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Le Théorème zéro (Zero Theorem)

Publié le par Rosalie210

Terry Gilliam (2013)

Le Théorème zéro (Zero Theorem)

Comme je le craignais, "Le Théorème zéro", troisième et dernier volet de la trilogie orwellienne de Terry GILLIAM après "Brazil" (1985) et "L Armée des douze singes" (1995) est raté. Il est à la fois laid et lourd. Le défaut majeur du film est de se placer toujours sur le même ton, celui d'une satire hystérique d'un monde aussi moche que vide de sens. On peut faire de bons films sur des mondes moches et vide de sens. Terry GILLIAM avait réussi à le faire dans "Brazil" (1985) grâce à sa foi dans le pouvoir de l'imaginaire (et de la création artistique). Sauf que "Le Théorème zéro" signe l'arrêt de mort de celles-ci. Le héros ne rêve plus, il a abdiqué et confié cette tâche aux machines omniprésentes qui le cernent de toutes parts. Conséquence, c'est le film lui-même qui devient moche et vide de sens. Il n'est qu'une succession de scènes rivalisant de mauvais goût tant l'esthétique est criarde et vulgaire, en un mot, kitsch. Tout est mis sur le même plan dans une espèce de fourre-tout recyclant pas mal d'idées présentes déjà dans "Brazil" (1985) (les caméras de surveillance, les espaces de travail compartimentés etc.) ou dans "L Armée des douze singes" (1995) (la visite médicale) qui étaient des films autrement mieux charpentés. Ce qui ressort de ce gloubi-boulga assez indigeste est l'impression que le film a été fait par un dépressif qui ne croit plus en ce qu'il raconte et qui se laisse donc aspirer par le trou noir qui l'obsède pour se retrouver épinglé sur un cliché de vacances paradisiaques sous photoshop.

Il n'y a qu'une chose que j'ai aimé dans ce film: son décor principal, la demeure de Qohen (Christoph WALTZ) qui est une église transformée en appartements geek. Le médiéval est l'un des thèmes récurrents de la filmographie de Terry GILLIAM et le mélange entre l'art religieux de cette époque et les hautes technologies est assez réussi, un système de contrôle en chassant un autre. Mais c'est à peu près la seule bonne idée du film avec peut-être cet autre décor en extérieur rempli de panneaux d'interdictions mais qu'il aurait fallu exploiter. L'aspect coercitif est bien peu développé au profit du grotesque burlesque et cartoonesque que Terry GILLIAM savait doser dans ses autres films mais qui là envahit tout jusqu'à l'épuisement.

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Graine de violence (Blackboard jungle)

Publié le par Rosalie210

Richard Brooks (1955)

Graine de violence (Blackboard jungle)

Démodé "Blackboard jungle" comme j'ai pu le lire ici et là? C'est le meilleur film que j'ai vu, le plus juste et le plus intelligent sur le monde de l'enseignement. Avant-gardiste à son époque, engagé, et ce dès le générique avec la diffusion de "Rock around the clock" de Bill Haley (genre alors à ses débuts et dont ce fut le premier "hit"), il est devenu d'une brûlante actualité au fur et à mesure que les problèmes évoqués dans le film à propos de l'éducation de la jeunesse défavorisée et multiethnique des "quartiers" new-yorkais ont gagné d'autres pays, le notre faisant partie des plus concernés aujourd'hui. Le déni du droit à l'éducation pour tous, le racisme sous toutes ses formes (tant de la société majoritaire vis à vis des jeunes issues des minorités que des jeunes entre eux), la violence endémique et les problème de délinquance ("juvénile" disait-on en 1955 car il y avait encore besoin de le préciser), le mépris vis à vis de l'enseignement professionnel mais aussi vis à vis des profs sous-payés (là non plus, rien de nouveau sous le soleil) les innovations pédagogiques qui depuis ont fait leur preuves (comme les enregistrements oraux pour les cours de langue, la projection de films ou les activités parascolaires) permettant de toucher un public rétif à l'enseignement traditionnel (dans le jargon de l'éducation nationale, ça s'appelle des "apprenants récalcitrants" ^^), les attitudes variées des professeurs vis à vis de leur classe (de garçons, l'école étant alors non-mixte) allant du despote se croyant à l'armée au laxiste dépassé ou cherchant à manipuler les élèves en jouant sur leurs sentiments, les qualificatifs pour la désigner ("fosse aux lions", "cage aux fauves", "jungle" et "dressage" faisant écho à celui de "sauvageons" pour désigner les jeunes issus des cités en France) tout, absolument tout tape dans le mille. A tout cela s'ajoute la qualité de l'interprétation avec un Glenn Ford habité par son rôle de professeur débutant mais pugnace qui cherche des solutions et refuse d'abandonner et un Sidney Poitier charismatique en potentiel "grand frère" alors au seuil d'une brillante carrière à une époque où être afro-américain était encore synonyme de ségrégation dans certains Etats (et dans le milieu du cinéma). De ce point de vue, la fin du film dans lequel le professeur Dadier et lui font un pacte en s'encourageant mutuellement à continuer à tracer chacun leur route pionnière résonne comme une mise en abyme puisque Sidney Poitier fut le premier afro-américain à remporter l'Oscar du meilleur acteur.

