Inspiré des mémoires d'un ancien chef de la police tsariste, l'histoire de "l'Accordeur" est transposée à une époque indéterminée: les personnage portent des costumes sans âge, le noir et blanc déréalise l'environnement ainsi que les cadrages serrés. Si le couple d'escrocs vivotant dans la marginalité qui vont monter un tour de passe-passe pour délester d'une jolie somme deux riches veuves d'âge mûr est assez haut en couleur et leur combine, astucieuse, ce que moi j'ai retenu du film est moins son aspect comique voire farcesque que son caractère mélancolique. Kira Mouratova dresse un portrait touchant des deux victimes, Anna et Liouba que leur manque affectif rend particulièrement naïves et crédules. Dès la première scène du film, le ton est donné: Liouba se jette sur le premier venu et lui offre de l'argent en échange d'une affection qui ne lui sera bien évidemment pas payée de retour. Plus tard, on la verra se faire arnaquer d'une manière encore plus grotesque dans un train. Anna observe avec condescendance les mésaventures de son amie, celle-ci lui servant de miroir de réassurance quant à son propre degré de vulnérabilité. Elle est donc complètement aveuglée par le numéro de séduction d'Andreï, l'accordeur de piano qu'elle a pris sous son aile et contrairement au spectateur qui n'en perd pas une miette, ne voit aucune des ficelles qu'il met en place pour la dépouiller.
"La Tourneuse de pages" est un thriller à demi-réussi. Denis Dercourt dont j'ai vu récemment le très bon "Vanishing" parvient dès les premières minutes à instaurer un climat de tension et le maintenir tout au long du film, tenant ainsi les spectateurs en haleine. Celui-ci sait en effet grâce à la scène d'humiliation sociale initiale quand Mélanie était enfant qu'en l'accueillant adulte dans sa luxueuse et immense demeure, M. Fouchécourt (Pascal Greggory) fait entrer le loup dans la bergerie. Derrière son rôle de petite main soumise, Mélanie (Déborah François) ne semble en effet vivre que pour sa vengeance et utilise de façon subreptice les failles de la famille pour parvenir à ses fins sans jamais découvrir son jeu. Mais c'est aussi la limite d'un personnage opaque qui à force d'afficher le même masque imperturbable, la même détermination sans faille, la même invulnérabilité, finit par paraître dénué d'humanité, rendant le film sec et froid. Bien qu'on ait beaucoup comparé Mélanie aux blondes hitchcockiennes et sa vengeance sociale à "La Cérémonie" de Claude Chabrol, c'est du côté du thriller asiatique qu'il faut aller chercher ce genre de hiératisme glacé ponctué de gestes ultra-violents qui contraste avec le trouble de plus en plus palpable d'Ariane (Catherine Frot), l'épouse de M. Fouchécourt, pianiste qui perd littéralement les pédales au contact de la jeune femme. On peut d'ailleurs se demander si le début de sa fragilisation suite à un accident de voiture provoqué par un chauffard n'est pas déjà dû à Mélanie qui n'a plus qu'à lui donner l'estocade ou plutôt le baiser de la mort pour l'achever.
Comme de très nombreux courts-métrages de Georges MÉLIÈS, "La Lanterne magique" recèle sa quantité de trésors. C'est un hommage à l'histoire du spectacle, présent sous plusieurs formes d'époques différentes:
- La Comedia dell'Arte, genre théâtral apparu au XVI° siècle en Italie avec comme protagonistes principaux du film Polichinelle et Pierrot.
- L'illusionnisme d'où est issu Georges MÉLIÈS, la lanterne magique servant une bonne partie du film de boîte à faire apparaître Colombine et diverses danseuses qui effectuent quelques figures dans les coulisses du théâtre.
- Le cinéma enfin, cette même boîte se transformant en caméra dotée d'un objectif projetant des images dans l'image principale.
La lanterne magique qui date du XVII° siècle sert de trait d'union: elle constitue l'ancêtre du cinéma, elle renvoie à la magie de par son titre (on l'appelait aussi la lanterne à illusions) et elle projette sur un écran en gros plan les images des personnages qui s'activent dedans et autour en chair et en os. Le film est également connu pour l'innovation technique ayant consisté à pratiquer le fondu enchaîné sur fond blanc et non plus sur fond noir comme c'était l'usage.
