"Robin des bois" fonctionne comme une préquelle "pseudo-historique" à la célèbre légende du hors la loi au grand cœur mainte fois illustrée au cinéma. La volonté de réalisme affichée par le film enlève ce que cette histoire peut avoir de jubilatoire, de carnavalesque et de flamboyant (pas seulement à cause des célèbres collants verts flashy de Errol FLYNN que Ridley SCOTT n'avait pas le droit de réutiliser mais aussi par le renversement de l'ordre social qui y est opéré) sans pour autant en faire une œuvre historique satisfaisante. En fait ce "Robin des bois" aurait pu s'intituler "Naissance d'une nation" car il fonctionne comme un cours d'éducation civique (et patriotique) avec une grille de lecture anachronique à l'usage des anglais. L'histoire tourne autour de la trahison de Godefroy (Mark STRONG), conseiller du roi Jean (Oscar ISAAC) qui s'est vendu aux français. Face à eux, Robin (Russell CROWE) et son père de substitution, Sire Walter Loxley (Max von SYDOW) sont les défenseurs de la nation britannique et de ses valeurs puisque ce dernier transmet à Robin la Magna Carta (rédigée par le père de Robin dans la film, par les barons anglais dans la réalité historique), rejetée par le roi Jean à la fin du film (mais acceptée par lui plus tard dans la réalité historique) qui a servi de base à l'Habeas Corpus du XVII° siècle ayant contribué à mettre fin à l'absolutisme en Angleterre. Les intérêts de caste des nobles sont transformés dans le film en défense des intérêts du peuple tout entier tandis que le débarquement des français ressemble à un "6 juin 1944" à l'envers pour transformer ce moment en grande communion nationale. Or, la nation et le patriotisme sont des notions anachroniques, les appartenances identitaires étant au Moyen-Age dynastiques, claniques, communautaires ou encore régionales. Ainsi Richard Cœur de Lion, sa mère Aliénor d'Aquitaine et son frère Jean étaient aussi "anglais" que Marie-Antoinette était "française".
Ces réserves faites, il n'en reste pas moins que le film de Ridley SCOTT bien que ne lésinant pas sur le manichéisme primaire est divertissant et maîtrisé avec de belles scènes d'action et un sens aiguisé du décor et de l'esthétique de l'image.
Après plusieurs tentatives infructueuses (lois, bulles pontificales) pour mettre fin aux abus perpétrés sur les indiens par les colonisateurs espagnols (dont l'humanité avait été reconnue par le pape dès 1537), un débat portant sur les modalités de leur évangélisation (pacifique par l'exemple ou "musclée" par la force ce qui sous-entendait que l'esclavage était légitime face à la "barbarie" des indiens) eut lieu au collège San Gregorio de Valladolid à la demande de Charles Quint en 1550 et 1551. Il réunissait des théologiens, des juristes et des administrateurs du royaume mais il eut principalement lieu entre le moine dominicain défenseur des indiens Bartolomé de Las Casas et le théologien conservateur Luis de Sepulveda. Ce débat fut épistolaire et aboutit à l'officialisation de l'égalité du statut entre les indiens et les blancs, généralisant de ce fait la traite des noirs pour alimenter le "nouveau monde" en esclaves.
En 1992, Jean-Claude Carrière publia un roman transformant "La controverse de Valladolid" en œuvre dramaturgique de fiction. Œuvre dramaturgique car la correspondance s'y transforme en un dialogue argumentatif entre les deux protagonistes principaux sous l'œil du légat du pape. Œuvre de fiction car par un subtil glissement de sens, la question centrale n'est plus celle du mode d'évangélisation des indiens mais celle, beaucoup plus contemporaine du relativisme culturel. D'une certaine manière le roman fait le procès de l'européanocentrisme et de sa prétendue supériorité culturelle sur les autres peuples reconnus comme des égaux et non plus comme des inférieurs.
