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Paterson

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (2016)

Paterson

Paterson, titre de la gémellité (il désigne à la fois la ville où se déroule l'action dans le New-Jersey et le patronyme du personnage principal, d'ailleurs il signifie père-fils) fait partie de ce que l'on peut appeler un "film en creux". Il est construit sur ce qui n'est pas: le non-événement, le non-mouvement, le non-changement, le non-agir. Son caractère épuré et l'intervention à la fin de Masatoshi Nagase qui avait joué 27 ans auparavant dans "Mystery Train" du même Jarmusch en font une sorte de balade contemplative zen où les poèmes qui s'affichent à l'écran résonnent comme des haïkus. Une manière de souligner que le jumeau spirituel de Paterson est japonais et vit à Osaka alors même que celui-ci semble ne jamais avoir de sa vie franchi la limite invisible qui sépare sa ville du New-Jersey du reste du monde.

En effet un autre aspect marquant du film réside dans sa structure qui épouse l'agenda routinier et réglé au millimètre de Paterson (Adam Driver).  Comme dans "Un jour sans fin" mais sans une once de fantastique, celui-ci vit enfermé dans un temps cyclique et dans un périmètre étroit dont il ne sort jamais. Ses journées sont donc routinières et marquées par les mêmes rituels (le lever à heure précise, le petit déjeuner toujours identique, le départ au travail par le même chemin, les heures de boulot, le déjeuner près des chutes d'eau, le retour, le dîner, la promenade du chien et la bière au bar avec l'écriture pour combler les interstices). Paterson déteste tout ce qui peut troubler cet ordre. On le voit à trois reprises redresser le poteau qui soutient la boîte aux lettres lorsqu'il rentre le soir, poteau qu'il retrouve de travers le lendemain après le passage de Marvin le bouledogue (seul personnage imprévisible qu'il n'aime d'ailleurs pas). Le moindre petit accroc (comme la panne du bus qu'il conduit) le laisse démuni. Jarmusch en profite pour faire de l'humour en le montrant téléphonant avec le smartphone customisé d'une petite fille puisque lui-même n'en possède pas tant il vit en dehors de son temps. Ce qui nous ramène à la gémellité. Paterson est double, son corps est enfermé dans un ici et maintenant étriqué mais son esprit vagabonde sur une autre planète hors du temps.

Car et c'est tout l'intérêt du film, Paterson est un poète qui sait déceler la beauté dans les moindres détails du quotidien. "Paterson" rejoint de ce point de vue "Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain" en dressant le portrait d'introvertis à la riche vie intérieure qui savent célébrer le plaisir du petit détail qui tue comme le logo d'une boîte d'allumettes en forme de mégaphone ou les sonorités du mot "waterfall" ou encore les récits entendus dans le bus. Sa femme Laura (Golshifteh Farahani) bien qu'ayant un tempérament opposé au sien manifeste le même caractère paradoxal, sa créativité bouillonnante (qu'elle exprime dans la musique, la décoration, la fabrication de vêtements ou encore la pâtisserie) tournant de façon obsessionnelle autour des mêmes couleurs (noir et blanc) et des mêmes motifs géométriques avec une prédilection pour le cercle (en cela elle ressemble bien à Paterson). De plus à l'exception de sa sortie au marché pour vendre ses créations, elle ne sort jamais de chez elle, son talent s'exprimant à huis-clos.

 

 

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Blue Velvet

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1986)

