"They shot the Piano Player" est la deuxième collaboration du réalisateur Fernando TRUEBA et du dessinateur Javier MARISCAL après "Chico & Rita" (2010). On y retrouve l'animation et la musique latino mais "They shot the Piano Player" est aussi un film politique au travers d'une enquête sur la disparition d'un pianiste de jazz brésilien virtuose, Francisco Tenório Júnior, à la veille du coup d'Etat en Argentine en 1976. Plus de 30 ans après les faits, le journaliste américain fictif Jeff Harris (l'alter ego de Fernando TRUEBA) qui doit écrire un livre sur la bossa nova découvre un enregistrement du musicien disparu. Subjugué, il part à la recherche de ceux qui l'ont connu et ressuscite l'âge d'or de la musique brésilienne au travers de ses représentants les plus prestigieux dont on entend la voix au travers de leur avatar animé. Même moi qui ne suis pas une spécialiste, j'ai reconnu Chico BUARQUE, Gilberto GIL ou encore Caetano VELOSO. Et si d'autres me sont inconnus, je les connais en réalité à travers leurs oeuvres (Vinicius de MORAES qui accompagnait le pianiste lors de la tournée durant laquelle il a disparu est l'auteur des paroles de "The girl from Ipanema"). Des anecdotes impliquant également de grands noms du jazz afro-américain comme Ella FITZGERALD sont évoquées. Et le parallèle créatif avec la nouvelle vague française (bossa nova se traduit par nouvelle vague), l'influence de Francois TRUFFAUT surtout se retrouve à travers le titre, hommage à "Tirez sur le pianiste" (1960). Mais en parallèle de cette effervescence de sons et de couleurs, le film évoque la terrible période des dictatures militaires s'étant abattues en Amérique latine avec la complicité de la CIA et leur coordination au travers de l'opération condor pour traquer leurs opposants communistes ou supposés tels. Car Tenório n'étant pas politisé, il peut être considéré comme une victime collatérale de ce terrorisme d'Etat se trouvant au mauvais endroit et au mauvais moment, embarqué à cause de son apparence l'assimilant aux révolutionnaires, torturé puis exécuté pour l'empêcher de témoigner de ce qu'il avait vu et vécu. L'enquête de Jeff Harris l'amène donc à reconstituer les lieux de détention, de torture et d'exécution, la disparition des corps, les bébés enlevés à leur mère pour être adoptés par des familles soutenant le régime et les séquelles sur les survivants (la femme de Tenório privée du statut de veuve et des ressources allant avec par exemple). Un peu ardu à suivre par moments avec quelques redites et longueurs mais on y apprend beaucoup, on y voit et y entend beaucoup et on repart avec une question lancinante "Comment tant de douceur et de beauté ont pu cohabiter avec tant de barbarie?".
J'avais lu que pour "Le Labyrinthe de Pan" (2006), Guillermo DEL TORO s'était inspiré de "L'Esprit de la ruche" (1973). Mais cette influence comme celle de "La Nuit du chasseur" (1955) est tout aussi évidente dans "L'échine du diable", son troisième film réalisé cinq ans auparavant. Du film de Victor ERICE comme de celui de Charles LAUGHTON émerge le thème de l'enfance face au mal, lequel prend une double forme. Celui de la guerre d'Espagne avec l'image de l'obus fichée en plein coeur de la cour de l'orphelinat où est emmené Carlos. Mais aussi celui du monstre phallique séducteur, cupide et sanguinaire qui terrorise les enfants avant de révéler l'étendue de sa folie meurtrière et de tout détruire autour de lui. S'y ajoute une atmosphère oppressante lié au fait que le film se déroule dans le huis-clos d'un orphelinat qui en dépit des propos rassurants de sa directrice Carmen (Marisa PAREDES) ressemble à une prison d'où il s'avère impossible de s'échapper. La porte ouvre sur une route hostile et déserte sur des dizaines de kilomètres, le ciel est envahi d'avions fascistes et nazis et le sous-sol semble contenir des fantômes. Un plus précisément, celui d'un petit garçon qui détient un sombre secret et semble résider au fond d'un bassin (des images qui préfigurent "La Forme de l'eau") (2017). S'y on ajoute les foetus qui baignent dans