Je n'avais pas très envie d'aller voir "L'Amour Ouf" et je n'ai pas vraiment aimé le résultat. Certes, il y a d'excellentes idées de mise en scène, une photographie qui décoiffe, une envie de cinéma XXL à l'américaine qui n'est pas fréquente dans le cinéma français, une interprétation qui "déchire", surtout de la part des deux jeunes acteurs Mallory WANECQUE et Malik FRIKAH qui peuvent légitimement espérer rafler un prix révélation lors de la prochaine cérémonie des César car ils portent la moitié du film sur leurs épaules. Adele EXARCHOPOULOS et Vincent LACOSTE sont également excellents (en revanche je trouve le jeu de Francois CIVIL trop limité). Oui mais le résultat ne m'a pas convaincu. C'est trop: trop long, trop tape-à-l'oeil, trop m'as-tu vu, trop kitsch avec certains plans frôlant le grotesque (le coeur et le chewing-gum qui battent, le baiser sur fond de coucher de soleil cliché à mort). Et ce n'est pas assez à la fois parce que Gilles LELLOUCHE veut faire une sorte de cinéma total qui brasse un peu tous les genres (drame romantique, teen movie, film de gangsters, comédie musicale, film de procès, film social, comédie "buddy movie" avec Raphael QUENARD et Jean-Pascal ZADI...) mais n'arrive pas bien à les amalgamer et surtout à les creuser. Dans certains films, les contraires s'attirent et s'enrichissent mutuellement mais dans celui-ci, c'est comme s'ils se repoussaient. Peut-être parce que cela manque de dialogues un tant soit peu consistants. On a donc au final une maîtrise insuffisante et un manque de profondeur criant.
Les spectateurs étrangers ayant en tête l'univers de "Harry Potter" à l'évocation d'un collège anglais avec ses vénérables portraits, ses boiseries, ses uniformes et ses préfets risquent de déchanter. Car c'est plutôt à un camp de concentration dissimulé sous une architecture gothique que ressemble "If....", véritable brûlot contestataire typique de l'esprit de mai 1968. Le réalisateur, Lindsay ANDERSON s'est inspiré d'un film beaucoup plus ancien, celui de Jean VIGO, "Zero de conduite" (1933) traversé par le même souffle libertaire et onirique à l'intérieur d'un système moins éducatif que répressif et carcéral. Les élèves subissent à longueur de journée un lavage de cerveau destinés à en faire de futurs bons petits soldats au service de la sainte trinité du système: l'école, l'église et l'armée. Les représentants de ces trois institutions se contentent cependant d'asséner leurs discours de propagande, laissant leurs hommes de main, les "whips" le soin de faire régner la discipline. Ceux-ci, recrutés parmi les élèves de dernière année ne sont rien d'autre que des kapos fliquant les autres élèves avec sadisme et abusant de leur pouvoir pour satisfaire leurs désirs les plus troubles, même si ceux-ci ne sont que suggérés (on est pas chez Pier Paolo PASOLINI). Un élève leur résiste particulièrement, Michael Travis alias Malcolm McDOWELL qui faisait avec ce film une entrée remarquée au cinéma. Tellement remarquée que Stanley KUBRICK allait lui donner peu après le rôle principal de "Orange mecanique" (1971). Dans "If...." il incarne déjà par sa seule présence magnétique, sa nonchalance et son rictus goguenard une jeunesse de plus en plus remontée à bloc au fur et à mesure que les brimades s'accumulent. Plus le film avance et moins on arrive à distinguer le réel du rêve, tant le film est traversé de fulgurances, certaines en noir et blanc ce qui est plus ou moins accidentel mais accentue le sentiment d'étrangeté d'un film que l'on croit longtemps intemporel jusqu'au final explosif qui semble inéluctable.