Pour accrocher l'intérêt du spectateur, l'adaptation du livre en téléfilm a simplifié les débats autour d'une question compréhensible par tous "Les indiens ont-ils une âme égale à la nôtre?" (ce qui implique dans l'affirmative de devoir renoncer à l'oppression et l'exploitation sur eux). Le caractère théâtral du livre se retrouve dans le téléfilm qui se joue dans un décor quasi unique entre trois monstres sacrés: Jean CARMET dans le rôle du légat du pape, Jean-Louis TRINTIGNANT dans celui de Sépulveda et Jean-Pierre MARIELLE dans celui de Bartolomé de Las Casas. Ce dernier, imprégné émotionnellement par ce qu'il raconte renverse d'emblée les termes du débat en mettant en lumière que les espagnols autoproclamés "fils de Dieu" se sont transformés en démons devant la convoitise suscitée par l'or du nouveau monde et ont commis des pires actes de barbarie "au nom du Christ". Même si Sepulveda est un redoutable rhétoricien qui sait exploiter la moindre faille chez son adversaire, il se contredit à plusieurs reprises en reconnaissant l'existence d'une âme chez les indigènes ce que ne manque pas de relever le légat du pape (Jean-Louis TRINTIGNANT a le talent pour montrer combien Sépulveda encaisse les coups au moindre tressaillement de son visage). Mais ce sont surtout les réactions des quelques indiens exhibés comme des monstres de foire et traités comme des cobayes qui achèvent de faire basculer le spectateur dans la salle et derrière l'écran de leur côté. Réactions humaines à des expériences inhumaines comme celle qui consiste à arracher un enfant des bras de sa mère pour s'apprêter à le passer au fil de l'épée mais aussi celle du rire, non culturel mais universel. L'échec des bouffons à dérider les indiens fonctionne aussi pour nous spectateurs contemporains. En revanche lorsque le légat du pape se vautre sur le sol, les indiens esquissent un sourire que n'importe qui peut comprendre étant donné que cela fonctionne en tous temps et en tous lieux (par exemple quels élèves n'ont pas rêvé un jour de voir leur professeur se "gameller"?)
"Astrid et Raphaëlle" est une série policière télévisée en cours de diffusion sur France 2. Elle se compose pour le moment d'un épisode pilote de 1h30 (visible sur YouTube) et d'une première saison de 8 épisodes de 52 minutes (visibles au fur et à mesure sur France 2 Replay).
Ce qui m'a amené à m'intéresser à cette série est qu'elle reprend un principe archi-rebattu, celui du duo de flics aux tempéraments opposés et donc complémentaires mais dans une perspective résolument féministe et inclusive. Les deux enquêtrices sont des femmes qui ne sont pas vraiment dans les clous. Raphaëlle (Lola DEWAERE, la fille de Patrick DEWAERE) est une commandante de police séparée de son compagnon qui a perdu la garde de son fils dont elle a du mal à s'occuper à cause de son mode de vie plutôt désorganisé. Impulsive et fâchée avec les règles, elle est adepte de la méthode "bazooka" notamment vis à vis de sa hiérarchie ce qui lui vaut de se mettre dans des situations délicates. A l'inverse, Astrid (Sara MORTENSEN) est une jeune autiste au mode de vie réglé comme du papier à musique. Elle travaille à la documentation criminelle dans la solitude et le silence et se passionne pour les puzzles, quels que soient leur nature. Raphaëlle se rend compte rapidement que les capacités d'Astrid sont précieuses pour mener à bien ses enquêtes et lui offre l'opportunité de sortir de son placard. Elle devient alors sa coéquipière, non sans difficultés.
La représentation de l'autisme dans la série se rapproche beaucoup de celle qu'offrait Benjamin LAVERNHE dans "Le Goût des merveilles" (2014). C'est assez logique dans la mesure où Joseph Schovanec a été l'un des modèles dans les deux cas. Rappelons qu'il y a autant de formes d'autisme que d'autistes et que ce trouble neuro-développemental ne se limite pas aux asperger brillants intellectuellement du type "Rain Man" (1988). S'ils sont sur représentés, c'est qu'ils peuvent parler (donc dans une certaine mesure communiquer) et que leurs capacités sont convoitées par une société qui envisage les individus sous l'angle utilitariste et productiviste avant tout. De plus les troubles autistiques des asperger ne sont pas toujours visibles, surtout chez les femmes qui ont tendance plus que les hommes à dissimuler leur différence au prix d'une grande dépense d'énergie. Celle d'Astrid au contraire est surlignée avec sa démarche et son phrasé mécanique et le fait qu'elle ne regarde pas dans les yeux. La réalité est beaucoup plus subtile.
