c'est par choix qu'il a préféré s'enterrer dans un trou perdu plutôt que de briller en tant que chercheur dans la capitale même s'il est tiraillé entre son besoin d'aider son prochain et son désir de reconnaissance (qui s'avère être mortifère). A la demande de son père, il prend Sonoko sous sa protection. Elle qui a toujours vécu dans l'idée que les hommes étaient fondamentalement intéressés découvre ce qu'est l'abnégation. De même que les villageois considèrent Akagi comme un charlatan, elle est à leurs yeux une putain qui doit leur rendre des "services" alors que lui essaye justement de la sortir de la prostitution*. Sonoko emploie alors toute son énergie à se faire aimer du docteur non pour qu'il cesse de se dévouer mais pour qu'il renoue avec la vie alors même que la mort s'abat sur leurs compagnons d'infortune et que lui-même est hanté par des visions de son fils décédé se livrant à de monstrueuses expérimentations médicales en Mandchourie.

* Il y a d'ailleurs une scène qui semble fortement s'inspirer de "L'Empire des sens" de Nagisa Oshima.

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Marathon man

Publié le par Rosalie210

John Schlesinger (1976)

Marathon man

"Marathon man" est le film qui a dû largement contribuer à répandre la stomatophobie (peur du dentiste). C'est aussi un must de film paranoïaque des seventies où un simple quidam (ou un quidam un peu simplet?) se retrouve plongé au cœur d'une sombre machination à laquelle il ne comprend rien sinon qu'il doit sauver sa peau et qu'il ne peut compter sur personne puisque même ses prétendus proches (son frère, le collègue de son frère, sa petite amie) s'avèrent ne pas être ce qu'ils prétendent. Mais heureusement Babe (Dustin Hoffman) a la même qualité que Forrest Gump lorsqu'il est plongé dans une Histoire (avec un grand H) qui le dépasse: il sait courir! 

"Marathon man" s'inscrit en effet dans un contexte historique particulièrement riche, celui des "démons de l'Amérique", comme le faisait d'ailleurs Forrest Gump qui avec son air de ne pas y toucher dégommait la guerre au Vietnam et le Watergate (entre autre). Dans "Marathon man" c'est le maccarthysme (à cause duquel le père de Babe s'est suicidé, laissant à son fils un lourd héritage qu'il n'arrive pas à assumer) et les séquelles du nazisme qui sont évoquées de façon particulièrement brillantes. En effet le film se focalise sur Szell surnommé "L'Ange blanc" (Laurence Olivier), un ancien dentiste nazi ayant sévi à Auschwitz qui s'est réfugié après-guerre dans la jungle uruguayenne (allusion transparente à Mengele). La mort de son frère à New-York dans des circonstances tragi-comiques particulièrement signifiantes (une sorte de course-poursuite avec un automobiliste juif aussi âgé que lui et qui se termine contre un wagon-citerne) l'oblige à se déplacer pour gérer lui-même ses "affaires". A savoir un trésor de guerre constitué à partir des biens volés aux juifs (les dents en or notamment), entreposé dans un coffre-fort à Manhattan et qu'il faisait jusque là transiter jusqu'à lui par l'intermédiaire de petites boîtes acheminées par des "courriers" loyaux ou espions, lesquels s'avèrent être justement ceux qui entourent Babe. Celui-ci se retrouve donc bien malgré lui chargé de liquider cet encombrant héritage en vengeant symboliquement le peuple juif. En effet suite à l'Holocauste, New-York est devenue l'une des villes accueillant l'une des plus importantes communautés juive du monde dont beaucoup de rescapés d'Auschwitz (ce que le film rappelle quand il montre les tatouages sur les bras de diamantaires chez qui Szell se rend ou lorsque d'anciens prisonniers le reconnaissent en pleine rue) et Babe s'appelle évidemment Levy. Son affrontement avec Szell lui permet donc d'exorciser le passé et de se délester de son fardeau.