J'ai beaucoup tergiversé avant de regarder "Réparer les vivants" car j'ai une certaine phobie des images montrant des opérations chirurgicales et je n'ai donc pas pu regarder le passage très documenté de la transplantation cardiaque (comme il m'a toujours été impossible de regarder l'opération de "Les Yeux sans visage") (1960). Néanmoins, j'ai beaucoup apprécié le caractère poétique du film qui donne une dimension spirituelle au don d'organes. L'introduction est magnifique, on est en lévitation avec Simon qui s'envole par la fenêtre sur son vélo avant de surfer, la caméra au ras des vagues. Cet aspect planant, zen ne disparaît jamais totalement du film. Une autre scène montre l'ascension de Simon, tout aussi aérienne vers la jeune fille qu'il aime. Le docteur Remige, chargé de la délicate mission de convaincre les parents de donner le coeur de leur enfant en état de mort cérébrale se ressource en écoutant sur son ordinateur pépier un chardonneret ce qui participe de cette atmosphère. Tout comme la douceur presque élégiaque émanant du personnage de Claire que ses problèmes cardiaques obligent à vivre à petit régime. Par ailleurs, le film se distingue par son casting et sa direction d'acteurs ce qui est une caractéristique du cinéma de Katell QUILLEVERE (tout comme l'inspiration romanesque). Certes, il y a trop de personnages, notamment dans le domaine médical ce qui ne permet pas de donner à tous le relief nécessaire. C'est un choix justifié par le fait que comme dans "Pupille" (2018), on rencontre les maillons d'une chaîne de solidarité appelés à disparaître dès que leur mission est accomplie. Mais certains tirent leur épingle du jeu mieux que d'autres. On retient particulièrement la détresse des parents de Simon (joués par Emmanuelle SEIGNER et Kool SHEN qui est inattendu et particulièrement remarquable), la douceur du personnage de Tahar RAHIM dans le rôle du docteur Remige à l'inverse de la prestation plus sèche et clinique de Bouli LANNERS et enfin une Anne DORVAL lumineuse aux antipodes des rôles joués pour Xavier DOLAN.
"Club Zéro" m'a fait penser par le milieu friqué et mortifère dépeint et son style froid, distancié, épuré et satirique au seul film de Ruben OSTLUND que j'ai vu, "Snow Therapy" (2014). Les questions soulevées sont pourtant pertinentes mais la manière dont elles sont traitées interroge. En effet ce n'est pas parce que Miss Novak (Mia WASIKOWSKA) est une gourou sectaire que Jessica HAUSNER doit coller à ce point à sa vision du monde dénuée de vie et d'affect. Tel quel, c'est le film qui est dénué de vie et d'affect, montrant une bande de jeunes embrigadés par leur prof, laquelle après une première phase d'hameçonnage autour de la "nutrition consciente" et de toutes les questions légitimes relatives à l'écologie ou de la santé que l'on peut se poser autour tombe le masque et leur propose de ne plus manger du tout. Malgré le maquillage verdâtre censé montrer les dégâts du jeûne prolongé, on peine à croire une seule seconde que ces adolescents sont véritablement anorexiques et il en va de même pour leur prof dont on ne sait rien, au-delà de sa logorrhée verbale, même pas comment elle mange lorsqu'elle ne se met plus en scène. Parce que la duplicité du personnage ne fait guère de doute mais la satire est paresseuse, se réduisant à une tisane commercialisée avec sa bobine sur l'emballage. Bref, le film est désincarné, abstrait et superficiel, n'utilisant le sujet que comme un prétexte à de pathétiques provocations et à un esthétisme léché, évitant soigneusement de se confronter à la maladie et à la mort en jouant la carte du conte moral. Les parents dépassés tout comme le personnel de l'établissement sont des éléments du décor parfaitement assortis à leurs intérieurs design ou cosy mais on est pas chez Jacques DEMY, hélas. "Club zéro", oui, zéro émotions.
