Belle découverte que ce film disponible sur Henri, la plateforme de la Cinémathèque qui consacre l'une de ses rubriques aux films Albatros. J'ai eu plusieurs fois l'occasion d'évoquer les origines de ce studio fondé en 1920 à Montreuil par des émigrés russes et comment il a employé durant les années vingt la crème des réalisateurs français avant que l'avènement du parlant ne signe son arrêt de mort.
"Paris en cinq jours" est du slapstick dans la meilleure tradition du genre mais à la sauce franco-russe. Il raconte sur le ton de la satire le voyage organisé de riches américains dont la visite de la capitale est chronométrée jusqu'à l'absurde (ils ont 9 minutes pour manger, 6 pour danser, 5 pour prendre un verre, 15 pour visiter le Louvre etc.) Au milieu de cette course contre la montre, un personnage détone, Harry Mascaret (Nicolas RIMSKY, également co-réalisateur et co-scénariste) qui est un simple comptable ayant gagné au loto (de la bourse) qui ne parvient jamais à être dans le tempo et accumule les mésaventures plus savoureuses les unes que les autres, finissant invariablement au commissariat (du comique de répétition +++). Dès les premières séquences dans son pays d'origine, il est montré comme un rêveur romantique inadapté au monde qui l'entoure. Par la suite, son décalage spatio-temporel accentué par le dépaysement l'amène à être séparée de sa fiancée qui se fait draguer par un comte aux intentions douteuses qui n'a guère de difficulté à écarter Harry dont chaque effort pour tenter de recoller au train se solde par un échec.
Globalement sous-estimé pour ce que j'ai pu en lire, ce film méconnu mérite d'être redécouvert parce qu'il est très drôle (en dépit d'une baisse de rythme sur la fin), parce qu'il constitue un instantané saisissant du Paris des années folles (on peut voir l'ancien palais de Chaillot et aussi l'exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes entre les Invalides et le Grand Palais qui lança la mode de l'art déco) et enfin parce qu'il préfigure "Minuit à Paris" (2011) (je me suis demandée si Woody ALLEN connaissait le film et s'il s'en était inspiré).
N'ayant jamais vu auparavant "Sur les quais" j'ai découvert d'où venait l'idée de Jim JARMUSCH de faire élever des pigeons sur les toits à son personnage de "Ghost Dog, la Voie du Samouraï" (1999). Terry Malloy (Marlon BRANDO dans un registre totalement différent de "Un tramway nommé désir") (1951) tente ainsi de s'échapper de sa condition minable de docker homme de main d'un syndicat mafieux qui a tout pouvoir sur les travailleurs des ports. Plus tard dans le film, il se rend sur les toits pour esquiver les choix douloureux qu'il est amené à faire. Mais les grillages présents dans la plupart des cadres montrent que cet échappatoire n'est qu'une illusion. La réalité montre au contraire un monde précarisé (les dockers travaillent à la journée et comme ils sont trop nombreux, le syndicat peut choisir les plus dociles), rançonnés et éliminés physiquement s'ils osent se plaindre d'où une ligne de conduite générale "S et M" c'est à dire "sourd et muet" alias la bonne vieille omerta qui accompagne tous les crimes, organisés ou non. La description néoréaliste que Elia KAZAN fait de ce milieu, au plus près du documentaire nous happe, de même que l'intrigue de film noir de l'émancipation du personnage de Terry Malloy du gang qui le manipule (et de son grand frère qui en est l'avocat). L'interprétation magistrale de Marlon Brando, bien mise en valeur par la mise en scène n'y est pas pour rien. Tout au plus peut-on regretter le message christique très appuyé porté par le frère Barry (Karl MALDEN) secondé par Edie (Eva Marie SAINT dans son premier rôle) dont il est précisé qu'elle sort du couvent. En les réunissant sans cesse dans les plans, il en fait le "camp moral" contre le camp véreux du syndicat et des dockers réduits au silence ce qui est très manichéen. Encore que la fin soit plus ambigüe qu'on ne le pense. Le rideau de fer qui s'abat sur le "nouveau" guide et son troupeau laisse entendre que de l'autre côté, ce n'est peut-être pas mieux. Allusion aussi au contexte de réalisation du film qu'on ne peut évacuer, celui de la guerre froide et du maccarthysme qui déchirait alors le milieu du cinéma, certains étant blacklistés et d'autres, au contraire délateurs comme Elia KAZAN à qui le film sert, sinon de justification, du moins d'exutoire.
