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Articles avec #court-metrage tag

Du côté de Robinson (Les Mauvaises fréquentations)

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1964)

Du côté de Robinson (Les Mauvaises fréquentations)

Le cinéma de Jean EUSTACHE voit souvent double. Que l'on pense à "Une sale histoire" (1977) où la même scène se répète à la virgule près, dans un genre d'abord fictionnel puis documentaire, à moins que ce ne soit l'inverse. Même principe pour "La Rosiere de Pessac" (1979), précédé d'un documentaire identique une décennie auparavant ("La Rosiere de Pessac") (1968). "Du côté de Robinson", son premier film achevé fait ainsi la paire avec "Le Pere Noel a les yeux bleus" (1966), les deux films étant réunis sous le titre "Les Mauvaises frequentations" (1964). Jean EUSTACHE avait suivi le tournage de "La Boulangere de Monceau (1962)" dont il a repris certains des lieux de tournage, de même qu'il existe une certaine parenté avec "La Carriere de Suzanne" (1963), les deux moyens-métrages de Eric ROHMER se répondant en miroir comme les films de Eustache. Néanmoins, s'il gravite dans le sillage de la nouvelle vague et en reprend certains éléments comme le tournage en décors naturels avec une caméra légère, Jean EUSTACHE est un électron libre n'ayant pas les mêmes origines sociales et géographiques et ne se reconnaissant que très peu dans ce mouvement (Jacques ROZIER mis à part). D'ailleurs il a tourné le film avec de l'argent dérobé dans les caisses des Cahiers du cinéma par sa femme qui y travaillait, de même que "Le Pere Noel a les yeux bleus" (1966) a été tourné avec des chutes de la pellicule de "Masculin feminin" (1966) ce qui est révélateur de son statut marginal au sein du mouvement. Comme en écho, "Du côté de Robinson" met en scène deux dragueurs désargentés et désoeuvrés qui écument les bars et les rues de Paris à la recherche de "souris". Mais comme dans tous les films à venir de Jean EUSTACHE, la quête s'avère infructueuse, les deux hommes ne sachant guère s'y prendre ce qui génère une intense frustration, compensée par le vol du portefeuille de la femme qui les a éconduit. Une impuissance nihiliste propre à Eustache imprègne déjà ce film de jeunesse encore hésitant mais où son talent pour le documentaire saute aux yeux avec nombre de séquences tournées dans les rues, les bars et les dancings de la capitale, particulièrement à Montmartre.

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Le Père noël a les yeux bleus (Les Mauvaises fréquentations)

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1966)

Le Père noël a les yeux bleus (Les Mauvaises fréquentations)

En dépit de son titre, le film de Jean EUSTACHE n'est pas vraiment un film de noël. Si les fêtes de fin d'années sont bien évoquées, c'est plutôt sous leur versant désenchanté. En réalité, "Le père noël a les yeux bleus" est un prolongement de "Mes petites amoureuses (1974). Un segment hivernal, en noir et blanc et sous forme de court-métrage qui pourrait être le pivot central d'une trilogie autobiographique s'achevant sur "La Maman et la putain" (1973). C'est en effet déjà Jean-Pierre LEAUD qui joue le double du cinéaste, un jeune homme pauvre qui galère entre boulots précaires et petite délinquance, et traîne avec ses amis à la manière de "Les Vitelloni" (1953) aux quatre coins de la cité narbonnaise, filmé de manière documentaire (le film est dédié à Charles TRENET, autre natif du lieu). La mise en abyme de cette précarité financière est assez remarquable quand on pense que le film a été tourné avec des chutes de pellicule de "Masculin feminin" (1966) cédées par Jean-Luc GODARD. Comme dans ses autres films, cette souffrance sociale se traduit par une grande frustration vis à vis des filles qu'il convoite sans parvenir à les approcher ou alors si maladroitement qu'il se fait rabrouer. Il attribue ses échecs au costume, signe de statut social et se met en quête d'un travail afin de s'acheter un duffle-coat, le manteau alors à la mode. Mais c'est déguisé en père noël pour le compte d'un photographe qu'il découvre que les filles qui le snobaient se montrent beaucoup plus avenantes à son égard, l'autorisant à se montrer entreprenant. Seulement dès qu'il tombe le masque, elles le rejettent à nouveau. La scène finale où avec ses amis il s'éloigne dans la rue en concluant qu'il ne lui reste plus qu'à aller au bordel, leurs voix se perdant dans le lointain est d'une grande amertume.