Néanmoins, la série fait œuvre de pédagogie en diffusant au grand public beaucoup d'informations pertinentes sur les asperger et leur mode de fonctionnement (hypersensorialité, difficulté à reconnaître et exprimer les émotions, intérêts restreints, besoin de solitude et de silence, besoin de cadres clairs et de rituels précis pour se rassurer dans un monde qui paraît chaotique, dépense énergétique surhumaine pour s'adapter au monde des neurotypiques multipliant les risques de burn out etc.) Elle montre aussi comment le monde du travail et la société en général peut mieux les intégrer, par exemple en faisant des efforts de clarification sur les consignes (les asperger commettent des bourdes ou ont des pics d'angoisse en se saisissant pas l'implicite). Les deux derniers épisodes montrent qu'une insertion adaptée permet aux autistes "légers" comme Astrid et William de progresser dans leurs interactions avec les autres et de conquérir leur autonomie. Plus généralement, les enquêtes révèlent des problématiques relevant d'un monde post "Me Too" avec par exemple l'histoire de la vengeance d'une adolescente violée par des hommes riches et puissants (l'épisode pilote) ou celle de l'assassinat d'une jeune chercheuse un peu punk par son collègue aigri et jaloux (le chaînon manquant) ou encore celle d'un homme qui après avoir changé d'identité a un enfant avec une militante écologiste contestataire alors qu'il l'a refusé à sa femme qui travaille au ministère de l'intérieur (l'homme qui n'existait pas).
Le triomphe récent de "Parasite" (2019) a mis en lumière une dichotomie socio-spatiale entre les quartiers huppés situés sur les hauteurs et les bas-fonds prolétaires qui réactive celle que l'on trouvait déjà chez Akira KUROSAWA dans "Entre le ciel et l'enfer" (1963). Cette opposition de classe très géographiquement marquée se retrouve en Angleterre. Comme son titre l'indique "Les Chemins de la Haute Ville" (1958) est fondé sur un schéma assez similaire, celui d'un jeune homme pauvre mais ambitieux qui cherche à séduire la fille d'une famille fortunée pour grimper les échelons de la société. Il a servi de base au scénario de "Match point" (2005). En effet, comme dans le film de Woody ALLEN les ambitions de Joe sont contrariées par ses sentiments. Parallèlement à la cour assidue qu'il fait à la jeune Susan qu'il n'aime pas mais dont il a besoin pour se réaliser socialement il entame une liaison avec une femme plus âgée que lui et malheureuse dans son mariage. Certains pensent que le puritanisme anglais explique le choix d'une actrice française, Simone SIGNORET pour interpréter un rôle jugé sulfureux. Sauf que sa composition est bouleversante et échappe à tous les clichés (Simone SIGNORET a reçu un Oscar mérité pour ce rôle). Alice est une femme blessée et en manque d'amour mais elle a aussi une forte présence, une grande franchise et est d'une étonnante modernité. Il faut voir comment elle remet en place Joe qui lui fait une scène parce qu'elle a posé nue pour un peintre dans sa jeunesse ce à quoi elle rétorque que son corps est à elle.
Cependant Laurence HARVEY compose un Joe qui échappe au manichéisme. Sa motivation principale qui nous est signifiée dès le plan initial (un gros plan sur ses chaussettes élimées qu'il cache dans des chaussures impeccables) cache un profond sentiment de honte né dans les ruines de la guerre et une détestation de soi masochiste et autodestructrice. Sa conquête de Susan est ponctuée d'humiliations qui alimentent sa rage de parvenu alors qu'il renonce à l'amour vrai qu'il ressent pour Alice, un amour qui n'entre pas dans la norme et qui ne peut donc le servir. Reste alors la culpabilité et le sentiment amer d'avoir gâché sa vie. La réussite matérielle de Joe l'enfonce encore plus dans la haine de soi et l'une des dernières scènes dans laquelle il se laisse tabasser et traîner dans la boue sans réagir est extrêmement significative.