Et pour finir, je citerai cet extrait dans lequel le professeur Dadier parle de sa conception du métier en forme de réponse à un film qui lui est bien postérieur "La Vie d'Adèle" de Abdellatif Kechiche (film dans lequel, je le rappelle, l'héroïne d'origine prolétaire devient enseignante ce qui est regardé de manière condescendante par le milieu de bobos artistes qu'elle fréquente: elle ne fait "que" transmettre, elle ne "créé" pas, selon eux.)

" Je veux enseigner parce que je veux créer quelque chose. Je ne suis pas un artiste, un écrivain, un ingénieur mais je veux aider à former de jeunes esprits pour sculpter des vies. Enseigner pour moi c'est créer".

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Memento

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2000)

Memento

La mémoire qui flanche est le support de belles expériences cinématographiques. "Memento" ("Souviens-toi" en latin), deuxième long-métrage de Christopher Nolan est le film qui l'a révélé et qui contient en germe toutes ses oeuvres futures: distorsion du temps, structure cyclique et fragmentée façon puzzle, effacement de la frontière entre le réel et l'imaginaire, le vrai et le faux. Le début contient même un passage de rembobinage qui fait beaucoup penser au principe de "Tenet" lorsque la balle sort du crâne pour retourner dans le chargeur. Cependant, "Memento" tout en étant un thriller énigmatique fait surtout partager au spectateur la perception du monde du héros, Leonard Shelby (Guy Pearce) qui à la suite d'un traumatisme crânien causé par une agression souffre de troubles de la mémoire immédiate. Autrement dit, ses souvenirs postérieurs à l'agression dont il a été victime s'effacent à peine quelques minutes après qu'ils aient été vécus au présent comme le montre le générique qui utilise la métaphore de la photographie qui disparaît à peine imprimée sur la pellicule (et qui peut d'ailleurs faire penser à la durée d'exposition très brève d'un post sur les réseaux sociaux). Pourtant, Leonard n'est pas un homme sans passé puisqu'il se souvient (ou croit se souvenir) de tout ce qui s'est passé avant son agression. Et il n'est pas complètement perdu puisqu'il s'est donné une mission extrêmement simple: se venger de l'agresseur qui a tué sa femme et l'a handicapé à vie. Pour être sûr de ne pas perdre de vue son but et les faits saillants de son enquête, il les a fait tatouer à même la peau. Un moyen bien connu de se donner une identité quand celle-ci est incertaine. Et pour avoir un minimum de repères dans le présent, Shelby prend des polaroïds de sa voiture ainsi que des lieux et des gens qu'il fréquente (principalement "Teddy" et "Natalie" alias Joe Pantoliano et Carrie-Anne Moss tous deux également acteurs à la même époque dans "Matrix" qui présente certaines similitudes avec "Memento") et les annote. Néanmoins ces traces très fragmentaires s'avèrent de plus en plus sujettes à caution au fur et à mesure que le spectateur remonte le temps. Car le grand principe de "Memento"  est son montage à l'envers, chaque scène en couleur étant suivie de celle qui la précède immédiatement dans le temps. Un raccord sur quelques images identiques permet de faire le lien entre les scènes pour le spectateur. Entre chaque scène en couleur fonctionnant sur le principe d'une chronologie inversée, Christopher Nolan a inséré d'autres scènes, en noir et blanc cette fois, plus courtes et surtout qui défilent, elles, dans le sens de la marche du temps. Cette narration non linéaire est compensée par l'unité de lieu et d'action. Elle permet au spectateur de reconstituer le puzzle à la place du héros à la mémoire défaillante pour découvrir non seulement comment il est manipulé par les autres qui profitent de son handicap pour servir leurs intérêts mais aussi comment il se manipule lui-même pour répéter en boucle la mission qu'il s'est fixée, "rebootée" à peine terminée de façon à ne jamais plus pouvoir en sortir (un peu comme dans "Un jour sans fin" de Harold Ramis mais dans le registre du drame et non de la comédie). En cela, il préfigure les héros d'"Inception" et de "Interstellar" tellement pris dans la toile de leurs mondes parallèles qu'ils ont bien du mal ensuite à atterrir et à retrouver le sens des réalités.