"Jim Carrey, l'Amérique démasquée", livre de Adrien Dénouette qui est également le co-réalisateur du documentaire éponyme est une brillante analyse à la fois cinéphile, politique et sociologique qui met en relation la carrière de l'acteur et l'histoire des USA, principalement dans les années 90. Il apparaît que c'est dans cette décennie que l'acteur a pu percer, plus précisément entre la fin de la guerre froide et le 11 septembre 2001 car les USA n'avaient alors pas d'ennemi, donc pas besoin de super-héros testostéronés et de nationalisme belliqueux. La comédie à tendance cartoonesque trash tournant en dérision le politiquement correct a pu alors se frayer un chemin, portée notamment par les frères Farrelly et leur vedette, Jim Carrey. Rétrospectivement, on découvre combien celui-ci a longtemps été rejeté par l'industrie américaine à cause de son corps burlesque outrancier (et donc dérangeant) ce qui a conduit à forger sa personnalité artistique dans la marge, plus précisément au sein d'une émission subversive dont on découvre toute la portée: "In living Colour", créée en 1990 comme une sorte de "Saturday Night Live" afro-américain borderline. Jim Carrey qui est le seul blanc de l'émission se retrouve ainsi à tourner en dérision toutes les valeurs de l'Amérique blanche*. En 1992, l'émission jusque-là plutôt confidentielle se paye un énorme coup de projecteur publicitaire en détournant 22 millions de spectateurs de la mi-temps (ennuyeuse et ringarde) du super-bowl au profit d'un show parodique de ce même événement. L'auteur compare ce moment au deuxième court-métrage de Charles CHAPLIN "Charlot est content de lui" (1914) qui marque la première apparition du personnage du vagabond (Charlot en VF) qui ne cesse de se poster face caméra alors que l'équipe du tournage le repousse hors du cadre. Cette irruption façon "hold-up" de Jim CARREY dans le champ télévisuel mainstream explique aussi la place que la télévision occupe dans sa filmographie au travers d'une trilogie informelle composée de "Disjoncté" (1996), "The Truman Show" (1998) et "Man on the Moon" (1999). Mais avant cette reconnaissance des plus hautes sphères artistiques vis à vis de son talent, Jim CARREY a percé dans des comédies directement issues de l'esprit de "In Living Color" et qui a l'époque ont été méprisées pour leur caractère vulgaire et stupide (en apparence) avant qu'on ne découvre leur sens caché et le fait qu'elles faisaient un trait d'union entre deux communautés toujours marquées en esprit mais aussi dans les faits par les inégalités issues de la ségrégation raciale.
* Dans "Fous d Irène" (2000), les frères Farrelly font directement allusion à l'émission lorsqu'ils montrent Jim Carrey regarder des sketchs afro-américains assis sur un canapé entouré de trois enfants noirs.
"Slalom", sorti en 2020 sur un sujet brûlant (les abus sexuels commis sur des mineurs dans le milieu du sport de haut niveau) est un film inégal. Le début est assez convaincant. La relation malsaine entre la jeune sportive de haut niveau et son entraîneur (Noée ABITA et Jérémie RENIER, tous deux très bons) se met en place par petites touches qui dès le début mettent en scène l'appropriation d'un corps par un autre, même si c'est au départ dans un but de performance sportive et non d'abus sexuel. La psychologie n'est pas oubliée avec le portrait d'une adolescente qui se cherche et qui projette son besoin de reconnaissance autant que ses premiers émois sur son entraîneur alors que ce dernier semble très vite surinvestir sa jeune prodige à travers qui il espère prendre une revanche, lui-même ayant échoué. La famille de Lyz étant aux abonnés absents, elle lui laisse le champ libre, au point qu'il finit par lui proposer de venir vivre avec lui et sa compagne, laquelle s'avère être un ectoplasme. Bref, le terreau est propice au dérapage et celui-ci ne manque pas d'arriver: lorsque Fred déverse ses pulsions sexuelles sur Lyz, celle-ci est incapable de lui résister, se murant dans le silence et la sidération. Hélas, à vouloir trop coller au point de vue de la jeune fille, le film en devient glacé et abstrait, rétrécissant son champ de vision alors qu'il aurait été intéressant d'interroger les nombreux témoins: les autres jeunes sportifs dont certains sont jaloux de Lyz et la montre du doigt, la compagne qui sait mais se tait ou la mère qui ne veut rien voir. Une fois le méfait accompli et l'omerta bien installée, le film semble ne plus rien avoir à raconter sinon de montrer que les victoires ne comblent plus le vide glacial qui s'est emparé de Lyz. L'histoire fait du sur-place et se termine en queue de poisson: frustrant.