Du film-culte de Diane KURYS vu à l'adolescence, il ne me restait à peu près rien. Aussi, le revoir a été pour moi comme le découvrir pour la première fois. Une fois de plus, le contexte est essentiel pour comprendre ce film dont l'histoire est ancrée au début des années 60, époque de l'adolescence de la réalisatrice mais qui a été réalisé à la fin des années 70. Les deux époques se répondent subtilement puisqu'à travers le portrait très autobiographique d'Anne (Eleonore KLARWEIN), de sa soeur et de leurs copines de lycée, Diane KURYS dépeint une génération tiraillée entre la société française traditionnelle gaullienne extrêmement corsetée et un ardent désir d'émancipation et de liberté. Le point de vue féminin donne évidemment à cette question qui concernait l'ensemble de la jeunesse des années 60 une saveur particulière. Il y avait encore peu de réalisatrices à l'époque où Diane KURYS a réalisé son premier long-métrage et celui-ci est devenu le premier teen-movie français. Bien plus que "Les Quatre cents coups" (1959) qui ne possède pas de dimension générationnelle, sans doute parce qu'en 1959, l'adolescent comme "classe d'âge" avec ses goûts et ses désirs propres n'avait pas encore été inventé. C'est la société de consommation et l'allongement de la durée des études qui ont façonné en France cette nouvelle catégorie sociale, née avec le journal "Salut les copains" au début des années 60. Les marqueurs de la culture adolescente sont partout dans le film de Diane KURYS, yé-yé et rock affichés sur les murs ou émanant des tourne-disques et radios portatives. Et puis les photos de vacances à la mer et au ski qui rappellent que ces années-là voient l'avènement du tourisme de masse. Mais "Diabolo Menthe", c'est aussi le poids du patriarcat et des moeurs puritaines. Un lycée qui ressemble à une caserne, la non-mixité, les blouses uniformes, un personnel enseignant de cheftaines psychorigides pour la plupart pouvant aller jusqu'au sadisme (la prof de dessin), une mère certes aimante mais fliquant ses filles sur leurs horaires de sortie ou leur tenue vestimentaire, le divorce alors exceptionnel et stigmatisant, les comportements masculins déplacés etc. Dans cet univers carcéral fait d'interdictions tant sur le plan sexuel que politique, les quelques coups d'éclat marquent les esprits, que ce soit le chahut dans les cours d'une prof de maths sans autorité jouée par Dominique LAVANANT, les badges vendus par Frédérique (Odile MICHEL), le discours de Pascale (Corinne DACLA) sur les événements du métro Charonne encouragée par la prof d'histoire que l'on devine communiste ou encore la fugue de Muriel (Marie Veronique MAURIN) criant "merde, merde, merde" dans la cour du lycée avec le même caractère exutoire que les "fuck you" hurlés par une iranienne à la face du monde dans "Critical Zone" (2023)
"Mes petites amoureuses" (d'après le poème de Arthur Rimbaud qui a incarné à lui seul l'adolescence rebelle bien avant Jean-Pierre LEAUD) aurait dû être un tremplin pour son réalisateur, Jean EUSTACHE comme l'avait été "Les Quatre cents coups" (1959) pour Francois TRUFFAUT. Mais cela ne fut pas le cas. Sans doute parce que le ton du film était trop âpre, trop amer bien que détaché. On y voit un jeune garçon de treize-quatorze ans qui sans doute renvoie au réalisateur étant donné que le film a une forte résonance autobiographique faire l'apprentissage de la vie sous l'angle des désillusions. Ce qui m'a frappé, c'est le contraste entre la vitalité et les aspirations de Daniel et les déceptions que la vie lui réserve. Le film s'ouvre pourtant sur de belles promesses. Daniel a été déclaré apte pour le collège, il ressent ses premiers émois, il a des amis et une grand-mère bienveillante jouée par la merveilleuse Jacqueline DUFRANNE que j'ai tant aimé chez Maurice PIALAT (lequel vient d'ailleurs jouer une petite scène dans le film). Hélas pour lui, sa mère le ramène chez elle à Narbonne où elle vit avec un ouvrier espagnol mutique sans avoir rien à lui offrir sinon de la promiscuité, de l'indifférence et de l'aigreur. Elle lui coupe les ailes en le mettant en apprentissage chez un mécanicien qui ne pense qu'à l'exploiter ce qui transforme Daniel en tire-au-flanc. En amour ce n'est pas mieux, ses initiatives maladroites se heurtent à une société encore très pudibonde et il en est réduit la plupart du temps à jouer les voyeurs. Le seul refuge de Daniel est le cinéma, le rêve à défaut d'une vie réelle mais décevante. Ce qui n'empêche pas d'apprécier la beauté de la photographie, les paysages solaires et bucoliques et 1001 détails de la vie d'autrefois saisis avec réalisme.
