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Articles avec #lumet (sidney) tag

Daniel

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1983)

Daniel

La ressortie en salles le 24 juin en version restaurée de "Daniel", film méconnu de Sidney LUMET frappe d'emblée par ses similitudes avec l'un de ses films les plus aboutis "A bout de course" (1988) réalisé cinq ans plus tard. Dans les deux cas, des parents activistes d'extrême-gauche compromettent l'avenir de leurs enfants qui subissent les terribles conséquences des choix de leurs parents. Si "Daniel" est resté dans l'ombre, c'est d'abord parce qu'il a été un gros échec au box-office et ensuite parce qu'il est porté par des acteurs peu connus bien que Amanda PLUMMER qui joue Susan, la soeur de Daniel ait par la suite acquis une certaine notoriété avec des films comme "Fisher King" (1991) et surtout "Pulp Fiction" (1994). On peut aussi ajouter qu'à la différence de "A bout de course", c'est la noirceur qui l'emporte en dépit des quelques touches d'espoir apportées par le personnage principal (joué par Timothy HUTTON).

"Daniel" est l'adaptation par E.L. Doctorow de son livre "The book of Daniel" qui s'inspire de l'affaire Rosenberg. Ceux-ci, un couple de juifs new-yorkais communistes avaient été accusés d'espionnage au profit de l'URSS en pleine chasse aux sorcières maccarthyste et exécutés en 1953. Dans le film de Lumet, Julius et Ethel Rosenberg sont renommés Paul et Rochelle Isaacson. Le film navigue entre plusieurs époques principalement celle des années cinquante lorsque les parents sont arrêtés, jugés et exécutés, laissant leurs deux enfants orphelins et celle de la fin des années soixante lorsque ceux-ci devenus adultes se confrontent à ce terrible héritage. Dès la première scène, on découvre que Susan et Daniel n'ont pas réagi de la même manière face au traumatisme qu'ils ont subi. Daniel s'est adapté et a reconstitué dès qu'il a pu une famille autour de lui alors que Susan qui n'est pas parvenu à tourner la page est une marginale révoltée qui s'abîme jusqu'à l'autodestruction dans son chagrin et sa colère. La déchéance de sa soeur pousse Daniel à se remémorer le passé et à tenter de découvrir la vérité au sujet de ses parents. Mais à l'image de l'affaire Rosenberg, Lumet et Doctorow conservent des zones d'ombre autour du couple afin de ne pas éluder leur part de responsabilité dans ce qu'ils ont infligé à leur progéniture, à la fois abandonnés et instrumentalisés (par les soutiens de leurs parents). En revanche, peu de films sont parvenus à dénoncer la peine de mort avec autant de force que celui-ci. Dès son premier film, "Douze hommes en colere" (1957), Sidney LUMET est apparu comme un cinéaste engagé mettant en lumière les dysfonctionnements des institutions américaines et particulièrement de sa justice. Le procès des Isaacson est montré comme joué d'avance, reposant sur des bases fragiles (un seul témoignage à charge). Leur exécution, filmée frontalement selon un rituel d'une froideur clinique fait penser à la distanciation par la technique des mises à mort nazies. Quant au traumatisme vécu par les enfants, deux scènes les condensent avec force: la dernière entrevue en prison où la lumière ambrée du passé devient celle, froide, du présent par la mise en scène d'un irréparable éclatement. Et la tentative vouée à l'échec des enfants de retourner dans leur ancien logis dont il ne reste plus rien.

Dommage que le film comporte certaines lourdeurs inutiles (les gros plans de Daniel racontant les différentes techniques de mise à mort selon les époques par exemple) et que l'enquête de ce dernier soit si peu développée en dehors d'une séquence forte avec le dénonciateur et sa fille.