Plus que Terrence MALICK ou Ken LOACH, c'est au film de John FORD, "Les Raisins de la colère" (1940) d'après le roman homonyme de John Steinbeck que j'ai pensé en regardant "Nomadland". Parce qu'il y a d'évidents points communs: la même cause, une crise économique dans un système capitaliste libéral produit les mêmes effets, elle frappe des territoires qu'elle désertifie et jette dans la précarité des cohortes de gens qui en perdant leur emploi et leur logement se retrouvent à errer sur les routes, d'abri temporaires en jobs provisoires. Néanmoins il y a aussi des différences frappantes entre les deux films. L'une d'entre elle réside dans l'individualisme propre à l'époque contemporaine. Dans les années 30, le déracinement concernait des familles entières et il était rare de voir des gens isolés. Il y avait aussi encore une foi dans le pouvoir de la collectivité alors que ce que montre le film de Chloé ZHAO ressemble à un univers post-apocalyptique dans lequel toutes les structures sociales ont été atomisées au profit d'un grand vide. Vide dans les scènes d'intérieur comme d'extérieur dans lequel les humains ressemblent à des fourmis écrasées par la paysage démesuré. Autre différence majeure, la figure de l'ennemi était bien identifiable dans le film de Ford. Même si ses représentants se déchargeaient de toute responsabilité personnelle, ils agissaient au nom du système avec une extrême violence afin de soumettre leurs victimes. Dans "Nomadland", l'ennemi n'a plus de visage, il n'est plus identifiable car il s'est désincarné. L'exploitation vis à vis d'une main-d'oeuvre corvéable et jetable à merci reste la même, mais elle est automatisée, robotisée et virtualisée. Conséquence, les travailleurs exploités ne semblent plus avoir conscience de la réalité de leur sort, ils revendiquent comme un choix de vie (le nomadisme dans la proximité avec la nature et la solitude ponctuée de rencontres sans engagement) ce qui est en réalité le fait d'une aliénation. L'attitude apparemment neutre et distanciée de la réalisatrice, Chloé ZHAO et l'hermétisme du personnage de Fern (Frances McDORMAND) peuvent rebuter. Néanmoins, même si le film emprunte parfois les apparences d'un documentaire, il raconte bien une histoire et ouvre des pistes de réflexion. Par exemple, la trajectoire de Dave éclaire par contrecoup celle de Fern. Dave choisit en effet de se réaffilier à la naissance de son petit-fils ce qui lui permet de prendre à nouveau racine. Il offre cette possibilité à Fern qui la rejette, celle-ci décidant même de se détacher définitivement de son ancienne existence sédentaire (liée à son mari décédé dont elle ne parvient pas à faire le deuil) en liquidant son garde-meuble au profit d'une vie d'errance, dans un plan qui rappelle encore une fois John Ford, mais cette fois dans "La Prisonnière du désert" (1956). Lorsque Nathan Edwards ramène Debbie chez elle mais sans lui-même franchir le seuil de la maison*, le cadre semble le repousser dans l'anéantissement du désert comme le fait l'ancienne maison abandonnée de Fern dans une séquence où elle comprend qu'elle est sans doute intérieurement morte.
* Un schéma que l'on retrouve aussi dans ce qui est l'un de mes films préférés, "Paris, Texas" (1984), où un homme ressoude les liens entre sa femme et son fils, leur permettant de refonder une famille mais il s'en exclue lui-même, préférant se laisser engloutir par le désert.
