"Prince malgré lui" également connu sous le titre "Le royaume de Tulipatan" est un court-métrage que l'on peut considérer comme l'embryon du futur long-métrage de Lloyd "Faut pas s'en faire". Dans les deux films, on assiste à une révolution dans un pays imaginaire. Seule la source d'inspiration diffère (la révolution russe pour "Prince malgré lui", la révolution mexicaine pour "Faut pas s'en faire.") D'autre part, il y a quelque chose du "Prince et du pauvre" et du "Prisonnier de Zenda" dans cette histoire de sosie et de substitution d'identité sur fond de palais royal. Harold Lloyd avait déjà joué avec son frère dans une histoire de double et une fois de plus on ne peut que constater l'extraordinaire ressemblance qu'il y a entre eux. Lloyd s'amuse d'ailleurs beaucoup à décliner ce thème tout au long du film. Il donne par exemple à l'acteur Gus Leonard le rôle du roi mais aussi celui d'un révolutionnaire. Il utilise également l'effet du miroir pour nous leurrer.
"Amour et poésie" est le premier film de deux bobines d'Harold Lloyd avec ses lunettes d'écaille. Doté d'un nouveau contrat, il disposait désormais de budgets plus importants pour tourner ses films. Celui-ci comporte en effet deux courses-poursuites d'anthologie menées à un train d'enfer, réglées comme du papier à musique et dans lesquelles Lloyd effectue d'étourdissantes prouesses physiques. La première met en scène les efforts de Lloyd pour échapper à sa logeuse et à sa brute de mari qui lui réclament le loyer en retard. La deuxième se situe dans un casino clandestin où Lloyd tente d'échapper à toute une escouade de policiers lancés à ses trousses. Parmi les acrobaties que Lloyd réalise pour leur échapper, on reconnaît le déguisement en portemanteau qu'il réutilisera dans "Monte là-dessus" pour ne pas payer son loyer.
"Amour et poésie" est aussi un des derniers films que Lloyd a tourné avec Bebe Daniels car elle fut repéré dans ce film par Cecil B. DeMille et partit par la suite travailler à la Paramount.
"S.O.S. fantômes" est l'une de ces "fantastiques" comédies des années 80 qui a rencontré un énorme succès à sa sortie avant de devenir un film culte que l'on se transmet de génération en génération. Certes, il s'agit d'un pur divertissement, un film à l'esprit potache usant d'une esthétique parfois très kitsch mais sa fraîcheur, sa spontanéité, son sens de l'autodérision font mouche. Le fait que les scènes d'extérieur aient été tournées sans autorisation contribue à vivifier le film. Mais c'est surtout le numéro de la bande de potes-acteurs qui le rend mémorable. L'alchimie entre Dan Aykroyd, Harold Ramis et Bill Murray (génialissime comme toujours) est parfaite. Il faut dire que ces trois là ont fait leurs classes au sein du "Saturday night live" un peu comme d'autres au "Jamel comedy club". D'ailleurs à l'origine, c'était John Belushi, un autre pilier du SNL, qui devait tenir le rôle de Bill Murray avant que sa mort prématurée n'oblige à le remplacer au pied levé. Il y a d'ailleurs une évidente parenté entre "S.O.S. fantômes", "1941" (Belushi + Zemeckis+ Gale), "Retour vers le futur" (Zemeckis + Gale) et "Un jour sans fin" (Harold Ramis + Billy Murray).
De fait, le film est follement perché au sens propre et au sens figuré et on peut se demander devant certaines apparitions ce que les personnages (ou plutôt les acteurs qui sont pour Aykroyd et Ramis aussi scénaristes) ont fumé. Les plus grands apprécieront la prestation de Sigourney Weaver, tranquille concertiste subitement possédée par le malin, les plus petits se jetteront sur le slime et Bibendum Chamallow élus stars de l'année.
Court-métrage inédit présenté en première partie de "Coco" et mettant au centre de l'histoire Olaf, le bonhomme de neige de la "Reine des neiges". En attendant la sortie du deuxième long-métrage, les fans apprécieront de retrouver Elsa, Anna, Sven et Kristoff dans ce "spin-off" soigné qui comporte pas moins de 6 chansons. Les autres trouveront cette histoire de reconstruction familiale à travers la recherche d'une tradition de noël à partager "tous ensemble" un poil niaise avec une fin ultra convenue. Et ce même si John Lasseter, directeur artistique de l'animation chez Disney et chez Pixar n'a pas associé "Joyeuses fêtes avec Olaf" avec "Coco" par hasard:
« Quand nous mettons des courts-métrages avant un film, j’aime toujours avoir un court-métrage qui contraste, qui n’a pas le même sujet ou cadre ou environnement, mais d’un autre côté, les deux histoires sont incroyablement émotionnelles et parlent tellement de la famille que cela correspond bien. Les deux célèbrent deux fêtes totalement différentes, donc j’ai pensé que ce serait amusant de les voir ensemble. »
La force des scénarios pixariens repose tout entière dans l'angoisse métaphysique de l'anéantissement: la saga "Toy Story" et ses jouets en sursis, "Ratatouille" et sa petite madeleine (de légumes) proustienne, "Le monde de Némo" et les troubles de la mémoire immédiate de Dory, "Vice Versa" et les souvenirs qui s'effacent et maintenant "Coco" qui nous prouve qu'il y a une mort après la mort: celle de l'oubli.