Blue Velvet

Après un début en forme de spot publicitaire célébrant béatement les joies de l'American dream des années cinquante, ses clôtures immaculées et fleuries, ses jardins taillés au cordeau, la bonhommie de ses agents, voilà que la belle histoire déraille* avec la crise cardiaque d'un homme arrosant son jardin permettant à David Lynch de plonger dans le gazon jusqu'à rencontrer la vermine qui grouille**. Cette introduction annonce le principe du film qui fonctionne sur deux niveaux, celui de la romance cucul la praline et celui du thriller horrifique et érotique avec le personnage principal, Jeffrey (Kyle Maclachlan) à l'intersection des deux niveaux. Jeune homme d'apparence très lisse et sans histoire, le voilà qui glisse vers l'assouvissement de ses fantasmes inavoués via un conduit d'oreille coupée trouvée dans l'herbe. Un changement d'échelle suggéré par la caméra dès les première images qui évoque "Alice au pays des cauchemars". Jeffrey devient alors dual, satisfaisant la nuit ses penchants voyeuristes et sadomasochistes auprès de la sulfureuse et brune Dorothy*** (Isabella Rossellini) tout en courtisant le jour la blonde et un peu bécasse Sandy (Laura Dern). Et quand le sous-sol remonte à la surface pour parasiter les clichés du teen movie on est à la limite de la parodie jouissive. Par exemple lorsque le petit ami officiel de Sandy qui est un joueur de football américain (pléonasme) vient avec ses potes régler son compte à Jeffrey parce qu'il lui a piqué Sandy voilà que surgit sans prévenir Dorothy à poil couverte d'ecchymoses qui telle un zombie se jette dans les bras de Jeffrey. S'ensuit une autre scène décalée chez les parents de Sandy où Dorothy toujours aussi nue colle un Jeffrey très embarrassé et évoque leurs ébats torrides sous les yeux d'une Sandy éplorée dont les grimaces grotesques font penser aux meilleurs cartoons! Et puis cette galerie de tordus ne serait pas complète sans l'incroyable prestation de Denis Hopper en psychopathe shooté à l'oxygène dont le comportement déviant semble lié à une homosexualité refoulée. Encore une dualité paradoxale car d'un côté Frank surjoue la virilité en terrorisant Dorothy et malmenant Jeffrey, de l'autre il ne semble pas très net avec son ami efféminé Ben (Dean Stockwell) et semble trouver Jeffrey à son goût.

* Les cinéastes qui soulignent le caractère factice des banlieues et des petites villes américaines en ouvrant la porte aux monstres refoulés sont nombreux. On pense par exemple à Hitchcock ("L'ombre d'un doute"), Burton ("Edward aux mains d'argent") ou Weir ("The Truman show").

** Evidemment cette ambivalence oscillant entre le conte de fée et le film de monstres en rejoint une autre qui est celle du sexe (féminin) et de la mort. Le premier est évoqué par le gazon mais aussi le velours bleu que porte Dorothy et qui est un substitut de la fourrure. La vermine qui grouille en dessous, le corps tuméfié ou le conduit de l'oreille en décomposition libère des images angoissantes d'anéantissement qui vont de pair avec celles que véhicule le sexe féminin auprès d'une partie de la gent masculine. 

*** David Lynch est un fervent admirateur du "Magicien d'Oz" qu'il cite dans "Blue Velvet" au travers du prénom du personnage d'Isabella Rossellini mais aussi dans "Sailor et Lula" qui peut être considéré comme une adaptation hallucinogène.

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Hostiles

Publié le par Rosalie210

Scott Cooper (2017)

Hostiles

« L'âme fondamentale de l'Amérique est dure, isolée, stoïque et meurtrière. Jamais encore elle ne s'est adoucie. » C'est par cette citation de l'écrivain britannique D.H. Lawrence que s'ouvre un film qui comme de nombreux westerns contemporains démythifient la légende de la conquête de l'ouest et tentent de se rapprocher de la vérité historique. Bref, le contraire de la célèbre citation extraite de "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962), " Quand la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende".

