"La folle journée de Ferris Bueller" est l'un des meilleurs teen-movie de l'histoire. C'est une comédie culte, impertinente, intelligente et qui procure un jubilatoire sentiment de liberté. le film parle d'ailleurs tout autant aux adolescents qu'aux adultes qui ne l'ont pas oublié (à l'image du réalisateur John HUGHES). Ferris Bueller (Matthew BRODERICK, excellent) qui ne cesse de prendre le spectateur à témoin de ses combines pour profiter de la vie au nez et à la barbe des adultes aurait pu être une insupportable tête à claques. Mais grâce aux qualités d'écriture de son personnage qui s'avère agir par altruisme, le spectateur prend son parti et éprouve de la jubilation devant son audace à qui rien ne résiste. Et surtout pas des adultes mortellement ennuyeux à l'image de la plupart des cours, enfermés dans leurs routines morbides, stupidement crédules ou tragiquement absents. Ainsi Cameron, le meilleur ami de Ferris est dépressif et n'a de confrontation avec son père qu'à travers un objet, sa Ferrari à qui il semble tenir plus qu'à son fils. Plutôt que la fuite par la maladie, Ferris propose à sa petite amie Sloane et à Cameron d'inventer une temporalité parallèle (ce que souligne l'affiche du film) lors d'une journée où tout serait permis dans une sorte de subversion carnavalesque. L'aspect jouissif et transgressif de cette soudaine liberté est rehaussée par les manoeuvres grotesques du directeur (Jeffrey JONES) pour coincer Ferris, tel Gargamel échouant à attraper les schtroumpfs. Et pendant que les institutions se ridiculisent, la jeunesse libérée de ses chaînes s'offre une parenthèse enchantée, que ce soit lors d'un numéro improvisé au cours d'une parade ou de la visite du musée de Chicago aussi surprenante et dynamique que dans "Bande a part" (1964). L'insolence et la flamboyance de la jeunesse selon John HUGHES a beaucoup de points communs avec celle qu'a montré à l'écran Jean-Luc GODARD et Michel Poiccard n'hésitait pas non plus à faire rouler à fond la caisse une automobile empruntée tout en brisant le quatrième mur pour prendre le spectateur à témoin. D'ailleurs la soeur frustrée et jalouse de Ferris (Jennifer GREY) finit par être contaminée par l'esprit de la bande en tombant amoureuse d'un petit voyou joué par Charlie SHEEN!
Un employé archétypal de la classe moyenne aux journées réglées comme du papier à musique se réveille dans son pavillon de banlieue comme il en existe partout aux USA. Pourtant quelque chose ne tourne pas rond dans ce paysage conformiste au possible. Déjà l'horloge située près de son lit passe de "7h59" à "7h60" au lieu de "8h00". Ensuite le chien de Dolph Springer (Jack Plotnick) semble s'être mystérieusement volatilisé. Le grand palmier de son jardin s'est transformé en sapin. Enfin le pauvre homme qui a été licencié trois mois auparavant continue de se rendre comme si de rien n'était à son bureau, dans une agence noyée sous les trombes d'eau. Mais la perte de son chien contrairement à celle de son emploi menace de lui faire perdre la tête.
Bien que "Wrong" soit considéré comme un film lynchien en raison de la contamination du quotidien le plus banal et le plus conformiste par l'étrangeté, c'est aussi un film bunuélien où l'ombre de la folie guette Dolph mais aussi son entourage, constitué d'hommes qui pourraient être ses doubles. Le summum de la confusion est atteint avec son jardinier français (joué par Eric Judor dont l'évolution du jeu est impressionnante) qui pour avoir voulu profiter d'une nymphomane attirée par la voix de son maître au téléphone se retrouve dans une situation cauchemardesque, quand il n'est pas "possédé" (comme d'autres personnages) par une autre voix, celle du gourou ami des bêtes responsable de l'enlèvement du chien de Dolph. A plusieurs reprises, ces hommes se retrouvent coincés dans un film qui n'est pas le leur, sans prise sur des événements qui leur échappent, en proie à de terribles angoisses ce qui préfigure "Réalité".