l'alcool, l'atmosphère est plus qu'anxiogène. Néanmoins ce n'est pas d'elle que vient la menace mais bien du réel. Aussi comme dans ses autres films, face à la violence du monde qu'ils se prennent de plein fouet, les enfants apprennent à apprivoiser leurs peurs et à s'entraider. Ainsi Carlos qui est au départ un peu le souffre-douleur va par son courage, sa générosité et sa curiosité d'esprit finir par fédérer les autres membres du groupe autour de lui contre la véritable source de leurs tourments. Par ailleurs si les adultes bienveillants sont défaillants (Carmen souffre d'une infirmité, Casarès est impuissant et Conchita comme Carmen se sont laissé abuser par Jacinto qui possède tous les traits des terrifiants mâles alpha développés dans les films ultérieurs de Guillermo DEL TORO), ils ne sont pas tout à fait absents. Les lingots cachés par Carmen s'avèreront être des alliés inattendus. De même, l'esprit de Casarès veille sur les enfants survivants.
"Fermer les yeux" est un film magnifique du trop rare Victor ERICE qui pour l'occasion retrouve Ana TORRENT qu'il avait révélé enfant dans "L'Esprit de la ruche" (1973) avant que son visage n'imprime la rétine du cinéma mondial trois ans plus tard dans "Cria cuervos" (1976).
De cinéma, il en est beaucoup question dans "Fermer les yeux" qui s'ouvre sur un film dans le film, "Le regard de l'adieu" dont le grain et le format n'est pas sans rappeler "L'Esprit de la ruche". On apprend assez vite que "Le regard de l'adieu", datant du début des années 90 est resté inachevé en raison de la disparition mystérieuse de l'acteur principal, Julio Arenas au cours du tournage. Vingt-deux ans plus tard (une ellipse temporelle qui se réfère à celle de trente ans durant laquelle Victor ERICE n'a pas tourné de long-métrage), le réalisateur du film, Miguel Garay, retraité, est contacté par une émission de télévision du style "Enquête exclusive" qui souhaite revenir sur la disparition de Julio Arenas. Celui-ci refait alors surface mais son âme elle semble s'être définitivement envolée. A moins que la magie du cinéma ne puisse lui faire retrouver la mémoire, ce à quoi va s'employer Miguel qui va remuer le passé et rouvrir bobines et cinéma jouant à la "Belle au bois dormant" pour projeter à Julio les extraits du film dans lequel il joua autrefois. "Fermer les yeux" est un acte de croyance envers le pouvoir du cinéma à faire revenir les morts à la vie et à restaurer les liens et de ce point de vue, la comparaison avec "Paris, Texas" (1984) m'a sauté au yeux. Seul le type de film diffère: un documentaire en super 8 dans "Paris, Texas", des séquences d'un film de fiction inachevé dans "Fermer les yeux" mais ce que l'on voit à l'image sont des retrouvailles par la médiation d'un tiers. Le frère dans le film de Wenders était le réalisateur du film et c'est lui qui réunissait le père et le fils et Miguel Garay en fait de même avec la fille de Julio. La mémoire du cinéma est également auditive, Julio semblant renaître en partageant une même chanson avec Garay qui semble être son double (un homme seul, vieillissant, fatigué, père avorté, vivant hors du temps en marge du monde). Le film tourné par Garay s'en fait le miroir, père et fille partageant également la même chanson. Et nous spectateurs ne sommes pas oubliés, le film est constellé de références cinématographiques, internes ou externes au cinéma de Victor ERICE. Ana TORRENT, cinquante ans après "L'Esprit de la ruche" (1973) revient lui faire écho de même que le film inachevé de Garay fait écho à celui que Victor Erice n'a pu réaliser "La Promesa de Shanghai". Wim WENDERS est omniprésent et pas seulement au travers de "Paris, Texas (1984)", les origines du cinéma sont évoquées avec "L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat" (1896) et l'une des plus puissantes citations provient encore d'une chanson "My rifle, my pony and me" chantée par Garay et ses voisins de campement qui par-delà "Rio Bravo" (1959) a valeur de signe de ralliement pour les cinéphiles du monde entier souhaitant communier dans la vaste église du cinéma.