Le film est également une preuve par l'exemple que deux acteurs brillants mais différents (par leur âge, leur parcours, leur nationalité, leur méthode de jeu) peuvent parfaitement fonctionner ensemble. Le film allie histoire et thriller avec brio grâce au scénariste William Goldman notamment dans les nombreuses scène où Babe est "visité" par les ombres de son passé. A la manière de "Répulsion", son appartement miteux fait sans cesse l'objet d'intrusions (de viols?) filmées le plus souvent de façon furtive ce qui accroît la sensation d'angoisse et d'insécurité du personnage*. La scène de la salle de bains qui préfigure un peu celle de "Shining" est particulièrement réussie.

* Il y a d'ailleurs de ce point de vue une continuité entre Babe et le personnage que Dustin Hoffman interprétait dans "Le Lauréat" une décennie plus tôt tout comme le fait de continuer à être crédible en jouant les étudiants alors qu'il avait 39 ans (pour "Le Lauréat" il en avait 30 soit 10 de trop par rapport à son personnage, dans "Marathon man" c'est 20 de trop, qui dit mieux!)

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Un coeur en hiver

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1992)

Un coeur en hiver

"Un cœur en hiver" l'avant-dernier film de Claude Sautet est l'un de ses plus aboutis et l'un de ses plus personnels. Comme le dit si bien Olivier Père, Sautet apparaît à travers ses films comme un cinéaste paradoxal à la fois très proche et très secret. Un cinéaste dual, faussement solaire et véritablement tourmenté, créateur de personnages profondément autodestructeurs dont l'illusion de contrôle finit toujours par se dissiper lorsque leur vie déraille.

Cette dualité est profondément inscrite dans "Un cœur en hiver" au travers des deux amis (?) inséparables Maxime (André Dussollier) et Stéphane (Daniel Auteuil) qui en réalité représentent deux facettes opposées du même homme. Lorsqu'ils font du tennis en salle, on peut remarquer qu'ils arborent la même tenue mais avec des couleurs inversées entre le haut et le bas, l'un représentant effectivement l'endroit de la vie (Maxime) et l'autre son envers (Stéphane). Il y a aussi à un moment donné une séquence qui se déroule à l'entrée d'un cinéma affichant le film d'Ernst Lubitsch "To be or not to be", un titre qui convient parfaitement pour définir l'un ("to be") et l'autre ("not to be"). Par conséquent chacun incarne une facette de l'existence qui se traduit par une complémentarité dans le domaine professionnel (l'un fabrique et répare les violons dans son atelier comme s'il accomplissait une retraite mystique de solitude et de silence, l'autre assure le service après-vente avec son sourire commercial et son talent pour nouer des relations) et sentimental (l'un séduit les filles, l'autre les tient à distance, se montrant aussi fuyant et inadapté avec elles qu'il l'est dans tout type de contexte social). L'histoire se focalise rapidement sur une cliente du duo, la violoniste Camille Kessler (Emmanuelle Béart). Elle devient la petite amie attitrée de Maxime mais elle découvre les affres de la passion avec Stéphane avec lequel elle peut avoir des échanges beaucoup plus profonds car lui seul paraît véritablement l'écouter* (aussi bien quand elle joue que quand elle lui parle). Seulement, il lui oppose une fin de non-recevoir lorsqu'elle veut se rapprocher de lui physiquement, ajoutant qu'il est complètement fermé au sentiment (amoureux comme amical d'ailleurs). Comme Lily vis à vis de Max, Camille en vient à douter que Stéphane soit véritablement un homme devant tant de froideur et (d'apparente) indifférence face à la douleur qui la brûle, elle. En réalité c'est l'un des énième hommes clivés de la filmographie de Sautet, coupé de ses émotions et donc vivant dans un mental orgueilleux dans lequel il s'imagine au-dessus des autres et pouvant les manipuler à sa guise avant de s'apercevoir mais trop tard qu'il a gâché sa vie.**

* Et il sait l'écouter car justement, c'est dans les relations dénuées de paraître social qu'il est le plus à l'aise. Avec son ami lorsqu'il est seul avec lui, avec son apprenti ou encore avec son maître de violon. Tant qu'avec Camille il n'est question que d'échanges sur la musique ou de confidences sur sa vie à elle, il est également à son aise. En revanche dès qu'il s'agit de jeu de séduction et de relation amoureuse, c'est le dérapage.