"Hostiles" est un film non manichéen qui montre que les Etats-Unis se sont construits dans la violence et s'il n'occulte pas un instant celle que les indiens ont infligé aux pionniers ou à eux-mêmes par des guerres intestines entre tribus, il est hanté par la barbarie génocidaire avec laquelle les soldats et les colons ont anéanti la civilisation indienne, soldats par ailleurs également coupables de massacres de civils lors de la guerre de Sécession qui a eu lieu trente ans avant l'histoire du film (qui se déroule en 1892). "Hostiles" montre le poids que cette violence fait peser sur les épaules d'une poignée de personnages, les terribles conséquences qui en découlent mais aussi comment il est possible d'en sortir. Ainsi la première et la dernière séquence se font écho. La première montre le massacre d'une famille de pionniers par les Comanches, la dernière montre la constitution d'une nouvelle famille à partir des survivants issus de groupes différents. Entretemps, le film montre le cheminement intérieur autant qu'extérieur d'un capitaine de cavalerie pré-retraité, Joe Blocker (Christian BALE) hanté par le souvenir de la mort de ses camarades lors des guerres indiennes et d'une veuve réchappée du massacre de sa famille, Rosalee Quaid (Rosamund PIKE) tous deux blessés jusqu'au fond de l'âme (dans des scènes quasi identiques, on les voit hurler leur souffrance) qui vont lentement se reconstruire, échapper au cercle vicieux de la haine et de l'autodestruction, trouver l'apaisement et ce alors même que les morts continuent de s'accumuler autour d'eux. Les soldats qui gravitent autour de Joe Blocker représentent pour la plupart une partie de lui-même; le jeunot sans expérience qui se fait dégommer à la première occasion (sauf que lui ne survit pas), le vieux briscard hanté par la mort subie et infligée, le psychopathe criminel etc. Mais en même temps, le chef cheyenne Yellow Hawk (Wes STUDI) qui est malade et qu'il est chargé bien malgré lui d'escorter avec sa famille jusqu'à ses anciennes terres tribales dans le Montana pour qu'il puisse y reposer en paix et Rosalee représentent autant de chances de rédemption. Il n'est pas faux de voir dans la relation d'estime réciproque qui se construit entre Blocker et Yellow Hawk un lointain écho de "La Grande illusion" (1937) de Jean RENOIR où le français et l'allemand fraternisaient en dépit du fait qu'ils étaient dans deux camps ennemis. Et une fois ses pulsions suicidaires et vengeresses apaisées, Rosalee, qu'il traite d'emblée avec un immense respect s'avère être d'une aide cruciale.

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Kié la petite peste (Jarinko Chie)

Publié le par Rosalie210

Isao Takahata (1981)

Kié la petite peste (Jarinko Chie)

Film pré-Ghibli réalisé par Isao Takahata, "Kié la petite peste" préfigure "Mes voisins les Yamada". En effet il s'agit de l'adaptation dans les deux cas d'un manga à sketches ayant pour thème principal la famille. L'époque de publication des mangas et de réalisation des animés (années 70-80 pour le premier, 90 pour le second) diffère ainsi que le style graphique mais dans les deux cas, ils sont très fidèles à l'œuvre d'origine qui est minimaliste.

"Kié la petite peste" est une chronique familiale haute en couleurs et qui s'apprécie encore plus si l'on fait l'effort de saisir son contexte culturel. L'histoire se déroule en effet à Osaka, surnommée la "Méditerranée du Japon" à cause de son tempérament nettement plus fou-fou qu'à Tokyo. La région se caractérise notamment par un accent gouailleur (qui nécessite de voir le film en VO), des spécificités culinaires (l'okonomiyaki, sorte d'omelette garnie), un vocabulaire fleuri et un humour de mauvais goût* que l'on retrouve dans le film au travers d'une galerie farcesque de personnages masculins (Tetsu le père de Kié, le patron de la salle de jeu auprès duquel il a contracté des dettes, son ancien prof, les yakuzas) ainsi que leurs animaux de compagnie (des chats bipèdes d'une force...surhumaine qu'ils tiennent de leurs testicules, cet attribut viril proéminent se retrouvant à l'identique chez des tanukis de "Pompoko" également réalisé par Takahata. Rien de vulgaire mais plutôt une célébration de la fertilité au travers de la mise en évidence de cet appareil reproducteur). Kié elle-même a un caractère bien trempé et il lui bien ça pour gérer une famille compliquée.

Car derrière la farce, le film raconte l'histoire d'une famille dysfonctionnelle avec une petite fille qui grandit entre un père irresponsable qui semble porter sur lui tous les défauts de la terre (elle refuse d'ailleurs de l'appeler "père", préférant l'appeler par son prénom) et une mère qui a abandonné le foyer familial. Kié est donc obligée de remplacer les adultes défaillants qui lui tiennent lieu de parents en gérant notamment le restaurant de son père ce qui perturbe ses études. Le seul être mature sur lequel elle puisse s'appuyer est son chat, Kotetsu. Mais rien de misérabiliste dans tout cela, au contraire car tous les personnages (sauf la mère de Kié, effacée dans la plus pure tradition japonaise) sont comiques et la solidarité du quartier joue à plein pour rabibocher de gré ou de force Tetsu et son épouse afin que Kié retrouve un minimum de stabilité familiale. C'est donc un mode de vie traditionnel en train de se perdre haut en couleur que fait vivre Takahata tout en jouant avec les formes et les codes (l'extrait live de Godzilla, un duel de chats testostéronés orchestré comme un western de Sergio Leone etc.)