"Steak" est fondé sur un malentendu devenu célèbre. Les spectateurs croyaient voir le nouveau film de Eric & Ramzy et se sont retrouvés devant le premier vrai long-métrage de Quentin Dupieux (Nonfilm est considéré comme un court-métrage même s'il en existe une version longue). Autrement dit, un film vendu et distribué comme une grosse comédie populaire telle que la France en produit au kilomètre s'est avéré être un film d'auteur expérimental qui plus est dans un registre d'humour nonsensique devenu élitiste alors que jusqu'aux années 80, il existait encore dans la culture populaire. C'était donc le rejet et l'échec assuré. 16 ans et une dizaine de films plus tard, la compréhension de l'univers de Quentin Dupieux aidant (même s'il reste un réalisateur clivant), "Steak" a été réhabilité par les critiques qui l'avaient assassiné à l'époque de sa sortie et est en passe de devenir un film culte.
S'il n'y a pas de steak dans "Steak", la viande (humaine de préférence) est un sujet récurrent du cinéma de Quentin Dupieux. Or le film traite de conformisme par la chirurgie esthétique et quand il n'est pas possible de passer sous le bistouri, on voit un remodelage de façade et un tatouage effectué à l'aide d'agrafes implantées directement dans la chair. Les clones de la bande à "Chivers" (en référence au film de Cronenberg "Shivers", réalisateur qui a énormément influencé les premiers Dupieux) ont tous la tête et la dégaine de Michaël Jackson dans "Thriller" (logique, il y est aussi question de métamorphose et de "shivers") mais ne boivent que du lait ce qui fait ressurgir dans la mémoire cinéphile aux côtés des zombies et loups-garous les droogies de "Orange mécanique". Face à ce phénomène, Eric & Ramzy (alias Blaise et Georges) ont des comportements opposés. Ramzy est un loser qui cherche désespérément à intégrer la bande en se débarrassant de son encombrant ami et en faisant du zèle pour adopter les codes Chivers mais il n'y parvient pas et se fait rejeter. L'introduction du film le montrait déjà comme le souffre-douleur désigné des autres au sein d'un campus estampillé USA mais tourné au Canada (un petit clin d'oeil supplémentaire à Cronenberg). Et ce n'est pas le seul décalage puisque les étudiants ont tous 10-15 ans de trop. Mais les références appartiennent bien aux teen (horror) movies ou aux school shooting movies tels que "Massacre à la tronçonneuse" ou "Elephant". Et à propos de gros mammifère terrestre, il y a aussi du "Rhinocéros" dans "Steak" puisqu'il s'agit de perdre son identité propre pour adopter celle qui permet de se fondre dans le collectif. Blaise lui au contraire n'a aucune difficulté à intégrer la bande alors qu'il ne l'a même pas cherché, son seul désir étant de rester avec son ami. Mais de façon assez machiavélique, ils ne pourront jamais être ensemble, quand l'un est inclus, l'autre est exclu. Rien de tel que de dissocier un duo d'inséparables pour faire réfléchir et faire une satire du rêve américain: obsession du paraître, conformisme outrancier, culte des armes, puritanisme (l'interdiction des substances autres que le lait).
"Rubber" est un film inclassable qui raconte l'odyssée d'un objet, en l'occurence un pneu prénommé Robert qui par la grâce du cinéma prend vie dans une décharge au milieu du désert quelque part dans l'ouest américain. Tel un nouveau-né, on le voit se dresser, tomber, avancer en vacillant, tomber à nouveau, se relever et finir par partir explorer le monde en roulant sur lui-même. Puis on découvre qu'il s'agit d'un objet "pulsionnel" qui détruit instinctivement tous les obstacles qu'il rencontre sur sa route. Preuve qu'il s'agit d'un film construit, réfléchi, ces obstacles montent en puissance comme dans "L'homme aux cercles bleus" de Fred Vargas. D'abord des objets ou bestioles qu'il peut écraser, puis des objets durs qu'il peut pulvériser à distance par télépathie, puis des animaux et enfin des humains dont il fait exploser la tête selon le même procédé (une référence à "Scanners" de Cronenberg). Gare à ceux qu'il croise sur sa route et particulièrement ceux qui le malmènent, l'objet est particulièrement susceptible. On découvre aussi avec la superbe Sheila (Roxane Mesquida) qu'il a une libido, avec la scène du miroir, qu'il a des souvenirs et avec celle du crématoire à pneus qu'il a soif de vengeance. Ce n'est pas le moindre exploit d'arriver à nous faire croire que cette chambre à air a une "âme", même si l'animation est l'ADN du cinéma, et se marie bien avec le nonsense, le thriller et l'épouvante. Ainsi "Rubber" m'a fait penser (comme "Fumer fait tousser") à "Téléchat" de Roland Topor qui bien qu'étant une émission pour enfant distillait un léger malaise avec ses animaux et ses objets parlants et névrosés mais aussi à "Christine", la voiture serial-killer de John Carpenter. Mais le film de Quentin Dupieux se caractérise par son aspect dépouillé qui en fait un road-movie existentiel proche du "Duel" de Steven Spielberg (où le camion semblait agir de façon autonome) ainsi que que par sa réflexivité. En effet le film a un caractère méta affirmé dès les premières images avec le lieutenant Chad (Stephen Spinella) expliquant face caméra que le cinéma comme l'existence est fondé sur l'absurde avant qu'un jeu ne s'instaure entre un aéropage de spectateurs largués dans le désert et ce flic qui est à fois de leur côté et dans le film qu'ils regardent (hormis l'introduction au "no reason" devenue culte, pas l'aspect de "Rubber" le plus mémorable toutefois, il a tendance à alourdir le propos).