"Le Péril jeune" est un film culte de la première moitié des années 90. Plus exactement un téléfilm commandé par Arte dans le cadre d'une collection sur les années lycée et qui s'est autonomisé du lot pour sortir au cinéma avec le succès et la postérité que l'on sait. D'ailleurs à la même époque, Arte avait commandé une autre série de téléfilms sur l'adolescence, "tous les garçons et les filles de leur âge" d'où sont sortis également quelques films importants transposés au cinéma dont "Les Roseaux sauvages" (1994) de Andre TECHINE avec Elodie BOUCHEZ qui jouait également dans "Le Péril jeune". Ces films ont en effet permis d'apporter un renouveau dans le regard porté sur l'adolescence et du sang frais dans le cinéma français. Le casting du film de Cedric KLAPISCH comporte plusieurs futures stars, Romain DURIS en tête qui avait 19 ans, dont c'était le premier rôle et qui crevait l'écran. Cedric KLAPISCH venait de dénicher son Antoine Doinel avec lequel il allait tourner par la suite sept films dont la trilogie de l'auberge espagnole traitant également de thèmes proches. On voit déjà dans "Le Péril jeune" (qui n'était que le deuxième film de Klapisch) s'esquisser une famille de cinéma avec des seconds rôles tels que Zinedine SOUALEM ou Marina TOME et même Renee LE CALM qui prononce la phrase donnant son titre au film. Cedric KLAPISCH lui-même fait plusieurs caméos dans le film ce qui deviendra son habitude.
"Le Péril jeune" est emblématique des films de jeunesse de Cedric KLAPISCH quand celui-ci savait saisir les changements à l'oeuvre dans un quartier, dans la famille ou dans la jeunesse avec justesse et légèreté tout en l'inscrivant toujours dans une certaine mélancolie. Je suis nostalgique de cette période de sa filmographie car je trouve que sa patte s'est depuis considérablement alourdie. L'idée de génie de "Le Péril jeune", outre le refrain "on s'était dit rendez-vous dans 10 ans" qui fait fonctionner le film en flash-backs, l'inscrivant d'emblée dans un cadre nostalgique de jeunesse révolue et de passage de témoin avec l'attente de la naissance d'un enfant, c'est le personnage de Tomasi. Sa disparition le transforme en symbole, l'incarnation de l'adolescent rebelle, fauché au zénith de sa jeunesse ce que les dernières images transcrivent parfaitement. Il s'inscrit dans une lignée qui évoque aussi bien James DEAN que Jim MORRISON d'autant que ce dernier appartient à la même époque que la jeunesse du film, à savoir la première moitié des années 70 marquée par le rock, la contre-culture, l'émancipation des filles mais aussi la montée du chômage de masse et la drogue, bref l'angoisse du "no future" qu'incarne parfaitement Tomasi, cet être solaire qui porte en lui la mort.