Pedro ALMODOVAR avait déjà approché le genre du western par le biais de citations: "Johnny Guitar" (1954) dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" (1988), "Duel au soleil" (1946) dans "Matador" (1986). Des choix logiques au vu de son univers coloré, mû par la loi du désir et les passions violentes. Mais c'est à un autre western que l'on pense en regardant "Strange way of life": "Le Secret de Brokeback Mountain" (2005) qui avait fait date en évoquant frontalement une romance gay entre deux cowboys contrariée par les normes sociales. Plus récemment, "The Power of the Dog" (2021), Jane CAMPION remettait ça en évoquant l'homosexualité refoulée et la virilité toxique. "Strange way of life" ressemble à un prolongement ou une variation du film de Ang LEE (Pedro ALMODOVAR avait d'ailleurs été pressenti pour le réaliser) mais avec les codes propres au western classique: étoile de shérif, pistolet, ranch, fusillade, nuages de poussière. Un univers viril bien mis en valeur pour être mieux détourné par la romance entre Jake le shérif et Silva, anciens amants qui se retrouvent 25 ans plus tard autour d'un différend concernant le fils de Silva. Un simple prétexte permettant d'aborder la vraie question du film "Mais que peuvent faire deux hommes seuls dans un ranch?" ^^. On retrouve la tonalité mélancolique voire testamentaire de l'un des derniers films d'Almodovar, "Douleur et gloire" (2019), le poids des ans se répercutant dans la fiction. Ethan HAWKE dans le rôle de Jake est particulièrement convaincant. En revanche la courte durée du film ne permet pas de donner de l'ampleur à l'histoire. On voit bien qu'il s'agit à la base d'une pièce de théâtre articulée autour du dialogue entre les deux personnages, le tout filmé comme un roman-photo. De plus, son aspect publicitaire est marqué avec des placements incessants de la marque Saint-Laurent qui produit le film. Il est donc dommage que Almodovar n'ait pas été pour une fois jusqu'au bout de son désir en réalisant son premier long-métrage en anglais.
"Matador" est le cinquième film de Pedro ALMODÓVAR que je considère comme un brouillon de son futur chef-d'oeuvre, "Parle avec elle" (2002). La tauromachie évidemment est au programme des deux films mais surtout les pulsions, passions et névroses qui tournent autour de cet "art de la mise à mort". Angel (Antonio BANDERAS), l'apprenti torero est le prototype de l'infirmier Benigno Martin dont les appétits sexuels sont muselés par l'emprise de leur mère toute-puissante (vivante ou non). Une relation fusionnelle qui n'est pas sans faire penser à celle de "Psychose" (1960). L'avocate Maria Cardenal est une version psychopathologique de Lydia Gonzales, une femme masculine qui met à mort ses amants comme s'il s'agissait de taureaux afin d'éprouver l'orgasme sur leur cadavre. Une sexualité nécrophile que l'on retrouve chez Diego, mentor d'Angel et ancien torero sorti de l'arène pour blessure. Lui aussi commet des crimes pour éprouver la jouissance sexuelle et lorsqu'il ne le fait pas, il demande à Eva son amante de feindre la mort. Le fait que Angel sous l'influence de son mentor tente en vain de violer Eva fait là encore penser à "Parle avec elle" (2002) où Marco tombait amoureux d'Alicia qui lorsqu'elle était en état de mort cérébrale avait été violée par Benigno (dont tout laisse à penser qu'il aurait été impuissant face à une jeune femme consciente et active). Dans les deux cas également, la femme sert de médiatrice entre deux hommes à la relation ambigüe. Si la sublimation par l'art total n'est pas encore au programme de "Matador" dont on sent la modestie du budget également dans les scènes évoquant la tauromachie, la mise en scène est déjà très esthétique avec des costumes flamboyants et des décors souvent circulaires qui évoquent bien évidemment l'arène. Par ailleurs comme dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" (1988), Pedro ALMODÓVAR établit des parallèles entre ses héros et ceux des films hollywoodiens avec une citation du final de "Duel au soleil" (1946). Et si "Psychose" (1960) n'est pas cité, la première scène montre un Diego se masturbant devant d'horribles scènes de meurtre tirées notamment d'un film de Mario BAVA, "Six femmes pour l'assassin" (1964) qui a contribué à fixer les codes du giallo. L'épingle à cheveux de Maria fait par ailleurs penser à celle de l'héroïne de "Titane" (2020) qui s'inscrit ainsi dans une filiation sur la transidentité et les genres qui l'accompagnent.
