Un retour d'expérience était nécessaire pour appréhender la filmographie de cet OVNI qu'est Quentin DUPIEUX dans le paysage cinématographique français. Le documentariste Charles Bosson a donc décidé de rencontrer le réalisateur et son équipe sur le tournage de "Daaaaaali!" (2022) alors que le secret autour de "Yannick" (2023) n'avait pas encore été éventé. Il a également enregistré de nombreux témoignages, notamment dans le décor qui a servi pour "Au Poste !" (2018), à savoir le siège du parti communiste. Une bonne idée, de même que les séquences avec Quentin Dupieux tournées dans une fromagerie ou avec Joan LE BORU, décoratrice et femme du réalisateur dans un bric à brac d'objets. Ces décors réels mettent en avant l'aspect artisanal du travail de Quentin Dupieux, souligné également par Olivier Alfonso, le créateur des effets spéciaux de ses films. Le ton était donné dès l'époque où Quentin Dupieux composait de la musique électronique réalisait des clips et des publicités pour Levi's. Sa marionnette, Flat Eric était à l'origine un simple gant de toilette et on retrouve tout au long de ses films le goût pour l'animation rudimentaire d'objets et de bestioles (du pneu Rubber à la mouche géante de "Mandibules" (2020) en passant par le rat baveur de "Fumer fait tousser") (2021). D'autres aspects de son travail sont évoqués, en particulier la précision des scénarios et des dialogues ainsi que du montage qui s'effectue pendant la fabrication du film. Paradoxalement si le cinéma surréaliste de Dupieux fonctionne c'est parce qu'il est le fruit d'un travail rigoureux. On remarque également qu'à l'image de sa musique faite de boucles sonores, son cinéma se déroule souvent en lieux clos (avec une dramaturgie de pièce de théâtre) ou prend la forme de circonvolutions temporelles. Un aspect resserré que l'on retrouve également dans la courte durée de ses métrages. Leur ton décalé est également rapidement évoqué, notamment par les comédiens récurrents de ses films comme Anais DEMOUSTIER, Blanche GARDIN ou Gregoire LUDIG. Un bon moyen de mieux comprendre l'univers de Quentin Dupieux.
"Fermer les yeux" est un film magnifique du trop rare Victor ERICE qui pour l'occasion retrouve Ana TORRENT qu'il avait révélé enfant dans "L'Esprit de la ruche" (1973) avant que son visage n'imprime la rétine du cinéma mondial trois ans plus tard dans "Cria cuervos" (1976).
De cinéma, il en est beaucoup question dans "Fermer les yeux" qui s'ouvre sur un film dans le film, "Le regard de l'adieu" dont le grain et le format n'est pas sans rappeler "L'Esprit de la ruche". On apprend assez vite que "Le regard de l'adieu", datant du début des années 90 est resté inachevé en raison de la disparition mystérieuse de l'acteur principal, Julio Arenas au cours du tournage. Vingt-deux ans plus tard (une ellipse temporelle qui se réfère à celle de trente ans durant laquelle Victor ERICE n'a pas tourné de long-métrage), le réalisateur du film, Miguel Garay, retraité, est contacté par une émission de télévision du style "Enquête exclusive" qui souhaite revenir sur la disparition de Julio Arenas. Celui-ci refait alors surface mais son âme elle semble s'être définitivement envolée. A moins que la magie du cinéma ne puisse lui faire retrouver la mémoire, ce à quoi va s'employer Miguel qui va remuer le passé et rouvrir bobines et cinéma jouant à la "Belle au bois dormant" pour projeter à Julio les extraits du film dans lequel il joua autrefois. "Fermer les yeux" est un acte de croyance envers le pouvoir du cinéma à faire revenir les morts à la vie et à restaurer les liens et de ce point de vue, la comparaison avec "Paris, Texas" (1984) m'a sauté au yeux. Seul le type de film diffère: un