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Voyage au bout de l'Enfer (The Deer hunter)

Publié le par Rosalie210

Michael Cimino (1978)

Voyage au bout de l'Enfer (The Deer hunter)

"Voyage au bout de l'enfer" est un titre bien réducteur par rapport à celui d'origine "Le Chasseur de cerf" ("The Deer Hunter"). Qu'on l'apprécie ou non, le fait est qu'il s'agit d'un des plus importants films jamais réalisés non sur la guerre du Vietnam en particulier (dont la représentation confine à l'abstraction et donc à l'universalité) mais sur l'épreuve que constitue toute guerre et les conséquences qu'elle provoque chez l'être humain, à l'échelle individuelle mais aussi collective. Sa double structuration est pour beaucoup dans la portée du film: trois temporalités d'une heure à peu près chacune (avant, pendant, après) comme autant d'actes d'une pièce de théâtre et deux échelles: celle de la communauté, celle de l'individu. D'autre part, une bonne part de la fascination et de l'empreinte durable laissée par le film est liée au fait que Michael CIMINO dépasse son sujet en tournant le dos au réalisme au profit du symbolisme. A travers les gouttes de vin sur la robe de la mariée "tombant sous la feuille en gouttes de sang", la chasse au cerf ou la roulette russe (qui a donné lieu à des critiques à côté de la plaque étant donné que justement, ce jeu de la mort fonctionne comme une allégorie et non comme un documentaire), le film s'élève jusqu'à une méditation morale et philosophique sur la perte d'une certaine forme d'innocence (ou d'ignorance? On parle bien "d'oie blanche") et les rapports entre l'homme et la/sa nature (d'où un titre en VO tellement plus approprié que celui en VF!)

