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L'Evénement

Publié le par Rosalie210

Audrey Diwan (2021)

L'Evénement

Je ne sais pas si c'est un hasard mais c'est la deuxième fois que le festival de Venise couronne un film ayant pour sujet l'avortement clandestin après "Vera Drake" (2005). La différence étant qu'au lieu de se centrer sur l'avorteuse, "L'événement" colle aux basques de la jeune femme désirant se faire avorter dans un style naturaliste proche de celui des frères Dardenne (caméra à l'épaule filmant souvent de dos, cadrages resserrés autour du personnage, plans-séquence etc.) Ce style "coup de poing" présent aussi chez Jacques AUDIARD ou chez Xavier DOLAN ou encore chez László NEMES rencontre beaucoup de succès aujourd'hui dans les festivals mais me laisse personnellement de marbre. Déjà parce qu'il floute à l'excès le contexte historique au point que ça en devient gênant. Comme dans "Le Fils de Saul" (2015), "L Événement" (2021) dérive aux confins de l'abstraction spatio-temporelle en dépit du fait que c'est l'adaptation du livre autobiographique de Annie Ernaux. Ensuite, ce dispositif tue toute espèce de sensibilité. C'est un paradoxe mais coller à la peau et aux pas d'un personnage provoque un effet d'éloignement. Le personnage d'Anne a beau être plongé dans un enfer, celui de la société française patriarcale des années 1960 condamnant la sexualité féminine en dehors du mariage (conçu comme un moyen de contrôle des femmes par les hommes) en interdisant la contraception et l'avortement, lequel est considéré pénalement comme un crime, il apparaît tellement froid et distant qu'il n'y a pas d'implication émotionnelle. Il est vrai que l'environnement est peu propice aux épanchements. De quel côté qu'elle se tourne, Anne ne rencontre que réprobation, indifférence voire abus et on ressent bien son enfermement et sa solitude dans le cadre. Mais cela ne justifie pas que le film lui-même soit aussi sec. Montrer l'intimité corporelle de la jeune femme et les tourments liés à sa situation ne suffit pas à lui donner une âme pas plus qu'au film d'ailleurs.

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Monsieur Batignole

Publié le par Rosalie210

Gérard Jugnot (2002)

Monsieur Batignole

Il y a deux parties dans "Monsieur Batignole". La première dresse le portrait d'un français moyen attentiste comme 90% de ses compatriotes pendant la seconde guerre mondiale. Un boucher-charcutier (Gérard Jugnot) un peu beauf et pas très regardant sur les méthodes qu'utilise Pierre-Jean son futur beau-fils collabo zélé (Jean-Paul Rouve, tellement convaincant qu'il a décroché le César du meilleur espoir) pour leur obtenir divers privilèges en terme de logement, moyen de locomotion et généreux client. Les deux premiers sont des biens spoliés à des juifs et le troisième est le SS dont Pierre-Jean est le larbin. Arrive alors la seconde partie, quand Edmond Batignole est confronté aux conséquences de ses actes et se voit obligé de prendre parti. Simon (Jules Sitruk), le fils cadet de la famille juive dont les Batignole ont récupéré l'appartement parvient à échapper à la déportation et à revenir frapper à la porte de son ancien chez-lui. La peinture de la camionnette de livraison s'écaille, révélant les étoiles de David cachées dessous. Et Pierre-Jean s'avère être un dangereux psychopathe qu'il est impossible d'amadouer. La vie de Edmond Batignole bascule alors dans le danger et la clandestinité lorsqu'il décide de sauver Simon et ses cousines au point qu'il finit par s'identifier au père biologique de Simon (et au sort des juifs en général).