Etait-ce un rêve ou était-ce la réalité? Cette phrase en introduction de la série d'animation japonaise "Vision d'Escaflowne", je l'avais en tête en regardant "Réalité" qui abolit les barrières entre les dimensions du réel, du rêve et de la fiction avec ce mélange unique de ludisme et d'angoisse existentielle qui caractérise le cinéma de Quentin Dupieux. Véritable petit labyrinthe en forme de boucle temporelle, le film à multiples facettes associe voire connecte par le biais du montage et de la mise en abyme des personnages, des intrigues, des lieux et des temporalités incompatibles. Et il en tire un résultat vertigineux et étonnamment rigoureux où il n'hésite pas à appuyer à fond sur la pédale méta. Par exemple, il suit une petite fille américaine (en référence au fait que Quentin Dupieux tourne alors aux USA) qui a récupéré une cassette VHS trouvée par son père dans les entrailles d'un sanglier qu'il a tué en forêt ("vidéo-viande", non je plaisante!). La gamine va passer l'essentiel du film à tenter de visionner la cassette mais lorsqu'elle y arrive, le cadre choisi ne nous permet pas de voir son contenu mais montre au contraire la fillette en train de regarder l'écran de sa TV, scène projetée dans une salle de cinéma devant le producteur, M. Marshall (Jonathan Lambert) et un certain Zog, réalisateur du film dans lequel se trouve "en réalité" la fillette (prénommée "Reality" cela va de soi) ce qui renvoie en miroir le fait que nous en faisons de même derrière notre écran. Ce que Reality regarde a donc également une fonction de miroir, "un homme coincé dans son propre cauchemar" (alias Jason, le caméraman joué par Alain Chabat) et elle croise aussi le rêve de son proviseur lequel est psychanalysé par l'épouse de Jason (Elodie Bouchez) qui parle en anglais (sous-titré) avec le proviseur et le plan d'après en français avec Jason. Cela explique sans doute la raison pour laquelle elle s'appelle Alice! Jason de son côté découvre que le film qu'il a en tête ("Waves") a déjà été tourné et est projeté aux côtés d'un certain "Rubber 2" (sympa l'autoréférence!), avant de découvrir qu'il s'est dédoublé. Quant à l'émission de TV pour laquelle il travaille, elle est présentée par un hypocondriaque dont l'eczéma est dans la tête et qui croit que Jason et lui sont la même personne. L'asile de fous guette mais cette petite pépite bilingue surréaliste référencée (la recherche du meilleur gémissement pour le film de Jason fait penser par exemple à "Blow out" de De Palma, les images extraites de viscères renvoient à Cronenberg, la cassette mystérieuse aux films d'horreur japonais du type "Ring" etc.) et rythmée par la musique de Philippe Glass est aussi une jolie leçon de cinéma comme sait les façonner un Michel Hazanavicius qui apparaît dans le film de Quentin Dupieux pour une scène clin d'oeil de remise de prix qui tourne mal car une fois de plus cela se passe dans la tête d'un homme "coincé dans son propre cauchemar". Brillant!