La première heure fait penser à l'ouverture du premier volet de la trilogie de "Le Parrain" (1972). Pas seulement à cause de la présence de John CAZALE dont ce fut le dernier film et Robert De NIRO même si ce dernier n'apparaît que dans le deuxième volet. C'est surtout le procédé qui présente des similitudes. Il consiste à nous présenter les personnages au sein d'une cérémonie de mariage dans un milieu d'immigrés, ici russes. Ce caractère immersif permet au spectateur de cerner la relation de l'homme à son environnement socio-culturel, communautariste (Angela, la mariée est qualifiée "d'étrangère" par la mère du marié, sous-entendu étrangère à la communauté), grégaire et en même temps minoritaire et défavorisée dans le pays qui l'a intégrée. Les trois personnages centraux sont trois jeunes ouvriers métallurgistes destinés à devenir de la chair à canon pour les USA: c'est le sort que les pays impérialistes, grands foyers d'immigration réservent à tous leurs déclassés. En même temps, Michael CIMINO réussit l'exploit (avec l'aide des acteurs), à bien distinguer les trois profils. On comprend presque immédiatement la différence entre Mike (Robert De NIRO), Nick (Christopher WALKEN) et Steven (John SAVAGE). La maîtrise de soi du premier allié à son sens des responsabilités ainsi qu'un certain décalage par rapport aux logiques de groupe (qui portent justement à l'immaturité et l'irresponsabilité) le fait paraître bien plus âgé que le reste de la bande, Stan (John CAZALE) étant le plus immature. Mais Stan ne part pas au Vietnam contrairement à Nick et Steven dont la ressemblance physique (sans parler du fait qu'ils se sont partagés la même femme, l'un en tant que père de son enfant, l'autre en tant que mari) laissent penser qu'il s'agit en fait des deux facettes d'une même personne.

Tout le reste du film découle de cette première heure. L'épreuve de la violence extrême montre que Nick et Steven n'ont pas l'étoffe nécessaire pour y résister, chacun se désintégrant sous nos yeux, physiquement et/ou psychiquement. Une perte d'intégrité irréparable qui montre leur incapacité à affronter la réalité sans le filtre du groupe. Mike en revanche non seulement parvient à rester maître de lui et à faire face à tout ce qui lui arrive, y compris le pire, mais continue à soutenir ses compagnons plus fragiles sans parvenir pour autant à les sauver car Michael CIMINO montre que chacun est responsable de lui-même et ne peut éternellement se reposer sur les autres. "The Deer Hunter" est un film complètement nietzschéen. Les faibles, c'est à dire ceux qui se fondent dans le troupeau par peur de la réalité et du face à face avec eux-mêmes sont éliminés alors que les plus forts (au sens de force morale) en sortent encore renforcés ("ce qui ne me tue pas me rend plus fort"). Une fois de retour, Mike s'affirme en tant qu'adulte autonome en se rapprochant de Linda (Meryl STREEP) avec laquelle il amorce une relation de couple, en fuyant le grégarisme c'est à dire en assumant sa solitude irréductible et en manifestant un rapport à la nature non violent et non dominant (son deuxième face à face avec un cerf, à mon avis l'un des moments les plus importants du film). Son rejet catégorique des jeux dangereux à bases d'armes montre également à quel point son expérience a transformé sa relation à la virilité. Un message de sagesse qui dépasse sa communauté et son époque pour s'adresser à tout un pays gangrené par la violence. Et on voit bien l'intelligence d'avoir rendu la guerre quasi-abstraite car aujourd'hui le Vietnam appartient à l'histoire mais pas le culte des armes érigé au rang de mythe fondateur de la construction des USA, par des hommes cherchant à faire plier la nature et les autres hommes à leurs fantasmes de toute-puissance. Comme le dit Jean-Pierre Bernajuzan "en renonçant à tirer Mike renonce de fait à la chasse. Et s’il renonce à la chasse, il renonce aussi à son fusil, il n’en aura plus besoin. En fait, il renonce aussi aux armes (...) et aux dégâts qu'elles provoquent".

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Gilda

Publié le par Rosalie210

Charles Vidor (1946)