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Scarface

Publié le par Rosalie210

Brian de Palma (1983)

Scarface

"Scarface" est un film énorme, fruit de la rencontre de trois génies du cinéma alors au sommet de leur art: Al PACINO, Oliver STONE et Brian DE PALMA. Et on peut même doubler la mise si on ajoute les créateurs du film original auquel est dédié le remake, Howard HAWKS et Ben HECHT sans oublier l'idée de génie de Sidney LUMET (premier réalisateur pressenti) de transposer l'histoire originale dans le milieu de la pègre cubaine à Miami. Le résultat est un film culte qui réussit la fusion entre la tragédie antique et shakespearienne et le grand-guignol pop et kitsch. Tragédie par les thèmes abordés (l'ascension et la chute implacable d'un caïd de la drogue empêtré dans des contradictions insurmontables, sa jalousie incestueuse vis à vis de sa soeur qui s'inspire de l'histoire des Borgia) mais traitement outrancier, caricatural qui tourne en dérision le rêve américain et par extension, la réussite capitaliste. Tout n'est que mensonge, vacuité, sauvagerie et vulgarité bling-bling. De ce point de vue, Tony Montana est l'antithèse absolue de Michael Corleone et bien que l'on sache qu'ils sont incarnés par le même acteur, il est impossible de les confondre. Personnages bigger than life, ils ont droit tous les deux à une sortie théâtrale mais là où le second inspire selon les propos d'Aristote la terreur et la pitié, le premier n'est qu'un risible bouffon qui gesticule le nez dans la semoule ou plutôt la coke et n'a que trois mots à son vocabulaire (dont le mot "fuck", répété 182 fois!) La bêtise du bonhomme qui tombe dans tous les panneaux du mirage américain n'a d'égale que sa sauvagerie incontrôlée. Celui-ci allant logiquement de frustration en déception au fur et à mesure que ses illusions se dissipent avance inéluctablement vers sa propre fin. J'ai pensé au court-métrage diffusé récemment sur Arte "Camille" qui raconte par la bouche d'une petite fille la chute de Jérôme Kerviel qui croyait "tenir le monde par les couilles". Le globe terrestre orné de la formule "The world is yours" qui orne le hall de la villa de Tony Montana en est un avatar. On sait quel traitement Charles CHAPLIN a réservé à ceux qui se prennent pour les maîtres du monde. Tony Montana a oublié que la formule qu'il a fait graver sur le globe, il l'a d'abord aperçue sur un ballon dirigeable qui a fini par lui exploser à la figure, libérant le néant qui l'habitait.

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Serpico

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1973)

Serpico

Bien que "Serpico" soit un cran en dessous du chef-d'oeuvre qu'est "Un après-midi de chien" (1975) en ce qui concerne la tension dramatique il a en commun avec lui une histoire tirée de faits réels, un regard critique sur la société américaine, un style documentaire percutant et une figure centrale d'inadapté social porté par un Al PACINO intense. Dire que Serpico est un flic intègre qui part en croisade, tel un Don Quichotte des temps modernes contre la corruption qui gangrène à tous les étages l'institution pour laquelle il travaille est un résumé superficiel du film. Le réduire à cet aspect, c'est en effet passer à côté du personnage. Ce que Sidney LUMET filme avant tout, c'est le parcours d'un homme qui ne s'intègre pas au nom de son intégrité et qui donc de ce fait est profondément seul. Dans le film, il n'existe véritablement qu'un personnage qui est proche de lui, celui du commissaire: il symbolise le juif errant qui reconnaît en Serpico une figure christique et le pousse à assumer jusqu'au bout les conséquences de sa quête de justice et de vérité: "si nous obtenons des inculpations, il faudra que vous soyez témoin" (sous-entendu, quitte à en payer le prix). Les autres attendent de lui qu'ils se fondent dans un rôle: celui du flic ripoux qui présente bien afin de ne pas ternir l'image de la police, celui de l'époux et du père pour ses petites amies successives qui ne semblent pas imaginer pouvoir vivre par elles-mêmes. Or Serpico fait exactement l'inverse car il est incapable d'être autre chose que lui-même. Par conséquent il n'entre pas dans les cases. Son look hippie de plus en plus affirmé au fur et à mesure que les années passent (très semblable à celui de John LENNON) et son style de vie bohème détonent dans le milieu. Une des meilleures scènes du film le montre dans sa prime jeunesse participant à une soirée étudiante avec sa petite amie Leslie dont un des amis lui dit qu'elle n'est excitée que par les intellectuels et les génies. Pas étonnant qu'il ait bien du mal à croire que Serpico soit flic. A l'inverse, les ragots sur son homosexualité supposée circulent chez ses collègues de travail autant par son refus d'utiliser la violence sur les détenus que par sa culture qu'il ne cherche pas à dissimuler, y compris lorsqu'elle a des connotations efféminées. Une fois de plus, on constate que l'image est le cadet de ses soucis et que son parcours dans la police est une succession de faux pas qui l'amènent à s'aliéner à peu près tout le monde. D'autant qu'en découvrant qu'il ne peut obtenir aucun secours d'une hiérarchie qui couvre les agissements véreux de ses employés, il les balance à la justice et aux médias devenant ainsi un traître. Le film de Sidney LUMET par-delà le contexte de sa réalisation en pleine contre-culture contestataire a ainsi toujours un caractère actuel, Serpico étant un lanceur d'alerte d'avant l'ère numérique.