"Interdit aux chiens et aux italiens" porte un titre en forme de piqûre de rappel: l'ostracisme n'a pas seulement concerné dans le passé la communauté juive et la France qui s'est construite depuis le XIX° siècle sur l'immigration a aussi une longue tradition de xénophobie dirigée contre les derniers arrivés (italiens à la fin du XIX° surnommés les "macaronis", espagnols républicains à la veille de la seconde guerre mondiale surnommés les "espingouins", maghrébins dès la période des trente Glorieuses et plus généralement africains aujourd'hui). L'animation se prête particulièrement bien aux films de mémoire, c'est à dire le souvenir d'événements historiques par le biais d'un vécu intimiste et subjectif et les exemples sont légion mais le film de Alain Ughetto s'en distingue de façon assez géniale au moins à deux titres:
- D'une part en redonnant vie à ses grands-parents, il peut ainsi interagir avec eux et tout particulièrement avec sa grand-mère qu'il a connu quand il était enfant et qui lui a transmis des bribes de mémoire familiale qu'il peut compléter avec son avatar animé. Et pas seulement par la parole mais aussi par le geste. Dans plusieurs scènes, il n'hésite pas à faire entrer sa main ou son pied dans le champ en prise de vues réelles pour toucher la figurine animée en pâte à modeler de sa grand-mère ou pour enfiler une chaussette que celle-ci a reprisé, rappelant l'une des caractéristiques majeures de l'art qui est d'abolir les espaces infranchissables tracés par le temps. L'hétérogénéité est la marque de fabrique de son film qui mêle donc prises de vue réelles, animation en stop motion, jouets (le gag de la vache désarticulée et du tour de France), vieilles photographies.
- D'autre part en célébrant la noblesse du travail manuel et de l'artisanat. Son art de l'animation en volume qu'il pratique depuis l'enfance, pourtant incompris de son père est un moyen de s'ancrer dans un héritage alors qu'il ne cesse de déménager et de s'inscrire dans une filiation remontant à son grand-père Luigi qu'il n'a pas connu mais qui était un travailleur acharné ayant oeuvré sur plusieurs gros chantiers d'infrastructures indispensables à la France et à l'Europe en voie de modernisation. Et la reconstitution en miniature de l'univers piémontais de ses grands-parents fait appel à des matériaux de récupération récoltés sur les lieux même de leur existence (dont il ne reste que des ruines) qui constituaient alors leur quotidien: de la terre, de la paille, du charbon (pour les montagnes), des brocolis (pour les arbres), des courgettes rondes (pour les maisons) ou encore des châtaignes (pour les figurines).
- Enfin, l'histoire familiale de Alain Ughetto a été façonnée par la grande Histoire. Economique et sociale comme je l'ai déjà mentionné car la pauvreté est la principale raison de l'exode massif des italiens dans des pays plus prospères qu'ils ont contribué à bâtir (la France et la Suisse pour les Ughetto à défaut des USA en raison du naufrage de leurs maigres biens). Mais aussi politique: les Ughetto ont payé un tribut à chaque nouvelle guerre et ont également fui le fascisme présenté comme la principale force d'oppression sur les paysans avec les religieux.
"Les producteurs" est le premier long-métrage de Mel BROOKS. Il s'agit d'une satire du milieu du théâtre new-yorkais, plus précisément des productions de comédies musicales de Broadway. L'histoire n'étant pas exempte d'ironie, le film a été adapté à son tour avec succès en comédie musicale en 2001 à Broadway et récemment à Paris sous la houlette de Alexis MICHALIK.
Le film se divise en trois parties. La première, principalement filmée à l'intérieur du bureau de Max Bialystock (Zero MOSTEL) montre la petite cuisine peu ragoûtante qui préside à la décision de monter le spectacle. En gros une escroquerie pour empocher l'argent d'investisseurs principalement composées des clientes âgées et fortunées de Max, une situation qui n'est pas sans faire penser à celle des vieilles, richissimes et généreuses maîtresses de M. Gustave dans "The Grand Budapest Hotel" (2013). A ceci près que Max et son bureau sont cradingues alors que M. Gustave est le raffinement personnifié. Par ailleurs Max trouve un partenaire privilégié en la personne de Leo Bloom (Gene WILDER dans son premier grand rôle), un petit comptable trouillard, efféminé et infantile (son doudou à lui n'est pas Bourriquet mais un vieux morceau de couverture ^^). La deuxième partie porte sur le choix de l'équipe qui montera la pièce, l'occasion trop belle d'offrir une galerie de personnages plus délirants les uns que les autres et des associations incongrues (un auteur nostalgique du III° Reich avec un metteur en scène gay et un acteur principal inénarrable). La troisième partie relate le spectacle lui-même "Le printemps d'Hitler", monument de mauvais goût mais qui pris au second degré par le public devient un succès retentissant au grand dam des producteurs qui espéraient capitaliser sur son échec annoncé.