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Les Photos d'Alix

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1980)

Les Photos d'Alix

"Les Photos d'Alix" est l'un des derniers films de Jean EUSTACHE, tourné un an avant sa mort. On y voit en un étrange miroir une de ses amies, la talentueuse photographe Alix Clio-Roubaud, décédé jeune elle aussi trois ans plus tard commenter un jeu de ses photographies en compagnie du fils de Jean EUSTACHE, Boris EUSTACHE alors âgé d'une vingtaine d'années. Un spectateur non averti ne peut qu'être surpris par l'évolution du film. Alors que dans sa première partie, Alix fait un commentaire classique de ses photos, racontant le contexte de leur réalisation, identifiant les personnages, expliquant les effets artistiques recherchés, insensiblement, un décalage se fait jour entre l'image et le son au point que ce qu'elle raconte finit par ne plus rien à voir avec ce qu'elle montre. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux libres associations images-mots des tableaux de René Magritte d'autant que l'une des photographies ressemble beaucoup à la composition de "Le Modèle rouge" (Mi chaussures/Mi pieds humains). A travers ce dispositif de désynchronisation, le spectateur est donc invité à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se dit et à faire travailler son propre imaginaire pour combler les lacunes de ce qui est donné à voir. Et ce d'autant que Alix Clio-Roubaud est une conteuse formidablement charismatique qui suscite un trouble visible chez Boris EUSTACHE, ses commentaires revêtant un fort caractère à la fois exotique (l'importance des voyages où reviennent régulièrement la Corse, Londres et New-York) et intime (l'enfance, les amours, la sexualité, les paradis artificiels). On remarque aussi combien ce film présente de similitudes avec "Une sale histoire" (1977). Un conteur, un auditoire, un espace imaginaire, troublant et poétique, un temps suspendu, celui du récit, un temps retrouvé, celui des souvenirs. Au point même que dans "Les photos d'Alix", l'une d'elles fait penser à "La Jetee" (1963), "Ceci est une image d'enfance".

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Une sale histoire

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1977)

Une sale histoire

" Rétines et pupilles
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles

Et la vie toute entière
Absorbés par cette affaire
Par ce jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
(...)

On en fait beaucoup
Se pencher, tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument ".

Oui il y a beaucoup de ça dans "Une sale histoire", récit d'une obsession racontée d'abord par un comédien professionnel (Michael LONSDALE) puis par celui qui est censé l'avoir sinon vécue du moins écrite (Jean-Noel PICQ) de façon quasiment identique ce qui redouble l'obsession tout en brouillant les repères entre documentaire et fiction. Les deux mots clés, "sale" et "trou" sont polysémiques. Ils renvoient au lieu du récit, les toilettes, plus précisément à leur cuvette. Ils renvoient au sexe féminin observé par le voyeur alors que la femme est en train d'uriner sans parler d'un autre trou jamais évoqué directement, celui de la défécation. Ils renvoient au trou de la serrure par lequel en se prosternant sur le sol souillé, le voyeur peut satisfaire sa pulsion scopique. Ils renvoient aussi à un trou noir, celui de la dépression qui guette le voyeur, enfermé dans sa névrose et au néant de ses relations avec les femmes, réduites à leur trou. Le trou, c'est aussi celui d'une représentation impossible autrement que par la parole, l'ouïe étant selon les dires de Jean-Noel PICQ qui cite Sade l'organe majeur de l'érotisme.

