J'étais curieuse de voir comment Louis MALLE avait réussi à adapter le roman de Raymond Queneau que j'ai lu pour la première fois cet été. Je pensais que ça allait donner une bouillie à l'écran. Et ce n'est pas totalement faux. Le style burlesque et cartoonesque qui caractérise "Zazie dans le métro" en version cinéma se prête davantage au court-métrage qu'au long-métrage car sur la longueur, l'hystérie générale devient lassante. C'est d'ailleurs pourquoi dans la génération de Louis MALLE, un Jacques TATI ou un Blake EDWARDS utilisaient le format long pour construire leurs gags sur la durée et pour les insérer dans une histoire pas forcément logique mais qui faisait sens. "Zazie dans le métro" au contraire se perd dans une succession de courses-poursuite sans queue ni tête. Le livre l'était aussi mais son objet, c'était le délire langagier qui présidait également aux "Exercices de style". La transposition au cinéma ne peut pas fournir d'équivalent, même si les mots de Queneau sont repris dans les dialogues. Si le début est plutôt séduisant avec un Philippe NOIRET jeune et charismatique et l'insolence lucide de la petite Catherine DEMONGEOT, la succession continue de séquences surréalistes inspirées manifestement du cinéma burlesque muet ou bien de Tex AVERY finit par devenir répétitive, ennuyeuse et le final "tarte à la crème" avec destruction du décor semble assez gratuit. Par contre, la séquence de la tour Eiffel est très bien mise en scène autour des questions gênantes (pour les adultes) de Zazie autour de la "sessualité" et m'a penser à du Jean COCTEAU (et à "Paris qui dort") (1925).
Il y a du Wes ANDERSON dans ce "Mods" dandyesque et vintage aux références pointues, à la mécanique bien huilée, aux cadres fixes ultra-composés. Références pointues car "Mods" fait référence à une sous-culture britannique jeune urbaine, chic et branchée des années 50 et 60 avec une garde-robe très étudiée destiné à se démarquer notamment des rockers, de même que dans les goûts musicaux (mods fait référence au "modern jazz") et styles de danse. Mécanique bien huilée car dans ce film, tout est chorégraphié au millimètre. Les personnages prennent la pose, répètent les mêmes phrases, reviennent à intervalles réguliers et lorsqu'à cinq reprises, la musique se manifeste et qu'ils se mettent subitement à danser, c'est à la manière quelque peu saccadée et répétitive de l'attraction "danse avec les robots", chaque geste se détachant distinctement des autres. Enfin les cadres fixes ultra-composés rapprochent "Mods" d'une succession de photographies ou de tableaux plus que d'un mouvement cinématographique. On peut également souligner l'enfermement comme trait commun aux deux univers. Le cinéma "maison de poupées" de Wes ANDERSON correspond bien à ce huis-clos universitaire tourné dans quelques uns des plus beaux fleurons anglo-saxons notamment de la cité universitaire de Paris. L'influence manifeste de la nouvelle vague, comme chez Hal HARTLEY les réunit. Mais gare à l'excès de zèle, la forme tendant à supplanter le fond.
Car par-delà cette intrigante et originale forme, de quoi est-il question exactement dans "Mods"? D'un thème archi-classique, le chagrin d'amour qui plonge le délaissé dans un état quasi catatonique. Pour le sortir de sa torpeur, ses deux frères militaires sont invités par l'une des responsables du campus et le film repose pour une bonne part sur la confrontation de ces deux personnages raides comme des triques à un univers complètement décalé.
