Daniel
Sidney Lumet (1983)
La ressortie en salles le 24 juin en version restaurée de "Daniel", film méconnu de Sidney LUMET frappe d'emblée par ses similitudes avec l'un de ses films les plus aboutis "A bout de course" (1988) réalisé cinq ans plus tard. Dans les deux cas, des parents activistes d'extrême-gauche compromettent l'avenir de leurs enfants qui subissent les terribles conséquences des choix de leurs parents. Si "Daniel" est resté dans l'ombre, c'est d'abord parce qu'il a été un gros échec au box-office et ensuite parce qu'il est porté par des acteurs peu connus bien que Amanda PLUMMER qui joue Susan, la soeur de Daniel ait par la suite acquis une certaine notoriété avec des films comme "Fisher King" (1991) et surtout "Pulp Fiction" (1994). On peut aussi ajouter qu'à la différence de "A bout de course", c'est la noirceur qui l'emporte en dépit des quelques touches d'espoir apportées par le personnage principal (joué par Timothy HUTTON).
"Daniel" est l'adaptation par E.L. Doctorow de son livre "The book of Daniel" qui s'inspire de l'affaire Rosenberg. Ceux-ci, un couple de juifs new-yorkais communistes avaient été accusés d'espionnage au profit de l'URSS en pleine chasse aux sorcières maccarthyste et exécutés en 1953. Dans le film de Lumet, Julius et Ethel Rosenberg sont renommés Paul et Rochelle Isaacson. Le film navigue entre plusieurs époques principalement celle des années cinquante lorsque les parents sont arrêtés, jugés et exécutés, laissant leurs deux enfants orphelins et celle de la fin des années soixante lorsque ceux-ci devenus adultes se confrontent à ce terrible héritage. Dès la première scène, on découvre que Susan et Daniel n'ont pas réagi de la même manière face au traumatisme qu'ils ont subi. Daniel s'est adapté et a reconstitué dès qu'il a pu une famille autour de lui alors que Susan qui n'est pas parvenu à tourner la page est une marginale révoltée qui s'abîme jusqu'à l'autodestruction dans son chagrin et sa colère. La déchéance de sa soeur pousse Daniel à se remémorer le passé et à tenter de découvrir la vérité au sujet de ses parents. Mais à l'image de l'affaire Rosenberg, Lumet et Doctorow conservent des zones d'ombre autour du couple afin de ne pas éluder leur part de responsabilité dans ce qu'ils ont infligé à leur progéniture, à la fois abandonnés et instrumentalisés (par les soutiens de leurs parents). En revanche, peu de films sont parvenus à dénoncer la peine de mort avec autant de force que celui-ci. Dès son premier film, "Douze hommes en colere" (1957), Sidney LUMET est apparu comme un cinéaste engagé mettant en lumière les dysfonctionnements des institutions américaines et particulièrement de sa justice. Le procès des Isaacson est montré comme joué d'avance, reposant sur des bases fragiles (un seul témoignage à charge). Leur exécution, filmée frontalement selon un rituel d'une froideur clinique fait penser à la distanciation par la technique des mises à mort nazies. Quant au traumatisme vécu par les enfants, deux scènes les condensent avec force: la dernière entrevue en prison où la lumière ambrée du passé devient celle, froide, du présent par la mise en scène d'un irréparable éclatement. Et la tentative vouée à l'échec des enfants de retourner dans leur ancien logis dont il ne reste plus rien.
Dommage que le film comporte certaines lourdeurs inutiles (les gros plans de Daniel racontant les différentes techniques de mise à mort selon les époques par exemple) et que l'enquête de ce dernier soit si peu développée en dehors d'une séquence forte avec le dénonciateur et sa fille.