L'intérêt du film réside moins dans son contenu qui fleure bon les conversations d'il y a cinquante ans où il était de bon ton de choquer le bourgeois avec des propos crus mais énoncés avec une diction parfaite, un niveau de langue recherché et par la bouche de dandys germanopratins raffinés et décadents que dans ses interrogations sur les limites du cinéma et également de la libération sexuelle. Le besoin de recréer une forme de transgression dans une société l'ayant officiellement abolie ainsi que la description pathétique des collègues de bistrot s'adonnant à la même addiction perverse laisse entrevoir un paquet de frustrations non résolues. D'ailleurs le café est comparé à un cinéma porno, royaume de la masturbation. Les critiques envers les femmes "constipées" qui exigent tout un protocole social avant de se dénuder ne donne pas une image très heureuse des rapports entre les sexes. Enfin en prenant le parti de tout dire et de ne rien montrer, le film interroge la difficulté du cinéma à retranscrire visuellement la sexualité. Ainsi aussi scabreux soit-il, "Une sale histoire" renvoie au mal-être de "Mes petites amoureuses" (1974) d'autant que le poème de Rimbaud qui donne son titre au film donne une vision sadique et répugnante de la sexualité:

" Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron;

J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiments;
Hop donc ! Soyez-moi ballerines
Pour un moment !

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent,
Tournez vos tours !

Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !

Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
− Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons."

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Vilaine fille, mauvais garçon

Publié le par Rosalie210

Justine Triet (2011)

Vilaine fille, mauvais garçon

Le premier film de fiction de Justine TRIET est un court-métrage réalisé deux ans avant son premier long-métrage, "La Bataille de Solferino" (2013). Il raconte la rencontre de deux losers trentenaires lors d'une soirée chez des amis et leurs pérégrinations nocturnes, point commun avec "La Bataille de Solferino" (2013). Néanmoins ce n'est pas la colère qui constitue l'émotion dominante du court-métrage mais plutôt la tristesse. Laetitia (Laetitia DOSCH) et Thomas (Thomas LEVY-LASNE) connaissent des situations très similaires. Ils n'arrivent pas à se faire une place dans leurs activités artistiques respectives ("Je suis un artiste engagé...nulle part" fait dire Thomas à son personnage dessiné ce qui est une bonne définition du problème) et n'ont pas réellement non plus d'espace privé. Thomas vit avec son père et son grand-père dans un appartement exigu et encombré et Laetitia vit avec son frère schizophrène qui est ingérable. Malgré la différence de tonalité avec "La Bataille de Solférino", l'impossibilité à communiquer s'avère commune aux deux films. Au lieu de se rencontrer, Laetitia et Thomas se retrouvent renvoyés à leurs solitudes respectives. Il faut dire que si l'on est attentif, on observe que Thomas et son personnage dessiné ne font qu'un. Il ne repousse pas Laetitia mais c'est elle qui sous l'emprise de l'alcool lui impose son flot de paroles puis s'invite chez lui alors qu'il reste passif ou met des écrans entre elle et lui. Lorsque Laetitia retourne chez elle au petit matin et s'écroule seule sur son lit, le seul décor chaleureux du film (qui sinon baigne dans un blanc clinique), un coucher de soleil exotique s'avère être du papier-peint, bref une illusion.

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Pruning the Movies

Publié le par Rosalie210

Anonyme (1915)

Pruning the Movies

Cet excellent court-métrage, découvert aujourd'hui dans le cadre d'une conférence consacrée au code Hays est une charge satirique contre la censure qui sévissait aux USA depuis le XIX° siècle avec la loi Comstock contre l'obscénité qui touchait aussi bien la contraception que l'expression artistique. Il s'agissait d'élever moralement les migrants qui entraient par millions à cette époque aux USA en leur inculquant les valeurs américaines puritaines des WASP. Donc "exit" l'immoralité sous toutes ses formes (drogue, alcool, délits et crimes, luxure, nudité...). Le film "Pruning the Movie" dont on ne connaît pas le réalisateur fait partie d'une série de courts et de longs métrages se moquant ouvertement de la censure sortis dans les années 10. Un notable (inspiré d'un véritable censeur de l'époque) réunit un comité pour décider des coupes à effectuer dans un film pas encore sorti sur les écrans. C'est vraiment très drôle, on voit d'abord la scène non censurée puis la réaction choquée des spectateurs, notamment une mémère prude assise à côté du censeur, puis un carton indiquant le changement à faire, carton souvent plein d'ironie ("coupez cette jambe"! "coupez ce couteau"!), puis on voit la scène retouchée qui en devient parfois loufoque ou absurde, notamment lorsque le "brigand" devenu un "fripon" porte des coups à une femme à l'aide de fleurs puis l'endort en versant de l'huile de ricin dans son verre (en lieu et place de la drogue illicite initiale). Vraiment délicieusement impertinent.

