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Le Chat du Rabbin

Publié le par Rosalie210

Joann Sfar, Antoine Delesvaux (2010)

Le Chat du Rabbin

Vraiment très sympa, "Le Chat du rabbin". En dépit d'un scénario décousu qui a tendance à survoler nombre de personnages avant de se terminer en queue de poisson, la faute sans doute à la volonté de synthétiser les albums BD en 1h30, le charme opère. Cette fable philosophique qui se déroule dans l'Afrique coloniale de l'entre-deux-guerres évoque la coexistence religieuse des juifs et des musulmans, certains ouverts et tolérants et d'autres, beaucoup moins. Le rabbin et le cheik font partie des seconds et se lancent à l'aventure en quête d'une nouvelle Jérusalem en Ethiopie avec un attelage aussi hétéroclite qu'eux. Leur périple est l'occasion d'envoyer des piques bien senties sur l'interprétation des textes religieux. Le statut des images fait par exemple l'objet d'un passage bien ironique dans lequel le chef d'une tribu de musulmans fondamentalistes ne voit aucun inconvénient à se faire tirer le portrait tant que cela flatte son ego. Ses justifications alambiquées montrent que les dogmes sont à géométrie variable: ainsi dans sa bouche la peinture n'est plus de l'idolâtrie contrairement à la sculpture. Même traitement ironique du colonialisme à travers l'hilarant passage où nos amis rencontrent Tintin au Congo flanqué d'un accent belge à couper au couteau (c'est Francois DAMIENS qui le double) et qui les prend de haut. Comme dans toutes les fables il y a des animaux, ici un âne, un perroquet et surtout un chat qui parle et ne croit en rien. Les questions gênantes qu'il pose à son maître remettent en question les croyances religieuses alors que le racisme pseudo-scientifique se prend un gros coup de poing dans la figure et que la violence des pogroms est mise à distance par l'effet cartoon. Seule l'étrange séquence du cauchemar du chat où il voit la fille de son maître mourir et celui-ci sombrer vient véritablement rompre l'atmosphère plutôt bon enfant de l'ensemble mais elle ne trouve pas d'explication ultérieure dans le film, laissant le spectateur qui n'a pas lu les BD à ses conjectures.

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Miracle en Alabama (The Miracle Worker)

Publié le par Rosalie210

Arthur Penn (1962)

Miracle en Alabama (The Miracle Worker)

Amateurs d'histoires larmoyantes ou édifiantes, passez votre chemin. "Miracle en Alabama" est un film dur, âpre, éprouvant et qui dépasse de très loin son sujet initial. On sent que Arthur PENN a envie de renverser la table alors même que le Nouvel Hollywood dont il sera l'un des précurseurs reste à inventer: "Les gens qui m’intéressent sont ceux qui vivent en marge de la société, au-delà des lignes toutes tracées. Je fais en sorte que mes personnages soient vrais, c’est-à-dire souvent solitaires, rejetés, souffrants. C’est aussi de ma part une réaction contre les critères hollywoodiens selon lesquels tout le monde est beau, parfait, éclatant de santé." (Arthur PENN, 1983). "Miracle en Alabama" correspond trait pour trait à cette Amérique de l'autre côté du miroir que dépeint Arthur PENN dans ses films. Il s'agit de l'adaptation cinématographique de la pièce de théâtre éponyme de William Gibson dont Arthur PENN avait assuré la mise en scène sur les planches de Broadway avec déjà le duo Anne BANCROFT-Patty DUKE. Arthur PENN avait également réalisé un téléfilm en 1957, deux ans avant la création de la pièce de théâtre. C'est dire s'il connaissait son sujet, tiré de l'autobiographie de Helen Keller qui suite à une maladie infantile fut privée de la vue et de l'ouïe et rendue quasi muette.