documentaire en super 8 dans "Paris, Texas", des séquences d'un film de fiction inachevé dans "Fermer les yeux" mais ce que l'on voit à l'image sont des retrouvailles par la médiation d'un tiers. Le frère dans le film de Wenders était le réalisateur du film et c'est lui qui réunissait le père et le fils et Miguel Garay en fait de même avec la fille de Julio. La mémoire du cinéma est également auditive, Julio semblant renaître en partageant une même chanson avec Garay qui semble être son double (un homme seul, vieillissant, fatigué, père avorté, vivant hors du temps en marge du monde). Le film tourné par Garay s'en fait le miroir, père et fille partageant également la même chanson. Et nous spectateurs ne sommes pas oubliés, le film est constellé de références cinématographiques, internes ou externes au cinéma de Victor ERICE. Ana TORRENT, cinquante ans après "L'Esprit de la ruche" (1973) revient lui faire écho de même que le film inachevé de Garay fait écho à celui que Victor Erice n'a pu réaliser "La Promesa de Shanghai". Wim WENDERS est omniprésent et pas seulement au travers de "Paris, Texas (1984)", les origines du cinéma sont évoquées avec "L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat" (1896) et l'une des plus puissantes citations provient encore d'une chanson "My rifle, my pony and me" chantée par Garay et ses voisins de campement qui par-delà "Rio Bravo" (1959) a valeur de signe de ralliement pour les cinéphiles du monde entier souhaitant communier dans la vaste église du cinéma.
C'est plutôt amusant de voir sur des images d'archives Marlene DIETRICH prétendre ne pas connaître Greta GARBO et rejoindre le concert de louanges convenu à son propos. Une excellente comédienne soucieuse de préserver son image tout en esquivant les questions qui fâchent se dit-on. La réalité fut en effet bien différente. Dans la collection "Duels" de France 5, le documentaire de Marie-Christine GAMBART nourri d'images d'archives et de témoignages de spécialistes se penche en effet sur la relation complexe des deux légendes hollywoodiennes d'origine européenne. D'un côté une certaine fascination et une volonté d'imitation (surtout de la part de Dietrich vis à vis de Garbo qui accéda au statut de star avant elle). De l'autre une rivalité féroce par studios interposés (la MGM pour Garbo, la Paramount pour Dietrich) mais aussi par conquêtes interposées, Dietrich qui collectionnait les aventures ayant séduit l'amante de Garbo, Mercedes de Acosta au début des années trente. Les deux femmes étaient en effet androgynes et bisexuelles au point qu'une liaison entre elle au milieu des années vingt est évoquée sans que l'on en ait la preuve formelle. Idem en ce qui concerne leur réunion à l'écran, la rumeur prêtant à une figurante les traits de Marlène Dietrich dans "La Rue sans joie" (1925) s'avérant infondée d'après les historiens du cinéma (et Marlène Dietrich elle-même puisqu'elle n'avait soi-disant jamais rencontré Garbo). A défaut de certitudes, un film a eu l'idée de les réunir à l'écran à l'aide d'images d'archives dans les années 1990, soit après leurs décès respectifs. Les deux stars savaient préserver leurs zones d'ombre qui faisaient partie de leur aura. Néanmoins leurs personnalités comme leurs stratégies ont été différentes. Greta Garbo a joué sur le silence et le retrait alors que Marlène Dietrich, moins réticente vis à vis des médias (même si c'était pour les pipeauter) s'est engagée contre le nazisme en allant soutenir les soldats américains au front pendant la guerre. Elle a également continué sa carrière plus longtemps, acceptant de vieillir sous les caméras, du moins, jusqu'à ce qu'on lui fasse comprendre qu'elle était devenue has been.