* Un bon aperçu de cet humour dans le film est le moment où le patron de la salle de jeu reconverti en restaurateur offre un okonomiyaki à Kié. Pendant qu'il cuisine, il repense à son chat décédé Antonio qu'il a fait empailler et se met à sangloter de manière outrancière tant et si bien qu'il finit par arroser l'omelette de larmes mais aussi de morve sous les yeux effarés de Kié qui ne sait pas comment refuser le "cadeau" empoisonné. Du moins jusqu'à ce qu'un yakuza ne confisque l'okonomiyaki (sans savoir ce qu'il y a dedans) au grand soulagement de celle-ci et pour son grand malheur à lui!

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Hôtel Chevalier (Hotel Chevalier)

Publié le par Rosalie210

Wes Anderson (2007)

Hôtel Chevalier (Hotel Chevalier)

Bien que pouvant être vu et apprécié en lui-même, "Hôtel Chevalier" est le prologue du long-métrage de Wes Anderson sorti la même année, "A Bord du Darjeeling Limited". Il a pour personnage principal l'un des trois frères Whitman, Jack (Jason Schwartzman) qui fait une escale à Paris dans un hôtel de luxe (l'hôtel Raphael renommé "Chevalier" dans le film) quelques semaines avant de s'embarquer à bord du fameux périple en train qui constitue la colonne vertébrale du long-métrage de Wes Anderson. On reconnaît notamment sa valise qui fait partie de la même gamme que celle de ses frères. Mais à ses côtés, un autre personnage joue un rôle important alors qu'il est à peine montré dans le long-métrage, c'est son ex(?) petite amie, jouée par Natalie Portman qui vient lui rendre visite pour peut-être tenter de réparer les pots (les ponts?) cassés entre eux.

"Hôtel Chevalier" a beaucoup fait parler de lui à sa sortie parce que Natalie Portman y joue en partie dénudée. Cela n'a cependant rien de gratuit car la beauté plastique de l'actrice ne fait pas oublier les bleus qui recouvrent son corps et qui parlent d'eux-même, tout comme la fin où Jack lui fait contempler la "vue" qu'il a de Paris depuis sa fenêtre avant qu'un mouvement de caméra nous révèle que celle-ci est complètement bouchée. On peut également souligner le fait que Jack commande des plats auxquels il ne touche pas, déshabille son amie tout aussi appétissante mais ne fait pas l'amour avec elle ou encore regarde "Stalag 17" à la TV, un film de Billy Wilder ayant pour cadre un camp de prisonnier. Cette atmosphère d'impuissance dépressive s'allie à un écrin magnifique que ce soit au niveau des lumières et des couleurs (le blues du dehors contrastant avec la dominante curry de la chambre qui annonce le but du voyage à venir) ou de la balade entêtante et très élégante qui accompagne la plus grande partie du film, "Where Do You Go To (My Lovely)" de Peter Starstedt qui fait écho aux plats en français commandés par Jack. 

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Les choses de la vie

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1970)

Les choses de la vie

Le décès de l'acteur Michel Piccoli puis du scénariste et dialoguiste Jean-Loup Dabadie à une semaine d'intervalle m'a donné envie de revoir "Les Choses de la vie", un film emblématique des années 70 et du "style Sautet". 

En effet, ce qui frappe d'emblée quand on regarde ce film, c'est à quel point il est ancré dans une époque révolue tant sur le plan technologique que culturel. Sur le plan technologique, la lenteur avec laquelle Pierre (Michel Piccoli) est secouru (il reste étendu dans le champ au moins une demi-heure avant l'arrivée de l'ambulance) rappelle ce que c'était de vivre dans un monde non connecté (peut-être d'ailleurs son destin en aurait-il été changé? Car cette absence de connexion n'était pas que technologique, elle était aussi civilisationnelle, j'y reviendrai.) Sur le plan culturel, il est inimaginable aujourd'hui de voir des acteurs avec la clope au bec en permanence dans des atmosphères enfumées (sauf dans les reconstitutions). La loi Evin est passée par là ainsi que l'augmentation vertigineuse des prix, une meilleure connaissance des effets sur la santé mais aussi une image ringarde désormais associée à ce produit. Enfin les problèmes matrimoniaux de Pierre semblent eux aussi terriblement datés. En 1970 le divorce par consentement mutuel n'existait pas encore et le mariage était davantage la norme. La femme ne semblait d'ailleurs pas pouvoir se réaliser autrement (le personnage d'Hélène joué par Romy Schneider n'envisage pas un instant de partir seule à Tunis). Des rigidités amplifiées par le milieu social bourgeois dans lequel s'inscrit le film où il faut en plus gérer un patrimoine qui après le départ de l'époux se détériore. Le bateau qui prend l'eau, le volet de la maison secondaire à l'île de Ré qui bat la breloque symbolisent le fait que l'épouse de Pierre ne peut pas se débrouiller seule ce qui a quand même changé depuis (même si le fait que beaucoup de familles bourgeoises ont une maison secondaire à l'île de Ré reste d'actualité).