"Le film de Thomas CAILLEY bouscule le cinéma français": c'est le moins que l'on puisse dire! Car même en connaissant vaguement le synopsis, jamais je n'aurais pensé qu'un jour, un cinéaste français allait réaliser en prises de vues réelle un film aussi proche de ce que j'ai pu voir et ressentir devant les plus grands films d'animation japonais pour lesquels la métamorphose, particulièrement celle de l'adolescence n'a aucun secret. Alors, bien sûr que l'on pense à Hayao MIYAZAKI qui dans toute son oeuvre a analysé la relation entre l'homme et la nature. On pense tout particulièrement à "Princesse Mononoke" (1997) parce que l'histoire se déroule dans une grande forêt peuplée d'esprits en lutte contre une micro-société humaine et que par-delà tout manichéisme, la question que pose "Le Règne animal" est fondamentalement la même: comment cohabiter? Mais il y a un film qui ressemble encore plus à "Le Règne animal", c'est "Les Enfants Loups : Ame & Yuki" (2012) de Mamoru HOSODA. Le film raconte l'histoire d'amour clandestine entre une jeune femme et un homme-loup qui disparaît rapidement et la nécessité pour elle par la suite de partir à la campagne, près de la forêt afin d'élever leurs enfants, tous deux hybrides et qui en grandissant doivent choisir entre la condition d'homme et celle de loup. Dans "Le Règne animal", c'est le père, François (Romain DURIS) qui est humain et sa femme, Lana qui s'est transformée, comme d'autres humains, en créature hybride que la société, dépassée, ne sait gérer que par la violence et la camisole chimique. Le film montre de manière frappante ce que le géographe François Terrasson appelait "L'Apartheid de la nature" c'est à dire la séparation totale entre la société humaine et la forêt avec une frontière hérissée de barrières entre deux mondes étanches qui ne communiquent pas. Le seul qui y parvient est Emile (Paul KIRCHER), le fils de François et de Lana parce que c'est un adolescent en pleine transformation et que celle-ci emprunte le chemin de l'hybridation. C'est lui que l'on suit et qui nous permet de basculer dans l'autre monde, peuplé de créatures fantastiques plus vraies que nature et plus humaines que les humains. Il y a Fix (Tom MERCIER), l'homme-oiseau qui fait penser à une gueule cassée et a bien du mal à prendre son envol. Il y a aussi la petite créature qui le suit partout et qui à l'approche de la menace humaine adopte le camouflage du caméléon. Il y a enfin la mère, Lana que Emile ne peut retrouver qu'en liberté. Les effets spéciaux, eux-mêmes hybrides sont une réussite ainsi que la conception des créatures (élaborées avec l'aide de l'auteur de BD, Frederik Peeters qui est un disciple de Moebius lui-même grand fan de Miyazaki). Le fait d'avoir tourné en décors naturels est également un élément clé de la réussite du film. Jamais la forêt des Landes (pourtant à l'origine une plantation d'arbres 100% d'origine humaine!) n'a paru aussi mystérieuse, ni aussi "naturelle". Et la scène de chasse à "l'homme-animal" en nocturne dans les champs de maïs avec des hommes à échasses est particulièrement puissante. Les quelques scories du film (Adele EXARCHOPOULOS dans un rôle qui sonne faux et qui est inutile par exemple) n'enlèvent rien à la beauté, la force d'évocation du film et à la richesse des réflexions qu'il suscite.