Le contexte actuel m'a donné envie de regarder l'un des rares films de fiction ayant traité du conflit russo-ukrainien dans la région du Donbass avant que celui-ci ne devienne depuis février 2022 un conflit ouvert et direct. La région orientale de l'Ukraine qui est riche en charbon était déjà en proie depuis 2014 (par ailleurs année de l'annexion de la Crimée) à un conflit opposant l'Etat ukrainien (pro-occidental) à des séparatistes (de nationalité ukrainienne mais russophones et pro-russes) soutenus par la Russie. Ceux-ci avaient pris le contrôle d'une partie du territoire et fondé des républiques populaires non reconnues par la communauté internationale. Ce type de conflit est dit "de basse intensité" ou "hybride" parce que bien que prenant l'apparence d'une guerre civile, celle-ci est en réalité attisée voire provoquée par une ou plusieurs puissances étrangères et a pour motif plus ou moins inavoué la captation des ressources. Un schéma comparable est la sécession en 1960 du Katanga dans la République démocratique du Congo, la région la plus riche en ressources minières du pays sous l'impulsion d'un homme (Moïse Tshombe) soutenu par les occidentaux (belges, français, sud-africains notamment) ce qui plongea le pays tout juste indépendant dans le chaos. Or la question de l'allégeance de l'Ukraine "indépendante" (en réalité tiraillée entre l'occident et la Russie) était déjà au coeur du conflit du Donbass.
Tous ces enjeux ne sont hélas guère expliqués dans un film décousu tant dans sa forme (qui ne cesse de changer d'une séquence à l'autre entre passages en caméra portée et d'autres en plans-séquence fixes), dans son ton (entre documentaire et fiction du genre "tout ça n'est qu'une mise en scène" alors que pourtant le conflit est bien réel) que dans son contenu: 13 sketches censés nous donner un aperçu de la situation mais qui en réalité entretiennent la confusion car rien n'est expliqué sur les causes ni même les protagonistes du conflit. On passe sans arrêt du coq à l'âne et pour couronner le tout, ça n'est jamais drôle (car cela se veut satirique). Le manque minimal de pédagogie (et donc de lisibilité des enjeux) limite considérablement la portée du film tout comme son côté partial (le film prend position contre les pro-russes). Tout au plus comprend-on que la corruption est partagée des deux côtés, de même que le nationalisme et la diabolisation de l'ennemi qualifié de "fasciste" du côté pro-russe (ce qui correspond à la rhétorique du Kremlin) mais les séparatistes apparaissent surtout dans le film comme des sortes de petits seigneurs locaux avides de pouvoir et d'argent et qui s'appuient sur des mercenaires armés particulièrement brutaux (un schéma connu par la Russie dans les années 90 qui s'était balkanisée sous l'influence des oligarques au détriment du pouvoir central qui était lui-même profondément corrompu). Les civils locaux sont les principales victimes du conflit (rackettés, terrorisés, obligés de se terrer comme des rats pour échapper aux obus etc.)