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Same players shoots again

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1967)

Same players shoots again

Rareté récemment restaurée, "Same players shoots again" deuxième court-métrage de Wim WENDERS alors étudiant à l’Hochschule für Fernsehen und Film München (la Haute école de télévision et cinéma de Munich). Quelques images en noir et blanc de "Schauplätze" son premier film réalisé la même année mais perdu se retrouvent au début et à la fin de "Same players shoots again" sans qu'il n'y ait de solution de continuité avec le reste sinon ce que l'imagination du spectateur peut en faire. Ces quelques images sont suffisamment énigmatiques pour que l'on puisse créer un nouveau scénario avec. Celles du début montrent une pièce avec une télévision allumée et des bouteilles d'alcool vides traînant sur la table puis la silhouette d'un homme sortant d'une cabine téléphonique. Celles de fin montre un homme rouler en voiture à travers la campagne avec à l'arrière un passager mourant. Entre les deux, cinq fois le même plan, un travelling latéral suivant un homme armé d'une mitraillette coupé au niveau des épaules. Celui-ci se déplace en titubant, d'abord lentement, puis de plus en plus vite. A chaque fois que le plan se répète, la couleur de l'image change: noir et blanche puis verte, puis jaune, puis rouge et enfin bleue. Wim WENDERS expérimente l'outil cinématographique en revenant aux sources du septième art. L'animation de corps en mouvement se répétant à l'infini fait partie du cinéma primitif et par ailleurs le film de Wim WENDERS est totalement muet. S'y ajoute le traitement de la couleur et une thématique, celle de la violence. Même si celle-ci reste hors-champ, tout l'indique: le titre, les bouteilles d'alcool vides, la mitraillette, la démarche hagarde de l'homme comme s'il était blessé et enfin le mourant à l'arrière de la voiture. Même avec un matériau aussi primitif, on baigne déjà dans une ambiance de thriller même si on est évidemment très loin de "L'Ami americain" (1977). A moins qu'à l'égal de "The Big Shave" (1967) réalisé la même année par Martin SCORSESE il ne s'agisse de dénoncer symboliquement la guerre.

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Les mauvais garçons

Publié le par Rosalie210

Elie Girard (2020)

Les mauvais garçons

"Les mauvais garçons", César du meilleur court-métrage en 2022 sort du lot pour au moins trois raisons qui font que l'on a envie de voir son réalisateur, Elie GIRARD passer au format long (ce qui est en cours de concrétisation):

- La beauté de la photographie, métier initial de Elie GIRARD. On est dans un quasi huis-clos, l'intérieur d'un kebab, les "1001 nuits", filmé en plan fixe et de nuit ce qui joue beaucoup dans l'atmosphère introspective et mélancolique du film.
- La présence de Raphael QUENARD dans l'un des rôles principaux (son partenaire, Aurelien GABRIELLI est excellent lui aussi).
- Une thématique universelle traitée certes du point de vue masculin mais qui peut tout autant concerner les "Bande de filles" (2014): le temps qui passe et défait les amitiés les plus fusionnelles à la façon du clip de Jean-Jacques Goldman, "Pas toi". Lorsque Victor, le pote de lycée de Cyprien et Guillaume leur annonce qu'il va être père et disparaît de leur vie, ces deux derniers se retrouvent plongés dans une crise existentielle. 40 minutes à réfléchir à ce qui a bien pu dysfonctionner pour qu'à trente ans passés ils se retrouvent aussi seuls. Le choc de voir leur ami construire sa famille les oblige à regarder en face le désastre de leur propre vie sentimentale. Non sans humour certes car leurs déboires ont quelque chose de comique et de pathétique à la fois. Elie GIRARD ne cherche pas à enjoliver et montre la déprime et l'angoisse qui résultent d'une telle situation. Mais aussi le réconfort d'avoir quelqu'un avec qui partager son intimité.