"Trois vies et une seule mort" est un film de Raoul RUIZ qui ressemble beaucoup à un rêve. Dans ce qui s'apparente à une mise en abyme, on y voit un même acteur (Marcello MASTROIANNI dans l'un de ses derniers rôles) endosser différents personnages: tour à tour il se fait clochard, majordome, professeur ou bien chef d'entreprise (un peu comme le faisait Denis LAVANT dans "Holy Motors") (2012). Néanmoins, tous ces rôles sont reliés entre eux par quelques éléments récurrents. Par exemple une clochette qui lorsqu'elle tinte provoque toujours le même TOC, quel que soit le rôle. Et aussi des éléments typiques du rêve comme des murs qui s'éloignent, des gens qui glissent, apparaissent ou disparaissent (à l'aide de trucages artisanaux qui font penser à ceux de Georges MÉLIÈS), l'impossibilité de sortir d'une pièce ou au contraire de rejoindre l'immeuble d'en face, une distorsion systématique de l'espace-temps qui ironiquement a pour contrepoint les interventions d'un imperturbable Pierre BELLEMARE dans son propre rôle qui plaque sa manière de raconter linéaire (une représentation du temps très occidentale) sur ce récit à la structure plutôt circulaire. Si l'on ajoute une présence animale très affirmée dans certaines scènes (un serpent, des poussins), on pense aux films surréalistes de Luis BUÑUEL, notamment dans sa dernière période. Mais chez Raoul RUIZ, pas de sous-texte socio-politique, on est davantage dans le manifeste poétique. "Trois vies et une seule mort" est une ode au voyage sans pour autant qu'il n'y ait besoin de se déplacer. Il s'agit plutôt d'évasion dans d'autres vies possibles comme le montre les plans de fenêtre ouverte et la tentation de se jeter dans le vide. Pas seulement pour Marcello MASTROIANNI et ses divers avatars auquel le réalisateur rend un hommage appuyé mais aussi pour les autres personnages joués par des acteurs et actrices venus d'horizons divers. Maria (Marisa PAREDES) est tantôt une femme qui se fond dans le décor et tantôt une cougar. Cécile et Martin (Chiara MASTROIANNI et Melvil POUPAUD) font tantôt la manche et mènent tantôt la vie de château. Tania (Anna GALIENA) est tantôt une prostituée et tantôt une chef d'entreprise adepte de pratiques échangistes. Les identités s'avèrent aussi changeantes, aussi instables que les décors ou la temporalité bien que là encore, des éléments récurrents rattachent tous ces personnages à une même famille sur trois générations.
J'ai préféré "En Corps" à "Deux Moi" mais sans faire de jeu de mots, je trouve que ce n'est pas "en corps" ça. Avec l'âge, je trouve que Cédric Klapisch a perdu en vivacité et est devenu mou du genou. Un autre défaut majeur que j'ai relevé dans les deux films est leur côté très lourdement démonstratif avec une enfilade de clichés. Dans "En Corps", Muriel Robin qui joue un rôle de facilitatrice comme le faisait Simon Abkarian dans "Deux Moi" les enfile comme des perles tout comme Yann le kiné (François Civil qui arbore un look qui le fait ressembler à Romain Duris, l'alter ego de Klapisch quand il était jeune mais sans son charisme). L'héroïne, Elise (Marion Barbeau) n'a plus qu'à les appliquer à la lettre et hop, tout est résolu: une déception sentimentale et elle se blesse, une nouvelle histoire d'amour (bâclée) et elle guérit, un bon conseil de tata Robin et elle demande à son père avocat qui n'a jamais approuvé sa carrière (joué par Denis Podalydès) de lui dire qu'il l'aime et on comprend dans l'une des scènes finales qu'il s'est exécuté et ainsi de suite. Bref tout ça est lourd et convenu. Heureusement qu'il y a la danse pour relever un peu le niveau. Cédric Klapisch clame son amour pour cet art avec une réflexion très intéressante sur ce qui sépare la danse classique et les danses contemporaines en terme de technique, de spiritualité mais aussi en terme de sociologie. La séquence de début et celle de fin qui se répondent sont très réussies. J'aurais cependant aimé que la danse prenne "en corps" plus de place dans le film, qu'elle soit au coeur de l'intrigue (comme dans "Black Swan") plutôt que le prétexte d'une histoire aussi téléphonée. Une belle occasion gâchée...
"Regeneration" est le plus ancien film de Raoul WALSH à avoir été conservé (à ce jour). C'est aussi son premier film pour la Fox. C'est enfin l'un des précurseurs du film de gangsters, genre qui s'épanouira à Hollywood avec le début du cinéma parlant.