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Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1975)

Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Je n'avais jamais vu ce film et je n'avais aucune idée de ce qu'il contenait. L'effet n'en a été que plus fort. Dès les premières minutes, ce qui m'a frappé, c'est qu'alors que les trois hommes n'ont encore rien fait de concret, il y a déjà écrit "loser" sur leur front: leur air hagard, leurs hésitations, la décision de l'un d'entre eux de rebrousser chemin juste avant de dépasser le point de non-retour, tout cela donne d'emblée l'impression d'un coup improvisé par des amateurs un peu paumés. Ce que la suite vient confirmer. A contre-emploi par rapport à "Le Parrain" (1972) avec son regard mouillé et embrumé, sa pâleur et ses cheveux ébouriffés Al PACINO se retrouve dans la peau d'un personnage qui a certainement inspiré Francis VEBER pour la séquence du hold-up commis par Pierre RICHARD jouant un chômeur désespéré dans "Les Fugitifs" (1986) où il accumule tant de gaffes que la police a tout le temps de se rendre sur les lieux, l'obligeant à prendre un otage en toute hâte. C'est exactement ce qu'il se passe dans "Un après-midi de chien": le braquage tourne court tant les malfaiteurs rivalisent de malchance et de maladresse et ils se retrouvent assiégés à l'intérieur de la banque par la police, le FBI, les journalistes et les badauds avec leurs otages. Le spectacle peut commencer.

C'est seulement à ce moment-là en effet que le film prend sa véritable dimension, celle qui l'ancre profondément dans son époque tout en lui donnant une portée visionnaire. "Un après-midi de chien", c'est le huis-clos caniculaire de "Douze hommes en colère" (1957) dans le bouillon de la contre-culture et sous les projecteurs du tribunal médiatique. Comme si Sidney LUMET-Henry FONDA tendait la main cette fois au Ratso de "Macadam cowboy" (1968) en lui donnant une tribune pour s'exprimer. Et pour cause! Dans cette histoire tirée de faits réels, la presse décrivait l'homme ayant inspiré le personnage de Sonny comme étant très proche du physique de Al PACINO et de Dustin HOFFMAN. Et c'est la crainte qu'il ne lui échappe au profit de son rival qui fit que Al PACINO (qui avait déjà joué pour Lumet dans "Serpico") (1973) accepta le rôle de cet homme dépassé par les événements et qui est amené à devenir le porte-voix des sans voix, ceux-ci étant admirablement symbolisés par la figure mutique et indéchiffrable de Sal (John CAZALE) qui semble emmuré en lui-même. Pourtant on apprend aussi que Sonny et lui-même sont des vétérans du Vietnam et l'on devine entre les lignes que comme Travis Bickle, ils n'ont jamais réussi à se réinsérer. Enfin la sexualité de Sonny, faite d'errance entre une normalité opprimante et une marginalité jetée en pâture aux médias est ce qui est à l'origine de son "coup de folie".