"Pacifiction" m'a fait penser visuellement à un Gauguin qui aurait ingéré des racines pas très nettes. C'est un long, très long, interminable trip alcoolisé où l'on alterne entre des paysages polynésiens filmés sous une lumière magnifique et des scènes de discothèque qui se répètent jusqu'au bout de la souffrance du spectateur. Car le film dure près de trois heures et comme il est dénué d'un scénario digne de ce nom et regorge de plans étirés jusqu'à plus soif, ce sont trois heures qui pourraient en durer six ou neuf ou treize sans que l'on voit la différence. Il y a bien une vague intrigue dans "Pacifiction" autour de rumeurs portant sur la reprise d'essais nucléaires en Polynésie qui auraient pu être le point de départ d'un thriller mais celle-ci se perd dans les sables mouvants d'un film mou du genou, décousu, sans enjeu véritable et pire que tout, sans ambiance (les images de carte postale et les stroboscopes ça ne suffit pas). On a bien du mal à croire que Benoît MAGIMEL joue un représentant de l'Etat tellement il est relax, passant le plus clair de son temps à déambuler d'un lieu à l'autre soi-disant pour "tâter le pouls" de la population locale en journée, en réalité pour monologuer des propos improvisés et brumeux avant d'aller passer ses soirées et ses nuits au "Paradise". J'étais même à deux doigts d'éclater de rire dans la scène (magnifique au demeurant) de surf où il chevauche un scooter des mers en costard cravate immaculé et parfaitement sec: une métaphore de nos politiciens hors-sol? ^^ Le seul autre acteur du film est Sergi LÓPEZ que l'on voit quelques secondes et dont on a du mal à identifier le rôle, les autres sont pour l'essentiel des inconnus assez barrés: l'amiral du vaisseau-fantôme bourré aux propos incohérents, un employé transsexuel qui rêve de devenir la secrétaire personnelle du personnage de Magimel (pour apprendre des informations classées top secret?). Bref un film tout sauf abouti, un brouillon et qui le revendique explicitement sous couvert de cinéma expérimental.
"Viridiana" raconte l'histoire d'une jeune nonne puritaine et idéaliste qui doit avant de prononcer ses voeux sortir de son couvent et se confronter à la réalité du monde. Elle en verra de toutes les couleurs mais surtout de la plus noire tant et si bien qu'elle en sortira transformée à jamais par son expérience. Luis BUÑUEL utilise ce parcours initiatique pour dynamiter au passage les valeurs et les institutions traditionnelles et tout particulièrement la famille et la religion. Et il le fait avec un art de la composition visuelle qui amortit quelque peu la galerie des horreurs et autres perversions qu'il met en scène. Ainsi dans la première partie du film, celle dans laquelle Viridiana tombe dans les griffes de son oncle concupiscent mais surtout nécrophile, fétichiste et incestueux, on est dans une atmosphère de conte qui rappelle fortement "La Belle et la Bête" (1945) pour l'esthétique et "Peau d'âne" (1970) pour la thématique avec un arrière-plan morbide proche de "Vertigo" (1958). La deuxième partie où la charité chrétienne que dispense Viridiana aux mendiants du coin fait paradoxalement exploser leur bestialité s'articule quant à elle autour d'une orgie dont le "clou" est la parodie du tableau de Léonard de Vinci "La Cène". Cela a beau être parfois outrancier et démonstratif, l'aspect blasphématoire et iconoclaste a beau s'être émoussé avec la sécularisation des sociétés (européennes du moins), il n'en reste pas moins que le film charrie des images fortes et que sa satire sociale au vitriol qui n'épargne rien ni personne impressionne. On imagine ce que cela a dû être à sa sortie, le film ayant reçu la Palme d'Or à Cannes mais ayant été condamné par le Vatican et censuré en Espagne jusqu'en 1977. Le film, tourné en pleine Espagne franquiste (on se demande encore comment cela a pu être possible) a d'ailleurs été dénationalisé jusqu'en 1983.