"Monsieur Batignole" est un film humaniste qui dresse un portrait intéressant d'un français ordinaire confronté à des événements qui le dépassent et l'obligent à se dépasser. Si le début se situe dans une veine réaliste à tendance satirique et ne manque pas de mordant, la suite relève davantage du conte de fée tant les rebondissements sont invraisemblables. Ainsi Batignole se transforme-t-il comme par magie en super-héros capable de terrasser n'importe quel "méchant" (de Pierre-Jean à un flic par trop fouineur), de séduire la fermière esseulée et de redresser les entorses comme les torts. Cet aspect spectaculaire nécessaire aux rebondissements dramatiques n'est pas la manière la plus fine d'évoquer les actions des Justes de France pour contrecarrer le programme génocidaire des nazis. Seule la sensibilité du jeu des acteurs (Jugnot inclus) permet d'échapper à la caricature.

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The Limits of Control

Publié le par Rosalie210

Jim Jarmusch (2009)

The Limits of Control

Jim Jarmusch aime se confronter au cinéma de genre pour le retourner comme un gant et en produire un "négatif". Ainsi "The Limits of Control" est de son propre aveu "Un film d'action sans action", autrement dit un anti-James Bond. Pourtant les codes sont les mêmes: tueur à gages flegmatique, opaque et super-classe, déplacements incessants, rencontre avec des intermédiaires faisant avancer la quête à coups d'indices cryptés, fille superbe et très peu vêtue offerte sur le lit de la chambre d'hôtel, son double superbe et très peu vêtue sur le lit de la chambre d'hôtel mais avec un gun dans les mains, grands espaces et architectures magnifiés par la photographie et le cadre, dénouement dans le bunker ultra-sécurisé d'une villa de luxe. Mais en même temps, le héros, homme sans nom impassible et laconique qui n'est pas sans rappeler l'économie de mots, de gestes et d'expressivité d'Alain Delon dans "Le Samouraï" de Melville refuse le sexe, les armes à feu... et les portables. Autrement dit toutes les manifestations de la virilité alpha telle qu'elle se manifeste dans le genre version mainstream destiné au public occidental. D'ailleurs le personnage se définit en creux par ce qu'il n'est pas, ce qu'il ne veut pas, ce qu'il ne sait pas (le négatif) et logiquement il est noir (c'est Isaach de Bankolé qui l'interprète). Logiquement aussi il est un grand adepte de tai-chi, de contemplations, de déambulations et d'expressos en double. Son périple à travers une Espagne fantomatique jalonné de rencontres pittoresques aux terrasses de cafés fait penser tantôt à "Ghost Dog" (La "zen attitude d'un personnage lui aussi inspiré de "Le Samouraï", le multilinguisme), tantôt à "Paterson" (les rituels du café en double et de la bouteille d'eau plate, des exercices de tai-chi, des échanges de boîtes d'allumettes, de diamants et de clés, des postures toujours identiques) tantôt à "Night on Earth" (la galerie de guest-stars qui s'invitent à la table du héros pour monologuer quelques minutes avec lui, de Tilda Swinton à Gael Garcia Bernal en passant par John Hurt), tantôt à "Dead Man" (la progression du voyage de la capitale jusqu'à son terminus dans une région reculée et sauvage) et bien sûr à "Coffee and Cigarettes" (mais sans cigarettes). En dépit des paroles sibyllines et de la nonchalance du héros et du film, celui-ci avance vers sa cible qui apparaît assez limpide, une fois dévoilée. C'est Bill Murray qui incarne le magnat du capitalisme et de ses valeurs honnies (à commencer par la société de contrôle par la technologie, téléphones, écrans et hélicoptères) auquel s'oppose logiquement la liberté des artistes qui aiguillent leur "vengeur" zen, déterminé et incorruptible vers un dernier plan-écran-tableau vierge. Un concentré de Jarmusch.