Le film commence comme une joyeuse fiesta colorée qui nous plonge au cœur du folklore mexicain le jour de la fête des morts. En soi ce choix oxymorique est déjà extrêmement fort graphiquement (les images sont d'une beauté renversante), émotionnellement (en liant indissolublement l'amour familial et le chagrin de la perte), spirituellement (en liant les vivants et les morts par le pont du souvenir) et politiquement (en abattant le mur americano mexicain le temps d'une œuvre d'art).
Puis il se resserre sur le parcours de son héros dont la quête d'identité ne peut se résoudre qu'en complétant un puzzle familial amputé de la figure de l'arrière-arrière grand-père. Accusé d'avoir abandonné sa femme et sa fille pour une carrière artistique, il a été banni de l'autel familial en même temps que la musique. Sa photographie ayant été déchirée, il n'existe plus que dans la mémoire de sa fille Coco, laquelle devenue une vieillarde sénile est sur le point de mourir et de l'oublier. Parallèlement, son arrière-arrière petit fils Miguel subit le traumatisme familial qui l'entrave dans sa passion pour la musique. En basculant dans le monde des morts à la faveur de la connexion établie par la fête, il ne joue pas simplement son avenir mais son existence même puisque le temps lui est compté: s'il ne revient pas dans le monde des vivants avant l'aube, son corps se transformera en squelette.
Et c'est avec un certain trouble que l'on effectue le rapprochement avec une autre culture, celle du Japon, son autel des ancêtres avec ses photographies et ses offrandes et la porosité des mondes temporel et spirituel. Un rapprochement qui n'est pas une coïncidence. Il est impossible de ne pas penser au "Voyage de Chihiro" de Miyazaki en regardant "Coco". Quand on sait à quel point John Lasseter et ses équipes le vénèrent, il n'est pas interdit de penser que "Coco" est un hommage au maître de l'animation nippone.
"Dumbo", le quatrième long-métrage des studios Disney c'est la pureté des émotions du film muet alliée aux expérimentations graphiques surréalistes d'un "Fantasia" ou plus tard d'un "Alice au pays des merveilles".
"Dumbo" décline toutes les figures de l'éléphant dans l'imaginaire humain. Celle du monstre de foire est au cœur de l'histoire du film. "Dumbo" c'est le "vilain petit canard" d'Andersen, le "Freak" de Tod Browning, c'est "Elephant man" de David Lynch avant la lettre, suscitant le mépris, le rejet, les insultes, les moqueries tant chez les humains que chez ses congénères. Les grandes oreilles qui entravent ses mouvements terrestres avant qu'il ne découvre qu'elles lui permettent de voler font penser à "L'Albatros" de Baudelaire. Face à la violence du groupe qui exclue l'être né différent, "Dumbo" est l'innocence même, comme la Gelsomina de la "Strada". Privé de parole (ne peut-il, ne veut-il pas parler?), il est également privé de sa mère qui a été enfermée et mise aux fers pour avoir cherché à la protéger, ultime forme de cruauté qui donne lieu à des scènes poignantes.
Mais si "Dumbo" est profondément triste et mélancolique il est également parcouru de scènes de pure fantaisie. L'expression "voir des éléphants roses" provient d'une incroyable séquence où ayant bu(sans le vouloir) trop de champagne, Dumbo et son ami Timothée sont en proie à des hallucinations proches d'un trip sous acide (lequel ne sera pourtant inventé que deux ans plus tard). Hommage surréaliste à Dali avec lequel Disney travaillera quelques années plus tard sur le court-métrage "Destino", cette séquence complètement dingue est d'une inventivité visuelle... stupéfiante!