L'histoire s'articule autour d'un drame social, celui d'un jeune orphelin qui est recueilli par des voisins misérables dont le mari est une brute et qui préfère donc fuir et se débrouiller par lui-même. A 25 ans, il dirige un gang sur les docks de New-York. Cela préfigure de ce fait "Sur les quais" (1954) de Elia KAZAN d'autant que l'acteur ressemble pas mal à Marlon BRANDO et que la morale chrétienne y est très présente (c'est lié aux origines des réalisateurs, la Grèce pour Elia KAZAN, l'Irlande pour Raoul WALSH). Le titre annonce la couleur si je puis dire mais surtout le personnage féminin principal est une jeune bourgeoise qui fonde un institut de charité pour venir au secours des miséreux et qui est prête à aller jusqu'au sacrifice pour accomplir sa mission. En cela, elle est bien plus active que son homologue dans le film de Kazan car elle endosse aussi les rôles masculins (celui du directeur de conscience et celui du christ rédempteur): dans une scène spectaculaire, elle échappe avec ses protégés à l'incendie du bateau où elle avait organisé une fête (dans le style du secours populaire) tandis que Owen sauve deux fillettes qui avaient été prises au piège. Plus tard, elle se retrouve aux prises avec Skinny, le nouveau chef du gang d'Owen, ce dernier ayant préféré le quitter pour se rapprocher d'elle.
Bien que le film soit par moments assez abîmé, il donne déjà une idée du talent du réalisateur. La vie dans les bas-fonds est restituée avec beaucoup de réalisme grâce notamment à l'utilisation de la profondeur de champ dans laquelle on voit se démener de nombreux enfants déguenillés qui semblent sortir de tous les coins de l'image. Raoul WALSH utilise aussi comme D.W. GRIFFITH (dont il a été l'assistant) le montage parallèle pour dynamiser les scènes et leur donner du suspens. Celle du bateau dans laquelle il dirige de main de maître l'évacuation d'une foule est un morceau d'anthologie. Il recourt également au flashback pour illustrer le dilemme du héros. Enfin, en ce qui concerne l'émotion, il utilise beaucoup le gros plan, notamment sur les visages charismatiques de Rockliffe FELLOWES et de Anna Q. NILSSON ce qui fait passer la pilule de la morale édifiante.
"Ménilmontant" est le deuxième film de Dimitri KIRSANOFF, cinéaste français d'origine estonienne (comme les fondateurs du studio Albatros, il a été chassé de Russie par la révolution bolchévique) dont l'activité couvre une période allant des années vingt jusqu'à la fin des années cinquante et l'avènement de la nouvelle vague. "Ménilmontant" est l'un des plus importants (a défaut d'être le plus célèbre) films de l'avant-garde des années vingt, une oeuvre singulière sans intertitres qui frappe par sa puissance expressive. L'histoire très marquée par la fatalité annonce le réalisme poétique tout en rappelant par son intrigue "Les Deux orphelines" (1921) de D.W. GRIFFITH: deux soeurs dont les parents sont sauvagement assassinés sombrent dans la déchéance après avoir été séduites et abandonnées par le même homme. Les deux actrices sont fascinantes dans leur capacité à incarner leur personnage à divers âges de leur vie, particulièrement Nadia SIBIRSKAÏA dont Dimitri KIRSANOFF (qui fut son époux) ne se lasse pas de filmer le beau visage. La mise en scène, fluide, dynamique et riche (surimpressions, caméra mobile, montage rapide, notamment de gros plans de visages expressifs saisis sur le vif à la manière de Sergei EISENSTEIN) est très moderne. Enfin comme beaucoup de films de cette époque, on a un bel aperçu du Paris d'autrefois, Ménilmontant étant alors un quartier populaire et industrialisé proche de Belleville dans laquelle l'héroïne, véritable "fleur de macadam" semble emprisonnée (au point de marquer les jours qui passent sur les murs), ses seuls échappatoires étant des flashbacks nostalgiques sur son enfance ou des pensées suicidaires liées à sa situation misérable de mère célibataire SDF qui découvre en prime que sa soeur se prostitue.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.