"Les Photos d'Alix" est l'un des derniers films de Jean EUSTACHE, tourné un an avant sa mort. On y voit en un étrange miroir une de ses amies, la talentueuse photographe Alix Clio-Roubaud, décédé jeune elle aussi trois ans plus tard commenter un jeu de ses photographies en compagnie du fils de Jean EUSTACHE, Boris EUSTACHE alors âgé d'une vingtaine d'années. Un spectateur non averti ne peut qu'être surpris par l'évolution du film. Alors que dans sa première partie, Alix fait un commentaire classique de ses photos, racontant le contexte de leur réalisation, identifiant les personnages, expliquant les effets artistiques recherchés, insensiblement, un décalage se fait jour entre l'image et le son au point que ce qu'elle raconte finit par ne plus rien à voir avec ce qu'elle montre. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux libres associations images-mots des tableaux de René Magritte d'autant que l'une des photographies ressemble beaucoup à la composition de "Le Modèle rouge" (Mi chaussures/Mi pieds humains). A travers ce dispositif de désynchronisation, le spectateur est donc invité à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se dit et à faire travailler son propre imaginaire pour combler les lacunes de ce qui est donné à voir. Et ce d'autant que Alix Clio-Roubaud est une conteuse formidablement charismatique qui suscite un trouble visible chez Boris EUSTACHE, ses commentaires revêtant un fort caractère à la fois exotique (l'importance des voyages où reviennent régulièrement la Corse, Londres et New-York) et intime (l'enfance, les amours, la sexualité, les paradis artificiels). On remarque aussi combien ce film présente de similitudes avec "Une sale histoire" (1977). Un conteur, un auditoire, un espace imaginaire, troublant et poétique, un temps suspendu, celui du récit, un temps retrouvé, celui des souvenirs. Au point même que dans "Les photos d'Alix", l'une d'elles fait penser à "La Jetee" (1963), "Ceci est une image d'enfance".
Rareté récemment restaurée, "Same players shoots again" deuxième court-métrage de Wim WENDERS alors étudiant à l’Hochschule für Fernsehen und Film München (la Haute école de télévision et cinéma de Munich). Quelques images en noir et blanc de "Schauplätze" son premier film réalisé la même année mais perdu se retrouvent au début et à la fin de "Same players shoots again" sans qu'il n'y ait de solution de continuité avec le reste sinon ce que l'imagination du spectateur peut en faire. Ces quelques images sont suffisamment énigmatiques pour que l'on puisse créer un nouveau scénario avec. Celles du début montrent une pièce avec une télévision allumée et des bouteilles d'alcool vides traînant sur la table puis la silhouette d'un homme sortant d'une cabine téléphonique. Celles de fin montre un homme rouler en voiture à travers la campagne avec à l'arrière un passager mourant. Entre les deux, cinq fois le même plan, un travelling latéral suivant un homme armé d'une mitraillette coupé au niveau des épaules. Celui-ci se déplace en titubant, d'abord lentement, puis de plus en plus vite. A chaque fois que le plan se répète, la couleur de l'image change: noir et blanche puis verte, puis jaune, puis rouge et enfin bleue. Wim WENDERS expérimente l'outil cinématographique en revenant aux sources du septième art. L'animation de corps en mouvement se répétant à l'infini fait partie du cinéma primitif et par ailleurs le film de Wim WENDERS est totalement muet. S'y ajoute le traitement de la couleur et une thématique, celle de la violence. Même si celle-ci reste hors-champ, tout l'indique: le titre, les bouteilles d'alcool vides, la mitraillette, la démarche hagarde de l'homme comme s'il était blessé et enfin le mourant à l'arrière de la voiture. Même avec un matériau aussi primitif, on baigne déjà dans une ambiance de thriller même si on est évidemment très loin de "L'Ami americain" (1977). A moins qu'à l'égal de "The Big Shave" (1967) réalisé la même année par Martin SCORSESE il ne s'agisse de dénoncer symboliquement la guerre.
Tout au long de sa carrière, Alain RESNAIS n'a cessé d'expérimenter des formes nouvelles, de jouer sur les rapports entre vérité et artificialité et de télescoper les temporalités. "La vie est un roman" est un titre programmatique et autre aspect récurrent du cinéma de Resnais, l'unité de lieu est ici un château comme dans "L'Annee derniere a Marienbad" (1961). Une scène unique pour trois histoires d'époques différentes (Moyen-Age, première guerre mondiale, époque contemporaine du film) dont le lien paraît assez ténu. Il est question de recherche du bonheur et de l'idéal par l'utopie (ré)éducative, façon secte ou façon débat d'idées. Le tout entrecoupé de jeux d'enfants et d'un conte de fées. En dépit du talent de monteur de Resnais, la mayonnaise ne prend pas vraiment tant le résultat paraît théorique et artificiel. La seule touche de naturel du film provient de Sabine AZEMA qui entamait une fructueuse collaboration avec celui qui allait partager sa vie. Elle apporte de la fraîcheur à un film par ailleurs empesé et kitsch dans lequel la plupart des acteurs cabotinent à mieux mieux faute d'avoir des rôles substantiels. Même si c'est toujours intéressant de comprendre les sources d'influence d'un réalisateur et que l'on discerne par exemple dans "La vie est un roman" les prémisses de "On connait la chanson" (1997), le film est à l'image de son château: une grosse meringue indigeste et décousue.