Gilda

Ariane, Sabrina, Laura, Eve, Rebecca... et Gilda. Les titres de grands classiques hollywoodiens portant des prénoms de femmes (en VO ou en VF) se divisent en deux catégories: ceux qui sont axés sur la métamorphose (Ariane, Sabrina et Eve) et ceux qui tournent au contraire autour d'une icône figée pour l'éternité. Certes, contrairement à Laura et Rebecca, Gilda n'est pas un portrait qui prend vie et s'émancipe (ou continue de hanter et vampiriser son entourage). Mais elle est bien une image de cinéma, une construction fantasmatique tant elle est fétichisée à l'extrême. Gilda ce n'est pas Rita Hayworth comme elle le disait d'ailleurs elle-même amèrement. Gilda c'est une chevelure de feu (perceptible même en noir et blanc) rejetée en arrière de façon provocante, une robe fourreau de soie noire faisant ressortir la blancheur laiteuse de la peau et la silhouette sculpturale et sensuelle de la dame en train de danser et de chanter "Put the blame on mame" et enfin et surtout un long bras ganté de noir que l'autre main dénude voluptueusement, faisant passer dans l'assistance (devant et derrière la caméra) un frisson érotique dont les réalisateurs actuels feraient bien de s'inspirer tant notre époque actuelle manque d'imagination à ce niveau là. La stupidité crasse du code Hays avait un avantage: sa stupidité justement. Et comme l'érotisme est basé sur la suggestion, le sous-entendu, la subtilité, ses gardiens se faisaient souvent berner sans même sans apercevoir.

Car "Gilda" est moins un grand film noir (l'intrigue, élaborée au jour le jour n'est pas ce qu'il y a de plus réussi avec ses répétitions et ses incohérences) qu'un grand film tout en non-dits sur la complexité du désir et des pulsions sexuelles circulant entre trois personnages: Johnny Farrel (Glenn Ford) le voyou-gorille de service, Ballin Mundson (George Macready) son patron aux manières aristocratiques et Gilda (Rita Hayworth), incendiaire femme du deuxième et ex du premier. Une ambiance trouble s'instaure entre ces trois personnages. Ballin joue les voyeurs en s'amusant à observer derrière les fenêtres de son bureau la relation tendue et pleine de fiel (et de désir) qui s'installe entre Gilda et Johnny. Gilda passe son temps à séduire le premier venu pour que Ballin et Johnny s'intéressent à elle. Comme avec Ballin c'est visiblement peine perdue (il prétend l'adorer... mais à distance, comme un fan avec son idole), elle se donne en spectacle pour susciter de la haine et de la jalousie chez Johnny. Celui-ci l'a en effet laissée tomber et semble plus motivé par le fait de protéger les biens de son patron que par son ex-fiancée. Quant le patron disparaît, il va jusqu'à prendre sa place (comme il le lui avait demandé) en gérant ses biens et épousant sa femme pour mieux la délaisser à nouveau tout en la faisant surveiller d'une façon maladive. Une bien étrange attitude pleine de paradoxes, tel cet amour-haine qu'il voue à Gilda et cette dévotion trouble vis vis de Ballin, lui-même pas très net. La scène de rencontre entre les deux hommes dans laquelle Ballin tire Johnny d'un mauvais pas à l'aide d'une canne-épée est d'un symbolisme aussi évident que le gant retiré à la manière d'un bas de soie sur une jambe parfaitement galbée.

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Cow boy

Publié le par Rosalie210

Delmer Daves (1958)