Pedro ALMODOVAR avait déjà approché le genre du western par le biais de citations: "Johnny Guitar" (1954) dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" (1988), "Duel au soleil" (1946) dans "Matador" (1986). Des choix logiques au vu de son univers coloré, mû par la loi du désir et les passions violentes. Mais c'est à un autre western que l'on pense en regardant "Strange way of life": "Le Secret de Brokeback Mountain" (2005) qui avait fait date en évoquant frontalement une romance gay entre deux cowboys contrariée par les normes sociales. Plus récemment, "The Power of the Dog" (2021), Jane CAMPION remettait ça en évoquant l'homosexualité refoulée et la virilité toxique. "Strange way of life" ressemble à un prolongement ou une variation du film de Ang LEE (Pedro ALMODOVAR avait d'ailleurs été pressenti pour le réaliser) mais avec les codes propres au western classique: étoile de shérif, pistolet, ranch, fusillade, nuages de poussière. Un univers viril bien mis en valeur pour être mieux détourné par la romance entre Jake le shérif et Silva, anciens amants qui se retrouvent 25 ans plus tard autour d'un différend concernant le fils de Silva. Un simple prétexte permettant d'aborder la vraie question du film "Mais que peuvent faire deux hommes seuls dans un ranch?" ^^. On retrouve la tonalité mélancolique voire testamentaire de l'un des derniers films d'Almodovar, "Douleur et gloire" (2019), le poids des ans se répercutant dans la fiction. Ethan HAWKE dans le rôle de Jake est particulièrement convaincant. En revanche la courte durée du film ne permet pas de donner de l'ampleur à l'histoire. On voit bien qu'il s'agit à la base d'une pièce de théâtre articulée autour du dialogue entre les deux personnages, le tout filmé comme un roman-photo. De plus, son aspect publicitaire est marqué avec des placements incessants de la marque Saint-Laurent qui produit le film. Il est donc dommage que Almodovar n'ait pas été pour une fois jusqu'au bout de son désir en réalisant son premier long-métrage en anglais.
"La Ciociara" est un film puissant qui hante longtemps après l'avoir vu. Vittorio DE SICA a réussi à combiner dans un même film l'adaptation d'un roman (celui de Moravia au titre éponyme), un terreau néoréaliste d'où il est issu et qui nourrit sa chronique paysanne et des influences américaines mélodramatiques portées par Sophia LOREN qui avait passé plusieurs années à Hollywood mais qui renoue avec ses origines italiennes. Si dans "La Ciociara" elle magnétise l'écran et laisse peu de place aux autres personnages, son interprétation bouleverse et renforce la puissance globale du film. C'est avec "Une journee particuliere" (1977) son interprétation la plus forte, comparable à celle de Romy SCHNEIDER dans "Le Vieux fusil" (1975). Mais le propos de "La Ciociara" est plus complexe et plus subtil tant au niveau de l'histoire individuelle qu'à l'échelle collective. Sophia LOREN interprète le rôle de Cesira, une jeune veuve de caractère vivant à Rome qui décide de retourner dans son village natal pour mettre sa fille Rosetta à l'abri des horreurs de la guerre. Or le titre à lui seul souligne que la campagne offre une sécurité illusoire: la Ciociara désigne une région rurale d'Italie qui a été le théâtre de crimes de guerre en 1944 de la part des soldats, notamment marocains, du corps expéditionnaire français en Italie commandés par le général Juin qui remontaient vers Rome à la suite de la bataille du Mont-Cassino. C'est donc vers l'horreur que s'acheminent les deux femmes. Les signaux de danger ne manquent pas (l'attaque de l'avion, le comportement lubrique des miliciens). Néanmoins la vie en communauté apporte une sécurité précaire. Aussi l'erreur la plus tragique de Cesira est de se séparer du groupe pour rentrer à Rome alors que la guerre n'est pas terminée et que les alliés considèrent l'Italie comme un territoire conquis. La terrible agression dont elle et Rosetta sont victimes dans l'Eglise outre son caractère symbolique introduit une rupture dans la dernière demi-heure de film qui souligne que le temps de l'insouciance et de l'innocence est révolu. Cesira perd son assurance (à tous les sens du terme) en perdant sa fille qui s'est coupée d'elle et part à la dérive. La relation mère/fille au coeur du film laisse peu de place aux personnages masculins même si Michele (Jean-Paul BELMONDO) dont Rosetta est amoureuse mais qui lui préfère Cesira introduit la première faille dans la relation mère/fille.
