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Articles avec #film d'histoire ou de memoire tag

Gangs of New-York

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (2002)

Gangs of New-York

"Gangs of New York" est un grand film, traversé par des fulgurances de mise en scène comme on n'en voit pas si souvent. C'est le "Naissance d'une nation" de Martin SCORSESE qui offre un contrechamp à la vision sudiste et raciste que donnait D.W. GRIFFITH de la guerre de Sécession et qui complète celle qu'en donne les westerns. D'ailleurs le film a été qualifié, non sans raison de western urbain. Même si l'histoire de vengeance racontée dans le film est très classique dans son déroulement, elle s'inscrit toujours dans une histoire qui la dépasse et c'est cette profondeur de champ qui est passionnante. Ainsi la guerre de territoire entre les gangs qui ouvre et ferme le film recouvre des visions opposées de l'Amérique en train de se construire. Celle-ci est dominée par les autoproclamés "native americans" ce qui est une imposture car les seuls véritables autochtones sont les indiens, absents du film. Par "native", il faut comprendre WASP (white anglo-saxons protestants), les descendants des premiers migrants arrivés sur le sol des USA au XVII° siècle avec le Mayflower et qui constituent encore aujourd'hui l'élite des USA. Ces élites, on les voit bien dans le film à travers la famille Schermerhorn qui vit sur la cinquième avenue ou encore William "Boss" Tweed (Jim BROADBENT), un homme politique influent et corrompu. Dans le contexte de la guerre de Sécession qui est aussi une guerre de civilisation entre le Nord urbain et industriel et le Sud rural agricole et esclavagiste, ces élites recrutent à tour de bras de la chair à canon venue d'Europe. Dans un plan-séquence virtuose génial qui rappelle combien il vénère le cinéma muet et en maîtrise le langage, Martin SCORSESE montre les migrants sortir du bateau pour remonter aussitôt dans un autre après avoir revêtu l'uniforme de l'Union avant qu'une grue ne descende les cercueils innombrables de ceux qui sont tombés au champ d'honneur.

Mais les WASP ont aussi leur lot de laissés-pour-compte, "petits blancs" pauvres qui n'ont que leurs origines pour se valoriser au détriment des autres vivant avec eux dans la fange des bas quartiers de Manhattan*. On comprend mieux le terme "natif" et la haine pugnace que Bill le Boucher (Daniel DAY-LEWIS) et les siens vouent aux migrants de fraîche date et aux non-WASP, tout particulièrement les irlandais qualifiés de "mangeurs de pommes de terre" (comme les "macaronis" italiens chez nous à la même époque). C'est parmi eux que se dresse le gang rival, celui des "Dead Rabbits" dont le chef est le père Vallon (Liam NEESON) que son fils Amsterdam (Leonardo DiCAPRIO) a décidé de venger en s'attaquant à son meurtrier, Bill le boucher devenu un puissant roi de la pègre qui a ses entrées chez les flics et les politiciens, le Boss Tweed en tête.

Martin SCORSESE dresse ainsi un tableau éloquent des fractures ethniques et sociales qui ont servi de fondation à une nation qui s'est érigée dans la violence. En effet les solutions pacifiques sont systématiquement torpillées au profit d'affrontement meurtriers entre gangs rivaux et d'émeutes violemment réprimées des pauvres contre les riches face à l'iniquité de la conscription, émeutes également à caractère raciste, les petits blancs utilisant les noirs comme boucs-émissaires. Les cinq plans finaux, absolument magistraux décrivent l'effacement progressif des traces de ce passé sauvage et sanglant au premier plan pendant que Manhattan revêt peu à peu au second plan son visage contemporain de forêt de buildings de verre et d'acier.

* Ce sont leurs descendants qui votent aujourd'hui Trump.

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Barbara

Publié le par Rosalie210

Christian Petzold (2012)