Il y a deux oeuvres qui me sont immédiatement venues à l'esprit en regardant "Miracle en Alabama": "L'Enfant sauvage" (1969) de Francois TRUFFAUT et "Le Cri" de Edouard Munch (l'affiche, le générique de début, muet, dépouillé, bouleversant qui montre cette petite fille avancer les bras tendus dans le vide, tomber, se cogner, se relever, crier sans sortir de son). Tout au long du film, Arthur PENN joue sur deux tableaux. D'une part le corps à corps rugueux pour ne pas dire violent entre Helen et son éducatrice, Anne Sullivan, elle-même mal-voyante pour parvenir à sortir Helen des ténèbres et du silence qui l'isolent du monde. Et en même temps la transgression des normes et des valeurs de l'Amérique puritaine qui n'ont aucune prise sur le petit animal sauvage qu'est Helen sans parler de la nécessité de briser ces normes pour espérer la relier au monde qu'incarne Anne Sullivan. Celle-ci doit en effet se battre, au propre et au figuré pour se faire accepter et respecter par Helen mais aussi par sa famille qui la traite moins en éducatrice ou aidante proche qu'en domestique que le moindre faux pas met sur la sellette. Et pourtant Anne ne lâche rien, notamment vis à vis du père dont le degré d'aveuglement vis à vis de la défaite de la civilisation sudiste face au nord dans la guerre de Sécession renvoie aux handicaps de sa fille.

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La Chanson du passé (Penny Serenade)

Publié le par Rosalie210

George Stevens (1940)

La Chanson du passé (Penny Serenade)

"La Chanson du passé" est un film bancal dès sa conception. Construit sur des séquences en flashbacks introduites par des disques que l'épouse (Irene DUNNE) écoute avec mélancolie comme si en chacun était gravé un morceau de l'histoire de son couple sur le point de se terminer, il commence pourtant sur un ton assez léger en narrant leur rencontre dans un magasin de disques justement. Une structure qui a peut-être inspiré celle de "5x2" (2004) mais le contenu est bien différent. Après un début plutôt sympathique d'autant que l'on retrouve Cary GRANT en charmeur immature irrésistible, le film s'enlise dans un mélodrame plombé par les valeurs américaines selon lesquelles le couple n'a pas de sens s'il ne fonde pas une famille. Cette question devient une obsession pour le couple accablé par les malheurs mais qui rebondit avec une facilité qui finit par mettre mal à l'aise. L'enfant est tantôt montré comme un ange sur le point de monter au ciel avec une symbolique particulièrement lourde (et la séquence est interminable en plus), tantôt comme un objet de consommation parfaitement remplaçable. Cary GRANT en fait des tonnes dans le pathos ce qui m'a mis mal à l'aise, notamment dans la scène où il supplie le juge de leur laisser la garde de l'enfant. Quant à la fin, elle laisse pantois.

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Lola Montès

Publié le par Rosalie210

Max Ophüls (1955)

Lola Montès

Je me souviens que la première fois que j'avais vu "Lola Montès", je m'étais beaucoup ennuyée. Seule l'utilisation de la couleur avait retenu mon attention. Il faut dire que ces couleurs éclatantes sont l'un des points forts du film. L'autre aspect qui retient l'attention, c'est le dispositif narratif non linéaire (que la restauration du film a bien mis en valeur). Plutôt que de jouer la carte romanesque à la manière de "Splendeur et misère des courtisanes", le film est une satire de la société du spectacle fondé sur la marchandisation de la célébrité. D'une certaine manière, la reconstitution de la vie de Lola Montès découpée en tranches et jetée en pâture à un public voyeuriste et avide de ragots est la continuation de sa vie de courtisane. Lola s'exhibe dans un cirque comme une bête de foire après avoir été vendue par sa mère au plus offrant puis être passée de mains en mains au gré de ses aventures tumultueuses subies plus que choisies. La dernière scène souligne en effet s'il le fallait combien la liberté de la jeune femme était illusoire, celle-ci ayant vécu toute sa vie aux crochets des hommes, le cirque l'illustrant de manière grotesque.