Le film, proche par son dispositif du documentaire offre une critique sociale et sociétale saisissante de l'Amérique au travers notamment de sa police, de sa justice, de ses médias et de ses valeurs morales puritaines. La disproportion flagrante du rapport de forces entre l'énorme cavalerie déployée autour de la banque et l'allure minable des deux braqueurs fait que, à l'image des otages, l'on prend fait et cause pour eux. Cette disproportion n'est que le reflet des inégalités sociales dont Sonny et Sal sont les victimes. C'est ce que met en évidence le moment où Sonny sort avec un mouchoir blanc à la main et se retrouve aussitôt braqué par des dizaines d'hommes. Lorsqu'il hurle "Attica!"* prenant la foule à témoin, il devient le porte-parole des "damnés de la terre" et il en va de même lorsque la raison de son geste désespéré est dévoilée sur la place publique. D'un côté, il est jugé, humilié, conspué, violé dans son intimité (un thème qui fait écho à l'époque paranoïaque du film et notamment à "Conversation secrète" (1974) où jouait aussi John CAZALE), de l'autre, l'homosexualité, le mariage gay et la transexualité (thème encore jamais abordé dans le cinéma en dehors des films underground) peuvent enfin s'exprimer au grand jour comme un abcès que l'on crève, Sonny devenant à son corps défendant aussi le porte-parole de cette humanité en souffrance à qui il clame son amour et qui le lui rend bien. La dimension christique de Sonny rejoint celle de Pacino qui s'est abîmé pour le rôle au point d'avoir réellement fini à l'hôpital (et d'avoir compris qu'il fallait laisser de côté quelque temps le cinéma pour sauver sa peau) alors que la fiction se nourrissant du réel et vice versa, c'est l'argent du film qui a permis au véritable Sonny de financer l'opération de sa femme trans, de même que sa lutte existentielle lui a sans doute sauvé la vie.

* Allusion à une mutinerie dans la prison d'Attica en 1971 en raison de l'assassinat d'un militant des Black Panthers par des gardiens lors d'une tentative d'évasion, le tout sur fond de racisme et de conditions de détention indignes. Le mouvement se termina dans un bain de sang (39 morts).

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Le Groupe (The Group)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1966)

Le Groupe (The Group)

"Le Groupe" c'est le "8 Femmes" (2002) de Sidney LUMET mais dans un état d'esprit totalement différent de François OZON. Il ne s'agit pas de s'amuser avec les mythes du cinéma à la façon d'une partie musicale de Cluedo mais de dépeindre l'état d'une société à une époque critique de son histoire (les années 30 et le début des années 40) au travers d'un panel de jeunes femmes que l'on découvre dans les premières images fraîchement diplômées d'une prestigieuse université prêtes à conquérir le monde mais que l'on retrouve près d'une décennie plus tard dans un cortège funéraire à l'occasion de l'inhumation de l'une d'entre elles. Autrement dit "Le Groupe" aurait pu s'intituler "Les grandes espérances déçues" tant le désenchantement y est palpable. Un désenchantement individuel et collectif qui raconte d'ailleurs mieux les années 60 (celles de la réalisation du film) que les années 30 (époque à laquelle celui-ci est censé se dérouler). Le talent de Sidney LUMET à mettre en scène des films choraux (ici au féminin) se vérifie dans l'analyse sans concession qu'il fait des relations entre les jeunes femmes du groupe. Il met bien en évidence par exemple la contradiction entre une solidarité affichée et la profonde solitude qui est réalité le lot de chacune des filles, aucune ne se montrant aux autres son vrai visage, d'autant que la bienveillance affichée dissimule son lot d'hypocrisies et de commérages. Si au début on a du mal à distinguer qui est qui d'autant que certains des membres du groupe portent des surnoms à consonance proche (Lakey/Libby, Pokey/Polly), la façon dont il agence l'individuel et le collectif ainsi que des analyses de caractère assez poussées fait qu'on a une idée assez précise de chacune d'elle à la fin. Pour ne prendre qu'un exemple*, il met subtilement en relation deux des filles du groupe, Kay et Lakey (encore deux prénoms/surnoms aux consonances proches). La première (Joanna PETTET) est mise en avant dès les premières images (qui montrent son mariage avec Harald) alors que la seconde (Candice BERGEN) au contraire est laissée dans l'ombre avant de disparaître en Europe une bonne partie du film. Il faut attendre la fin et l'explication orageuse entre Lakey et JR (ou plutôt Harald mais comment ne pas penser au personnage de la série "Dallas" (1978) en voyant Larry HAGMAN dans un rôle de mari volage et violent, alcoolique de surcroît) pour comprendre qu'il existait une alternative à l'enfer conjugal vécu par Kay mais qu'il ne pouvait se vivre que hors du champ de la caméra. Est-ce d'ailleurs un hasard si dans le cortège funéraire, Lakey qui ferme la marche est la seule à conduire sa propre voiture qui est de plus découverte et d'un rouge éclatant (alors que les autres sont noires évidemment)**?