Barbara

J'ai beaucoup aimé ce film qui m'a peu à peu séduite par sa cohérence et sa subtilité jusqu'au final que j'ai trouvé limpide. Il démontre en particulier que la liberté ne se trouve pas où on le croit en évitant tout manichéisme pour au contraire mettre en avant l'ambiguïté. L'héroïne tout d'abord, Barbara (Nina HOSS) qui se protège en affichant une impassibilité de façade ne suscite guère la sympathie. Cependant, plus le film avance et plus le personnage s'ouvre et s'avère tiraillé entre son empathie pour ses patients plus victimes encore qu'elle du système et son désir de fuite. Le "système" n'est pas montré de la manière habituelle non plus. Le lieu où se déroule l'histoire, une petite ville au bord de la Baltique offre une nature luxuriante, enchanteresse, bien peu conforme à l'image sinistre que l'on se fait de l'ex-RDA communiste. En revanche le climat de peur et de paranoïa imprègne l'histoire avec un espionnage et une délation généralisée, un camp de concentration tout proche et une Stasi omniprésente qui flique l'héroïne soupçonnée de vouloir passer à l'ouest avec des méthodes brutales, humiliantes et intrusives qui expliquent pour une bonne partie l'apparence froide et fermée de la jeune femme. Mais là où le film devient vraiment passionnant, c'est dans la description des deux hommes entre lesquels est tiraillée Barbara. D'une part Jörg, son amant de l'ouest qui utilise sa richesse et son pouvoir pour séduire les allemandes de l'est en leur faisant miroiter une vie de princesse à l'ouest où il prendrait tout en charge. Est-ce vraiment cette vie-là, complètement vide de sens que veut Barbara? De l'autre, le médecin-chef de Barbara, André qui est chargé par la Stasi de sa surveillance. C'est pourquoi Barbara se montre envers lui particulièrement distante, refusant ses prévenances et ses attentions. Sauf qu'il est bien autre chose, lui-même lui faisant comprendre qu'il peut se jouer du rôle que l'on veut lui faire jouer. Surtout, il s'avère que André est aussi passionné et impliqué dans son métier que Barbara et que tout comme elle, il a une âme d'artiste lui permettant de sublimer un quotidien difficile. Bref, une intimité finit par s'installer entre eux en dépit des hésitations voire des volte-face brutales de Barbara. Tant et si bien que plus le film avance, plus les repères se brouillent, l'amour et la politique semblant désaccordés jusqu'à cette résolution inattendue mais comme je le disais au début, d'une logique imparable.

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1979)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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La Rosière de Pessac

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1968)

La Rosière de Pessac

Jean EUSTACHE revient à Pessac, son lieu de naissance “avec cette idée que si on filme la même cérémonie qui se déroule sous tous les régimes, toutes les Républiques, on peut filmer le temps qui passe […] je voudrais que les deux films soient montrés ensemble : d’abord celui de 79, ensuite celui de 68. Une façon de dire aux gens : si vous avez envie de savoir comment ça se passait avant, restez, vous allez voir”.

Inversement aux préconisations de Jean EUSTACHE, j'ai regardé son diptyque documentaire dans l'ordre chronologique ce qui est je pense une expérience tout aussi intéressante de confrontation entre la tradition et la modernité, entre la rupture et la continuité. Que l'on remonte le temps ou bien que l'on avance dans les époques, ce qui frappe l'esprit, c'est à la fois l'immuabilité du rituel et de la symbolique qui l'accompagne et les profonds changements économiques, sociaux, sociétaux et urbanistiques entre 1968, date du premier film et 1979, date du deuxième qui ausculte les signes de déclin du monde perpétué au travers de l'élection annuelle de la rosière qui n'a pris fin cependant qu'en 2015*. Jean EUSTACHE ne commente pas, il donne à voir en temps réel un cérémonial à l'oeuvre, allant de l'élection jusqu'à la célébration, sans jugement, dans un esprit proche de celui des frères Lumière.

Le film de 1968 s'inscrit dans une tradition que l'on devine quasi immuable depuis 1896, date de la réactivation d'une coutume du Moyen-Age par un notable local. On pense aux élections de miss de village comme dans "Les Vitelloni" (1953) sauf que ce n'est pas tant la beauté qui est célébrée que la "vertu", la "moralité", le "mérite" s'inscrivant dans le corps d'une jeune fille vierge et si possible pauvre, histoire de combiner moralité et charité. La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est visiblement pas arrivée jusqu'à Pessac, de même que la révolte alors en cours de la jeunesse contre le conservatisme des moeurs. C'est la France rurale "éternelle" célébrée par Pétain pendant la guerre qui se met en scène à travers cette cérémonie, avec ses notables, son curé, ses "dames patronnesses", ses paysans, ses femmes "naturellement" au foyer, ses familles nombreuses. L'heureuse élue est revêtue d'une robe de première communiante, d'une couronne de fleurs, est promenée dans tout le village, assiste à la messe en son honneur puis à une cérémonie à la mairie et est priée de représenter le village durant un an. Elle reçoit également un pécule. Et pour enfoncer le clou de l'immuabilité du rituel, elle remet un présent aux rosières qui l'ont précédé jusqu'à la toute première, née en 1877 et âgée de 91 ans!