Si cette mise en abyme donne matière à réflexion et si esthétiquement, "Lola Montès" en met plein les yeux avec son décorum baroque et l'élégance de ses mouvements de caméra, le spectacle nous met cependant à distance avec un emballage suranné, une succession d'amants quelques peu interchangeables et une actrice -Martine CAROL- complètement figée telle une statue de cire. Ce manque de vie et d'épaisseur ne suscite guère d'émotions, la forme écrasant trop le fond.

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La Fille de son père

Publié le par Rosalie210

Erwan Le Duc (2023)

La Fille de son père

Bien qu'un chouia confus et inabouti dans sa progression dramatique, "La fille de son père" est rempli de trouvailles originales, drôles ou poétiques ainsi d'un recul salutaire sur notre époque. Il n'y a guère que chez Albert DUPONTEL que l'on peut trouver ainsi conjugués loufoquerie et esprit critique comme la décision radicale de la maire éco-anxieuse (Noemie LVOVSKY) pour reverdir sa commune ou cet agent immobilier qui vend des pieds à terre qu'il n'habitera jamais pour reprendre une phrase de la chanson "Ma Rue" de Zebda. Agent qui se définit comme un grouillot du capitalisme et dont j'aime beaucoup cette phrase "ne rien lâcher, ne jamais rien lâcher, pourtant, on serait plus léger". Et puis le duo père-fille est lui même original et porté par des acteurs que j'aime beaucoup mais bien trop rares: Nahuel PEREZ BISCAYART (que d'ailleurs Albert DUPONTEL avait fait jouer dans "Au revoir la-haut") (2016) et Celeste BRUNNQUELL. Le premier, immature et fragile n'est jamais parvenu à se rétablir de la fuite de sa compagne qui l'a planté avec leur fille lors d'une ouverture menée tambour battant où elle a disparu sous prétexte de chercher une place (de stationnement) qu'elle n'a manifestement jamais trouvé. La seconde devenue une artiste de talent dont les peintures illuminent le film semble plus mature que son père mais ne s'autorise pas à le quitter de peur de le voir s'écrouler. L'enjeu est donc pour lui de réinvestir pleinement une relation et pour elle de devenir une adulte autonome. Les désirs et les sentiments s'expriment avec une certain décalage dû à une écriture littéraire un peu alambiquée mais leur traduction visuelle est vraiment réussie, notamment la réactualisation des scènes d'amour où le prétendant grimpe jusqu'au balcon de sa belle. Un film encore un peu trop brut mais vraiment très prometteur.

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L'Homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä)

Publié le par Rosalie210

Aki Kaurismäki (2002)

L'Homme sans passé (Mies vailla menneisyyttä)