Cow boy

Jack LEMMON dans un western (ce sera d'ailleurs le seul de sa carrière), voilà qui surprend. Pourtant en réfléchissant un peu, ce n'est pas complètement absurde. Et ce pour deux raisons. D'abord parce que la comédie burlesque étant très physique, Jack LEMMON a les qualités lui permettant d'être crédible dans le far-west et ensuite parce que le film fonctionne comme une démythification du métier de cow-boy. Frank Harris (Jack LEMMON) est au début du film un réceptionniste d'hôtel qui pose un regard enfantin sur les cowboys durs à cuire qui viennent y prendre du repos. L'un d'eux, Reece (Glenn FORD, excellent) se charge de le ramener à la réalité, d'abord avec des paroles qui résonnent comme une douche froide puis avec des actes quand Frank Harris décide de s'engager à ses côtés pour convoyer du bétail. Le film qui commence comme une comédie devient alors un récit initiatique d'abord assez drôle (les déboires de Harris avec sa monture en particulier) puis le ton se durcit lorsque le réalisateur adopte un point de vue quasi-documentaire pour nous montrer l'étendue de la rudesse du métier de cowboy: la poussière, la chaleur, le confort plus que spartiate, les difficultés de la tâche consistant à convoyer un troupeau de milliers de bêtes, les multiples dangers (serpents, indiens voleurs de chevaux, emballement du troupeau). Mais le plus marquant reste l'état de deshumanisation voire de sauvagerie des cowboys qui adoptent des comportements individualistes révoltants voire dangereux. En dépit d'un final qui revient à la comédie de façon quelque peu artificielle lorsque Glenn FORD et Jack LEMMON deviennent amis en déteignant l'un sur l'autre, ce qu'on retient, c'est plutôt l'autodestruction de l'ex-shérif qui ne sait plus gérer les relations humaines autrement qu'avec un flingue. Peut-être aurait-il fallu davantage assumer ce ton sans concessions pour que le film atteigne sa pleine puissance au lieu de la désamorcer avec ce final conventionnel bien peu crédible. Il n'en reste pas moins que s'il n'est pas le meilleur western de Delmer DAVES, "Cow-boy" n'est pas non plus un film médiocre, il est rempli de scènes fortes et bien filmées (s'il y a si peu de films de convois de bétail c'est justement parce que c'est une gageure pour un cinéaste), pose un regard intéressant sur la réalité du métier de cow-boy et a un discours pertinent sur la question. Il n'est juste pas complètement abouti.

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Escrocs mais pas trop (Small time crooks)

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (2000)

Escrocs mais pas trop (Small time crooks)

"Escrocs mais pas trop" de Woody ALLEN ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable mais le fait de le revoir s'est avéré une bonne surprise. J'ai effet trouvé que le film s'était bonifié avec le temps (il a tout de même aujourd'hui plus de vingt ans!) Le thème balisé depuis "Le Pigeon" (1958) des bras cassés préparant un casse n'est en fait qu'un prétexte dissimulant le vrai sujet du film, celui du choc socio-culturel entre nouveaux riches bling-bling mais incultes (style Tuche à la sauce américaine bien que la référence de Woody ALLEN soit une série des années cinquante "The Honeymooners") et bourgeoisie mondaine et intello, incarnée par le so british Hugh GRANT. Et il s'avère qu'entre les deux mondes, le plus escroc n'est pas forcément celui que l'on croit. Si Woody ALLEN fait le service minimum en profiteur dépassé par les événements mais qui reste fidèle à sa nature de voleur à la ramasse, celle qui joue sa femme, Tracey ULLMAN et qui est à l'origine de leur succès avec son entreprise de cookies manifeste un bel abattage comique tout en nuançant son personnage en recherche de reconnaissance sociale et de capital culturel.

A noter également un casting rendant hommage aux acteurs de comédie anglo-saxonne sous toutes ses formes avec Tracey ULLMAN, star comique de la télévision américaine appariée à Hugh GRANT et à Elaine MAY, elle-même ancienne star comique en duo avec Mike NICHOLS (le réalisateur de "Le Lauréat" (1967), elle-même ayant réalisé plusieurs films dont "Ishtar" (1987) avec Isabelle ADJANI et "Mikey et Nicky" (1976) avec John CASSAVETES et Peter FALK). Enfin citons la présence parmi les hommes de la bande de "braqueurs", de Michael RAPAPORT, le futur Doug de la série "Atypical" (2017) dont la quatrième saison sort le 9 juillet 2021 sur Netflix. Pour l'anecdote, Woody ALLEN a par la suite employé une autre actrice jouant dans la même série, Brigette Lundy-Paine dans "L Homme irrationnel" (2015).

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Gagarine

Publié le par Rosalie210

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (2015)

Gagarine

Pour se faire une idée de la merveille qu'est le premier long-métrage de Fanny LIATARD et Jérémy TROUILH, il est possible de voir sur le net leur court-métrage au titre éponyme réalisé en 2015. Bien sûr, en quinze minutes et sur petit écran, le résultat n'est pas aussi grandiose mais il s'agit bien du prototype du film qui aurait été en compétition à Cannes si l'édition 2020 avait pu se tenir et qui sort au cinéma demain, 23 juin 2021.