La chute du mur de Berlin en 1989 et la réunification allemande en 1990 ont relégué en quelques mois 40 ans de RDA dans les poubelles de l'histoire. Il n'y avait à priori rien à sauver dans ce régime totalitaire fossilisé jusqu'à la moëlle, vitrine d'un communisme soviétique alors en pleine décomposition. Dès la répression de 1953, les allemands de l'est surent à quoi s'en tenir sur la nature dictatoriale du régime qui les gouvernait. Tous ceux qui le pouvaient "votèrent avec leurs pieds" en se rendant à l'ouest par Berlin, et ce jusqu'à la construction du mur en 1961 qui rendit le rideau de fer étanche. Kennedy pouvait alors se gargariser de la supériorité du modèle américain qui lui n'avait pas besoin d'ériger un mur pour empêcher son peuple de s'enfuir.
"Goodbye Lenin" offre un tout autre point de vue sur cette période de bouleversements. Suivant un courant historiographique qui est passé de l'histoire des grands de ce monde à celle des mentalités populaires, il s'intéresse à la manière dont les citoyens ordinaires de la RDA ont perçu ces événements. Et le résultat est plus nuancé. Le film met en évidence une fracture générationnelle entre des jeunes désireux d'épouser le modèle occidental et leurs parents et grands-parents déboussolés et orphelins de ce qui avait été leur monde. "Goodbye Lenin" est sorti en pleine vague d"Ostalgie", ce retour en grâce d'une culture révolue à base de Trabant, de chants patriotiques, de défilés, de décorations, de magasins d'Etat vendant au compte-goutte des produits d'une marque unique etc. En reconstruisant pour sa mère malade une RDA n'ayant jamais existé, une RDA qui n'aurait pas trahi ses idéaux, Alex met en lumière les travers du capitalisme et au final renvoie dos à dos les deux systèmes.
C'est un film extrêmement riche et extrêmement limpide à la fois. Il aurait pu s'intituler "la révolte". Bien que servant de toile de fond au film, il ne s'agit pas de celle des mineurs face à Thatcher en 1984. Pas seulement parce qu'elle est perdue d'avance mais parce qu'elle annonce la fin d'un monde ouvrier communautaire et solidaire mais également étouffant, limité, insulaire, conservateur, conformiste, uniforme. Un monde dont s'accommodait d'ailleurs très bien l'establishment conservateur ("chacun chez soi et les vaches seront bien gardées").
La révolte, la vraie, provient d'un individu "différent" (donc toujours solitaire, exclu ou incompris) dont la créativité n'a pas encore été brisée par le milieu environnant. Un individu donc très jeune forcément, en phase de construction. Ici il s'agit de Billy, 11 ans. Le générique de début, parfait en tous points, nous dit tout de lui. Sur la musique de T.Rex "Cosmic Dancer", il s'élève, encore et encore sur un fond de papier peint lui-même cosmique (mi-mandala, mi-fleurs de cosmos). On ne peut pas mieux exprimer la rage de s'en sortir, de s'extraire du charbon pour les cimaises des salles de spectacle. Plus tard, on verra Billy se heurter puis s'envoler par-dessus les murs.
Le film explique très bien également pourquoi Billy y parvient. Il bénéficie tout d'abord de la situation de crise sociale que l'on a décrite plus haut qui ôte toute perspective d'avenir aux mines et contraint à chercher des solutions ailleurs. Cette crise sociale se double d'une crise familiale provoquée par la mort de la mère. Billy en se cherchant, cherche également à renouer le contact avec elle ce qui passe par la découverte de sa partie féminine à travers l'art de la danse. Là aussi, il s'engage dans une voie créative et résiliente là où son père et son frère grévistes se murent dans leur carapace de "gros durs". Enfin, il rencontre une bonne fée, comme la plupart des personnes ayant pu bénéficier de la méritocratie. Celle-ci est -logique- une professeur de danse qui repère son talent, l'aide à l'épanouir et surtout lui offre une courroie de transmission pour accomplir son rêve. Issue d'une classe sociale plus élevée (soulignée par sa maison et sa voiture), elle possède également un capital culturel qui s'avère déterminant dans le parcours de Billy. Elle lui fait connaître l'école du Royal Ballet et l'inscrit aux auditions.
Enfin le film montre avec beaucoup de justesse que cette ascension (sociale, artistique, spirituelle) ne va pas sans douleur, sans tristesse, sans déchirement. Et ce même si la libération de Billy rejaillit positivement sur sa famille. Son père et son frère s'ouvrent: pas seulement en découvrant un peu plus le vaste monde mais en laissant leurs sentiments s'exprimer. On a beaucoup critiqué la fin "sentimentaliste" du film avec le père qui pleure devant la prestation de son fils aux côtés de son ancien meilleur ami devenu gay et travesti. Elle est certainement "too much" mais elle a du sens. Elle achève en effet de déconstruire les stéréotypes de genre qui enferment les hommes aussi sûrement que le déterminisme social. Un autre titre aurait très bien convenu à Billy Elliot: "Liberté".
"Les Aristochats" est un paradoxe dans l'histoire des productions Disney.