Mais cette sujétion de la femme à l'homme dans le mariage, cadre normatif qui paraissait alors indépassable n'est pas aliénante que pour la femme, elle l'est aussi pour l'homme. Car l'accident de voiture, morceau de bravoure qui rythme la narration et transforme ce qui paraît n'être qu'un banal drame bourgeois en tragédie symbolise la crise existentielle de Pierre qui comme beaucoup de personnages de Sautet (comme Sautet?) sont coupés d'eux même. Ne parvenant plus à jouer son rôle de pater familias, il ne parvient pas cependant à se débarrasser de la pesante culpabilité qui pèse sur lui et encore moins à réinventer un autre modèle de couple et de famille. L'homme de cette époque ne communique pas, communiquer c'est féminin. L'homme de cette époque ne montre pas ses sentiments pour ne pas être considéré comme une femmelette. L'homme de cette époque a tellement bien appris dès le plus jeune âge à se blinder qu'en fait, il ne ressent même plus rien. L'état comateux de Pierre qui ne souffre même pas alors que son corps est moribond en dit très long sur la nature d'un personnage qui voit sa vie lui échapper une fois que le blindage a sauté, à tous les sens du terme. Et Michel Piccoli avec son jeu distancié excelle dans ce type de rôle tandis que les dernières visions de sa conscience (certaines poignantes, d'autres barrées*) démontent tout comme l'incroyable montage de la séquence l'accident l'idée préconçue que certains se font du cinéaste.

* Comme la scène du banquet de mariage qui s'avère être un repas de funérailles quand la caméra découvre que les convives à droite sont les témoins de l'accident avec parmi eux Boby Lapointe.

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My Blueberry Nights

Publié le par Rosalie210

Wong Kar-Wai (2007)

My Blueberry Nights

"My Blueberry Nights" est considérée comme une œuvre mineure de Wong Kar-Wai mais je la préfère à "2046" par exemple car il a le mérite de la simplicité tout en dégageant une atmosphère envoûtante et en étant plus original qu'il n'y paraît. Certes, c'est un film inégal, conçu à partir de l'un des sketches qui devait constituer "In the Mood for love" à l'origine. Celui-ci devait comporter trois parties tournant autour de la nourriture (entrée, plat et dessert). La partie "plat" a pris toute la place dans "In the Mood for love" si bien que Jude Law et Norah Jones ont remplacé Tony Leung et Maggie Cheung pour déguster le dessert dans un café délocalisé quelque part à New-York. Le scénario de "My Blueberry Nights" repose sur une déception amoureuse, une attente, des rencontres, il se construit en creux, sur des histoires d'objets abandonnés par leurs propriétaires qui font écho à des âmes esseulées, celle de l'héroïne et des gens qu'elle croise au gré de ses pérégrinations et avec lesquels elle fait un bout de chemin.  Le changement de cadre géographique inspire Wong Kar-Wai en lui permettant de jouer sur plusieurs tableaux: les lieux clos et les grands espaces, la nuit et le jour, la sédentarité et le mouvement, le blues et la fleur bleue. L'idée de faire réorchestrer l'un des thèmes phare de "In the Mood for love" par Ry Cooder (auteur de l'inoubliable BO de "Paris, Texas" autre film d'exilé magnifiant l'Amérique) établit un élégant trait d'union entre Hong-Kong et les USA. Aux couleurs à dominante rouge et verte des ambiances nocturnes urbaines écrites le plus souvent au néon s'opposent les couleurs chaudes du désert (beau travail du chef opérateur Darius Khondji créateur de bulles colorées comme dans les films de Jeunet et Caro). Le premier écrin est conçu pour Jeremy (Jude Law) qui dans un renversement des rôles assignés aux hommes et aux femmes dans les récits traditionnels attend le retour de sa belle partie en mer… ou plutôt dans l'Amérique profonde en lui concoctant de bons petits plats dans son chaleureux cocon ^^. Le second est conçu pour la flambeuse Leslie (Natalie Portman) qui se déplace en jaguar et met au tapis ses partenaires masculins. Entre ces deux pôles splendides il y a un segment assez mauvais autour d'une rupture amoureuse hystérique et cliché entre un flic (David Strathairn) et son épouse (Rachel Weisz) avec deux acteurs lourdement démonstratifs. Cette faute de goût est seul véritable maillon faible du film.