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Shine

Publié le par Rosalie210

Scott Hicks (1996)

Shine

"Shine" commence paradoxalement dans les ténèbres. Il y a d'une part la scène nocturne et pluvieuse durant laquelle David Helfgott (Geoffrey Rush) âme errante en souffrance trouve refuge dans un piano-bar. Et de l'autre le récit de son enfance et de son adolescence sous la férule d'un père tout-puissant et profondément toxique. Les histoires d'éclosion de génies de la musique sont parsemées de mentors tyranniques voire tortionnaires qui se servent de leur protégé pour compenser leurs failles narcissiques. Entre les mains de Peter (Pater?), David n'est qu'un jouet qui n'a pas le droit d'avoir des désirs propres, pas le droit de grandir, pas le droit de s'émanciper. Non seulement il doit être le meilleur au piano pour satisfaire son père qui n'avait pas le droit de faire de la musique quand il était petit mais Peter, survivant de la Shoah qui a emporté ses parents a barricadé sa famille derrière des planches et des barbelés vis à vis d'un monde extérieur perçu comme irrémédiablement hostile. Dans la famille Helfgott, le temps s'est arrêté, l'espace s'est replié. David n'a pas le droit de partir et lorsqu'il le fait en s'aliénant son paternel qui l'efface de son existence (par le feu, c'est dire son degré de folie), il est si fragile qu'il sabote sa carrière en sombrant dans la dépression et la maladie mentale.

Le retour à la vie passe par le détachement psychique avec son père qui s'accomplit lorsqu'il ne ressent plus que de l'indifférence à son égard. Il passe aussi par la réconciliation avec la musique sous un angle de plaisir et de joie et non plus de torture et de compétition. Enfin, David devenu un homme-enfant loufoque, exubérant et volubile (un peu à la manière de Roberto Benigni) se tourne vers des figures à l'opposé de son père: un professeur de musique homosexuel, une poétesse mère de substitution à la forte personnalité (la sienne était transparente, entièrement soumise au père), une pianiste très religieuse qu'il rencontre alors qu'il est interné à l'asile, Sylvia qui l'accueille dans le piano-bar alors qu'il est dans la plus profonde détresse et enfin, l'amie de Sylvia, Gillian qui devient sa femme. Le basculement de l'univers froid, aride et sombre de son père vers sa renaissance par les femmes est symbolisé par l'importance croissante de l'eau dans le film dans laquelle David Helfgott passe l'essentiel de son temps à s'immerger (baignoire, mer, piscine).

"Shine" a révélé Geoffrey Rush qui a reçu l'Oscar du meilleur acteur pour un rôle "à performance". Mais Noah Taylor qui joue David Helfgott adolescent est tout aussi bon, notamment lors de la scène de la désintégration de sa psyché lorsqu'il joue sur scène le très difficile morceau de Rachmaninov voulu par son père. 

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Désir (Desire)

Publié le par Rosalie210

Frank Borzage (1936)

Désir (Desire)

Un film peut en cacher un autre. Je pensais au départ regarder un mélodrame de Frank Borzage, le spécialiste de l'amour fou sans me douter que j'allais regarder en fait une comédie sophistiquée de Ernst Lubitsch, officiellement producteur mais dont l'influence sur la mise en scène ne fait aucun doute. Tout le début est 100% lubitschien avec le montage d'un savoureux quiproquo par une croqueuse de perles (Marlène Dietrich) qui pour parfaire son joli tour de passe-passe à la douane se sert d'un pauvre quidam, genre grand dadais naïf (Gary Cooper évidemment) comme "mule", à l'insu de son plein gré. Le pauvre ingénieur américain Tom Bradley qui espérait passer des vacances tranquilles au soleil en faisant au passage la promotion des voitures de sa firme se retrouvé doublé puis dépouillé de son véhicule par l'escroqueuse qui est aussi chauffarde: de purs moments de screwball comédie. La façon dont il se laisse mener par le bout du nez par Madeleine est également assez irrésistible. Mais la suite m'a moins convaincue. Je l'ai trouvé plus convenue. La manipulatrice qui tombe amoureuse de sa proie, c'est du déjà vu, en mieux, ailleurs (dans "L'Extravagant M. Deeds" par exemple avec le même Gary Cooper qui date de la même année). On ne retrouve pas dans la romance naissante entre Tom et Madeleine le caractère sacré de l'amour que se portent les amants de Frank Borzage. Le film est trop léger pour ça. Il y a plutôt des allusions coquines... à la Lubitsch, une fois de plus (une difficulté suspecte à réveiller les deux tourtereaux qui certes dorment chacun dans leur chambre mais pensent à l'autre avec une expression de béatitude sur le visage). Quant à la fin, elle est moralisatrice et on finit par se demander si ce n'est pas "Tante Olga" (la meneuse du gang d'escrocs) qui a fait le bon choix en renonçant à l'amour et en conservant sa liberté plutôt que Madeleine obligée de courber l'échine devant tous ceux qu'elle a volé, cornaquée par Tom qui détient sa liberté conditionnelle dans une poche et sa licence de mariage dans l'autre.