** En cela et comme Max, il me fait penser au majordome Stevens des "Vestiges du jour" qui éprouve un sentiment de triomphe chaque fois qu'il étouffe toute forme d'humanité en lui jusqu'à ce qu'il finisse en miettes. Néanmoins par rapport aux personnages de Sautet des années 70, Stéphane verbalise davantage et finit même par faire une ébauche d'introspection ce qui est un progrès par rapport à la conduite suicidaire ou au meurtre.

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Max et les ferrailleurs

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1971)

Max et les ferrailleurs

"Max et les ferrailleurs" est l'un des films de Claude Sautet qui m'a le plus marqué. Pourtant j'aurais eu l'âge la première fois que je l'ai vu de lire la série "Max et Lili" de Dominique de Saint Mars (si elle avait existé à l'époque) plutôt que d'essayer comme le fait Lily de percer à jour l'épais mystère de Max. Car bien qu'atypique dans sa filmographie par son genre (le polar) et le milieu représenté (celui des flics, des petits voyous et des prostituées), c'est déjà un film-somme, l'un de ceux qui donne le plus de clés pour comprendre le cinéma de Claude Sautet. Car derrière le côté solaire du cinéaste célébrant les joies du groupe et de la convivialité, il y a une ombre solitaire, froide comme la mort et c'est elle que j'ai vue d'abord*.

En effet "Max et les ferrailleurs" est une tragédie de l'échec et de l'impuissance (quoi qu'en ait dit Sautet lui-même car son cinéma repose sur le non-dit). L'extraordinaire composition de Michel Piccoli (à mon avis l'un de ses plus grands rôles) permet de voir peu à peu remonter à la surface les failles de Max, celles qui se cachent sous son flegme apparent et qui finissent par lui exploser à la figure, le laissant en lambeaux. Car Max est une bombe à retardement et dans le rôle de la mèche il y a l'incendiaire Lily (Romy Schneider) qui elle aussi se défait peu à peu du rôle social qu'elle interprète pour finir aussi défaite que Max à qui elle finit par rendre son humanité, en y mettant le prix fort.

La bourgeoisie dans le film est présente à travers le personnage de Max dont on sait qu'il est le fils d'une riche famille de vignerons et que ce n'est pas avec ce qu'il gagne comme inspecteur qu'il peut se permettre de traîner avec des tas de billets dans la poche ou de s'acheter un appartement qui lui sert de couverture en un claquement de doigts. D'ailleurs la scène où il retrouve Abel (Bernard Fresson), son ancien camarade de régiment devenu le leader d'une bande de petits délinquants de banlieue permet de mesurer toute la distance sociale qu'il y a entre eux depuis qu'ils sont retournés à la vie civile. A la convivialité de la bande, filmée au café ou sur les chantiers qui fleurissaient alors dans la ville de Nanterre en mutation s'oppose la solitude glaciale du flic psychorigide aussi muré en lui-même que le majordome des "Vestiges du jour" de James Ivory**.