Bien que j'ai personnellement trouvé le film inégalement drôle, j'ai eu plaisir à retrouver un humour juif tournant en dérision aussi bien le nazisme que le capitalisme, humour que l'on retrouve chez les Marx Brothers (d'ailleurs Gene WILDER me fait penser à Harpo MARX), chez Woody ALLEN évidemment (Groucho MARX étant l'un de ses maîtres) mais aussi chez les frères Coen. Ainsi je me suis demandé si la chorégraphie "croix gammée" à la Busby BERKELEY filmée en plongée n'avait pas inspirée celle des quilles et des boules de "The Big Lebowski" (1998) qui est aussi une satire carabinée du capitalisme américain avec une légère touche allemande.
La jeunesse rurale en déshérence est décidément un thème porteur en ce moment pour de premiers longs-métrages. Peut-être justement parce que peu traité jusque là. Après avoir vu et apprécié en avant-première "Juniors" (2022) de Hugo P. THOMAS, le concert d'éloges public et critique recueilli par "Chien de la Casse" de Jean-Baptiste DURAND m'a donné envie de le découvrir. L'histoire se déroule dans un petit village médiéval d'Occitanie, théâtre qui ouvre le film et impose aux habitants sa géographie particulière. Les jeunes désoeuvrés y sont comme enfermés dans des logements confinés et un réseau labyrinthique de ruelles, n'ayant à leur disposition pour se retrouver que la petite placette du village. Seules les scènes se déroulant dans la vallée élargissent l'horizon, donnant au film des allures de western moderne. Surtout le film se focalise sur deux amis d'enfance et sur leur relation. C'est dans la richesse et la subtilité de ce double portrait et le talent des deux acteurs à interpréter Mirales et Dog que réside toute l'originalité du film. Si Anthony BAJON fait une fois de plus forte impression, Raphael QUENARD qui accède pour la première fois à un rôle de premier plan est une révélation. Je l'avais remarqué dans "Coupez !" (2021) où il montrait son potentiel comique mais dans le rôle de Mirales il accède à un rôle autrement plus complexe, tout en contradictions. Grande gueule volubile tendant à écraser les autres, dealeur de cannabis à la petite semaine, fringué à la va comme je te pousse et doté d'un accent traînant qui contraste violemment avec la richesse de son vocabulaire, c'est aussi un jeune homme immature et jaloux qui refoule sa véritable personnalité, que ce soit sa culture littéraire, sa sensibilité artistique, sa soif d'amour ou son attirance sexuelle envers son ami Dog. Ce dernier qui passe ses journées à glander et à jouer à la console tout en caressant l'idée d'intégrer l'armée est son contraire, taiseux, mal dégrossi et renfrogné, subissant sans broncher ou presque l'attitude abusive de son ami prêt à se plier en quatre pour le protéger mais capable aussi de l'humilier avec beaucoup de cruauté. Néanmoins une partie de ce comportement odieux s'explique par le fait qu'une fille, Elsa (Galatea BELLUGI) vient s'immiscer entre eux en séduisant Dog lequel cesse alors de jouer le "chien fidèle" de Miralès, au grand désarroi de celui-ci. D'ailleurs le "Chien de la casse" est aussi bien Dog que Miralès avec ses yeux de chien battu contemplant son ami se détacher de lui ou bien jouant avec son propre chien, Malabar (rien que ce surnom souligne à quel point Miralès n'a pas quitté l'enfance). Malabar dont le rôle, assez semblable à celui de Dobby, l'elfe de maison de Harry Potter dans le tome 7 permettra à Dog et de Miralès de sortir de leurs limbes respectives.