J'ai une tendresse toute particulière pour les premiers longs-métrages de grands cinéastes. Et il se trouve que celui de Martin SCORSESE appartient comme "Taxi Driver" (1976) à sa veine introspective et intimiste (celle que je préfère). Son style n'est pas sans rappeler la nouvelle vague française à laquelle Scorsese fait d'ailleurs référence lorsqu'il engage pour une séquence hot la Anne COLLETTE de "Charlotte et Véronique / Tous les garçons s appellent Patrick" (1957) de Jean-Luc GODARD. On pense également beaucoup au premier film en noir et blanc de John CASSAVETES, "Shadows" (1958) qui dépeignait le destin d'une fratrie afro-américaine à New-York avec une liberté de ton et de style que Scorsese reprend: caméra portée, montage nerveux, bande-son avant-gardiste et jeu d'acteurs inconnus qui semble improvisé. Parmi eux, une révélation: Harvey KEITEL qui deviendra un abonné des premiers longs-métrages de grands cinéastes ("Les Duellistes" (1977), "Reservoir Dogs") (1992) mais qui était alors jeune et parfaitement inconnu. Son charisme éclate dès ce premier film qui oscille entre deux histoires racontées en montage parallèle et qui semblent ne rien avoir en commun alors qu'en réalité l'une "explique" l'autre. D'une côté une immersion au sein d'une bande de voyous du quartier de Little Italy qui naviguent entre bagarres, beuveries, drague et errances nocturnes. De l'autre une histoire d'amour romantique qui peu à peu se grippe lorsque les déterminismes sociaux et culturels finissent par l'emporter sur les sentiments.
Je ne peux que rejoindre le commentaire précédent en disant que "Who's That Knocking at My Door" (1967) est une illustration parfaite des mécanismes patriarcaux et de l'aliénation masculine que dénonce Virginie Despentes dans son essai "King Kong Théorie". JR est l'un de ces innombrables hommes que l'éducation religieuse catholique a coupé en deux dans son rapport à l'autre sexe (la première scène dans le foyer familial sous influence montre de façon symbolique ce clivage). D'un côté la "madone" vierge que l'on met sur un piédestal et qui est destinée à la conjugalité et à la maternité avec des rapports sexuels réduits au minimum une fois le mariage consommé. De l'autre les putains "avec lesquelles on s'amuse mais que l'on épouse pas". Sa "Girl" dont on ne saura jamais le nom a toutes les apparences de la première catégorie. Tellement d'ailleurs qu'il en perd tous ses moyens lors de leur premier essai, les hommes sous emprise religieuse se représentant leur sexualité comme coupable et dégradante. Mais lorsqu'il apprend que sa "madone" n'est en fait plus vierge à la suite d'un viol, celle-ci perd instantanément tout sa "valeur" et apparaît à jamais flétrie à ses yeux. Le vernis d'américanité grâce auquel il l'a rencontré (par le biais de discussions sur le western et sa figure la plus célèbre, John WAYNE) ne pèse alors pas bien lourd par rapport aux préjugés du milieu dans lequel il a grandi. "Who's that knocking at my door" dépeint ainsi une histoire d'échec, celui de l'ouverture à l'autre et du métissage face à l'identité communautariste du ghetto.
"The Big Shave" est un des courts-métrages les plus marquants de l'histoire du cinéma. Réalisé par Martin SCORSESE en 1967 à New-York, il se déroule intégralement dans une salle de bains à la blancheur clinique. Dans ce décor chirurgical (on peut le dire au vu de la suite) entre un jeune homme WASP (white anglo-saxon protestant) typique des années soixante. Il commence à se raser sur une musique jazzy et Scorsese le filme à la manière des publicités d'époque pour la crème de rasage Noxzema (visibles sur YouTube). En quelques secondes, tout un précipité de l'Amérique bien propre sur elle est esquissée d'une manière saisissante: hygiénisme, obsession de son apparence, consommation omniprésente.
Et puis soudain tout dérape. Martin SCORSESE interprète d'une manière radicale le slogan Noxzema "Plus vous vous rasez de près, plus vous avez besoin de la crème Noxzema". Le rasage est symboliquement un acte par lequel l'homme efface son animalité en enlevant ses poils et se place ainsi au-dessus de la nature. Mais il suffit d'enfoncer un peu la lame et celui-ci devient une effroyable boucherie, révélant que les sociétés qui se prétendent supérieures (aux autres, aux animaux, à la nature) sont en réalité destructrices et autodestructrices. L'allusion à la guerre du Vietnam est limpide, de par le contexte et de par le fait qu'elle est citée dans le générique de fin. Mais de l'aveu de Scorsese lui-même, il exprime dans le film d'abord une souffrance intime. On est frappé par les similitudes avec "Taxi Driver" (1976) où un vétéran du Vietnam victime d'un stress post-traumatique et mis à l'écart de la société s'est tellement ensauvagé qu'il "pète les plombs" et finit par provoquer un bain de sang.