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Le mystérieux Dr Korvo (Whirpool)

Publié le par Rosalie210

Otto Preminger (1949)

Le mystérieux Dr Korvo (Whirpool)

Moins connu que "Laura" (tout simplement parce que ce n'est pas un chef d'œuvre ni même un très bon film), "Le mystérieux docteur Korvo" tourné cinq ans après en constitue pourtant le prolongement. Une intrigue de film noir sur un fond psychanalytique (qui était alors à la mode à Hollywood, on la retrouve à la même époque chez Lang, Hitchcock etc.), un triangle amoureux ayant pour sommet la sublime Gene Tierney dont c'était la deuxième collaboration avec Otto Preminger, une ambiance onirique dans un appartement où trône un grand portrait de femme, un personnage en clair-obscur sous l'emprise d'un criminel, des mouvements de caméra à la grue d'une grande élégance. Ainsi la séquence où Ann Sutton (Gene Tierney) se rend sous hypnose dans la demeure de Theresa Randolph (Barbara O'Neil) est un rêve éveillé qui ressemble beaucoup à celle où l'inspecteur découvrait Laura. Comme ce dernier, le film interroge le malaise de la femme (aisée) dans la société patriarcale américaine.

Mais le film souffre d'un scénario franchement bancal et de personnages mal définis (à l'exception de celui de Ann Sutton). Si José Ferrer dans le rôle de l'hypnotiseur machiavélique a beaucoup de charisme (il me fait penser à Vincent Price, autre acteur utilisé chez Preminger ou chez Mankiewicz pour assoir sa domination sur Gene Tierney), son personnage n'a aucune profondeur. Mais le pire reste l'époux (Richard Conte), un grand psychanalyste qui apparaît aussi benêt que monolithique. Il ne soupçonne pas un instant les tourments de sa femme et rien ne semble l'atteindre (l'interprétation est catastrophique, rendez-nous Dana Andrews!) Par ailleurs trop d'invraisemblances rocambolesques dénaturent le film en le rapprochant d'un feuilleton fantastique de série Z. Le Dr Korvo possède des pouvoirs quasi magiques qui lui permettent d'envoûter sa victime mais aussi lui-même au point de ne plus ressentir de souffrance. En même temps le scénario essaye d'expliquer (laborieusement) de façon rationnelle que ses prétendus pouvoirs relèvent de la charlatanerie. Heureusement que le scénario (écrit pourtant par Ben Hecht qui n'était pas un second couteau) ne fait pas tout dans un film qui reste mineur mais très agréable à regarder. 

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In the Cut

Publié le par Rosalie210

Jane Campion (2003)

In the Cut

"In the Cut" est un polar urbain très travaillé sur la forme, peut-être trop d'ailleurs parce qu'il y a une distorsion entre l'ambition affichée et le rendu final. L'ambition affichée consiste comme le titre et le début du film l'indiquent à plonger dans les entrailles du mystère féminin écartelé par l'éducation traditionnelle entre rêverie romantique et désirs sensuels. On a donc une alternance entre le blanc virginal des fiançailles idéalisées sur la glace et le rouge du sexe incarné par des objets phalliques et en particulier un phare écarlate où se dénoue l'action. L'impossible unification entraîne une autre dichotomie, celle d'Eros (scènes torrides à l'appui) et de Thanatos (d'atroces meurtres de femme en série dans un New-York bien glauque nageant dans un flou artistique). L'héroïne, Frannie (Meg Ryan bien connue pour ses rôles dans des comédies romantiques et qui joue ici à contre-emploi) est coincée dans une période d'abstinence sexuelle jusqu'au jour où elle voit ses désirs inconscients remonter à la surface lorsqu'en se rendant aux toilettes d'un bar elle surprend une scène pornographique entre un homme et une femme dont elle ne peut détacher son regard. Mais peu de temps après la femme est retrouvée assassinée et démembrée avec une bague au doigt et l'enquêteur arbore le même tatouage au poignet que celui qui se faisait faire une gâterie dans les toilettes. Il devient très vite l'amant de Frannie mais celle-ci a en même temps peur de lui, ce qui stimule son désir.