"L'homme sans passé" est le premier film que j'ai vu de Aki KAURISMAKI et une belle entrée en matière dans son univers attachant et reconnaissable entre tous. Une fable sociale autour d'une renaissance symbolisée par une attention aux petits gestes du quotidien qui n'est pas sans rappeler Yasujiro OZU. M (Markku PELTOLA) nettoie son conteneur-bungalow, récupère un juke-box que l'électricien du campement répare, plante des pommes de terre et les regarde pousser, adopte un chien et apprivoise son maître (nommés respectivement Anttila et Hannibal avec l'humour pince-sans-rire caractéristique du réalisateur) et enfin, rencontre l'amour sous les traits de Irma (Kati OUTINEN, l'actrice-fétiche de Aki KAURISMAKI) qui travaille pour l'armée du salut et vit dans un foyer. La reconstruction personnelle de M qui est amnésique suite à une violente agression subie au début du film quand il débarque à Helsinki est indissociable de la réparation du lien social abîmé par la misère et l'oppression (Aki KAURISMAKI renvoie dos à dos le capitalisme et les institutions). L'armée du salut (la bien nommée) joue le rôle d'infirmier, pas seulement à travers Irma qui restaure la dignité de M en lui donnant des vêtements et un travail mais aussi à travers l'avocat qui vient sauver M de l'emprisonnement parce qu'il ne peut décliner son identité. On croirait entendre Adolphe Thiers en 1850 "Nous avons exclu cette classe d'hommes dont on ne peut saisir le domicile nulle part (...) Mais ces hommes que nous avons exclus, sont-ce les pauvres ? Non, ce n'est pas le pauvre, c'est le vagabond. Ce sont ces hommes qui forment, non pas le fond, mais la partie dangereuse des grandes populations agglomérées." Cette citation éclaire particulièrement bien je trouve la filiation entre le cinéma de Charles CHAPLIN et celui de Aki KAURISMAKI. L'adoption du chien (que l'on retrouve dans son dernier film "Les Feuilles mortes") (2023) et le dernier plan où les amoureux s'éloignent à la manière du final de "Les Temps modernes" (1936) en sont autant d'exemples. "L'Homme sans passé" sous ses airs peu engageants est en réalité gorgé d'espoir. Que ce soit dans le collectif des déshérités qui chasse les voyous responsables de l'agression de M, dans le patron qui comme dans les fables sociales de Frank CAPRA se retourne contre la logique capitaliste pour rendre justice à ses ouvriers ou dans l'amour qui irradie les personnages ou encore dans l'oeuvre d'art totale dont Aki KAURISMAKI est adepte. Comme ses autres films, "L'Homme sans passé" bénéficie d'une esthétique particulière, minimaliste et vintage mais profondément étudiée. Chaque plan est composé et éclairé comme un tableau et la musique rock rythme l'ensemble.

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Winter Break (The Holdovers)

Publié le par Rosalie210

Alexander Payne (2023)

Winter Break (The Holdovers)

J'avoue ma perplexité devant le concert d'éloges autour de "Winter break" qui se veut un hommage aux oeuvres de Hal ASHBY, hommage que l'on entend notamment lors du générique, chanté par Cat Stevens. Mais je n'ai pas du tout retrouvé l'état d'esprit anticonformiste du réalisateur de "Harold et Maude" (1971) et de "Bienvenue Mister Chance" (1979) dans "Winter Break". Le début est plutôt prometteur avec quelques punchlines bien senties du prof vachard envers ses élèves et des élèves entre eux. Mais cela ne dure pas longtemps puisque le principe du film est de réunir trois laissés-pour-compte des fêtes de noël dans le lycée déserté: le prof vachard qui en réalité est un pathétique loser, un élève abandonné par sa famille et la cuisinière qui a perdu son fils au Vietnam et n'a pas le coeur à la fête. J'ai eu bien du mal à croire en cette reconstitution des années 70 qui m'a parue artificielle et surtout, j'ai trouvé l'intrigue du film terriblement convenue. On sait dès le départ que le professeur (joué par Paul GIAMATTI) bourru a un coeur d'or, on a déjà vu ça cent cinquante fois au moins, on sait qu'il va s'attacher au gamin (insignifiant) et vice-versa. Quant à la cuisinière, le scénario a prévu le moyen de compenser sa perte. Tout ce petit monde forme au final une jolie famille de substitution réunie autour des repas et de la soirée télévision sur le canapé. On cherche désespérément quelques aspérités auxquelles se raccrocher pour se sentir quelque peu concerné par ce qui se passe sur l'écran mais rien ne dépasse. Pour couronner le tout, fallait-il pour justifier le rejet quasi unanime que subit le professeur l'affubler de tant de tares? Petit, borgne, misanthrope, pédant, puant le poisson pourri (un désordre métabolique socialement invalidant), suant des mains et vraisemblablement impuissant même si Alexander PAYNE ne s'aventure pas sur ce terrain là hormis lors d'une scène maladroite alors que Hal ASHBY l'aurait exploré sans aucun tabou. Mais de toutes façons, on aura compris que ce n'est pas véritablement chez lui que Payne a puisé son inspiration mais dans le "Merlusse" (1935) de Marcel PAGNOL, une référence nettement moins "arty".