"Rubber" est un film inclassable qui raconte l'odyssée d'un objet, en l'occurence un pneu prénommé Robert qui par la grâce du cinéma prend vie dans une décharge au milieu du désert quelque part dans l'ouest américain. Tel un nouveau-né, on le voit se dresser, tomber, avancer en vacillant, tomber à nouveau, se relever et finir par partir explorer le monde en roulant sur lui-même. Puis on découvre qu'il s'agit d'un objet "pulsionnel" qui détruit instinctivement tous les obstacles qu'il rencontre sur sa route. Preuve qu'il s'agit d'un film construit, réfléchi, ces obstacles montent en puissance comme dans "L'homme aux cercles bleus" de Fred Vargas. D'abord des objets ou bestioles qu'il peut écraser, puis des objets durs qu'il peut pulvériser à distance par télépathie, puis des animaux et enfin des humains dont il fait exploser la tête selon le même procédé (une référence à "Scanners" de Cronenberg). Gare à ceux qu'il croise sur sa route et particulièrement ceux qui le malmènent, l'objet est particulièrement susceptible. On découvre aussi avec la superbe Sheila (Roxane Mesquida) qu'il a une libido, avec la scène du miroir, qu'il a des souvenirs et avec celle du crématoire à pneus qu'il a soif de vengeance. Ce n'est pas le moindre exploit d'arriver à nous faire croire que cette chambre à air a une "âme", même si l'animation est l'ADN du cinéma, et se marie bien avec le nonsense, le thriller et l'épouvante. Ainsi "Rubber" m'a fait penser (comme "Fumer fait tousser") à "Téléchat" de Roland Topor qui bien qu'étant une émission pour enfant distillait un léger malaise avec ses animaux et ses objets parlants et névrosés mais aussi à "Christine", la voiture serial-killer de John Carpenter. Mais le film de Quentin Dupieux se caractérise par son aspect dépouillé qui en fait un road-movie existentiel proche du "Duel" de Steven Spielberg (où le camion semblait agir de façon autonome) ainsi que que par sa réflexivité. En effet le film a un caractère méta affirmé dès les premières images avec le lieutenant Chad (Stephen Spinella) expliquant face caméra que le cinéma comme l'existence est fondé sur l'absurde avant qu'un jeu ne s'instaure entre un aéropage de spectateurs largués dans le désert et ce flic qui est à fois de leur côté et dans le film qu'ils regardent (hormis l'introduction au "no reason" devenue culte, pas l'aspect de "Rubber" le plus mémorable toutefois, il a tendance à alourdir le propos).
Etait-ce un rêve ou était-ce la réalité? Cette phrase en introduction de la série d'animation japonaise "Vision d'Escaflowne", je l'avais en tête en regardant "Réalité" qui abolit les barrières entre les dimensions du réel, du rêve et de la fiction avec ce mélange unique de ludisme et d'angoisse existentielle qui caractérise le cinéma de Quentin Dupieux. Véritable petit labyrinthe en forme de boucle temporelle, le film à multiples facettes associe voire connecte par le biais du montage et de la mise en abyme des personnages, des intrigues, des lieux et des temporalités incompatibles. Et il en tire un résultat vertigineux et étonnamment rigoureux où il n'hésite pas à appuyer à fond sur la pédale méta. Par exemple, il suit une petite fille américaine (en référence au fait que Quentin Dupieux tourne alors aux USA) qui a récupéré une cassette VHS trouvée par son père dans les entrailles d'un sanglier qu'il a tué en forêt ("vidéo-viande", non je plaisante!). La gamine va passer l'essentiel du film à tenter de visionner la cassette mais lorsqu'elle y arrive, le cadre choisi ne nous permet pas de voir son contenu mais montre au contraire la fillette en train de regarder l'écran de sa TV, scène projetée dans une salle de cinéma devant le producteur, M. Marshall (Jonathan Lambert) et un certain Zog, réalisateur du film dans lequel se trouve "en réalité" la fillette (prénommée "Reality" cela va de soi) ce qui renvoie en miroir le fait que nous en faisons de même