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Le Temps retrouvé

Publié le par Rosalie210

Raoul Ruiz (1999)

Le Temps retrouvé

Il fallait oser! Oui il fallait oser s'emparer d'un monument de la littérature française de 4000 pages réputé inadaptable au cinéma. Mais pas pour Raoul Ruiz, amateur de constructions cinématographiques savantes et décalées d'autant qu'il avait obtenu les moyens financiers nécessaires à une superproduction avec un très gros casting fait d'habitués de son cinéma (comme Christian Vadim, Edith Scob, Jean-François Balmer ou Elsa Zylberstein) mais incluant également les acteurs et actrices les plus populaires du moment (comme Emmanuelle Béart, Vincent Perez ou Chiara Mastroianni) ainsi que des habitués du cinéma rohmérien (Pascal Greggory, Arielle Dombasle). 

Le résultat est un labyrinthe mental qui mélange les réminiscences de Marcel, alter ego de Marcel Proust avec celles qui sont propres à Raoul Ruiz. On lorgne tantôt du côté de l'atmosphère de "Mort à Venise" (mais à Balbec alias Cabourg pour les intimes avec en toile de fond non la peste mais la guerre et la grippe espagnole) et tantôt du côté de celle de "Fanny et Alexandre" de Ingmar Bergman (la rivière qui coule, les costumes d'enfant Belle Epoque, la lanterne magique), le tout à l'ombre des salons mondains et de leur faune pittoresque aux moeurs pas toujours très catholiques (allusion à la judéité que Albert Bloch s'emploie en vain à dissimuler en changeant de nom mais aussi et surtout à mise en relief de l'homosexualité sous toutes ses coutures: masculine, féminine, épisodique, exclusive, SM...). C'est créatif, déroutant forcément, pas toujours pleinement convaincant car tout est mis sur le même plan (notamment ce qui relève de l'intime et ce qui relève de la vie sociale) et au bout de 2h30 de ce ballet incessant entre passé et présent, réel et fiction, mémoires et étude de moeurs, la surenchère finit par lasser. Pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, Arielle Dombasle est de trop, Marie-France Pisier dans le rôle de Mme Verdurin aurait suffi dans le genre salonnarde snob.

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West Side Story

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2021)

West Side Story

Mon premier mouvement en découvrant la bande annonce a été "oh non!" suivi de "ah d'accord!" en voyant le nom de Spielberg s'afficher à l'écran. Parce qu'il s'agit d'un géant du cinéma mondial et que je lui ai accordé depuis longtemps ma confiance. De plus ceux qui lui font un procès en légitimité naviguent en pleine confusion. Celle qui existe entre l'avalanche de remake de films populaires classiques ou cultes dont les finalités sont exclusivement commerciales (l'exemple type étant la réédition en version live des films d'animation Disney mais les exemples sont légion, y compris dans le répertoire de Spielberg avec les Jurassic World*) et une démarche consistant à proposer sa propre version d'une oeuvre qui a été créée pour les planches de Broadway. On ne reproche pas aux metteurs en scène du spectacle vivant de proposer leur vision d'une oeuvre qui a déjà connu des milliers d'adaptations différentes. Et pour cause, ces propositions ne peuvent rester qu'éphémères (même captées, elles sont conçues pour être jouées en direct et perdent leur essence). Le film de Spielberg est une adaptation cinématographique du matériau d'origine, c'est à dire du livret de Arthur Laurents incluant les titres composés par Léonard Bernstein pour la musique et Stephen Sondheim pour les paroles et mis en scène et chorégraphié par Jerome Robbins. L'argument est lui-même inspirée par la pièce de Shakespeare "Roméo et Juliette".