C'est la première fois que je revois "Chat noir, chat blanc" de Emir Kusturica, réalisateur incontournable des années 90, et c'est toujours aussi bien. Son talent se mesure au fait qu'en dépit du rythme endiablé du film, celui-ci reste toujours lisible grâce à une mise en scène profondément étudiée. Résultat, au lieu d'être accablé par l'hystérie ambiante, on est galvanisé par toute cette énergie dévorante que le réalisateur orchestre de main de maître. Entre musique frénétique, agitation burlesque et esthétique du joyeux chaos, le monde sans âge des tziganes des Balkans avec leurs installations de bric et de broc se mêle aux objets modernes "customisés" au milieu d'un ballet d'oies, de cochons dévoreurs de carcasses de Trabant (histoire de rappeler qu'on est dans un monde post-guerre froide) et d'un couple de chats antagonistes et inséparables à la fois (le vrai titre est "chatte noire, chat blanc", évidemment intraduisible tel quel). L'histoire sur fond de petits et de gros trafics mafieux d'une noce arrangée que les jeunes mariés sont bien décidés à déranger avec la complicité de papys faussement refroidis dans le grenier ^^ se transforme en vaste bouffonnerie avec des personnages qui semblent sortis d'une BD ou d'un cartoon: Ida* a l'allure d'Olive dans "Popeye", Zare avec son chapeau de paille fait penser à Tom Sawyer au bord d'un Danube qui pourrait être le Mississippi, la minuscule mais charmante Bubamara ("coccinelle") aux faux airs d'Elodie Bouchez se cache sous des souches d'arbre comme R2D2 et flashe sur Grga Veliki le géant, sans parler de l'inénarrable grand frère bling-bling de Bubamara accro à la techno et à la coke, "pitbull... terrier-ier-ier". Et tout ça est en plus une merveille pour les oreilles (les fanfares des BO de Kusturica sont mythiques) et pour les yeux (la scène d'amour dans les champs de tournesols par exemple).
* Branka Katić dans un rôle burlesque aux antipodes de celui qu'elle a joué peu de temps après dans "Warriors, l'impossible mission" sur la guerre de Bosnie (d'ailleurs tous les acteurs serbes y interprétaient des bosniaques et vice-versa).
Après "Mademoiselle de Joncquières" (2018) que j'ai beaucoup aimé, j'ai eu envie de voir le film le plus récent du réalisateur. Bien que se déroulant de nos jours, il a d'ailleurs gardé quelques traits de son prédécesseur ce qui en fait un film hors du temps, notamment la nature sublimée par la lumière, les intérieurs d'hôtels particuliers du XVII° et un caractère littéraire prononcé. Le plaisir de raconter est en effet au coeur du film, en plus du fait que Maxime est un aspirant écrivain. La mise en scène de cette "carte du tendre" est astucieuse (tout en étant bien maîtrisée) par le fait que les récits s'y entrelacent, au point de ne plus très bien distinguer ce qui relève de la réalité et du fantasme. Au départ, il n'y a que deux narrateurs, Daphné (Camélia JORDANA) et Maxime (Niels SCHNEIDER) qui délivrent leur point de vue sur leur parcours sentimentaux respectifs tumultueux fait de hasards et coïncidences mais aussi de désirs inassouvis ou contrariés mais leurs récits inachevés et subjectifs bénéficient ensuite d'un autre éclairage avec ceux d'autres personnages qui gravitent dans leur orbite comme François (Vincent MACAIGNE), Stéphane (Jean-Baptiste ANOUMON) et Louise (Emilie DEQUENNE). Parce qu'il s'agit d'un cinéma moraliste (mais pas moralisant) d'errements géographiques et sentimentaux dans lequel ceux-ci sont médiatisés par le verbe on a beaucoup rapproché Emmanuel MOURET de Éric ROHMER mais dans ce film en particulier, la référence qui m'a le plus sauté aux yeux est Woody ALLEN. La dernière scène de "Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait" ressemble beaucoup à celle de "Café Society" (2016). Les personnages ont fait des choix qui les ont enfermés dans une trajectoire et ils rêvent ou regrettent celles qu'ils n'ont pas empruntées ou bien à laquelle ils ont renoncé. La volatilité, la contagiosité* et l'imprévisibilité du désir (qui pour ne rien arranger parfois avance masqué), l'inconstance des sentiments qui en résulte s'oppose forcément à toute relation amoureuse quelque peu durable et constructive. Au point d'ailleurs qu'il est évoqué dans le film de façon très juste que les mariages arrangés d'autrefois étaient souvent plus solides que les unions amoureuses d'aujourd'hui. Mais sans en faire une règle générale pour autant. Ainsi la "fourmi" Victoire (Julia PIATON) qui a planifié sa vie maritale et parentale comme s'il s'agissait d'un plan de carrière se fourvoie autant que les "cigales" qui butinent à toutes les fleurs qui leur plaisent sans se soucier des conséquences (le marquis des Arcis n'est vraiment pas loin du tout!) D'ailleurs chez Woody Allen comme chez Emmanuel Mouret, un philosophe intervient dans le rôle de la boussole morale qui fait tant défaut aux protagonistes, complètement perdus dans l'obscurité de leur labyrinthe intérieur. Il y fait l'éloge de l'altruisme et du lâcher-prise parce que c'est la seule chose qui peut procurer à la longue un sentiment durable de pleine et entière satisfaction.