Le film de 1979 est un choc (et j'imagine que l'inverse est tout aussi vrai). Le cérémonial est exactement le même avec d'autres acteurs dans les mêmes rôles, la symbolique également. Cependant, l'artifice de l'opération saute aux yeux. Pas seulement parce que la couleur a remplacé le noir et blanc. Mais parce que la ville a remplacé la campagne. Certes, le centre de Pessac n'a pas changé, mais la jeune fille choisie habite à Formanoir, un quartier HLM typique des 30 Glorieuses et qui rend tangible tout d'un coup la proximité de Bordeaux et l'intégration de la commune de Pessac dans une grande métropole. Alors qu'en 1968, la jeune fille devait être issue d'une famille de Pessac, celle de 1979 est originaire de Normandie et illustre l'exode rural, de même qu'il est devenu impossible de confier à un aéropage de femmes de cultivateurs le soin de procéder à l'élection. La fin des paysans se combine à des allusions permanentes à la crise économique et au chômage. Enfin et surtout, Jean EUSTACHE saisit avec une acuité remarquable les propos "off" des membres du jury qui tombent les masques. Entre celui qui se demande pourquoi cela ne pourrait pas être un homme qui serait élu "rosier" et les dames du coin qui se demandent quelle est leur utilité en passant par celle qui raconte qu'elle a été marraine d'une rosière ayant fait une fausse couche trois mois avant être élue, on comprend que si chacun continue à jouer son rôle social dans le jeu du pouvoir local, personne n'est dupe. Ainsi si le film de 1968 a une grande valeur historique et anthropologique, celui de 1979 y ajoute une forte dose de dimension critique.

* Nul doute que s'il avait vécu plus longtemps, il y aurait eu une troisième voire une quatrième rosière de Pessac!

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Chocolat

Publié le par Rosalie210

Roschdy Zem (2016)

Chocolat

Le clown Chocolat est la première star noire-africaine ayant percé en France au tournant de la Belle Epoque. Les traces iconographiques de sa notoriété dans les dessins de Henri Toulouse-Lautrec ou dans la campagne du chocolat Felix Potin ("battu et content") illustrent pour la plupart les stéréotypes racistes en vigueur à l'époque, Chocolat n'ayant été accepté que par son rôle de faire-valoir du clown blanc George Foottit avec lequel il a formé un duo a grand succès avant de chercher à se détacher en vain de cette image humiliante et de tomber dans l'oubli. Jusqu'aux travaux de l'historien Gérard Noiriel qui se sont conclus en 2012 avec la publication d'un livre lui étant consacré. C'est ce livre qui a servi de base au film réalisé par Roschdy ZEM, même si celui-ci a pris pas mal de libertés avec l'histoire, notamment la relation entre Chocolat (Omar SY) avec George Foottit qui était davantage basée sur la rivalité que sur l'amitié. Il n'en reste pas moins que les caractères bien dessinés des deux personnages et l'alchimie entre les acteurs font que leur duo est très intéressant à regarder de par leur dynamique complexe. Si Chocolat doit supporter de terribles blessures d'amour-propre, c'est lui qui attire la lumière (il est seul sur les affiches!), les femmes et qui flambe l'argent. Foottit est quant à lui hors de la scène renvoyé dans l'ombre où il rumine ses frustrations. J'ai découvert James THIERREE dont la ressemblance avec son grand-père Charles CHAPLIN est extrêmement frappante et qui a une présence indiscutable. Si le message est parfois trop appuyé (la séquence de la prison par exemple où Chocolat est maltraité n'a pas existé!), certaines séquences sont délicieuses comme celle, véridique du tournage d'un film des frères Lumière (joué par les frères Bruno PODALYDES et Denis PODALYDES) mettant en scène les deux clowns.