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Meryl Streep, Mystères et Métamorphoses

Publié le par Rosalie210

Charles-Antoine de Rouvre (2020)

Meryl Streep, Mystères et Métamorphoses

A travers ce titre composé d'allitérations en M, le documentaire rend hommage à une actrice dont le demi-siècle de présence sur les écrans a fait oublier justement à quel point sa carrière est atypique et exceptionnelle. Comment expliquer sa longévité et le fait qu'elle se soit bonifiée en vieillissant alors que la majorité des actrices ne parviennent pas à franchir l'étape de la cinquantaine? Comment expliquer que nombre des personnages qu'elle a incarné soient restés dans les mémoires alors qu'ils marquent généralement moins les esprits que leurs homologues masculins? A toutes ces questions, le documentaire apporte quelques éléments de réponse, même s'il n'épuise pas le sujet:
- Ses débuts au cinéma, fortement liés à sa relation avec John CAZALE rencontré sur les planches et qui est mort d'un cancer peu de temps avant la sortie de "Voyage au bout de l'Enfer (1978).
- La combativité de l'actrice qui a dû souvent convaincre les cinéastes de lui donner des rôles dans lesquels ils ne la voyaient pas (Alan J. PAKULA et Sydney POLLACK en particulier).
- Son implication dans ses rôles, au point parfois de participer à leur écriture. Robert BENTON a par exemple été bien inspiré de lui demander de rédiger la plaidoirie de Johanna dans "Kramer contre Kramer" (1979) car il ne parvenait pas à adopter le point de vue féminin.
- Son oreille musicale et sa facilité à apprendre les langues étrangères grâce à laquelle elle a pu jouer de façon crédible des immigrées comme la polonaise Sophie dans "Le Choix de Sophie" (1982) ou l'italienne Francesca dans "Sur la route de Madison" (1995).
- L'éventail de son jeu a également été très utile pour lui permettre de se reconvertir dans la comédie durant les années 80 où son succès dans le registre dramatique était moindre. Elle a ensuite alterné avec bonheur les deux genres, de "Sur la route de Madison" (1995), l'un de ses plus grands rôles à "Mamma Mia !" (2008).
- Enfin son talent pour donner à ses personnages une richesse émotionnelle qui les entraîne hors des clichés, qu'ils soient aimables ou détestables de prime abord.

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Pêcheur d'Islande

Publié le par Rosalie210

Jacques de Baroncelli (1924)

Pêcheur d'Islande

"Pêcheur d'Islande" que l'on peut voir actuellement dans une version restaurée est la troisième adaptation du roman de Pierre Loti. Il se distingue par sa beauté et son hétérogénéité. D'une part, il possède un fort aspect documentaire. Tourné sur les lieux décrits par Loti, dans les villages de Paimpol et de Ploubazlanec, il contient en son sein de véritables séquences documentaires sur la pêche à la morue ou sur une noce en Bretagne telles qu'elles se pratiquaient au début des années 1920. Au cimetière de Ploubazlanec, le mur des disparus en mer recense les noms des pêcheurs et des bateaux disparus lors de la pêche en Islande alors que les femmes de marin guettent le retour des bateaux autour d'un monument au nom éloquent, "la croix des veuves". Mais cet aspect documentaire est contrebalancé par une romance contrariée par l'appel des éléments et la différence de classe sociale. Un canevas mélodramatique que l'on reverra par la suite, à la sauce marseillaise dans "Marius" (1931) ou transposé à la montagne dans "Premier de cordée" (1943). "C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme", cela pourrait être la devise de Yann (Charles VANEL), rude marin qui en pince pour la délicate Gaud (Sandra MILOVANOFF) dont le visage de porcelaine contraste avec les figures burinées des figurants (des habitants locaux pour la plupart) mais n'ose pas lui demander sa main, ce dont elle souffre en silence. Même quand un revers de fortune (au sens propre) rend le mariage possible, la mer déchaînée plane comme une menace sur les amoureux. Enfin, le film possède quelques séquences hallucinatoires de toute beauté, notamment celle où "La Marie", le bateau de Yann croise un vaisseau-fantôme qui apporte les funestes nouvelles venues de la terre ferme.