Si la grandeur d'une nation se mesure comme le dit Michael MOORE (et beaucoup d'autres humanistes d'hier et d'aujourd'hui à travers le monde tel le Mahatma Gandhi) à la façon dont elle traite ses citoyens les plus faibles, alors les Etats-Unis qui sont pourtant la soi disant première puissance mondiale pointent à l'une des dernières places du classement mondial. De toutes les nations industrialisées, les USA sont les seuls à ne pas posséder de système de santé universel et leurs indicateurs dans ce domaine sont indignes de leur rang. Et l'Obamacare, largement attaqué par Trump n'a pas fondamentalement changé la donne tant les intérêts en jeu (comme dans le domaine des armes) sont puissants.
Dans la première partie de son documentaire-pamphlet de 2007, de loin la plus réussie, Moore démontre à l'aide d'exemples édifiants et d'images d'archives l'inhumaine logique d'un système de santé entièrement sous la botte du libéralisme autoritaire. Le résultat fait froid dans le dos. La santé est à la fois un juteux business abandonné aux mains des industries pharmaceutiques et des assurances privées et un moyen de coercition des masses, terrorisées à l'idée de perdre leur emploi sur lequel est indexé la plupart du temps leur droit ou non d'avoir une assurance santé. Moore se focalise moins sur les 50 millions d'américains (un sur 6) dépourvus d'assurance que sur les classes moyennes sensées être assurées mais qui découvrent à leurs dépends toutes les combines que celles-ci imaginent pour les priver des soins auxquels elles ont droit. Les logiques de profit qui les sous-tendent les pousse à refuser d'assurer les plus fragiles et à cesser de prendre en charge leurs clients dès que les problèmes de santé de ceux-ci deviennent trop coûteux. Cette marchandisation sordide de la vie humaine aboutit au sacrifice délibéré de milliers de personnes sur lesquelles prospèrent ces institutions financières avec la complicité de l'ensemble du monde politique dont elles financent généreusement les campagnes électorales avec l'argent qu'elles volent aux malades. Moore démontre ainsi une société gangrenée par des sommets de corruption et de cynisme à des années lumières des idéaux fondateurs de l'Etat-nation américain.
La deuxième partie de son documentaire, beaucoup plus fantaisiste consiste à comparer le système de santé des USA à celui de quatre autres pays: le Canada, le Royaume-Uni, la France et Cuba. Moore ne fait pas dans la dentelle et idéalise les systèmes de santé de ces quatre pays. N'importe quel français sait (et particulièrement en ce moment) à quel point notre système de santé est malade à force de rabotages budgétaires mais Moore le trouve merveilleux et en rajoute dans les clichés même si en 2007, il était beaucoup moins dégradé qu'aujourd'hui. En revanche sa comparaison entre les USA et Cuba bien connu pour la qualité de son système de santé en dépit de sa pauvreté fait réfléchir. En particulier lorsqu'y emmène des malades américains laissés pour compte du 11 septembre et que ceux-ci découvrent ébahis que les soins que l'on paie des fortunes aux USA ne coûtent rien à Cuba alors que la "médecine socialisée" est diabolisée aux USA, cette désinformation prospérant sur la crédulité des américains persuadés de vivre dans le meilleur pays du monde.
"Jeune et innocent" est un film complètement jouissif pour qui aime Alfred HITCHCOCK. L'un de ces films "tranche de gâteau" qu'il affectionnait. Sa tonalité est résolument légère mais son efficacité redoutable. Et il offre une sorte de best-of made in English de ce que le réalisateur offrira de mieux dans sa période américaine:
- Un travelling mémorable (c'est le passage le plus célèbre du film) qui part du hall d'un grand hôtel rempli de danseurs et s'approche d'un orchestre de jazz composé de blancs grimés en noirs (car on ne se mélangeait pas à cette époque et Hitchcock s'amuse beaucoup à transgresser la règle avec le clochard Will qui s'est introduit dans l'hôtel grimé en bourgeois pour identifier le coupable) jusqu'au très gros plan révélant le tic des yeux de celui que nous savons être le vrai coupable. Hitchcock utilisera un plan virtuose similaire dans "Les Enchaînés" (1945).