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Les carnets de Siegfried (Benediction)

Publié le par Rosalie210

Terence Davies (2024)

Les carnets de Siegfried (Benediction)

"Les Carnets de Siegfried" est le dernier film de Terence DAVIES, décédé en octobre 2023. Comme Roman POLANSKI dans "Le Pianiste" (2002), il s'abrite derrière l'histoire d'un autre artiste pour mieux parler de lui. Cet autre c'est Siegfried Sassoon (Jack LOWDEN), un poète britannique inconnu chez nous mais en porte à faux avec la société de son temps sur au moins deux plans: la première guerre mondiale qui le priva d'êtres chers et qui fit de lui un pacifiste prêt à mourir pour sa cause et une homosexualité torturée. Ce n'est pas par hasard que la rétrospective que lui consacre le Centre Pompidou s'intitule "Le temps retrouvé". Car dans le film, les ellipses temporelles sont légion et se manifestent de multiples façons, du montage d'images d'archives pour les souvenirs de la première guerre au morphing pour le vieillissement des personnages: celui de Siegfried qui s'accompagne d'un travelling circulaire est particulièrement saisissant. Ainsi selon les méandres du récit fondé sur l'association d'idées et les réminiscences, on retourne en arrière ou bien on franchit plusieurs décennies pour atterrir dans des séquences conçues comme autant de tableaux. Par ailleurs la musique est indissociable des films de Terence DAVIES et constitue, de même que la poésie, un puissant moyen d'expression des êtres opprimés et traumatisés auxquels il s'identifie. Comme dans son magnifique "Distant Voices" (1988), ceux-ci créent de la beauté pour faire rempart à la violence qui leur est faite. Enfin "Les Carnets de Siegfried" se caractérisent par l'utilisation d'une ironie qui fait mouche et qui elle aussi fait partie des ressources salvatrices que possédait ce grand réalisateur, aussi discret qu'élégant.

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Une vie (One Life)

Publié le par Rosalie210

James Hawes (2024)

Une vie (One Life)

Le film est petit mais l'histoire est grande et Anthony HOPKINS immense. "Une vie" était nécessaire pour sortir de l'ombre l'histoire de Nicholas Winton, courtier britannique qui grâce à Martin Blake un ami engagé dans le comité britannique pour les réfugiés de Tchécoslovaquie se rendit à Prague en décembre 1938 où il visita des camps de réfugiés, juifs pour la plupart et prit conscience de la gravité de la situation. A savoir l'invasion imminente du pays tout entier par Hitler après l'abandon des Sudètes par les alliés de la Tchécoslovaquie lors des accords de Munich, alliés terrifiés à l'idée d'une nouvelle guerre avec l'Allemagne. Dans un laps de temps extrêmement court entre mars et août 1939, Nicholas Winton parvint en coordination avec des organisations de secours locales à mettre en place une filière de départs vers le Royaume-Uni pour les enfants tchécoslovaques sur le modèle des kindertransport humanitaires qui venaient d'être créés pour les enfants juifs allemands et autrichiens. Le neuvième convoi qui transportait 250 enfants fut bloqué par les nazis car le Royaume-Uni s'apprêtait à entrer en guerre contre le III° Reich suite à l'invasion de la Pologne. L'action de Nicholas Winton et de ses pairs fut oubliée durant cinquante ans, au point que faute de transmission, les anciens enfants réfugiés ne savaient pas à qui ils devaient leur sauvetage. Jusqu'en 1988 où les archives conservées par Winton ne soient communiquées par sa femme à une historienne mariée à un magnat de la presse. Ce dernier fit connaître son histoire ce qui entraîna l'émission télévisée "That's life" à organiser des retrouvailles entre Winton et ceux qu'il avait sauvé. Une séquence d'archives télévisuelles reconstituée avec minutie dans le film et porté par un Anthony HOPKINS toujours aussi habité. Il campe en effet un homme qui non seulement ne se met pas en avant mais est hanté par les enfants qu'il n'a pas pu sauver et dont il a gardé des photos. S'il y a un point commun entre Oskar Shindler et lui, c'est bien dans cette culpabilité sourde liée au fait d'avoir sauvé un grand nombre de personnes mais de ne pas avoir pu les sauver tous. Pour le reste, Nicholas Winton n'a jamais mis sa propre vie en danger et étant lui-même d'origine juive, n'a pas pu être reconnu comme un Juste, titre réservé aux non-juifs. Il a cependant été honoré à la fin de sa vie par le Royaume-Uni et par la République Tchèque.