Troisième film que Blake EDWARDS a consacré à la Panthère rose après "La Panthere rose" (1963) et "Quand l'inspecteur s'emmele" (1964), "Le retour de la Panthère rose" pose les jalons du meilleur film de la saga, "Quand la panthere rose s'emmele" (1976). "Le retour de la Panthère rose" est la suite directe du premier film (le deuxième, "Quand l'inspecteur s'emmêle" était une pièce de théâtre dans laquelle Clouseau avait été rajouté à la dernière minute). On retrouve en effet le gros diamant qui donnait originellement son nom à la saga, avant que la panthère du générique ne le détrône dans la mémoire collective. En revanche, l'inspecteur Clouseau passe au pemier plan, permettant à Peter SELLERS, le véritable bijou du film de déployer son talent burlesque dans un écrin conçu pour lui. Chaque séquence le mettant aux prises avec son environnement devient un espace de jeu dans lequel l'acteur peut déployer son sens de l'improvisation. Avec lui, la destruction des décors devient un art que Peter SELLERS pousse à son paroxysme. A titre personnel, j'ai particulièrement ri dans les scènes jouant sur le comique de répétition où Clouseau tente de conduire des véhicules utilitaires pour s'introduire chez les bourgeois sous couvert de réparations sur leur piscine ou leur téléphone. Il y parvient, mais pas d'une manière conventionnelle! Et disons que l'entrée ou le bureau de ces derniers subissent quelques désagréments, sans parler des utilitaires qui ont intérêt à être amphibie! Cette inventivité à tout mettre sans dessus dessous nous rappelle le caractère subversif du burlesque qui met en pièce l'ordre bourgeois ("La Party" (1968) en est l'exemple le plus achevé). On savoure d'autant plus que Clouseau est à la base un inspecteur de police chargé donc du maintien de l'ordre (de même qu'il détruit tout au lieu de réparer). Il serait cependant injuste de ne pas mentionner le commissaire Dreyfus (Herbert LOM), que sa haine à l'égard de Clouseau fait progressivement basculer dans la folie furieuse. Un ennemi délirant que l'on retrouvera pour notre plus grand plaisir dans le quatrième volet. Il en va de même de l'autre partenaire de jeu de Clouseau, son serviteur asiatique Cato (Burt KWOUK) qui lui saute à la gorge, caché dans les endroits les plus improbables. Enfin le comique verbal n'est pas oublié concernant des films parlants avec notamment de nombreux quiproquos liés à l'accent très particulier de Clouseau.
"Anatomie d'une chute", la Palme d'or 2023 est sans doute un tournant dans la filmographie de Justine TRIET et on mesure le chemin parcouru depuis "La Bataille de Solferino" (2013). Dans son premier film, les engueulades du couple étaient hystériques et répétitives, le spectateur arrivant rapidement à saturation. La conflictualité au sein du couple est également au coeur de "Anatomie d'une chute" mais son orchestration est autrement mieux maîtrisée. Dans la première scène du film, qui précède son décès, le mari, planqué dans les combles est invisible mais parvient à court-circuiter l'échange entre sa femme et l'étudiante venue l'interroger en mettant la musique à fond. On ne peut pas mieux exprimer le besoin d'exister de cet époux qui pense avoir raté sa vie et en incombe l'échec à son épouse qui a réussi là où il a échoué en devenant une écrivaine à succès. L'autre moment de confrontation est un enregistrement effectué par le mari à l'insu de sa femme la veille de sa mort. C'est un long échange qui monte progressivement en tension jusqu'à l'explosion finale. Véritable radiographie du couple, cet échange révèle que les rôles sont inversés (c'était déjà le cas dans "La Bataille de Solférino") ce que Samuel (Samuel THEIS) ne supporte pas. Face à ses reproches, Sandra (Sandra HULLER) assume tout et refuse de reconnaître en lui une victime. Chacun avance ses arguments sans que le spectateur ne puisse trancher définitivement en faveur de l'un ou de l'autre, chacun ayant sa légitimité. Le fait que la femme possède autant de pouvoir sinon plus que l'homme créé un malaise chez ce