D'une part c'est incontestablement un film charmant grâce à trois éléments déterminants:
- Les personnages sont drôles, attachants et gracieux. La famille de Duchesse incarne l'upperclass à la perfection: pedigree impeccables et références culturelles de haute volée (Eva Gabor, Maria Callas, Hector Berlioz, Toulouse-Lautrec). Chez Disney qui préférait les chiens, voir des chats dans les rôles principaux est une nouveauté agréable. Le duo cartoonesque de chiens aux prises avec le majordome fait également partie des meilleurs moments du film ainsi que le duo d'oies anglaises.
- La musique jazzy imprègne le film de son ambiance avec quelques passages mémorables dont le célèbre tube "Tout le monde veut devenir un cat".
- Enfin plusieurs décennies avant "Ratatouille", le film bénéficie d'une atmosphère parisienne rétro où rien ne manque, pas même la voix de Maurice Chevalier, sorti de sa retraite pour l'occasion.
Néanmoins, même si la production du film fut approuvée par Walt Disney avant sa mort, il préfigure déjà le déclin du studio et sa traversée du désert des années 1970 et 1980. Wolfgang Reitherman qui prit le leadership des studios après la mort de Walt Disney était loin d'avoir les mêmes ambitions créatives que son prédécesseur. Il préférait s'appuyer sur des recettes qui marchaient et qu'il réutilisait ad nauseam. Il n'est pas difficile de constater que la trame des "Aristochats" ressemble beaucoup à celle de "La Belle et le Clochard" et des "101 Dalmatiens", tout comme O'Malley est une copie de Baloo et préfigure Petit-Jean car ils sont tous inspirés par le même acteur. Ce manque d'innovation touche aussi l'aspect technique. On remarque par exemple l'abandon de la caméra multiplane et donc l'absence de profondeur de champ dans le film. Enfin, le scénario des "Aristochats" est non seulement une réédition d'œuvres passées mais il est bien trop léger et manque d'unité. On a plus une succession de scènes mal reliées entre elles qu'un véritable film.
"Bambi", cinquième long-métrage de Walt Disney est un film animalier touché par la grâce, une œuvre d'art au service d'un récit épuré, d'une grande puissance symbolique (voire religieuse). Walt Disney veut toucher du doigt la perfection et s'en donne les moyens. Alors que le projet est initié en 1937 et doit sortir juste après "Blanche-Neige et les sept nains", le film abouti ne sortira qu'en 1942 ce qui en fait l'une des plus longues gestations d'un film Disney.
A une époque où le dessin animé est largement associé au cartoon, Disney fait le choix d'introduire un maximum de réalisme dans les graphismes des animaux (grâce aux études anatomiques) comme dans les décors (grâce à la profondeur de champ permise par l'usage d'une caméra multiplane). Il choisit également de raconter un récit d'essence tragique, même s'il est entrecoupé d'intermèdes légers (portés par le personnage de Panpan). Disney est en cela un précurseur de nombre d'œuvres d'animation plus contemporaines comme "Le tombeau des lucioles" lui aussi naturaliste et tragique.
Paradoxalement, le réalisme est au service d'un récit initiatique à forte teneur symbolique. La vie y est sacralisée (la naissance de Bambi puis de ses enfants est filmée comme une nativité) mais son cycle immuable est menacé à tout moment par la pulsion de mort d'un être humain irresponsable et prédateur. Un thème ô combien d'actualité quand on voit avec quel acharnement celui-ci continue de scier la branche sur laquelle il est assis (jusqu'à la rupture fatale?).
Sur le plan esthétique, le film est une splendeur. Comme "Fantasia", c'est un opéra, un spectacle total où l'image et la musique fusionnent de manière particulièrement harmonieuse pour porter l'émotion à son point d'incandescence. "Bambi" est une succession d'estampes et d'ombres chinoises, un défilé de tableaux impressionnistes. Lors de séquences marquées par la colère où la peur, la couleur prend le pas sur la forme et la nuance et les cerfs ne sont plus que des taches multicolores, sombres ou rougeoyantes. Ajoutons à cela le travail effectué sur les variations de lumière selon les heures du jour et selon les saisons. La musique épouse parfaitement les émotions exprimées dans les images. Elle est douce quand Bambi s'amuse et découvre, majestueuse quand le père s'annonce et s'impose, angoissante quand l'homme rôde, prêt à tirer à tout moment, crépitante lorsque le feu menace et détruit. Elle remplace les dialogues, réduits au minimum.
"Bambi" a la force et la simplicité des évidences. Œuvre sensible, délicate, perfectionniste, épurée, pudique, elle mérite d'être regardée pour ce qu'elle est: un chef d'oeuvre.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.