Le film qui effectue des allers-retours constants entre 1988 et 1939 possède une mise en scène assez fade. C'est particulièrement visible en ce qui concerne les scènes du passé, tournées à l'économie, façon téléfilm à l'aide de plans souvent répétitifs et purement illustratifs. La partie située en 1988 bénéficie du supplément d'âme apporté par Anthony HOPKINS mais le casting est dans l'ensemble excellent, que ce soit Helena BONHAM CARTER qui joue sa mère ou Jonathan PRYCE, l'inoubliable Sam de "Brazil" (1985) qui interprète Martin Blake âgé.

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L'Echange des Princesses

Publié le par Rosalie210

Marc Dugain (2017)

L'Echange des Princesses

Le sujet du film -des têtes couronnées ou destinées à l'être- ne m'attirait pas plus que ça. Mais en réalité, il y a un léger pas de côté qui rend le film intéressant. Une cinquantaine d'années avant Marie-Antoinette, le film, tiré du livre de la chercheuse Chantal Thomas qui cosigne également le scénario raconte une histoire très semblable de mariages arrangés dans le but de sceller des alliances diplomatiques entre puissances européennes souhaitant cesser de se faire la guerre. Avant l'Autriche des Habsbourg c'est donc avec l'Espagne que la France a mené une double transaction, d'un côté l'union de la fille du régent Philippe d'Orléans avec l'héritier du trône d'Espagne et de l'autre, celle de Louis XV et de l'infante d'Espagne. Le tout sur fond de jeux de pouvoir entre deux branches de la même famille (le roi d'Espagne, Philippe V est le petit-fils de Louis XIV et donc un Bourbon alors que le régent appartient aux Orléans, cousins des Bourbons dont Louis XV, arrière-petit fils de Louis XIV est le plus jeune descendant). Si les principaux intéressés, des enfants et des adolescents, n'ont pas voix au chapitre, ce sont les filles qui payent le plus lourd tribut. Obligées de s'exiler, leur sort dépend de leur mari mais surtout de l'entourage de celui-ci. Elles apparaissent donc comme de simples pions que l'on déplace au gré des arrangements des uns et des autres, le tout sur un fond crépusculaire d'épidémies et de médecins porteurs de mort qui annonce la fin de la monarchie. Pourtant, ce sont les deux princesses, la petite fille précoce et l'adolescente rebelle qui semblent constituer les seuls êtres vivants au sein d'une cour sclérosée. Si l'argument est au final assez peu consistant pour un long-métrage avec des personnages parfois insuffisamment creusés, la photo est splendide et donne vraiment l'impression de se promener dans un tableau vivant.

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They Shot the Piano Player (Dispararon al pianista)

Publié le par Rosalie210

Fernando Trueba et Javier Mariscal (2024)

They Shot the Piano Player (Dispararon al pianista)

"They shot the Piano Player" est la deuxième collaboration du réalisateur Fernando TRUEBA et du dessinateur Javier MARISCAL après "Chico & Rita" (2010). On y retrouve l'animation et la musique latino mais "They shot the Piano Player" est aussi un film politique au travers d'une enquête sur la disparition d'un pianiste de jazz brésilien virtuose, Francisco Tenório Júnior, à la veille du coup d'Etat en Argentine en 1976. Plus de 30 ans après les faits, le journaliste américain fictif Jeff Harris (l'alter ego de Fernando TRUEBA) qui doit écrire un livre sur la bossa nova découvre un enregistrement du musicien disparu. Subjugué, il part à la recherche de ceux qui l'ont connu et ressuscite l'âge d'or de la musique brésilienne au travers de ses représentants les plus prestigieux dont on entend la voix au travers de leur avatar animé. Même moi qui ne suis pas une spécialiste, j'ai reconnu Chico BUARQUE, Gilberto GIL ou encore Caetano VELOSO. Et si d'autres me sont inconnus, je les connais en réalité à travers leurs oeuvres (Vinicius de MORAES qui accompagnait le pianiste lors de la tournée durant laquelle il a disparu est l'auteur des paroles de "The girl from Ipanema"). Des anecdotes impliquant également de grands noms du jazz afro-américain comme Ella FITZGERALD sont évoquées. Et le parallèle créatif avec la nouvelle vague française (bossa nova se traduit par nouvelle vague), l'influence de Francois TRUFFAUT surtout se retrouve à travers le titre, hommage à "Tirez sur le pianiste" (1960). Mais en parallèle de cette effervescence de sons et de couleurs, le film évoque la terrible période des dictatures militaires s'étant abattues en Amérique latine avec la complicité de la CIA et leur coordination au travers de l'opération condor pour traquer leurs opposants communistes ou supposés tels. Car Tenório n'étant pas politisé, il peut être considéré comme une victime collatérale de ce terrorisme d'Etat se trouvant au mauvais endroit et au mauvais moment, embarqué à cause de son apparence l'assimilant aux révolutionnaires, torturé puis exécuté pour l'empêcher de témoigner de ce qu'il avait vu et vécu. L'enquête de Jeff Harris l'amène donc à reconstituer les lieux de détention, de torture et d'exécution, la disparition des corps, les bébés enlevés à leur mère pour être adoptés par des familles soutenant le régime et les séquelles sur les survivants (la femme de Tenório privée du statut de veuve et des ressources allant avec par exemple). Un peu ardu à suivre par moments avec quelques redites et longueurs mais on y apprend beaucoup, on y voit et y entend beaucoup et on repart avec une question lancinante "Comment tant de douceur et de beauté ont pu cohabiter avec tant de barbarie?".