* J'ai étudié le livre de René Girard "Mensonge romantique et vérité romanesque" dans lequel il évoque le médiatisation du désir, un des thèmes du film (très présent aussi dans la filmographie de Woody Allen).
"Fait divers" est le premier film de Claude AUTANT-LARA. C'est un court-métrage expérimental à la tonalité surréaliste, une oeuvre phare de l'avant-garde artistique des années 20 qui comme "Le Dernier des hommes" (1924) de F.W. MURNAU raconte une histoire en se passant des intertitres. Pour parvenir à comprendre ce qui se passe dans la tête d'un homme jaloux (Monsieur 1 joué par Roland Barthet) qui soupçonne sa maîtresse (la propre mère du réalisateur, Louise Lara) de le tromper avec Monsieur 2 (Antonin ARTAUD), le réalisateur transforme son film en une séquence onirique à tendance cauchemardesque à l'aide des possibilités offertes par la grammaire du cinéma muet, faisant des associations d'images-idées par le biais du montage ou des surimpressions. Il utilise également les ralentis, les accélérés, des plans qui tanguent et divers trucages pour exprimer les pulsions de meurtre que le personnage a vis à vis de son rival. Les gros plans récurrents de mains (gantées ou non) avec en surimpression un calendrier qui affiche des dates dans le désordre mais toutes relatives à la guerre laissent entendre dès le début du film l'envie d'étrangler qui finit par se concrétiser en réifiant la chair. D'autres plans de mains entourant voire s'enfonçant dans la chair ont à l'inverse un caractère sensuel tout comme certaines des scènes qui tanguent, cette instabilité pouvant exprimer le basculement dans la folie meurtrière ou au contraire dans l'ivresse du désir.
Comme beaucoup de réalisateurs naturalisés américains de l'âge d'or hollywoodien, Michael Curtiz est issu d'un monde disparu, la Mitteleuropa. D'origine juive hongroise, Michael Curtiz (qui s'appelait alors Mihály Kertész dans le milieu du cinéma hongrois mais dont le vrai nom est Manó Kertész Kamine) a en effet réalisé ses premiers films dans l'Empire austro-hongrois, celui-là même qui fut le déclencheur de la première guerre mondiale et n'y survécut pas. D'ailleurs la région montrée dans le film ne se trouve ni en Autriche ni en Hongrie dans leurs frontières actuelles mais dans les Carpates qui sont aujourd'hui partiellement en Roumanie.
"L'indésirable" est une rareté qui vaut plus pour sa valeur historique (c'est l'un des premiers films du cinéma hongrois que Michael Curtiz a donc contribué à fonder, l'un des rares a être parvenu jusqu'à nous et on y voit des scènes d'un grand intérêt ethnographique avec des costumes folkloriques au début et à la fin que l'on retrouve à la même époque à Ellis Island, le centre qui accueillait les migrants européens à New-York) que pour son histoire, mélodramatique et bourrée d'invraisemblances. Quant à la forme, elle est inégale (sans parler du fait que certains plans ont sans doute disparu, le montage semblant parfois être fait à la hache). Une partie du film ressemble à du théâtre filmé avec des scènes statiques et en prime un jeu outré (Michael Curtiz venait d'ailleurs du théâtre, ce qui est logique à cette époque primitive du cinéma) mais il y a aussi quelques beaux passages dynamiques en montage alterné. On voit également que le réalisateur a le sens de la composition des cadres notamment dans le positionnement des corps dans l'espace et dans les angles de prise de vue. Enfin il affleure une certaine sensibilité dans la manière de filmer les scènes campagnardes dans lesquelles les paysages sont magnifiés, un monde traditionnel qui était en train de disparaître sous l'effet de l'exode rural et de l'émigration.