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Elsa la rose

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1966)

Elsa la rose

Dans un style qui rappelle celui de "Cleo de 5 a 7" (1961) (un plan répété trois fois pour souligner l'émotion du souvenir cristallisé et reconstitué de la rencontre du couple Aragon/Triolet) mais aussi celui de "Les Plages d'Agnes" (2007) (le portrait-collage à base de fragments), Agnes VARDA utilise le pouvoir que lui donne sa caméra pour rendre à Elsa Triolet sa place de sujet aux côtés de Louis Aragon, elle qui fut trop souvent réduite au rôle de muse du poète. C'est d'ailleurs entre deux films sur le thème du couple "Le Bonheur" (1965) et "Les Creatures" (1966) qu'elle a réalisé "Elsa la rose". Des films montrant des épouses-objets ou des épouses-fonctions, sans aucune autonomie ni droit à la parole. Si on entend les mots de Louis Aragon, récités par Michel PICCOLI, on entend aussi ceux de Elsa Triolet et on la voit filmée et photographiée par d'autres yeux. Cela ne dit pas forcément qui elle est mais cela donne d'elle une image plus complexe et plus tangible avec un corps et une histoire, un passé qui lui appartient. D'ailleurs un des passages-clés du film réside dans ce petit dialogue:

"Varda : Tous ces poèmes sont pour vous. Est-ce qu’ils vous font vous sentir aimé ?
Triolet : Oh non ! Ce n’est pas ce qui me fait me sentir aimée. Pas la poésie. C’est le reste, la vie. Écrire l’histoire d’une vie, avec ses arrêts, ses aiguillages, ses signaux, ses ponts, ses tunnels, ses catastrophes..."

Première lauréate du prix Goncourt, Elsa Triolet est une artiste en couple avec un autre artiste et on ne peut s'empêcher de penser qu'à travers eux, Agnes VARDA interroge son propre couple avec Jacques DEMY.

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Salut les Cubains

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1963)

Salut les Cubains

Brillantissime court-métrage dans lequel Agnes VARDA prend le pouls de Cuba, quatre ans après la révolution ayant chassé Batista, le dictateur pro-américain au profit de Fidel Castro, le leader communiste. Elle emboîte ainsi le pas de son ami Chris MARKER qui avait réalisé peu après la révolution castriste un documentaire "Cuba si!" qui selon les propres dires du réalisateur tentait " de communiquer, sinon l’expérience, du moins le frémissement, le rythme d’une révolution qui sera peut-être tenue un jour pour le “moment décisif” de tout un pan de l’histoire contemporaine". Se gardant intelligemment de prendre parti (ce qui aurait tiré son film vers l'oeuvre de propagande), Agnes VARDA réussit à insuffler à son court-métrage un rythme endiablé et ce alors que celui-ci ne se compose que d'une suite de photographies. Là encore, on pense à Chris MARKER qui avec "La Jetee" (1963) presque entièrement composé d'images fixes était parvenu à tutoyer les cimes. Agnes VARDA donne vie aux milliers de clichés, pris sur le vif qu'elle a rapporté de l'île. Grâce au procédé du banc-titre utilisé dans le cinéma d'animation, elle parvient à recréer l'illusion du mouvement mais sans sa fluidité, celui-ci épousant le rythme saccadé des percussions accompagnant les musiques cubaines: rumba, son, guaguancó, guaracha… Un mélange d'Afrique, d'Espagne et de France (via les anciens esclaves évadés d'Haïti) que Agnes VARDA restitue à l'aide d'images et de sons se répondant parfaitement, scandé également par le commentaire off à deux voix, la sienne et celle de Michel PICCOLI. Le résultat est d'une vitalité à toute épreuve et témoigne également des talents d'observatrice de la réalisatrice qui revient à ses premières amours, la photographie et le documentaire tout en y insufflant une pulsation qui fait ressentir la joie de cette période d'émancipation collective.

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