dernier qui est très bien retranscrit. Ce que j'ai trouvé également particulièrement remarquable dans "Anatomie d'une chute" est la multiplicité des points de vue qui s'expriment, par-delà les questions de "male" et "female" gaze: celui des médias, celui des experts, celui des médecins, celui des avocats etc. aucun n'étant capable d'établir la vérité. Mention particulière à l'avocat de Sandra joué par Swann ARLAUD, un ancien (?) amoureux qui rappelle celui joué par Gregory PECK dans "Le Proces Paradine" (1947) (Alfred HITCHCOCK est convoqué à plus d'un titre de même que Otto PREMINGER). Quant à l'avocat général, il semble être animé par le fantôme de Samuel, symbolisant le patriarcat accusateur. Dans un tel contexte où la réalité se dérobe, Daniel le jeune fils mal-voyant du couple qui m'a rappelé l'enfant de "Une separation" (2010) est appelé à trancher, pour son avenir et (symboliquement) pour celui de la société. "Quand on ne peut pas connaître la vérité, il ne nous reste plus qu'à faire un choix". Autant Sandra est opaque, autant Daniel est sensible, humanisant le film de même que son chien guide Snoop qui a reçu une Palm Dog bien méritée tant on tremble pour lui à un moment clé du film!
"All that jazz" est l'avant-dernier film de Bob FOSSE qui a obtenu la palme d'or à Cannes en 1980. Il m'a fait penser à une version musicale, flamboyante et sombre de "Le Testament d'Orphee" (1959) de Jean COCTEAU. D'autres le comparent à "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Parce que Joe Gideon (Roy SCHEIDER), c'est Bob FOSSEqui sent venir sa fin prochaine et décide de faire un dernier tour de piste avant de tirer sa révérence. Alors dans "All that jazz" ("Tout ce tralala"), il y a du très bon, du surprenant mais aussi de l'agaçant. Le très bon, c'est l'élaboration d'un spectacle "sexe, drogue and rock and roll" fait pour choquer les producteurs conservateurs et qui atteint parfaitement son objectif. Quelques chorégraphies plus intimistes avec la compagne, l'ex-femme et la fille de Gideon fonctionnent aussi très bien. Le surprenant est la juxtaposition d'Eros et de Thanatos. Evoquer en musiques et en images à l'aide d'un montage percutant et d'une musique entraînante la vie à cent à l'heure, l'opération chirurgicale et la mort est inhabituel: d'un côté les corps nus, chauds, vibrants de désir de l'autre la viande saignante et froide. Enfin pour ce qui est de l'agaçant, le bilan d'une vie tourne parfois trop à l'exercice de style narcissique où le "moi moi moi" supplante le chorégraphe de talent. Il faut dire que Gideon est un être excessif, travailleur acharné mais aussi jouisseur et coq de basse-cour, trônant en majesté au milieu de ses danseuses, des coups d'un soir pour la plupart au milieu desquelles se détachent son ex-femme, sa maîtresse et sa fille. L'exercice d'introspection penche ainsi vers l'autocélébration complaisante (même la mort prend la forme d'une jeune et jolie femme: Jessica LANGE) et si Bob FOSSE peut se le permettre étant donné son talent, cela coupe l'émotion.
"La Chambre des officiers" est un film nécessaire mais inégal. Nécessaire par son sujet, la lente et difficile reconstruction d'une gueule cassée de la première guerre mondiale. Blessé dès les premières heures du conflit, Adrien (Eric CARAVACA) passe les années qui suivent enfermé dans la chambre des officiers de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, d'abord seul, puis en compagnie d'autres officiers mutilés au visage. Un éclat d'obus ayant emporté une partie de sa mâchoire, il doit subir le long calvaire physique et psychologique du survivant qui se demande s'il ne vaut pas mieux mourir que de vivre défiguré à vie. Le film rappelle que la chirurgie réparatrice est née et s'est améliorée avec les gueules cassées mais n'a pu totalement effacer leurs terribles cicatrices. Si Adrien retrouve goût à vie et ses facultés (la parole notamment) grâce au dévouement du personnel médical et à la solidarité nouée avec ses camarades d'infortune, la réinsertion s'avère délicate.