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Le monde de demain

Publié le par Rosalie210

Katell Quillévéré et Hélier Cisterne 52022)

Le monde de demain

Une des meilleures mini-séries de 2022, diffusée d'abord sur Arte puis sur Netflix. Réalisée par Katell QUILLEVERE et Helier CISTERNE dont l'intérêt pour l'histoire et les questions politiques et sociales n'est plus à démontrer, elle raconte la genèse du mouvement hip-hop en France au début des années 80, indissociable de l'émergence artistique d'une jeunesse populaire et métissée jusque là invisible dans les médias alors cadenassés par l'Etat. La mini-série suit plusieurs de ces jeunes, mettant en lumière au passage les différentes facettes du hip-hop que l'on a tendance à réduire au seul rap.

Le premier d'entre eux est le DJ Dee Nasty alias Daniel Bigeault (Andranic MANET) qui a joué un rôle fondateur méconnu et pourtant essentiel. Passionné par ce mouvement qu'il a découvert à San Francisco et qu'il importe en France, il mixe et scratche dans des clubs, enregistre le premier album de rap français en 1984, anime des soirées en plein air, ouvre l'antenne des radios libres au rap et aux rappeurs, notamment sur Radio Nova entre 1988 et 1989. Tout cela en autodidacte et dans une marginalité dont il ne sortira jamais vraiment. Il est dépeint sous les traits d'un jeune homme passionné, sensible, introverti et qui s'affirme peu. Tout le contraire de son explosive compagne Béatrice (Leo CHALIE), personnage fictif mais très fortement inspiré par le parcours et la personnalité de Catherine Ringer (et Daniel a d'ailleurs des points communs avec Fred Chichin). Ce n'est d'ailleurs pas le moindre exploit de la série que de mettre en avant des femmes fortes dans un univers très masculin, à l'image de la graffeuse Lady V (Laika BLANC-FRANCARD) qui fut la compagne de Kool Shen alias Bruno Lopes, l'un des deux membres du groupe NTM.

Parmi la nouvelle génération de talents que Dee Nasty a contribué a révéler, la série se focalise en effet sur Didier Morville (Melvin BOOMER) et Bruno Lopes (Anthony BAJON) qui traversent toutes les strates de ce mouvement sans véritable solution de continuité. Ils sont d'abord danseurs, puis graffeurs (stade durant lequel ils inventent leurs pseudos, JoeyStarr et Kool Shen) et enfin rappeurs. Tout cela dans une sorte de bouillonnement culturel propre à l'époque. L'histoire s'arrête en effet avant leur starisation et ne cherche jamais à les extraire de leur milieu. Celui-ci est dépeint avec beaucoup de réalisme et c'est ce qui est passionnant. On voit par exemple leurs "battles" avec d'autres groupes de danse et de rap. On voit également comment leurs milieux familiaux à la fois proches et opposés les ont forgés. D'un côté la famille chaleureuse et unie de Bruno Lopes dont il ne veut pas s'éloigner ce qui lui fait renoncer à une carrière de footballeur. De l'autre la jeunesse chaotique de Didier Morville cherchant à échapper à un père violent. L'une de mes séquences préférées est celle où le père ouvrier de Bruno Lopes voit son fils pour la première fois à la télévision dans "Mon Zénith à moi" à l'initiative de Nina Hagen qui a connu NTM via son compagnon, Frank Chevalier qui est alors le manager du groupe: choc culturel garanti!

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