Mais pourtant Max qui ne supporte pas l'échec a déjà commencé sa descente aux enfers en renonçant à son métier de juge faute d'avoir pu prouver la culpabilité d'un prévenu. Et au début du film, on apprend que devenu inspecteur, il a de nouveau échoué à prendre en flagrant délit un groupe de truands ce qui en fait la risée du commissariat. On devine l'étendue de sa frustration. La rencontre avec Abel qu'il n'a pas vu depuis dix-sept ans (et qu'il ne reverra pas d'ailleurs) lui donne alors une idée machiavélique: lui suggérer de monter un gros coup avec sa bande qu'il orchestrera de A à Z par l'intermédiaire de la petite amie d'Abel, Lily, une prostituée dont il devient le client régulier. Mais dans ce domaine là encore, Max s'avère frappé d'impuissance. Alors qu'il est en présence de l'une des plus belles femmes du monde faisant le "plus vieux métier du monde", il reste étrangement froid, distant et repousse ses avances, se contentant de lui donner de l'argent pour qu'elle lui tienne compagnie ou de la photographier lors d'une soudaine montée de fièvre ou plutôt de "pulsion scopique"***. Le fait qu'il se serve d'elle pour monter son coup ne peut expliquer cet étrange comportement qui ressemble à une autopunition. D'autant que Lily finit quand même par le toucher, physiquement et psychologiquement. Avec des conséquences irréversibles. En effet en manipulant les autres, Max creuse sans s'en rendre compte sa propre tombe et il n'est guère étonnant qu'il finisse par perdre le contrôle et tomber avec eux, déversant sa rage et son impuissance dans la décharge de son révolver sur le commissaire joué par François Périer.

* Pascal Jardin a dit du cinéma de Sautet qu'il était une fenêtre ouverte sur l'inconscient et c'est bien en cela qu'il n'a rien à voir avec les films de potes divertissants et superficiels qui peuplent le cinéma français et qu'il échappe également à son temps et à son milieu pour acquérir une portée universelle et intemporelle.

** Max préfigure Stéphane, le personnage principal de "Un cœur en hiver" tout aussi froid, secret et orgueilleux (il croit échapper aux sentiments en manipulant ceux des autres alors qu'il s'autodétruit) .

*** La femme désirable que l'on regarde mais que l'on ne peut pas toucher revient comme une obsession chez Sautet, notamment dans ses deux derniers films (tous deux avec Emmanuelle Béart qui remplace Romy Schneider alors décédée).

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Les Etreintes brisées (Los abrazos rotos)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2009)

Les Etreintes brisées (Los abrazos rotos)

 "Les Etreintes brisées" est un film sur le cinéma, celui qui a nourri Pedro Almodovar mais aussi celui qu'il a créé. En effet il s'autocite (ou plutôt s'autoparodie) dans la mise en abyme du tournage de "Filles et valises" qui est un remake inavoué de "Femmes au bord de la crise de nerfs" utilisant le même format et dans lequel rien ne manque, ni le lit brûlé, ni le gaspacho aux somnifères, ni le dangereux séducteur, ni Rossy de Palma qui vient faire un cameo comme d'autres actrices emblématiques du cinéaste. Par exemple dans "Les Etreintes brisées", Lola Duenas n'est pas doubleuse comme l'était Carmen Maura dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" mais elle lit sur les lèvres ce que dit Lena (Penelope Cruz) pendant le tournage de "Filles et valises" et le rapporte à Ernesto, son amant jaloux qui la soupçonne de le tromper avec le réalisateur, Mateo Blanco. Ernesto la fait donc filmer à son insu entre les prises par son fils, Ernesto junior. Car "les Etreintes brisées" y va aussi à fond dans la pulsion scopique façon Hitchcock ou De Palma ou Powell ("Le Voyeur" est cité explicitement et Léna porte même des yeux comme motif sur ses boucles d'oreille). Sauf que si Ernesto senior est le macho type qui n'hésite pas à pousser Lena dans les escaliers pour qu'elle n'appartienne pas à un autre, son fils qui reste longtemps sous son emprise est un gay mal dans sa peau qui va peu à peu affirmer le caractère réparateur de sa caméra et s'émanciper de la tutelle de son père (au point de changer de nom pour le pseudo "Ray X"). C'est grâce à son film et à la confession de Judit, l'agent de Mateo Blanco qui a préservé les bobines de "Filles et valises" au nez et à la barbe d'Ernesto que celui-ci va sortir des limbes en tant que réalisateur. En effet son accident d'automobile en le privant de la vue et de sa muse l'avait dépossédé de son identité, ne lui laissant que son pseudo d'écrivain de séries B, Harry Caine. Enfin c'est Mateo qui sort Lena de son statut de prostituée en la transformant en icone, mi Audrey Hepburn, mi Marilyn Monroe (et lorsqu'il a perdu la vue, on découvre qu'il est également très sensible à la voix de Jeanne Moreau). Une icone dont l'amour pour Mateo est immortalisé par le film d'Ernesto junior qui comme Mateo Blanco est un double d'Almodovar (dans un parallèle avec "Voyage en Italie" sur les amants de Pompéi dont l'étreinte éternelle tranche avec l'éloignement du couple formé par Ingrid Bergman et George Sanders.) "Les Etreintes brisées" est donc un mélodrame sirkien redoublé par un méta-film en forme de labyrinthe mental peut-être un peu trop cérébral et sophistiqué mais néanmoins très intéressant à suivre.