Cette mise au point faite, saluons la réussite de cette nouvelle version qui n'efface pas celle de 1961 mais lui apporte un regard moderne, soixante ans après. En effet si "West Side Story" est une oeuvre intemporelle, c'est aussi une histoire qui a des résonances actuelles et ce sont ces enjeux contemporains que Steven Spielberg met en valeur. On sent l'implication du cinéaste dès les premières secondes: mêmes vues aériennes suivies d'une vertigineuse plongée, sauf que ce que montre Spielberg est un champ de ruines comme si l'on survolait un territoire en guerre. Or c'est exactement de cela dont il est question: une guerre de territoire. Avec une ligne de front bien nette. Mais ce n'est pas celle que l'on croit. Ce que Spielberg inscrit dans la géographie, c'est la guerre sociale et non la guerre ethnique. Car ce qui ressort beaucoup plus dans sa version c'est la réduction de l'espace vital des Jets et des Sharks au fur et à mesure que la gentrification de leur quartier progresse. Car leur véritable ennemi est invisible mais dans la version de Spielberg il est personnifié par des machines (comme dans "La Guerre des mondes"), celles qui détruisent leur habitat pour y construire à la place des logements neufs réservés aux WASP (white anglo-saxons protestants) aisés. Les divisions intestines du "trou à rats" qu'ils sont en train de raser servent donc leurs intérêts. Elle est même provoquée par eux, exactement comme lorsqu'on affame une population pour ensuite faire en sorte qu'elle s'entretue pour un bout de pain. La hauteur de vue de Spielberg montre que les Jets et les Sharks sont manipulés et n'ont pas leur destin en main. Il va donc bien au-delà ce que qui a été ressassé dans toutes les critiques, à savoir la mise en valeur de la seule communauté portoricaine, même si elle est bien réelle de par l'origine des acteurs et l'importante place de la langue espagnole qui est la deuxième langue la plus parlée aux USA. Jets et Sharks sont également victimes et la fusion de leurs couleurs respectives va au-delà de la simple histoire d'amour de Tony et Maria, elle raconte une destinée commune, liée au malheur d'être pauvre aux USA, bref d'être un "loser" dans un pays qui ne les tolère pas. Cela donne du relief à nombre de chansons telles que "America", "Gee, Officer Krupke" ou "Somewhere", cette dernière étant chanté par Rita Moreno qui fait le lien entre les deux films tout en personnifiant la mémoire du quartier en démolition (son magasin est symboliquement situé sur la ligne de front). Est-ce un hasard? Ariana DeBose dans le rôle d'Anita est magistrale. La révélation du film pour moi. Elle éclipse largement Rachel Zegler qui ne parvient pas à se hisser à la hauteur de Natalie Wood qui était une actrice exceptionnelle. Quant à Ansel Elgort dans le rôle de Tony, il est assez fade comme l'était son prédécesseur. 

 

* Je mets à part les auto-remake qui existent depuis l'origine du cinéma et sont liés à la volonté d'intégrer une révolution technologique (parlant, couleur, numérique) ou des moyens plus importants dans un film, bref d'amplifier sa puissance pour atteindre un plus large et plus jeune auditoire, pas seulement pour des raisons commerciales mais pour le rendre plus pérenne. 

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Les Cheveux d'or (The Lodger: A Story of the London Fog))

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1927)

Les Cheveux d'or (The Lodger: A Story of the London Fog))

"The Lodger", troisième long-métrage (abouti et en solo) de Alfred Hitchcock est de son propre aveu son premier film personnel, même s'il s'agit de l'adaptation cinématographique du roman de Marie Belloc-Lowndes "L'Etrange locataire" inspiré de Jack L'Eventreur (qui avait déjà donné lieu à une pièce de théâtre à laquelle avait assisté Hitchcock). Manifeste à lui seul de la naissance d'un génie, il constitue la matrice de tout son cinéma à venir tout en étant le réceptacle de la quintessence de l'âge d'or du cinéma muet.