derrière notre écran. Ce que Reality regarde a donc également une fonction de miroir, "un homme coincé dans son propre cauchemar" (alias Jason, le caméraman joué par Alain Chabat) et elle croise aussi le rêve de son proviseur lequel est psychanalysé par l'épouse de Jason (Elodie Bouchez) qui parle en anglais (sous-titré) avec le proviseur et le plan d'après en français avec Jason. Cela explique sans doute la raison pour laquelle elle s'appelle Alice! Jason de son côté découvre que le film qu'il a en tête ("Waves") a déjà été tourné et est projeté aux côtés d'un certain "Rubber 2" (sympa l'autoréférence!), avant de découvrir qu'il s'est dédoublé. Quant à l'émission de TV pour laquelle il travaille, elle est présentée par un hypocondriaque dont l'eczéma est dans la tête et qui croit que Jason et lui sont la même personne. L'asile de fous guette mais cette petite pépite bilingue surréaliste référencée (la recherche du meilleur gémissement pour le film de Jason fait penser par exemple à "Blow out" de De Palma, les images extraites de viscères renvoient à Cronenberg, la cassette mystérieuse aux films d'horreur japonais du type "Ring" etc.) et rythmée par la musique de Philippe Glass est aussi une jolie leçon de cinéma comme sait les façonner un Michel Hazanavicius qui apparaît dans le film de Quentin Dupieux pour une scène clin d'oeil de remise de prix qui tourne mal car une fois de plus cela se passe dans la tête d'un homme "coincé dans son propre cauchemar". Brillant!
Présenté comme un retour de Jean-Luc GODARD au cinéma "commercial", ce "Sauve qui peut (la vie)" (1979) est en réalité un film expérimental de plus dans sa carrière. Il est vrai qu'à la différence de ses films les plus radicaux, il y a des stars (Jacques DUTRONC, Nathalie BAYE, Isabelle HUPPERT), Gabriel YARED à la musique, Jean-Claude CARRIERE au scénario avec Anne-Marie MIEVILLE, la compagne de Godard, de beaux plans de ville et de montagne. Mais on est loin du film classique et davantage dans une collection de fragments. D'une certaine manière, "Sauve qui peut (la vie)" est une mise en pratique de ce que Godard théorisait dans "Le Petit soldat" (1960), à savoir que "la photographie c'est la vérité et le cinéma c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde". Du moins c'est comme cela que j'ai compris les nombreux arrêts sur image et ralentis qui décomposent le mouvement et rappellent que le cinéma capture le temps qui suspend ainsi son vol. A cette succession d'images correspondent les instants de vie de trois personnages qui se croisent plutôt qu'ils ne se rencontrent. l'isolement (dans le cadre comme dans la vie) est assez omniprésent dans le film qui correspond assez bien à l'image d'un Godard misanthrope qui tourne le dos à "Les Lumieres de la ville" (1927) de Charles CHAPLIN tout en le citant pour évoquer la deshumanisation des rapports sociaux, lesquels se réduisent à du sexe mécanique et tarifé. Jean-Luc GODARD décrit dans son film surtout des échecs, que ce soit celui du couple ou celui de la famille. Le personnage de Paul Godard (qui souligne à quel point le film est autobiographique) incarne même le nihilisme absolu, rappelant dans sa marche vers l'autodestruction le parcours d'un Michel Poiccard ou d'un Ferdinand. On comprend le choix de sa dernière compagne, Denise Rimbaud (encore un nom à référence) de prendre le large ou plutôt de se mettre au vert. Quant à Isabelle qui fait commerce de son corps, elle navigue entre l'aliénation de l'un (la peur) et la volonté émancipatrice de l'autre (l'imaginaire) ce qui me semble assez bien résumer les contradictions du cinéma. Il y a donc un équilibre dans ce film construit comme une partition à quatre temps et entre les images (plutôt belles voire lyriques) et les paroles (souvent obscènes). Un film intéressant certes mais loin d'être fait pour la majorité ce qui me paraît être la définition du cinéma commercial.