- Le thème du faux coupable charmeur en cavale fait beaucoup penser à "La Mort aux trousses" (1959). Et ce d'autant plus qu'il y a un passage où la fille du commissaire, Erica tombe dans un grand trou et est sauvée de justesse par Robert. La façon dont le visage d'Erica est filmé, les mains qui ont du mal à se tenir, tout fait penser à la scène du Mont Rushmore, la couleur en moins.
- Dans la scène de la plage d'où procède le malentendu qui accuse Robert, Hitchcock filme au ralenti des mouettes comme un présage funeste qui fait penser immanquablement à "Les Oiseaux (1962).
Mais le film ne doit pas être réduit à ces références écrasantes. C'est une délicieuse comédie policière proche de la screwball avec son renversement des rôles masculin et féminin (la référence s'impose d'autant plus que Derrick DE MARNEY qui joue Robert endosse un rôle à la Cary GRANT). C'est l'homme qui s'évanouit et est vigoureusement ranimé par une jeune fille intrépide qui avec sa guimbarde s'avère être le moteur de l'action. leur odyssée offre à Hitchcock le plaisir savoureux de caricaturer de nombreuses institutions britanniques (justice, police, famille, piliers de comptoirs) avec en particulier deux flics à la Dupond-Dupont qui m'ont fait beaucoup rire.
Le septième film de Quentin TARANTINO est définissable dès son ouverture avec la mention "Il était une fois" (dans la France occupée par les nazis). On sait d'emblée que nous allons être dans une uchronie et non dans un film historique. Dans "Le Maître du haut château" de Philip K. Dick", l'uchronie résidait dans le fait que les nazis avaient gagné la guerre. Dans "Inglourious Basterds"* (2009) les juifs se vengent des nazis, un schéma narratif que l'on retrouve dans le film suivant de Tarantino "Django Unchained" (2012) qui d'ailleurs possède les mêmes qualités et les mêmes défauts. Mais le "Il était une fois" est également un clin d'œil à Sergio LEONE, la géniale séquence introductive de 20 minutes reprenant tous les codes de celle où Lee VAN CLEEF va exécuter un contrat dans "Le Bon, la brute et le truand" (1966), film cité à plusieurs reprises par Tarantino. La mise en scène n'est pas toutefois la seule raison de la réussite totale de cette séquence, l'époustouflante composition de Christoph WALTZ joue également un rôle capital. Comme il le fera avec non moins de réussite dans "Django Unchained" (2012), sa prestation repose sur un décalage, ici entre le prédateur calme et méthodique aux yeux froids qu'est le colonel Hans Landa et les exquises manières dont il se sert avec une maestria jubilatoire pour mieux ferrer ses proies, celui-ci maîtrisant à la perfection les règles de la courtoisie aussi bien que les langues étrangères (il faut voir comment il met au tapis d'une simple phrase les trois "Basterds" incapables de bredouiller trois mots d'italien alors que lui le parle à la perfection). Pour finir "Il était une fois" se réfère aux contes de fées et le fétichisme des pieds de Tarantino trouve ici une issue des plus jouissives avec un détournement audacieux et ironique de l'histoire de la pantoufle de vair de Cendrillon.
Si l'ensemble du film avait la même tenue que sa séquence introductive, on tenait un chef d'œuvre. Hélas "Inglourious Basterds" est un film inégal avec des séquences éblouissantes comme celle que je viens d'analyser ou encore celle de la taverne, qui elle aussi repose sur un secret dissimulé derrière une mauvaise couverture et une dilatation du temps distillant peu à peu un suspense insoutenable. Il y a aussi un plan devenu iconique, celui de Mélanie LAURENT en robe rouge sang (effectivement, elle s'apprête à commettre un carnage) contemplant depuis sa cabine de projection la salle qu'elle s'apprête à embraser sur le titre écrit et interprété par David BOWIE "Cat people" (Putting Out Fire). Le nitrate est une matière hautement inflammable comme le rappelle l'insert d'un extrait de "Agent secret" (1936) de Alfred HITCHCOCK alors que Tarantino en profite pour multiplier les allusions au cinéma de cette époque qu'il soit allemand ("L'Enfer blanc" (1929) de Georg Wilhelm PABST et l'apparition d'un acteur jouant Emil JANNINGS) ou français (avec une insistance sur les films réalisés pendant la guerre par Henri-Georges CLOUZOT).