"L'Esprit de la ruche", premier film de Víctor ERICE se présente comme un conte avec l'expression "Il était une fois" renvoyant à un espace-temps indéterminé symbolisé par une magnifique et surréelle lumière dorée comme le miel passant à travers une porte dont les motifs ressemblent à ceux des alvéoles d'une ruche. S'y ajoute un autre motif récurrent des contes, la forêt, son champignon vénéneux et ses monstres, plus précisément celui qui se promène dans l'imagination d'Ana (Ana TORRENT dont c'était le premier film et qui était déjà magnétique avec ses immenses yeux noirs inquiets) depuis qu'elle a vu lors d'une projection dans son village le "Frankenstein" (1931) de James WHALE. A travers les interrogations qui la hantent et qui tournent autour de la mort (celle de la petite fille et celle du monstre), Ana tente de comprendre le monde qui l'entoure et qui apparaît étrangement dévitalisé. Car le film inscrit cette atmosphère de conte au coeur du réel, le "il était une fois" inscrit sur un dessin d'enfant à la fin du générique étant immédiatement suivi d'une prise de vue réelle et de la mention "quelque part en Castille vers 1940". Ce plan situé en extérieur se caractérise par une lumière grisâtre opposée à la lumière dorée "magique" des plans d'intérieur et tous ceux qui se situent sur un plan réaliste dans le film ont la même tonalité grise, vide et misérable à l'image des façades lépreuses des maisons du village et des bâtiments alentours, perdus au milieu d'un désert. Un instantané de l'Espagne franquiste de 1940 et qui l'était encore en 1973, date de sortie du film: un monde de solitude, de silence et de mort. La famille d'Ana est éclatée, chacun de ses membres monologuant en murmurant dans son coin. Le père qui est apiculteur rumine ses pensées sur les abeilles, la mère écrit des lettres à un mystérieux interlocuteur et la grande soeur Isabel invente des mises en scène macabres dans la lignée de "Harold et Maude" (1971) quand elle ne tente pas d'étrangler son chat. L'intérieur de la maison qui est plongé dans le noir peut d'ailleurs faire penser à un mausolée dont la porte dorée serait le vitrail menant au monde imaginaire (entre pays d'Oz et pays des merveilles). Quant aux abeilles et à la ruche que l'on trouve à l'extérieur comme à l'intérieur de la maison, on peut les voir comme une métaphore de la société laborieuse uniformisée et automatisée vivant sous cloche ou comme une manifestation divine (d'où provient la lumière dorée), la "route de briques jaunes". Pourtant ce n'est pas un monde féérique qui attend l'enfant mais un homme blessé échappé d'un train (vraisemblablement un anti-franquiste) à qui elle tend la main comme le faisait la petite fille vis à vis de la créature de Frankenstein. Ana découvre ainsi que l'horreur ne vient pas de lui mais de la société dans laquelle elle vit. On pense aux grands films américains sur l'imaginaire enfantin face au mal ("Du silence et des ombres" (1962), "La Nuit du chasseur") (1955) et on ressent très fortement la filiation avec le film de Guillermo DEL TORO, "Le Labyrinthe de Pan" (2006).