"Pacifiction" m'a fait penser visuellement à un Gauguin qui aurait ingéré des racines pas très nettes. C'est un long, très long, interminable trip alcoolisé où l'on alterne entre des paysages polynésiens filmés sous une lumière magnifique et des scènes de discothèque qui se répètent jusqu'au bout de la souffrance du spectateur. Car le film dure près de trois heures et comme il est dénué d'un scénario digne de ce nom et regorge de plans étirés jusqu'à plus soif, ce sont trois heures qui pourraient en durer six ou neuf ou treize sans que l'on voit la différence. Il y a bien une vague intrigue dans "Pacifiction" autour de rumeurs portant sur la reprise d'essais nucléaires en Polynésie qui auraient pu être le point de départ d'un thriller mais celle-ci se perd dans les sables mouvants d'un film mou du genou, décousu, sans enjeu véritable et pire que tout, sans ambiance (les images de carte postale et les stroboscopes ça ne suffit pas). On a bien du mal à croire que Benoît MAGIMEL joue un représentant de l'Etat tellement il est relax, passant le plus clair de son temps à déambuler d'un lieu à l'autre soi-disant pour "tâter le pouls" de la population locale en journée, en réalité pour monologuer des propos improvisés et brumeux avant d'aller passer ses soirées et ses nuits au "Paradise". J'étais même à deux doigts d'éclater de rire dans la scène (magnifique au demeurant) de surf où il chevauche un scooter des mers en costard cravate immaculé et parfaitement sec: une métaphore de nos politiciens hors-sol? ^^ Le seul autre acteur du film est Sergi LÓPEZ que l'on voit quelques secondes et dont on a du mal à identifier le rôle, les autres sont pour l'essentiel des inconnus assez barrés: l'amiral du vaisseau-fantôme bourré aux propos incohérents, un employé transsexuel qui rêve de devenir la secrétaire personnelle du personnage de Magimel (pour apprendre des informations classées top secret?). Bref un film tout sauf abouti, un brouillon et qui le revendique explicitement sous couvert de cinéma expérimental.
En regardant "La Chinoise" de Jean-Luc GODARD, j'ai pensé à un autre film, vu à sortie, "La Seconda volta" (1995) dans lequel une ancienne victime des brigades rouges jouée par Nanni MORETTI retrouvait fortuitement la militante qui avait tenté de l'assassiner 10 ans auparavant (jouée par Valeria BRUNI-TEDESCHI) au nom de slogans criminels tels que "en tuer un pour en éduquer cent". Véronique, le personnage joué par Anne WIAZEMSKY dans "La Chinoise" pourrait représenter les années de formation de Lisa Venturi, le personnage joué par Valeria BRUNI-TEDESCHI. Soit une étudiante en philosophie à la faculté de Nanterre un an avant les événements de 1968 (ce qu'était réellement Anne WIAZEMSKY, nouvelle compagne de Jean-Luc GODARD) sous influence maoïste, l'idéologie alors tendance car d'un rouge "pur et parfait"* rejoignant la soif d'idéalisme de la jeunesse face aux "socio-traîtres" soviétiques ayant osé pactiser avec "le tigre de papier" américain pour éviter une guerre nucléaire. Si Jean-Luc GODARD utilise de nombreux procédés de distanciation (l'influence de Brecht est explicitement revendiquée) pour ridiculiser les discours de Véronique et de ses amis étudiants qui jouent au grand timonier entre les quatre murs d'un appartement bourgeois repeint aux couleurs aussi primaires que les idées qu'ils "bêlent comme des moutons" jamais il ne se place d'un point de vue véritablement humain ce qui rend son positionnement au final assez ambigu. Tout au plus, insère-t-il dans son film un moment qui le sort de la cour d'école pour le placer sur un terrain plus réaliste. Il s'agit de la séquence de conversation dans le train entre Véronique et son professeur de philosophie, joué par Francis Jeanson, le véritable professeur de philosophie de Anne WIAZEMSKY qui avait été Résistant puis engagé aux côtés du FLN durant la guerre d'Algérie et qui donc a l'expérience nécessaire pour mettre Véronique face à l'inanité de ses projets terroristes. Néanmoins la légitimité de la méthode n'est quant à elle jamais questionnée et encore moins l'aliénation de toutes les formes d'endoctrinement, à l'opposé de l'émancipation individuelle recherchée par la jeune fille mais aussi collective défendue par son professeur. Le film de Jean-Luc GODARD manque donc de hauteur de vue aussi bien que d'humanité, se réduisant pour l'essentiel à un exercice de style (un manifeste?) esthetico-intellectuel désincarné.
* Un rouge si pur et si parfait qu'il fit des millions de victimes (celles du Grand Bond en avant superbement ignorées avant celles dans les années 70 des Khmers rouges).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.