C'est avec "Blood Simple", leur premier long métrage que j'ai découvert les frères Coen (j'ai d'ailleurs vu par la suite au cinéma la plupart de leurs films jusqu'à "Ladykillers") (2004). "Blood Simple" m'a marqué par son atmosphère (poisseuse) et par sa mise en scène (brillante). Une scène en particulier a laissé en moi une trace indélébile, celle des trous de balles tirées à travers la cloison, une scène que j'ai ensuite reconnue lorsqu'elle a été reprise par Luc BESSON au début de "Léon" (1994). Elle révèle aussi un formidable travail sur la lumière effectué par Barry SONNENFELD, futur réalisateur des films de la famille Addams et des Men in Black.
En revoyant le film, j'ai été frappée par ses similitudes avec d'autres longs-métrages des Coen comme "The Big Lebowski" (1998): la présence d'une voix-off, le choix d'ancrer l'histoire dans l'Amérique profonde, le ton cynique et désabusé, l'incapacité des personnages à communiquer (source de nombreux malentendus). En même temps, dès ce film en forme d'exercice de style (les personnages assez mécaniques sont au service de l'intrigue et celle-ci épouse les codes du film noir avec une touche d'horreur à la "Shining") (1980), on observe le goût des réalisateurs pour les hommages au cinéma pas seulement hollywoodien mais anglo-saxon en général. En effet "Blood Simple" est un thriller hitchcockien transplanté au Texas avec des scènes d'un suspense insoutenable (soulignée par une bande-son anxiogène du meilleur effet), notamment autour d'un homme qui agonise pendant près de 16 minutes (toute ressemblance avec "Le Rideau déchiré" (1966) et ce jusqu'à la pelle est une pure coïncidence ^^). C'est aussi le premier rôle d'une toute jeune Frances McDORMAND appelée à faire une belle carrière, notamment auprès des frères Coen. Quant au personnage répugnant et retors du détective gluant joué par Emmet WALSH, il symbolise l'aspect dégénéré du milieu dans lequel trempe le film, tout comme les plans récurrents de poissons en train de pourrir sur le bureau de l'homme assassiné (une métaphore de la putréfaction qui me rappelle "Répulsion" (1965) et la progression de la démence symbolisée par une carcasse de lapin en décomposition). Pour finir, il y a dans ce premier film que l'on peut qualifier de "néo-noir" une touche tarantinesque dans le jeu avec le spectateur aussi bien que dans la bande-son vintage ("It's the Same Old Song").
La deuxième saison de la série "En Thérapie" qui avait créé l'événement l'année dernière et que je viens de terminer en seulement cinq jours est une éclatante réussite. Elle est même supérieure à la première saison qui était déjà d'un niveau remarquable mais qui présentait quelques défauts qui ont disparu de cette nouvelle saison. Je pense en particulier à l'intérêt très inégal des différents patients que recevait le docteur Dayan. Le succès de la première saison a sans doute libéré le champ des possibilités d'enquête intérieure (car qu'est ce que l'analyse sinon une enquête sur soi afin que l'éclairage des zones d'ombre de sa personnalité et de son histoire vienne apaiser les souffrances, rendre compréhensible ses actes et son cheminement et ainsi permette de vivre plus en harmonie avec soi, les siens et le monde) car les scénaristes du tandem Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE osent aller beaucoup plus loin et affronter le tabou de la mort ainsi que s'approcher au plus près de la véracité d'un travail analytique (actes et paroles manquées, interprétation des rêves etc.). L'intervention du psychiatre et psychanalyste Serge Hefez dans l'écriture du scénario se ressent. Exit donc les affaires de coeur et autres dissensions de couple qui polluaient la première saison à la manière d'une rengaine sentimentale un peu éculée. Le penchant du docteur Dayan (Frédéric PIERROT, extraordinaire dans sa capacité à exprimer par le moindre de ses regards, de ses expressions, par les postures de son corps tous les états d'âme de son personnage) à sortir de son rôle pour jouer les sauveurs et sa profonde culpabilité liée au fait de ne pas y parvenir sont ici profondément questionnés:
- Au travers des fantômes de la saison 1 (dont les événements sont situés cinq ans avant la saison 2 qui s'ouvre au sortir du premier confinement de l'ère covid) qui reviennent le hanter, la mort de Adel Chibane (Reda KATEB) s'étant muée en procédure judiciaire aboutissant sur un procès dans lequel intervient Esther (Carole BOUQUET), l'ancienne superviseuse de Philippe.