Monteur professionnel dans différents secteurs (courts-métrages, clips, séries), Matthieu RUYSSEN est passé à l'écriture et à la réalisation avec "Les Baleines ne savent pas nager" en 2020, son premier court-métrage. Situé entre "Naissance des pieuvres" (2007) et "Le Grand bain" (2017). La similitude avec le film de Gilles LELLOUCHE est particulièrement frappante. Même si le scénario a été écrit avant la sortie du film, il lui fait écho en décrivant la passion secrète pour la natation synchronisée d'Yves, un adolescent corpulent qui a une double vie. Le jour, il subit des brimades à l'école où il ne brille guère par ses résultats et où il est moqué pour son physique ingrat. A la maison ce n'est guère mieux, son père étant plus préoccupé par ses rendez-vous galants que par ses enfants. La nuit il s'introduit à la piscine pour travailler seul la chorégraphie qu'il a vu être répétée en journée par les filles. Le film raconte comment il réussit à s'affranchir du poids des normes et de la peur du regard des autres pour participer à une démonstration en public grâce à son amitié naissante avec Charlotte. On dira que cela n'est guère original mais d'une part, la performance de Yves n'est pas idéalisée et reste limitée et de l'autre, le monde adulte est dépeint d'une manière sarcastique qui rend le film souvent drôle. Raphael QUENARD que l'on ne présente plus interprète un coach obsédé par la performance... de sa longue perche tendue vers le groupe féminin qu'il entraîne. Le père d'Yves (Bruno PAVIOT) qui néglige son fils au profit de sa nouvelle conquête est ridicule et la prof de physique (Camille RUTHERFORD) ne cherche pas à cacher qu'elle est complètement dépressive. Quant au proviseur collectionneur (Hugues MARTEL), il orchestre un conflit et une agression d'une manière plutôt surprenante. En bref les adultes apparaissent comme immatures, laissant le champ libre aux adolescents qui désirent innover. Soit l'extrême inverse d'un film qui reposait lui aussi sur la stigmatisation de ceux qui ne parvenaient pas à se fondre dans le groupe, "Full Metal Jacket" (1987) dont un jeune homme corpulent surnommé justement "Baleine". Mais avec une issue tout autre.
"La folle journée de Ferris Bueller" est l'un des meilleurs teen-movie de l'histoire. C'est une comédie culte, impertinente, intelligente et qui procure un jubilatoire sentiment de liberté. le film parle d'ailleurs tout autant aux adolescents qu'aux adultes qui ne l'ont pas oublié (à l'image du réalisateur John HUGHES). Ferris Bueller (Matthew BRODERICK, excellent) qui ne cesse de prendre le spectateur à témoin de ses combines pour profiter de la vie au nez et à la barbe des adultes aurait pu être une insupportable tête à claques. Mais grâce aux qualités d'écriture de son personnage qui s'avère agir par altruisme, le spectateur prend son parti et éprouve de la jubilation devant son audace à qui rien ne résiste. Et surtout pas des adultes mortellement ennuyeux à l'image de la plupart des cours, enfermés dans leurs routines morbides, stupidement crédules ou tragiquement absents. Ainsi Cameron, le meilleur ami de Ferris est dépressif et n'a de confrontation avec son père qu'à travers un objet, sa Ferrari à qui il semble tenir plus qu'à son fils. Plutôt que la fuite par la maladie, Ferris propose à sa petite amie Sloane et à Cameron d'inventer une temporalité parallèle (ce que souligne l'affiche du film) lors d'une journée où tout serait permis dans une sorte de subversion carnavalesque. L'aspect jouissif et transgressif de cette soudaine liberté est rehaussée par les manoeuvres grotesques du directeur (Jeffrey JONES) pour coincer Ferris, tel Gargamel échouant à attraper les schtroumpfs. Et pendant que les institutions se ridiculisent, la jeunesse libérée de ses chaînes s'offre une parenthèse enchantée, que ce soit lors d'un numéro improvisé au cours d'une parade ou de la visite du musée de Chicago aussi surprenante et dynamique que dans "Bande a part" (1964). L'insolence et la flamboyance de la jeunesse selon John HUGHES a beaucoup de points communs avec celle qu'a montré à l'écran Jean-Luc GODARD et Michel Poiccard n'hésitait pas non plus à faire rouler à fond la caisse une automobile empruntée tout en brisant le quatrième mur pour prendre le spectateur à témoin. D'ailleurs la soeur frustrée et jalouse de Ferris (Jennifer GREY) finit par être contaminée par l'esprit de la bande en tombant amoureuse d'un petit voyou joué par Charlie SHEEN!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.