"Gagarine" croise deux thématiques: la banlieue et la science-fiction. Le film est ancré dans un lieu unique, la cité Gagarine d'Ivry-sur-Seine, inaugurée en 1963 avec la visite du célèbre cosmonaute soviétique qui a donné son nom a la cité détruite en 2018 après des décennies d'abandon et de taudification comme nombre d'autres grands ensembles de la banlieue rouge. Les images d'archives de 1963 ouvrent le court comme le long métrage et rappellent que ces logements représentaient à l'époque d'un progrès social. En 2015 (pour le court-métrage) et 2018 (pour le long-métrage) on peut mesurer l'étendue de la dégradation des locaux. Paradoxalement le jeune Youri (en référence à Gagarine) qui a 20 ans dans le court-métrage se sent attaché à la cité et tente de la retaper à lui tout seul pour la sauver. Inutile de préciser qu'il plane très loin de la réalité ce que symbolise sa chambre dédiée à sa passion pour l'espace. Le court-métrage mettant en scène peu d'acteurs, il ne fait pas ressortir autant que le long-métrage le déchirement collectif que représente la décision (très politique) des pouvoirs publics de détruire la cité et de reloger les habitants plutôt que de la rénover. Youri apparaît juste comme un peu toqué alors que les quelques personnes qu'il croise ont toutes accepté voire espèrent cette issue. Par contre Youri est mieux entouré puisqu'il vit en famille avec notamment une mère aimante alors que son isolement est le facteur déclencheur de son expérience autarcique dans le long-métrage. On voit également l'esquisse des rêveries de Youri avec des séquences à la limite du fantastique jouant sur les lumières et les formes. Certains plans comme celui qui se réfère à "2001, l odyssée de l espace" (1968) sont repris à l'identique dans le long-métrage. Idem en ce qui concerne les mouvements de caméra qui font ressentir l'apesanteur. Et la dernière séquence dans laquelle la cité devient un vaisseau spatial est une belle variante de celle du long-métrage.

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La Flèche brisée (Broken Arrow)

Publié le par Rosalie210

Delmer Daves (1950)

La Flèche brisée (Broken Arrow)

J'aime beaucoup la sensibilité de Delmer Daves, particulièrement dans ses western. "La Flèche brisée" est sans doute celui qui est le plus connu. Pour au moins deux raisons. D'abord parce qu'il s'agit d'un plaidoyer humaniste, anti-raciste et pacifiste s'intéressant véritablement aux indiens et à leur culture (ce qui était le cas du réalisateur). Ce n'est pas le premier western montrant les indiens comme des hommes égaux aux colons européens et non comme des barbares, John Ford avait déjà ouvert la voie. Il n'en reste pas moins que "La Flèche brisée" a fait date dans ce domaine. D'autre part c'est aussi avec ce film et "Winchester 73", le premier des cinq magnifiques western qu'il a tournés avec Anthony Mann que James Stewart inaugure la seconde partie de sa carrière avec des compositions nettement plus sombres et torturées que celles qu'il proposait dans les comédies des années 30. Le contact rugueux du Far West fait surgir chez lui les éclairs de folie, les pulsions meurtrières (et sexuelles) sous la grande douceur qui le caractérise.