*La richesse du film (qui dure 2h30) se mesure justement à celui de ses portraits. Il y aurait également de quoi dire sur Dottie (Joan HACKETT) qui par "désir mimétique" (un concept théorisé par René Girard) prend pour amant un ami d'Harald le soir même du mariage de Kay, Priss (Elizabeth HARTMAN) qui espère promouvoir les idées progressistes des démocrates et se retrouve comme elle le dit elle-même "objet d'expérience" d'un homme républicain qui s'approprie son corps en lui faisant des gosses à la chaîne et en l'obligeant à nourrir au sein alors qu'elle ne le peut pas ou encore sur Polly (Shirley KNIGHT) qui se retrouve à jouer l'infirmière et la confidente de son père maniaco-dépressif et d'un homme marié qui utilise la psychanalyse pour s'exonérer de ses responsabilités ou encore sur Libby (Jessica WALTER) la cancanière du groupe qui se la joue vamp mais ne supporte pas d'être touchée par un homme.

** Alors que dans la scène du mariage de Kay, on voyait au contraire Lakey pleurer et s'absenter d'une partie de la fête.

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Douze hommes en colère (Twelve angry men)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1957)

Douze hommes en colère (Twelve angry men)

Film magistral de par la maîtrise de sa mise en scène et ses qualités d'écriture et d'interprétation, "12 hommes en colère", le premier film de Sidney LUMET est une éclatante démonstration de ce que le huis-clos théâtral filmé "en temps réel" peut apporter au cinéma en terme de tension dramatique et de profondeur émotionnelle, psychologique et réflexive.

La vie ou la mort d'un homme est l'enjeu du film. Son sort dépend de la décision de 12 personnes tirées au sort qui doivent délibérer et prendre une décision à l'unanimité. Les dés ne pourraient pas être davantage pipés: l'accusé est un petit délinquant pauvre et issu d'une minorité ethnique, l'avocat qui a été commis d'office s'est contenté d'assurer le service minimum, les jurés sont certes issus de milieux disparates mais tous bien intégrés, WASP et tous masculins. Certains parmi eux se basent non sur les faits (ou plutôt leur interprétation, discutable) mais sur leur subjectivité irrationnelle (préjugés, projection) En plus il fait une chaleur accablante et le ventilateur de la salle des délibérations ne fonctionne pas. Certains parmi les moins scrupuleux ne pensent qu'à en finir au plus vite et se rangeront à l'avis de la majorité.

Toutes ces failles nous sont révélées peu à peu au fur et à mesure que le débat progresse. Car il y a débat par la "faute" d'un seul homme (Henry FONDA, le juré n°8) qui ose se dresser contre les autres. Il a des doutes et le doute suffit pour invalider la peine de mort. Peu à peu, il va développer courageusement ses arguments avec méthode (c'est un architecte qui, à l'image du scénariste construit son argumentation comme une maison, pierre après pierre) et retourner un par un les autres jurés, trouvant en son voisin (juré n°9) un précieux allié de par son expérience et sa finesse d'observation. Si certains comportements désolent par leur désinvolture, indécision ou étroitesse d'esprit, d'autres forcent l'admiration. Le film est donc une étude passionnante de la part d'humanité (bonne et mauvaise) qui intervient dans les décisions de justice. Plus le film avance, plus les plans se resserrent, individualisant les uns et les autres pour une série saisissante de portraits dressant un panorama assez représentatif de la variété des comportements humains.