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La Zone d'intérêt (The Zone of Interest)

Publié le par Rosalie210

Jonathan Glazer (2024)

La Zone d'intérêt (The Zone of Interest)

"La zone d'intérêt" est une véritable expérience de cinéma et son grand prix à Cannes est tout à fait mérité. Comme dans "L'Empire des lumières" de René Magritte, deux mondes coexistent sans quasiment jamais se croiser. Celui du camp d'Auschwitz qui reste presque totalement hors-champ et celui du domaine de la famille du commandant du camp, Rudolf Höss dans lequel se déroule la majeure partie du film. Comme souvent en pareil cas, de hauts murs dérobent à la vue ce qui se joue de l'autre côté. Pourtant, jamais le spectateur ne perd de vue qu'il est enfermé dans une sorte de cage dorée jouxtant un complexe concentrationnaire. Les trois premières minutes déjà nous plongent dans une obscurité quasi totale que l'on peut interpréter de multiples manières: la cécité de ceux qui vivent juste à côté dans une totale indifférence ou bien les dernières images de ceux qui vont mourir, plongés dans d'insondables ténèbres. Par la suite et comme dans "Parasite" (2019) qui évoquait la contamination des riches par les pauvres dont ils voulaient se préserver sous prétexte d'hygiénisme, la réalité de l'extermination ne cesse de s'infiltrer dans le paradis artificiel des Höss. Par les bruits qui ne peuvent être étouffés par les murs (le travail sur la bande-son est remarquable), par les odeurs de chairs brûlées, par les cendres emportées par le vent ou fertilisant la terre, par les fragments d'ossements que l'on retrouve jusqu'au beau milieu de la nature idyllique, par le rougeoiement des flammes qui donnent à la nuit des allures d'enfer sur terre dans un contraste saisissant avec les pelouses bien taillées, les fleurs éclatantes et la piscine de la maison des Höss. Le film devient alors une étude de caractères, ceux de la famille Höss face à ce monde schizophrénique. Rudolf (Christian FRIEDEL), à l'image d'Eichmann et de tant d'autres hauts dignitaires nazis est un fonctionnaire zélé, un gestionnaire méticuleux qui raisonne en termes d'efficacité technique ou logistique sans jamais s'interroger sur la nature de ses actes. Les seuls moments où l'être humain se manifeste en lui sont ceux où il tente de protéger ses enfants d'une confrontation trop directe avec la mort et la fin où cette espèce de mécanique se met à vomir comme si ses entrailles agissaient indépendamment de lui. Mais en terme de monstruosité, Hedwig (Sandra HULLER) le bat à plate coutures. Elle est en effet tellement aliénée que l'environnement toxique dans lequel elle élève ses enfants lui apparaît comme un paradis et la matérialisation de sa réussite sociale qu'elle ne veut quitter à aucun prix. Chaque fois qu'un grain de sable vient gripper son "bonheur" comme lorsque sa mère finit par s'enfuir, épouvantée par ce qu'elle perçoit malgré l'écran de fumée dressé entre la maison et le camp, elle a une réaction éloquente, effaçant les traces en les brûlant et menaçant de mort sa domesticité (que l'on devine être de pauvres prisonnières polonaises). "La zone d'intérêt" est un film franchement inconfortable et claustrophobique dont la portée dépasse l'époque qu'il dépeint. On pense en effet à d'autres murs, ceux que dressent les pays riches contre les pays pauvres, les quartiers riches contre les quartiers pauvres pour les occulter, s'en protéger et les refouler.

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