- Au travers de sa propre enfance et adolescence qu'il affronte avec l'aide d'une nouvelle superviseuse qui devient au fil du temps une égale et presque un miroir de lui-même, forte et fragile à la fois, remarquablement interprétée par Charlotte GAINSBOURG (qui avait déjà joué sous la direction de Philippe TOLEDANO et Olivier NAKACHE dans "Samba") (2014). Le titre de son livre est programmatique du sens de la série comme de ce qu'elle apporte à Dayan: "la psychanalyse réenchantée".
- Au travers de ses nouveaux patients qui sont tous à un titre ou à un autre en danger de mort (physique, symbolique, filiale ou sociale): l'avortement, le suicide, le cancer, le cyberharcèlement, la dénutrition poussent le docteur Dayan dans ses retranchements tandis que les acteurs qui les interprètent, tous brillants, offrent des compositions subtiles et complexes. On mesure une fois de plus le talent de Eric TOLEDANO et Olivier NAKACHE à faire travailler harmonieusement des gens d'horizons très différents voire opposés et à sortir le meilleur d'eux-mêmes que ce soit au niveau des différents réalisateurs des épisodes (Agnès JAOUI qui a également un petit rôle dans la série, Arnaud DESPLECHIN dont je me suis rappelé qu'il avait déjà abordé la psychanalyse dans "Jimmy P. (Psychothérapie d un Indien des Plaines)" (2013), Emmanuelle BERCOT, Emmanuel FINKIEL) ou bien au niveau des acteurs (Eye HAÏDARA qu'ils avaient d'ailleurs révélé dans "Le Sens de la fête" (2016), le jeune Aliocha Delmotte dont le rôle est autrement plus intéressant et touchant que celui de ses parents dans la saison 1, Suzanne LINDON, fille de qui affirme une présence forte bien à elle et enfin le grand Jacques WEBER que l'on est plus habitué à voir au théâtre et dont l'intensité des échanges, non-verbaux surtout avec Frédéric PIERROT atteint des sommets).
Il est rageant que Kelly REICHARDT n'ait pas su trouver une conclusion satisfaisante à son film. Car le reste était remarquablement tenu. Maniant parfaitement les codes du thriller et du film de casse mais les mettant au service de son style minimaliste et épuré, la cinéaste signe une fable prenante sur la dérive terroriste de trois militants écologistes radicalisés qui préparent puis exécutent un attentat contre un barrage. Dès le début, elle sème de petits cailloux destinés à instiller le doute dans l'esprit du spectateur sur la réussite de l'entreprise du trio. Josh (Jesse EISENBERG) et Dena (Dakota FANNING), deux jeunes idéalistes à l'esprit faible, découvrent en effet que leur partenaire, l'ancien Marine Harmon (Peter SARSGAARD) plus âgé et plus expérimenté leur a menti concernant ses antécédents, ses relations ou l'environnement du barrage qu'ils ont décidé de faire sauter. Mais en dépit de ces mensonges et d'autres signes annonciateurs tels que la crise d'urticaire qui touche Dena ou le contretemps d'un automobiliste qui s'arrête juste en face du barrage piégé, ceux-ci ne parviennent pas à s'extraire de leur projet fou et ce sont eux qui en paieront les conséquences, le troisième devenu un "deus ex machina" (il n'est plus visible à l'écran et s'agit plus qu'au téléphone) continuant sans difficulté à les manipuler en attisant leur paranoïa pour faire en sorte qu'ils se neutralisent mutuellement une fois l'attentat accompli. La beauté des paysages filmés (ceux de l'Oregon, comme dans tous les films de la réalisatrice) et l'attention portée aux gestes méticuleux des fermiers ne fait pas oublier l'essentiel: la contradiction fondamentale que constitue le fait de tuer par idéal (surtout lorsque cet idéal consiste à sauver le vivant!) et l'amère solitude des jeunes gens qui agissent ensemble mais qui doivent ensuite supporter seuls le poids de leurs actes. A ce titre, c'est Josh le maillon le plus faible, celui que la caméra isole dans tous les lieux où il passe et qui coupe peu à peu les derniers liens qui le retenaient au reste de la société.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.