Si les cinéastes de l'âge d'or d'Hollywood ont conçu tant de chefs-d'oeuvre en dépit du grand nombre de films qu'ils ont réalisés c'est que la plupart ont commencé au temps du muet, la meilleure des écoles pour apprendre le récit cinématographique par l'image. Et Alfred Hitchcock a de plus assisté au tournage de l'un des chefs-d'oeuvre s'appuyant le moins sur les intertitres: "Le Dernier des Hommes" (1925) de Murnau. "The Lodger" est ainsi un film pétri de l'influence de l'expressionnisme allemand, Murnau bien sûr ("The Lodger" est économe lui aussi en intertitres) mais aussi Fritz Lang (le thème de la foule enragée et du lynchage fait penser à "M Le Maudit") (1931). Les éclairages très contrastés et les angles de prise de vue parfois biscornus font également penser à ce style ainsi que les illustrations qui accompagnent le titre et les intertitres.

Néanmoins, à partir de ces emprunts manifestes, Alfred Hitchcock développe son propre style et des thèmes qui deviendront les leitmotiv de toute son oeuvre. Les illustrations recourent à des motifs géométriques tels que le triangle et surtout le cercle et la spirale qui reviendront comme des obsessions dans des films ultérieurs. Les gros plans sur les visages des jeunes filles sur le point d'être massacrées en train de hurler d'effroi deviendront également récurrents jusqu'à "Frenzy". Les caractéristiques de leurs cheveux (blonds et bouclés) sont soulignées par un éclairage venu du dessous qui sera réemployé par exemple pour le verre de lait de "Soupçons". Par ailleurs on voit ainsi naître sous nos yeux la femme hitchcockienne, au moins physiquement. L'alternance de plans liés au meurtre et d'intertitres en forme d'enseigne clignotante de théâtre annonçant que l'on joue ce soir "Boucles d'or" a un caractère méta, cette distanciation ironique est aussi une signature de Alfred Hitchcock. De même que la proximité pour ne pas dire la fusion entre l'amour et la mort, l'amour naissant entre le locataire et Daisy pouvant être interprété à plusieurs reprises comme l'entreprise de séduction d'un prédateur envers sa proie (la manière de filmer ses gestes lorsqu'il tient un couteau ou un tisonnier laissant penser qu'il va l'agresser). Le flic amoureux de Daisy rapproche aussi Eros et Thanatos quand il évoque dans la même phrase la corde qui attend "l'Avenger" (surnom du tueur en série) et l'anneau qu'il veut passer au doigt de Daisy, sauf qu'il lui passe en réalité quelques instants les menottes qu'il a prévu pour le locataire (geste qui en dit long sur sa jalousie et le sort qui attend Daisy si elle l'épouse.) Autre idée majeure qui traverse le cinéma de Hitchcock: la dilatation du temps lors des scènes de suspense. Ainsi le plafond de verre illustre visuellement (puisqu'il n'y a pas de son) l'angoisse grandissante des parents de Daisy vis à vis de leur locataire lorsqu'il l'entendent faire les cent pas dans sa chambre située juste au-dessus d'eux et que l'on voit le lustre trembloter. Enfin pour la première fois, Alfred Hitchcock apparaît (à deux reprises même!) dans son propre film. Il ne s'agit pas alors d'un caméo clin d'oeil comme cela sera le cas plus tard mais de pallier au manque de figurants!