Tout cela forme un programme très intéressant et pourtant cela ne fonctionne pas vraiment. Déjà parce que le moins que l'on puisse dire c'est que le propos de Jane Campion manque de subtilité (rien n'est tout blanc ou tout rouge ^^) et ensuite parce que la forme étouffe le fond. Les personnages sont bâclés, parfois à peine esquissés et manquent d'humanité. Bref "In the Cut" se veut brûlant et dérangeant alors qu'il s'agit d'un film complètement cérébral. Si Jane Campion voulait montrer la réconciliation d'une femme avec elle-même, et bien c'est raté.

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Girl

Publié le par Rosalie210

Lukas Dhont (2018)

Girl

"Girl" est un film qui en abordant un sujet sensible a déchaîné les passions. D'un côté ceux qui l'ont encensé (notamment les critiques qui lui ont décerné de nombreux prix (Caméra d'or, queer palm, meilleur premier film au festival de Londres, plusieurs Magritte etc.), de l'autre, ceux qui l'ont rejeté à commencer par les principaux intéressés, les transgenres, du moins ceux qui ont eu assez d'influence pour faire entendre leur voix. "Girl" ne prétend toutefois pas représenter la communauté dans son ensemble mais un parcours individuel inspiré d'une danseuse transgenre d'origine flamande bien réelle, Nora Monsecour qui a conseillé le réalisateur. Autre aspect important qui a mon avis invalide une partie des critiques et qui est occulté par la problématique transgenre, le film raconte l'histoire d'une trans de 15 ans qui par son entraînement acharné et le traitement qu'elle suit espère infléchir sa transformation dans le sens qu'elle souhaite. Le fait de beaucoup se regarder dans le miroir et de se focaliser sur les manifestations génitales de la puberté n'est donc pas déplacé dans un film qui traite autant de l'adolescence que de la transidentité. Et le fait que ce soit un acteur et danseur androgyne qui interprète le rôle n'est peut être pas réaliste mais sa composition n'en est pas moins remarquable.

Néanmoins le film n'est pas exempt de maladresses. Personnellement, j'en vois au moins deux. La première, c'est le fait que la mue de l'héroïne s'apparente à un chemin de croix dépourvu de joie. Lukas Dhont me semble avoir trop lu "La petite sirène" pour s'acharner à ce point sur la souffrance physique que s'inflige Lara par la danse. Une souffrance qui est montrée par ailleurs de façon aussi complaisante que dans "Whiplash" qui pourtant n'a rien à voir avec la transidentité mais qui illustre cette façon navrante d'associer art, compétition acharnée (avec les autres et/ou avec soi) et masochisme. On peut se demander d'ailleurs si Lara aime la danse ou si elle n'instrumentalise pas cet art pour modeler (ou plutôt torturer) son corps selon la conception qu'elle se fait de la féminité. Quoiqu'il en soit le réalisateur n'a aucun recul critique sur ce qu'il filme. La deuxième maladresse, c'est la manière dont le monde extérieur est dépeint. L'entourage de Lara est dépeint comme "compréhensif", "tolérant" etc. mais je l'ai ressenti comme intrusif, cherchant à connaître voire diriger de façon intolérable sa vie privée (je ne parle pas de ses soi-disant copines qui l'air de rien la mettent à l'écart et l'humilient mais du père qui entre dans la chambre quand elle est nue, lui pose des questions sur son orientation sexuelle et de son docteur qui la pousse à avoir une vie amoureuse, mais de quoi je me mêle?) Il est d'ailleurs étonnant que Lara qui vit de nos jours dans un pays développé avec de nombreux moyens pour rencontrer des personnes vivant la même expérience reste totalement coupée d'elles comme si elle était seule sur terre.

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