Bien que s'inscrivant dans les conventions hollywoodiennes (et ayant l'honnêteté de l'annoncer puisque la voix-off précise dès les premières secondes que les indiens parleront anglais -indiens qui par ailleurs sont joués par des blancs grimés-), le film, outre ses qualités esthétiques (voir la science du cadre de l'image par laquelle j'ai choisi de l'illustrer) tient en haleine de bout en bout et propose un discours remarquablement nuancé sur la question interraciale. Tiré de faits réels, il montre que les hommes de paix que sont Cochise et Tom Jeffords loin d'être des pleutres se retrouvent au contraire dans une position particulièrement délicate, dangereuse et inconfortable. Au sein de leur communauté, ils doivent affronter les sceptiques et surtout les extrémistes prêts à tout pour continuer la guerre jusqu'à l'anéantissement de l'ennemi (on entend d'ailleurs leurs propos typiques "avec nous ou contre nous", "un bon indien/blanc est un indien/blanc mort" etc.) En dehors, il leur faut gagner la confiance du camp opposé et trouver les bons interlocuteurs (le général Howard, antithèse du général Custer). Si l'autorité de Cochise est contestée (notamment par Geronimo dont la suite de l'histoire a montré hélas qu'il n'avait pas tort), Jeffords risque sa vie tant auprès des indiens qu'auprès de sa communauté d'origine. Et c'est comme nombre de héros chez Delmer Daves un homme seul (les premières images et les dernières ont dû inspirer celles de la BD de Lucky Luke remplie de références aux classiques du genre) qui ne parvient pas à trouver sa place dans la société. A "lonesome cowboy" désaffilié qui tombe amoureux d'une indienne mais leur amour est placé sous le signe de l'impossibilité. Aux USA, les couples mixtes sont particulièrement malmenés et encore aujourd'hui les statistiques ethniques catégorisent les individus selon leur "race" en niant les mélanges, résidus du passé raciste empreint de la phobie du métissage propre au pays.

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Astrid et Raphaëlle (saison 2)

Publié le par Rosalie210

Laurent Burtin, Alexandre de Seguins (2020)

Astrid et Raphaëlle (saison 2)

Alors, quel bilan tirer de la saison 2 de "Astrid et Raphaëlle" diffusée à raison de deux épisodes hebdomadaires entre mi mai et mi juin 2021? Qu'elle se situe dans la continuité de la saison 1 avant tout. Les intrigues policières font la part belle au mystère et à l'occulte, ça fonctionne plus ou moins bien selon les épisodes et les guest stars (l'exhumation de Gérard MAJAX créé un certain choc près de cinquante ans après "Le Grand blond avec une chaussure noire" (1972), on voit également apparaître Pierre PALMADE, Louisy JOSEPH, Emilie DEQUENNE etc.) mais ce n'est franchement pas ça qui fait l'intérêt de cette série. Celle-ci repose avant tout sur la relation de son duo complémentaire d'enquêtrices, la très rentre-dedans Raphaëlle (Lola DEWAERE) aux méthodes peu orthodoxes et la décalée Astrid (Sara MORTENSEN) qui est autiste asperger. Par rapport à la première saison, Astrid apparaît beaucoup plus intégrée et impliquée dans les enquêtes de la brigade criminelle ce qui met en lumière le principal problème qui en résulte: l'épuisement psychique, symbolisé par une jauge mesurée avec des haricots. Quand celle-ci est épuisée, Astrid est en situation de burn-out, la quantité d'énergie dépensée pour supporter l'univers neurotypique s'avérant colossale (très bien soulignée avec le bruit et l'agitation du commissariat qui s'oppose aux sous-sol des archives de la documentation criminelle dans lequel se trouve le QG d'Astrid). La relation entre les deux femmes paraît également plus équilibrée sur le plan affectif, la saison 2 insistant plus sur ce que Astrid apporte à Raphaëlle alors que cette dernière connaît des turbulences sur le plan familial et sentimental. Astrid elle-même montre davantage ses émotions et s'adapte mieux aux situations sociales y compris stressantes sous l'effet d'une meilleure estime/connaissance d'elle-même, de la perte de son tuteur qui l'a rendue indépendante, de l'amitié de Raphaëlle et des sentiments qu'elle éprouve pour le neveu du commerçant japonais chez qui elle fait ses courses, Tetsuo Tanaka. Le rapprochement avec cette culture très pudique, codifiée à l'extrême et peu tactile est très bien vu. Mais la série n'est pas angélique pour autant, le nouveau statut d'Astrid ne repose sur rien de légal et se retrouve donc menacé, posant un défi pour la prochaine saison.

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