Mais ce qui fait de "The Lodger" le premier grand film de Alfred Hitchcock n'est pas tant la mise en place de procédés, de figures ou même de thèmes fétiches que la manière dont est traité le personnage principal et ce qu'il déclenche chez les autres. Sans identité propre (il n'est connu que par son statut, celui de locataire), il apparaît comme l'intrus venu de l'extérieur qui catalyse toutes les craintes de la famille qui l'héberge. Son lynchage apparaît comme le dénouement logique de ce mécanisme bien connu de projection du monstre qui est en soi, celui du bouc-émissaire. La mise en scène est d'ailleurs extrêmement christique (l'homme est pendu par les menottes à une grille et lorsqu'on le détache, on est proche de la descente de croix). Si le jeune homme est suspect, ce n'est pas seulement une question de coïncidences malheureuses c'est aussi lié à sa différence. Fragile, efféminé, il ne peut pas voir (littéralement) les jeunes filles blondes en peinture ce qui laisse entendre, (outre qu'il pourrait être le meurtrier) qu'il est homosexuel. Cela ne semble pas arrêter Daisy qui est attirée par lui au grand dam de son soupirant flic pataud et de ses parents. Cela donne des plans troublants, en particulier celui du baiser. Hitchcock a souvent filmé ceux-ci en gros plan et ce qui ressort ici, c'est l'impression de gémellité comme s'il embrassait son miroir. On a donc une plongée dans les abysses de la sexualité trouble (thème favori de Hitchcock) qui peut faire de ce jeune homme le premier de la longue lignée des faux coupables de la filmographie hitchcockienne ou bien le père de Norman Bates*.

La modernité de "The Lodger" suscita des réactions négatives de la part des distributeurs qui n'y comprenaient rien d'autant que le réalisateur de la firme pour laquelle avait travaillé Hitchcock avait entrepris un travail de sape (dicté sans doute par la jalousie). Mais grâce au producteur qui croyait au film, celui-ci put sortir et fut un triomphe: la carrière de Alfred Hitchcock était lancée!

* Le happy-end a été imposé à Alfred Hitchcock en raison de la notoriété de Ivor Novello alors que celui-ci aurait préféré conserver une fin ouverte. Cela préfigure "Soupçons" qui a beaucoup de points communs avec "The Lodger" dont un acteur charismatique dont il fallait préserver l'image! 

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Le Pouvoir du Chien (The Power of the Dog)

Publié le par Rosalie210

Jane Campion (2021)

Le Pouvoir du Chien (The Power of the Dog)

"La faiblesse est un crime" peut-on lire sur la page de couverture d'une revue intitulée "Physical culture" et peuplée de photos d'hommes nus. On est environ à la moitié du film et Peter, l'étudiant en chirurgie efféminé qui est la risée de tous les cow-boys du ranch où vit sa mère vient de découvrir la cachette -et le secret- du pire d'entre eux, Phil (Benedict Cumberbatch, interprète idéal des mâles ambigus et névrosés). Celui-ci se baigne nu non loin de là juste après avoir fait glisser sur son corps un foulard ayant appartenu à son mentor, Bronco Henry (chez Jane Campion, le sens tactile est un moyen vital d'interaction avec le monde sensible). Seul, évidemment. Sous le regard des autres, Phil a revêtu depuis longtemps le costume du mâle alpha en recouvrant son passé étudiant mais aussi son homosexualité sous une bonne couche de crasse et de rudesse pour ne pas dire de cruauté. Empoignant les testicules des animaux à castrer à pleine main, chevauchant pendant des heures, effectuant les travaux les plus durs, tout est bon pour mettre en scène sa virilité. Or on le sait, surjouer à ce point la virilité et écraser ceux qui la mettent en danger est un signe de trouble identitaire. Le frère de Phil, beaucoup plus doux et policé fait entrer la discorde au ranch lorsqu'il se marie avec Rose (Kirsten Dunst), la mère de Peter. Phil qui ne supporte pas sa présence décide de l'anéantir et il est en voie d'y réussir lorsque Peter découvre son secret. Peter et lui développent alors une relation semblable à celle qu'a vécu Phil avec Bronco Henry à ceci près que Peter n'a qu'une idée en tête: sauver sa mère des griffes du prédateur. Et pour cela il a les armes de son savoir mais aussi une dureté forgée au contact des humiliations subies. Il sait se montrer cruel et impitoyable avec les êtres vivants et vis à vis de Phil, il fait figure d'ange de la mort. Parmi les scènes les plus fortes du film, il y a celle, très sensuelle forcément où les deux hommes échangent une cigarette c'est à dire mélangent leurs fluides. Sauf que Peter a empoisonné ceux de Phil avec le cuir d'une vache malade: le plan où celui-ci le saisit à pleine main dans l'eau alors qu'il a une profonde plaie qui saigne est lourd de signification.