Le premier film brut de décoffrage de Pedro ALMODÓVAR ressemble à un travail d'amateur punk qui sent fort la piquette (pour ne pas dire autre chose). Trash, daté, fauché, et décousu, il ne constitue qu'une "boîte à idées" dans laquelle le réalisateur puisera plus tard la matière de films autrement plus aboutis. Mais outre que ce premier jet est celui d'un futur grand cinéaste (sinon, il a fort à parier qu'il aurait rejoint depuis longtemps les poubelles de l'histoire), il apporte un éclairage intéressant sur ce que fut la Movida. En effet la transition qu'effectuait alors l'Espagne entre le franquisme et la démocratie est au fond le véritable sujet du film. La Movida ne signifie pas seulement le mouvement après l'immobilisme mais fait allusion à la recherche de drogue et c'est par des plantations de cannabis que s'ouvre le film qui multiplie les transgressions, surtout vis à vis du puritanisme et du machisme qui avait caractérisé la période franquiste. Epousant un rythme plutôt frénétique lié à la crainte que la libération ne soit qu'une parenthèse, on assiste à une juxtaposition de scènes qui semblent échappées d'une BD (ce qui est le cas, Almodovar adaptant les planches de sa BD "Erecciones generales" qu'il avait fait paraître dans la revue barcelonaise "el Vibora") qui actent le divorce entre l'Espagne franquiste (représentée par un sinistre policier phallocrate) et une jeunesse haute en couleur qui se lâche, souvent littéralement: c'est en ce sens qu'il faut comprendre l'insert de publicités surréalistes pour des culottes-godemichets absorbant l'urine ou convertissant les pets en parfum animées par Cecilia ROTH, future muse du cinéaste ou l'évocation des règles par la délurée et vengeresse Pepi, jouée par une autre future actrice fétiche du cinéaste, Carmen MAURA. Si Bom (Olvido GARA), la lesbienne dominatrice n'est guère intéressante, Luci (Eva SIVA), la fille soumise qui quitte son mari conservateur pour vivre pleinement ses penchants masochistes esquisse un mouvement de libération de la femme que Pedro ALMODÓVAR traitera par la suite bien plus en profondeur.
PS, il y a des films compliqués à noter. Celui-ci pris hors de son contexte est objectivement un navet mais si on le raccroche au parcours du cinéaste qui l'a tourné et au moment historique de sa gestation, il prend un sens qui ne peut être une perte de temps.
Pedro ALMODÓVAR en panne sèche dans ce qui est l'un de ses plus mauvais films. Bien plus mauvais que ceux de ses débuts qui avaient pour eux une certaine fraîcheur. Là, ça sent franchement la viande avariée dans cet avion qui tourne en rond-rond (comme le scénario du film). Moins une métaphore de l'Espagne en crise qu'une régression communautariste sans pour autant que l'énergie de la Movida n'anime le film. Ce qui est révolu ne peut être ranimé. Aussi le spectateur lambda se retrouve dans la situation du passager classe éco qui sous l'effet de ce puissant somnifère sombre peu à peu dans une douce torpeur et est exclu de la fête (à l'exception de celui qui, bien gaulé peut servir de poupée gonflable à Lola DUEÑAS). Seuls les initiés peuvent s'éclater à l'image des passagers classe affaire et de l'équipage qui s'envoient joyeusement en l'air durant 90% de l'histoire. Mais ils sont bien les seuls avec leurs cocktails à la mescaline et leur déchaînement de libido 100% "La Cage aux Folles" (1973): les personnages sont caricaturaux, les intrigues sont insignifiantes et décousues, le rythme est poussif, la construction, foutraque (la séquence initiale entre Antonio BANDERAS et Penélope CRUZ tombe comme un cheveu sur la soupe ou plutôt comme le téléphone depuis le pont du viaduc qui vient briser le huis-clos du reste du film) La seule scène un peu sympa est celle de la chorégraphie des trois stewards sur "I'm so Excited" des The Pointer Sisters, autrement dit, une séquence-clip. C'est trop peu.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.