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A bout de course (Running on empty)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1988)

A bout de course (Running on empty)

« A bout de course » s’ouvre sur le défilement d’un ruban de bitume. Encore que sa progressive dissolution dans le noir puisse également signifier l’adieu à une époque, celle des seventies à la fois libertaires et engagées dont le road-movie est un symbole. En effet au bout de quelques minutes, on comprend qu’il s’agit de l’histoire d’une famille traquée par les agents du FBI pour un acte terroriste commis par les parents, militants de l’ultra gauche. Une quinzaine d’années auparavant, en 1971. Ils ont plastiqué un laboratoire du M.I.T (Massachussetts Institute of Technology) qui fabriquait du napalm pour l’armée américaine alors engagée dans la guerre du Vietnam. L’ironie du sort veut que cet acte violent commis au nom d’idéaux pacifistes ait mutilé un gardien, condamnant les parents à une vie d’errance perpétuelle. Au contexte américain où la mobilité est un fait de société (il n’est pas rare qu’une famille déménage 30 fois au cours de son existence au gré d’offres de boulots souvent temporaires) s’ajoute les origines juives communistes d’Arthur le père (Judd HIRSCH) qui donne à cette odyssée un caractère biblique. Annie la mère (Christine LAHTI) ayant renié son milieu bourgeois d’origine en rompant le contact avec ses parents a accepté de faire corps avec le destin du père… du moins jusqu’à un certain point.

Car cet aspect de l’histoire reste en arrière-plan, telle une épée de Damoclès suspendue au-dessus des personnages. On a même tendance même à oublier par moments leur statut de clandestins en cavale tant le film s’attache à dépeindre leur quotidien et non leurs moments de rupture. Ce qui intéresse Sidney LUMET et ce qui rend ce film inoubliable, ce sont les répercussions du drame sur les enfants. Obligés de changer d’identité, d’apparence et de déménager tous les six mois, comment peuvent-ils se construire et se projeter dans l’avenir ? Doivent-ils payer pour une faute qu’ils n’ont pas commise au nom de l’unité du « clan » obligé de se serrer les coudes dans l’adversité ? Cette loyauté qui les condamne au silence n’est-elle pas incompatible avec la rébellion propre à l’adolescence, indispensable pour s’autonomiser ? C’est tout le questionnement qui traverse le personnage central de Danny, le fils aîné de 17 ans, merveilleusement interprété par River PHOENIX. Pour caractériser ses contradictions internes, outre une magnifique scène impressionniste entre ombre et lumière, Sidney LUMET fait apparaître sur la porte d’un placard un poster de Charles CHAPLIN, la star du muet et juste derrière, un poster de James DEAN, le symbole de la jeunesse rebelle des années 50 (identification renforcée a postériori par le fait que River Phoenix comme James Dean est mort très jeune). D’autre part se pose la question de la transmission. Ironiquement (là encore), le seul véritable héritage que reçoit Danny est celui de sa mère Annie (car du côté du père, derrière une idéologie révolue il n’y a qu’un trou béant). En effet Sidney LUMET montre qu’il est impossible de faire table rase du passé. Celle-ci a eu beau couper tout contact avec ses parents, elle a emporté avec elle un clavier de piano, symbole de ses talents musicaux et elle l’a transmis à Danny qui s’avère être un musicien surdoué. Il n’est pas surprenant qu’elle finisse par éprouver le besoin de renouer les liens avec son père pour lui confier l’avenir de son fils lors de l’une des scènes les plus fortes du film. Cette évolution d’Annie était déjà perceptible lors des retrouvailles avec Gus (L.M. Kit CARSON) l’un de ses camarades activistes resté figé dans le radicalisme de sa jeunesse et qui lui reproche de s’être embourgeoisée (parce qu’elle a fondé une famille et qu’elle refuse de le suivre dans un nouveau « coup » dont l’issue tragique ne fait aucun doute). Subtilement, Sidney LUMET renvoie dos à dos les deux systèmes, celui du réseau activiste révolutionnaire et celui de la cellule familiale en ce qu’ils privent les individus de leur libre-arbitre. Alors que les parents se sont engagés très jeunes dans une voie dont ils payent à vie les conséquences, leur fils se sent tellement lié à eux qu’il ne se donne pas l’autorisation de s’engager dans une voie qui lui serait propre. En même temps, le film dépeint le moment clé où celui-ci découvre que son talent peut lui ouvrir une perspective d’avenir distincte de ses parents en étant remarqué par son professeur de musique et en tombant amoureux précisément de sa fille alors que l’attachement en dehors du clan lui est en principe interdit (comme le montre l’abandon du chien dans la séquence d’introduction). Quant à l’accusation « d’embourgeoisement » émise par Gus et par le père de Danny à propos de la vie de famille et de la passion de la musique classique, elle tombe d’elle-même à partir du moment où les « vieux » ont confisqué de façon contre-nature la rébellion qui est le privilège de la jeunesse. La fin tragique de Gus et l’errance sans but de la famille de Danny (« Running on empty » comme le dit le titre en VO, ils tournent à vide) montre que ce choix de vie nihiliste n’en est pas un. Danny ne peut sortir de son aliénation familiale qu’en restant sur place et en prenant racine quelque part. Le tout avec l’aide de sa mère mais aussi de son père qui s’avère moins psychorigide qu’il n’en a l’air. La mort de Gus a souligné que leur existence était une impasse et il aime suffisamment son fils pour lui laisser une chance d’en construire une qui ne le soit pas : « Va changer le monde. Nous avons essayé ».