Adaptation d'un roman de Marc Dugain qui voulait rendre hommage à son grand-père, le film est empreint de délicatesse et d'humanité, notamment avec le personnage de l'infirmière joué par Sabine AZEMA. La fin qui montre comment Adrien utilise l'humour pour se faire accepter est bienvenue. Mais le film est également lent, parfois lourd et peu heureux dans ses choix esthétiques (l'emploi répétitif de la musique et pas fan du filtre jaune utilisé par le chef opérateur, Tetsuo NAGATA).
Merci Maggie. Sans la politique antisociale et homophobe de Margaret Thatcher, il n'y aurait pas eu de renouveau du cinéma anglais dans les années 80, porté par des cinéastes engagés comme Ken LOACH, Mike LEIGH ou Stephen FREARS. Bien que n'étant pas lui-même gay, ses premiers films pour le cinéma revêtent les atours engagés et transgressifs des débuts de Pedro ALMODOVAR ou du cinéma de Rainer Werner FASSBINDER. "Prick Up your ears", son deuxième film après "My Beautiful Laundrette" (1985) a des faux airs de "Querelle" (1982) (l'allusion au phallus dressé n'est pas dans l'affiche mais dans le jeu de mots du titre). Sexe et mort unissent étroitement un duo totalement improbable par ailleurs, celui formé par l'insolent et sensuel dramaturge Joe Orton (Gary OLDMAN) et son amant soumis et jaloux Kenneth Halliwell (Alfred MOLINA) qui s'est donné la mort après l'avoir assassiné. Construit sur un flashback à partir de la découverte de leurs corps par la police, le film prend l'allure d'une enquête, celle du biographe d'Orton John Lar (Wallace SHAWN) assisté de son épouse pour reconstituer la vie de Orton à l'aide du journal intime que lui a confié son agent, Peggy (Vanessa REDGRAVE).
Issu du prolétariat avec lequel il a rompu les amarres de par sa sexualité considérée comme déviante en Angleterre au début des années soixante (le film fait allusion à "La Victime" (1961) premier film à avoir abordé frontalement la question de l'homosexualité au Royaume-Uni), Joe Orton se lance dans une carrière d'acteur avant d'opter pour l'écriture sur les conseils de Kenneth rencontré à l'Académie royale d'art dramatique de Londres. Les pièces de Joe, comme son journal intime que Kenneth prétend ne pas lire en cachette ont pour fonction d'exciter sa jalousie comme si Joe avait besoin du regard de Kenneth pour jouir pleinement de ses frasques. Exhibitionnisme et voyeurisme sont au coeur de leur histoire, de leur sexualité et sont une mise en abyme du théâtre qu'ils pratiquent et du film lui-même. Sexe et mort deviennent entre leurs mains des mises en scène de théâtre où l'on s'invente des rôles, où l'on prend la pose. Joe Orton en Christ offrant son corps à la "passion" dans une pissotière juste après avoir reçu la statuette de son prix préfigure le moment où il se fait tuer, Kenneth regrettant de ne pas avoir utilisé l'objet pour en finir avec lui et s'adressant face caméra au spectateur-témoin. L'aspect outrancier, grotesque de cette mort qui rappelle l'os de jambon de "Qu'est-ce que j'ai fait pour meriter ca ?" (1984) transforme la tragédie en grosse farce. Alors que Joe qui attire la lumière et est fou de son corps opprime Kenneth (y compris en se refusant à lui), ce dernier, complexé et aigri trouve ainsi le moyen cynique de s'offrir une revanche et de passer à la postérité aux côtés de son amant.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.