Un teen-movie rural à la française, ça fait penser à "Teddy" (2020) ce qui n'est pas surprenant, le réalisateur, Hugo P. THOMAS ayant fréquenté Ludovic BOUKHERMA et Zoran BOUKHERMA à l'école de la Cité du cinéma avant de réaliser plusieurs courts-métrages et un long-métrage avec eux, "Willy 1er" (2016). Mais "Juniors" est son premier long-métrage en solo. Néanmoins cette comédie dramatique sur les affres de l'adolescence est bien plus proche de "Les Beaux gosses" (2008) que des films de genre horrifiques et régionalistes qu'affectionnent les Boukherma. L'histoire tourne autour de deux amis de 14 ans, Jordan et Patrick qui s'ennuient ferme dans leur petit village au point de regretter de ne pas habiter en banlieue pour avoir des bâtiments à taguer (comme quoi l'article du journal "Le Monde" de Thomas Piketty sur le malaise territorial français englobant rural profond et banlieues sensibles voyait juste). Ils passent leur temps à jouer aux jeux vidéos jusqu'à ce que la Playstation de Jordan rende l'âme. Ils décident alors de monter une cagnotte en ligne en faisant passer Jordan pour malade afin de trouver l'argent nécessaire à son remplacement. Evidemment ce gros mensonge va finir par les dépasser. Si tout n'est pas parfaitement vraisemblable, le scénario est écrit avec une certaine finesse en décrivant avec humour les bénéfices sociaux que la cagnotte mensongère leur offre dans un premier temps. Elle attire l'attention sur eux, les rend populaires, leur permet d'obtenir une série de petits privilèges dans leur collège et de se rapprocher des filles qu'ils convoitent*. En même temps elle révèle combien ces ados sont livrés à eux-mêmes, la famille de Patrick n'apparaissant dans le lointain qu'à la fin et celle de Jordan se limitant à un père hors-champ et à une mère infirmière dont l'absence est soulignée par les post-it qu'elle laisse sur le frigo (Vanessa PARADIS). D'ailleurs face aux ennuis que rencontre son fils lorsque sa supercherie est démasquée, celle-ci est amenée à faire un début d'introspection sur ses choix de vie et on se dit que son cas n'est effectivement pas si différent des jeunes de banlieue élevés dans des familles monoparentales dont le parent travaillant en horaires décalés ne peut en même temps s'occuper de son enfant. La fin du film n'est d'ailleurs pas exempte d'une certaine mélancolie qui souligne qu'il y a un prix à payer pour grandir. Hugo P. THOMAS a donc une approche assez juste de la jeunesse territorialement défavorisée et son film est prometteur en dépit d'un titre passe-partout qui le dévalorise.
* Tout à la fait dans la lignée de la série "Mytho" (2019) qui reposait sur le même mensonge afin de souligner cette fois le mal-être de la femme au foyer.
Si certains considèrent que la préquelle de "Infernal Affairs" lui est supérieure, ce n'est pas mon cas. Tout d'abord elle n'était pas nécessaire, le premier film se suffit parfaitement à lui-même. Ensuite l'absence de Tony LEUNG Chiu Wai et de Andy LAU se fait cruellement ressentir. Les acteurs qui les incarnent jeunes n'ont pas leur charisme et sont renvoyés à la périphérie de l'histoire. Surtout si la pilule du changement d'acteurs passait dans le premier film dont la datation restait vague et les renvois au passé, limités, le deuxième fait jouer les deux jeunes acteurs de 20-25 ans jusqu'en 1997, soit l'année de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, cinq années seulement avant les événements du premier film où tous deux sont quadragénaires. Mais ce n'est qu'une incohérence parmi d'autres. Cet opus souffre de façon générale d'une inflation de personnages que l'on a d'autant plus de mal à retenir qu'ils ne sont pas développés, que leur comportement est erratique et que l'on connaît par avance leur destin puisqu'on sait qui va mourir et qui va vivre. Et là où "Infernal Affairs" apportait une intrigue originale, sa préquelle fait penser à une variation de "Le Parrain" (1972) et des films de gangsters de Martin SCORSESE. Bref, il y a trop de tout dans ce film plein comme un oeuf (sa durée est d'ailleurs très supérieure au premier volet) qui ouvre des pistes sans véritablement les creuser ni se soucier de leur cohérence. C'est dommage car au vu de l'effacement de l'histoire des deux taupes, leurs patrons respectifs à savoir l'inspecteur Wong (Anthony WONG Chau-Sang) et Sam le mafieux (Eric TSANG) sont beaucoup plus mis en avant et l'intrigue joue beaucoup sur un "effet miroir" qui brouille les frontières entre la pègre et la police. Et ce d'autant plus que Yan, le flic infiltré aux allures de rocker rebelle a fait de multiples séjours en prison et est le demi-frère d'un caïd de la pègre tout ce qu'il y a de plus "bureaucrate" alors que Ming le truand est au contraire un bureaucrate qui présente bien en surface.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.