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Le Crime de l'Orient-Express (Murder on the Orient-Express)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1974)

Le Crime de l'Orient-Express (Murder on the Orient-Express)

Le remake récent de Kenneth BRANAGH a fait ressortir l'aspect volontairement suranné du film de Sidney LUMET réalisé en 1974. Celui-ci, bien connu pour son éclectisme, a en effet décidé de donner un cachet de classique des années 30 à son film (pour coller à l'époque de la narration du roman de Agatha Christie) plutôt que de l'ancrer dans le bouillonnement créatif des années 70 dont il était pourtant partie prenante. En résulte un résultat un brin nostalgique, l'impression d'être dans une bulle artificiellement hors du temps dans laquelle il est agréable de se plonger.

En effet cette partie de Cluedo élégante et racée se déguste avec plaisir de par le nombre de grandes stars présentes au mètre carré: Lauren BACALL en grande dame un peu fofolle, Ingrid BERGMAN en bigote, Sean CONNERY en colonel, Anthony PERKINS en proie au complexe d'Œdipe 14 ans après "Psychose" (1960), Jean-Pierre CASSEL pour la touche frenchy, Vanessa REDGRAVE, Jacqueline BISSET, Michael YORK etc. Leurs personnages sont plus intéressants qu'ils n'en ont l'air car ils sont dichotomiques. En apparence, ils ressemblent tous à de lisses images d'Epinal à collectionner mais leurs regards perçants, gestes nerveux incontrôlés et changements parfois brusque d'expression révèlent les êtres réels qui se cachent derrière le rôle qu'ils interprètent. De même l'aspect ludique et mécanique de l'enquête repose sur un substrat tragique très bien souligné dans la séquence introductive et également dans le dénouement qui fait écho au premier film de Sidney LUMET, "Douze hommes en colère" (1957). En effet s'il faut chercher un fil conducteur à son œuvre (dont le caractère disparate est un frein à sa lisibilité), c'est sa critique des institutions (policière, judiciaire, politique, médiatique) et son intérêt pour les gens qui par leurs fonctions ont la responsabilité d'autres vies entre leurs mains. Le policier Hercule Poirot (Albert FINNEY vieilli pour ressembler à un homme de plus de 50 ans) choisit ainsi de sacrifier la vérité pour mettre fin à l'hécatombe en vies humaines provoquée par l'affaire Cassetti alors que les 12 jurés improvisés mettent la leur en danger pour que justice soit rendue.

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