Hélas le film est trop long (2h30) et ne parvient pas sur cette durée à tenir la distance. Entre les morceaux de bravoure et éclairs de génie que j'ai cité, il faut subir de longs tunnels ennuyeux de bavardages creux. La paresse dans l'écriture des "Basterds" est à mon avis un élément de compréhension essentiel de ce bilan mi-figue mi-raisin. Ceux-ci se réduisent en effet à un stéréotype qui est contenu dans leur surnom "Aldo l'apache", "L'ours juif" etc. ce qui en fait des pantins interchangeables sans intérêt. Le personnage de Mélanie LAURENT au moins bénéficie d'un réel charisme (il est sans doute construit sur le modèle d'Harmonica de "Il était une fois dans l'Ouest") (1968). Ce n'est pas le cas des Basterds et cela affaiblit beaucoup le film.
* Titre qui fait allusion au titre anglais ("The Inglorious Bastards") d'un western italien de série B "Une poignée de salopards" (1978) inspiré des "Les 12 salopards" (1967). Les fautes d'orthographe du titre du film de Tarantino illustre la question de la maîtrise du langage et des accents qui joue un rôle clé dans le film.
"Les Chaussons rouges" est un chef d'œuvre d'art total. Tout y passe: la littérature avec l'adaptation du conte éponyme d'Andersen, la peinture avec l'utilisation éclatante et profonde de la couleur, la musique et la danse qui sont au cœur de l'histoire puisque le film repose sur la mise en abime de la création puis de la représentation d'un spectacle où art et vie se confondent, comme dans "Les Enfants du paradis" (1943). Et enfin le cinéma sans lequel le morceau de bravoure des dix-sept minutes de ballet dans lequel l'héroïne traverse les contrées fabuleuses et fantasmatiques de son imaginaire n'aurait pas été possible (pour mémoire seul Vincente MINNELLI a osé inclure dans son film un morceau de ballet d'une durée comparable dans "Un Américain à Paris") (1951).
"Les Chaussons rouges" fait par ailleurs partie des films matrices incontournables de l'histoire du cinéma. Et pas seulement parce qu'il fait penser à "Black Swan" (2010) dans le sens où il montre une ballerine se faire vampiriser par sa passion de la danse jusqu'à en perdre la raison et la vie. S'y rajoute le pacte faustien avec l'impresario Boris Lermontov (dont le double dans le ballet est le cordonnier tentateur qui fait danser la jeune femme jusqu'à ce qu'elle en meure*), fascinant personnage dont la folie intérieure est remarquablement retranscrite par Anton WALBROOK. Son incapacité manifeste à aimer (à commencer par lui-même comme le montre la séquence saisissante où il met un coup de poing dans son miroir) fait de lui un épouvantable tyran épris d'absolu qui détruit tout autour de lui, à commencer par l'amour qui unit sa danseuse vedette au compositeur Julian Craster (Marius GORING), union que l'on peut voir comme celle de la musique et de la danse. Comme Vicky (Moira SHEARER), Julian a passé une sorte de pacte méphistophélique avec Boris Lermontov qui s'est approprié son oeuvre. Comment ne pas penser à "Phantom of the Paradise" (1974) et son compositeur qui se fait voler ses créations et la femme qu'il aime par un producteur vorace? Brian De PALMA est un admirateur inconditionnel du film de Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER tout comme la plupart des réalisateurs américains de sa génération avec une mention toute particulière pour Martin SCORSESE dont l'une des principales collaboratrices est la veuve de Michael POWELL, la monteuse Thelma SCHOONMAKER. Il a été également à l'origine de la restauration numérique du film et le cite quasiment dans toutes ses oeuvres.
* Thème que l'on retrouve aussi dans un autre conte d'Andersen, "La petite sirène" où celle-ci pour devenir humaine doit renoncer à sa voix et souffrir atrocement des jambes tout en dansant avec une gracieuse perfection. Et son échec à séduire la prince la condamne à la mort.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.