Le film de Jane Campion est une déconstruction du western qui fait quelque peu penser au "Secret de Brokeback Mountain" ou si on remonte plus loin au "Reflets dans un oeil d'or" de John Huston (qui n'est pas un western mais étudie dans un milieu ultra-viril, celui de l'armée le désir refoulé du major Penderton pour le soldat Williams, lequel aime chevaucher nu dans la forêt). Offrant des scènes sublimes de grands espaces (même si son film est aussi un huis-clos étouffant), il est dommage qu'il ne soit visible que sur petit écran. Mais Netflix a eu le mérite de permettre à Jane Campion de réaliser enfin un long-métrage, 12 ans après "Bright Star" dont l'originalité par rapport aux autres est de centrer l'histoire sur des personnages masculins ou plutôt sur la féminité refoulée dans les comportements masculins toxiques plutôt que de montrer le monde par les yeux d'une femme. Et celui-ci est une réussite.

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Amnesia

Publié le par Rosalie210

Barbet Schroeder (2015)

Amnesia

Quarante-six ans après son premier long-métrage, More (1969), Barbet Schroeder revient à Ibiza, dans la maison de sa mère pour y dévoiler (un peu) de son histoire. "Amnesia" raconte en effet l'histoire d'une allemande qui a choisi de s'exiler à Ibiza à la fin de la guerre et de couper tous les ponts avec son pays natal, refusant notamment d'en parler la langue*. A ce reniement de ses origines s'ajoute le repli sur soi, Martha vivant en ermite c'est à dire dans la solitude et la frugalité, coupée des autres dans une sorte de bulle routinière hors du temps. Jusqu'à ce qu'un jeune homme qui pourrait être son fils débarque dans la maison voisine (qui est cependant loin d'être mitoyenne) et ne sympathise avec elle. Martha et Jo se découvrent des points communs: l'origine allemande qui les oblige à faire un travail d'introspection et à sortir de leurs croyances et certitudes mais aussi la danse et la musique qui la conduit à rejouer du violoncelle alors que son cadet DJ rêve de se produire à "L'Amnésia" (titre qui fait référence à ce club aussi bien qu'à la mémoire allemande). Si les dialogues sont parfois maladroits tant ils sont démonstratifs (comme certains passages que l'on peut juger ridicules), ils ne sont pas simplistes pour autant car il y a pas de jugement de la part du réalisateur. La stratégie de fuite et de table rase de Martha n'est ni pire ni meilleure que celle de la mère de Jo qui a consisté à laisser le passé dans l'ombre pour reconstruire le présent. Quant au grand-père (joué par Bruno Ganz), il a transformé son histoire pour la rendre supportable à ses propres yeux mais le film montre que le mensonge est aussi une stratégie de survie.

Si le film est un huis-clos à ciel ouvert très théâtral dans son dispositif, il est illuminé par les paysages, la lumière et la prestation remarquable de Marthe Keller (l'inoubliable Fedora de Billy Wilder) qui obtient un rôle de femme mystérieuse et désirable à 70 ans.** Car la désaffiliation de son personnage brouille les repères générationnels. La relation avec Jo est ambigüe, entre amitié et séduction amoureuse mais lorsqu'elle finit par lui dire non, elle se transforme en relation filiale et Martha réintègre alors un arbre généalogique: c'est le sens des premières et des dernières images.

* Langue maternelle de la mère de Barbet Schroeder, celle-ci ne lui a pourtant pas été transmise.

** J'ai pensé à "Harold et Maude" et ce d'autant plus que Maude et Martha sont des dames âgées dont la situation de marginalité est liée dans les deux cas aux traumatismes du nazisme même si elles se situent à l'opposé l'une de l'autre (Maude parmi les victimes et Martha dans le clan des bourreaux). 

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