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Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1957)

Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet)

"Le Septième Sceau", l'un des grands classiques d'Ingmar Bergman est traversé par la même dichotomie que son chef d'œuvre testamentaire "Fanny et Alexandre". D'un côté la joie de vivre et la fantaisie portée par le monde du spectacle forain (la bonne chère et les belles filles peu farouches en prime)*, de l'autre une religion mortifère avec ses représentants dévoyés (ici un prêtre pesteux voleur et violeur), son iconographie terrifiante captée dans une série de plans picturaux saisissants (allégorie de la mort en grande Faucheuse jouant aux échecs avec un chevalier revenu des croisades, danse macabre, vanités, processions de flagellants), ses références bibliques (l'Apocalypse d'où provient le titre) et sa chasse aux sorcières (qui est postérieure au Moyen-Age mais que l'on assimile à ces "temps obscurs"). Cette dichotomie est celle de Bergman lui-même, fils d'un pasteur luthérien rigoriste du même type que celui du film "Le Ruban Blanc" de Michael Haneke** et en même temps passionné de théâtre et de cinéma. "Le Septième Sceau" est l'un de ces grands films de contraires qui se touchent illustrant la phrase d'Agnès Varda à propos de "La Jeune fille et la mort" de Hans Baldung Grien, " La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort". Ainsi le chevalier (Max Von Sydow) est à l'intersection de ces deux forces contraires puisqu'il est hanté par la mort mais qu'il cherche aussi un sens à la vie, des réponses à ses questions existentielles et métaphysiques avant que cette dernière ne l'emporte.

* On retrouve la foi dans l'art des comédiens forains comme antidote à la mort dans le film de Jacques Demy "Le Joueur de flûte" qui se déroule également au Moyen-Age pendant une épidémie de peste.

** L'enfance de Bergman et "Le Ruban Blanc" (film d'ailleurs très influencé par Bergman) sont deux parfaits exemples de ce que Alice Miller appelait la pédagogie noire c'est à dire les sévices physiques et psychologiques infligés aux enfants "pour leur bien" (extirper le péché de leur être pour en faire des incarnations vivantes des idéaux puritains) avec les conséquences terribles qui en découlent, certains considérant "Le Ruban Blanc" comme une allégorie du nazisme. Bergman a réalisé un des films que je considère parmi les plus terrifiants sur ce thème, "L'Œuf du Serpent".

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Portrait de la jeune fille en feu

Publié le par Rosalie210

Céline Sciamma (2019)

Portrait de la jeune fille en feu

Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je me suis ennuyée ferme devant le quatrième film de Céline Sciamma. Il est certes esthétiquement très soigné et comporte quelques passages inspirés. Le meilleur est à mon avis celui qui donne le titre au film avec un chœur nocturne de femmes autour d'un feu qui provoque l'étincelle (au sens propre aussi d'ailleurs!) dont le film manque par ailleurs cruellement. Mais pour le reste on nage dans "l'art pour l'art" et la théorie du féminisme plus que dans le féminisme lui-même. Je veux dire par là que Céline Sciamma ne réussit pas à incarner ses idées. A cela plusieurs raisons:

- D'abord, elle ne s'intéresse pas du tout à l'époque ni au milieu dont elle parle qu'elle utilise comme une toile de fond abstraite (avec pour cadre une île presque déserte et des intérieurs quasi vides). Elle a sans doute choisi le XVIII° siècle pour des raisons esthétiques et parce que la vision obscurantiste qu'elle en donne fait selon elle mieux ressortir les problématiques féminines qu'elle traite (règles, grossesse, avortement, mariage arrangé, accès à une carrière artistique, amours lesbiennes)*. Pourtant le XVIII° ne se réduit pas dans les milieux aisés (ceux que dépeint Céline Sciamma dans son film) à la figure de Cécile de Volanges sortie du couvent pour être aussitôt mariée sans son consentement. Le XVIII° est aussi un siècle riche en figures féminines fortes que ce soit dans le domaine artistique (Mme de Staël pour les lettres, Mary Wollstonecraft pour la philosophie, Elizabeth Vigée-Lebrun pour la peinture sans parler de toutes celles qui recevaient le gratin des Lumières dans leurs salons bourgeois pour des discussions de haute volée comme Mme Geoffrin ou Mme Lambert), politique (Olympe de Gouges et sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Théroigne de Méricourt et ses amazones) et voit même apparaître une grande mathématicienne, Emilie du Châtelet qui fit connaître Newton en France et dont la vie fut par ailleurs aussi libre que celle de Mme de Merteuil dans "Les Liaisons dangereuses". En fait le XVIII° fut un siècle bien plus favorable aux femmes d'esprit que le XIX° qui à partir du code Napoléon les enferma dans le cadre étroit du mariage (ou de la prostitution) et les priva de la plupart de leurs droits. J'ajoute que là où le prétexte historique atteint des sommets, c'est dans la relation avec la jeune servante qui du jour au lendemain devient la grande copine des deux jeunes filles (le cliché de la solidarité féminine joue à plein) d'autant qu'elle aussi est une pure abstraction (je ne pense pas que les servantes bretonnes de cette époque parlaient le français par exemple).

- Ensuite parce qu'il y a un gros problème de crédibilité avec Adèle Haenel. Qui franchement peut croire deux secondes qu'il s'agit d'une oie blanche de 14-15 ans (âge auquel les jeunes filles des classes aisées étaient sorties du couvent pour être mariées)? Sans parler du fait que sa manière de parler ne nous plonge pas vraiment dans l'aristocratie du XVIII°. Mais bon, ça pourrait passer si au moins elle était juste dans les émotions et sentiments qu'elle exprime. Or ce problème de crédibilité concerne aussi l'amour et la sexualité, pas un instant la réalisatrice ou l'actrice ne nous font ressentir qu'il s'agit d'une première fois avec tout le questionnement et le bouleversement qui peut accompagner ce moment dans la vie d'une adolescente (mais Adèle Haenel n'en étant pas une, ceci explique cela). Sa partenaire, Noémie Merlant est plus juste dans son jeu mais elle aussi apparaît trop contemporaine, une fille d'aujourd'hui costumée comme au XVIII° mais ayant gardé sa coupe de cheveux et ses manières du XXI°. Et la relation censée être passionnelle entre Marianne et Héloïse est jouée de façon si peu sensuelle qu'elle semble déconnectée des intentions qui la sursignifient: la robe qui s'enflamme ou l'orage d'été des quatre saisons de Vivaldi. Je soupçonne Céline Sciamma d'avoir voulu en réalité faire un méta-film lesbien sur une relation entre une créatrice (elle-même) et sa muse (Adèle Haenel) mais si c'est cela c'est plutôt prétentieux car désolé mais Céline Sciamma n'est pas (du moins pour l'instant) au niveau d'Ingmar Bergman, Alfred Hitchcock, David Lynch, Jean Cocteau ou côté féminin, Jane Campion (quelques unes des références citées dans son film avec l'opposition entre une blonde et une brune, des plans à la "Persona", des références à Orphée et Eurydice et une scène de chute dans la mer pour récupérer une toile qui fait penser à "La Leçon de Piano"). 

* Un problème qui existait déjà dans son précédent film sur le thème des banlieues "Bande de filles" plus esthétisant que juste et s'éparpillant un peu dans toutes les directions: "qui trop embrasse mal étreint".

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