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Articles avec #film de guerre tag

La Plus précieuse des marchandises

Publié le par Rosalie210

Michel Hazanavicius (2024)

La Plus précieuse des marchandises

La rencontre entre Michel HAZANAVICIUS et Jean-Claude GRUMBERG a accouché d'un conte qui entre en collision avec l'Histoire. La demeure isolée dans la forêt, le bébé abandonné dans la neige et recueilli par une pauvre bûcheronne en mal d'enfant, l'effroi qu'inspire au début le bûcheron puis ses collègues de travail que l'on identifie à des ogres. Mais impossible d'ignorer le contexte historique: la guerre est mentionnée, les trains ne cessent de traverser la forêt, non loin de la maison des bûcherons et lorsque le point de vue change, adoptant celui du père du bébé jeté par-dessus bord, on découvre que le camp de Auschwitz n'est qu'à quelques pas. Comment ne pas penser à "Shoah" (1985) et aux témoignages des paysans polonais gavés de préjugés antisémites ayant regardé passer les trains? Les nazis avaient bien retourné le cerveau de ces populations incultes sous l'emprise d'un catholicisme obscurantiste pour qu'ils deviennent les complices de leurs crimes. Pourtant c'est aussi en Pologne qu'il y a eu le plus de Justes et ce film le rappelle, au travers du couple de bûcherons protecteurs et également d'une gueule cassée de la grande guerre qui va apporter à l'enfant une drôle de mère nourricière sans lequel il n'aurait pas survécu. L'appel de la vie fut parfois plus fort que n'importe quelle idéologie, plus fort que les passions les plus tristes. Le choix de l'animation permet un travail remarquable de stylisation qui rend l'approche sensible: sur le blanc cotonneux de la neige étouffant les sons, les trains se détachent tels des masses noires sifflantes crachant le feu de l'enfer. Ils hantent les cauchemars des personnages, des gens simples pris dans des enjeux qui les dépassent et dont aucun ne sortira indemne. Ce qui également contribue à la force du récit, c'est d'entendre comme sortie d'outre-tombe la voix de Jean-Louis TRINTIGNANT qui a eu tout juste le temps d'enregistrer la voix du narrateur de l'histoire avant de s'éteindre en 2022.

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Papy fait de la résistance

Publié le par Rosalie210

Jean-Marie Poiré (1983)

Papy fait de la résistance

Encore un film culte que je n'avais jamais vu, sinon par extraits. Cette mise en pièce de la France sous l'occupation, je l'ai trouvée un peu inégale. Les coutures du patchwork se voient un peu trop. Alors du côté du meilleur, il y a la composition inénarrable de Gerard JUGNOT dans la peau d'Adolfo (!) Ramirez, un gestapiste français avide de revanche. Je soupçonne d'ailleurs très fortement Jean-Paul ROUVE de s'en être inspiré pour le personnage collaborationniste odieux qu'il interprète dans "Monsieur Batignole" (2001) réalisé par ce même Gerard JUGNOT. De façon plus générale, comme dans les années 80, la France n'assumait pas encore son passé vichyste (c'est l'époque où Mitterrand apportait encore des fleurs à Pétain), le film est très en verve pour épingler les collabos. Il faut voir la façon dont Jean YANNE dans la peau d'un milicien susurre à ses interlocuteurs venus se plaindre des dégâts causés par l'occupation allemande dans leur château "et au fait, dans votre famille, il n'y a pas de juifs?" Sans parler du retour de Ramirez "junior" en parfait petit facho bolivien dans le pastiche de "Les Dossiers de l'écran" à la fin. Nul n'ignore qu'un certain nombre de nazis se sont réfugiés en Amérique latine après la guerre où ils ont fait souche. Et puis bien sûr, il y a la dernière demi-heure et le numéro hilarant de Jacques VILLERET dans la peau du demi-frère d'Hitler interprétant à l'heure allemande le "Je n'ai pas changé" du latin lover Julio IGLESIAS. Mais en fait ce qui m'a posé problème provient de l'hommage assumé qu'est "Papy fait de la Résistance" à Louis de FUNES (qui venait juste de mourir et qui aurait dû jouer le rôle du Papy finalement interprété par son complice, Michel GALABRU). En effet Jean-Marie POIRE veut coller ensemble deux morceaux qui s'ajustent mal: "La Grande vadrouille" (1966) bien sûr mais aussi la série des "Fantomas" (1964). C'est de cette source, celle des romans feuilletons et des films de Louis FEUILLADE (bien avant Andre HUNEBELLE) que provient "Super-Résistant", le personnage joué par Martin LAMOTTE, un justicier masqué qui ressemble à Arsène Lupin mais qui comme Zorro ou Batman a une double identité puisque le jour, il joue le rôle d'un coiffeur efféminé, une couverture insoupçonnable. Mais aussi une caricature assez gênante. Par ailleurs, le personnage de "Super-Résistant" vient percuter une page d'histoire tragique en la déréalisant complètement ce que ne faisait pas "La Grande vadrouille" (1966). La scène de la rafle de résistants qui commençait ainsi très bien avec notamment le personnage joué par Jacques FRANCOIS ou "le plus petit rôle du film" confié à Bernard GIRAUDEAU (complice de Michel BLANC qui comme d'autres membres du Splendid, Josiane BALASKO et Thierry LHERMITTE vient faire son petit cameo) se termine ainsi dans la facilité alors qu'elle aurait pu donner lieu à une brillante parodie comique de "L'Armee des ombres). (1969)

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Au revoir les enfants

Publié le par Rosalie210

Louis Malle (1987)

Au revoir les enfants

"Au revoir les enfants" est un film bouleversant. Un film à la fois juste, précis et d'une très grande sensibilité. Car il est construit au travers du regard de Julien, un enfant plus sensible que les autres (c'est à dire le réalisateur lui-même -il s'agit de ses souvenirs, même s'ils sont romancés-). Les autres, ce sont les camarades du pensionnat religieux où il étudie avec lesquels il n'a guère d'affinités. La première scène où sa mère aimante le serre dans ses bras sur le quai de gare avant le départ nous fait prendre conscience de son innocence, de sa vulnérabilité, de son besoin de tendresse. Elle renvoie à la terrible scène de la fin du film dans laquelle Julien regarde longuement, sans un mot, Joseph, l'ancien homme à tout faire du collège, celui qui a dénoncé à la Gestapo le père Jean et les trois enfants juifs qu'il cachait dont Jean Bonnet qui était devenu son ami, le renvoyant à nouveau dans sa solitude, l'innocence en moins. La scène dans laquelle Julien et Jean se retrouvent seuls, perdus dans la forêt, ce dernier lui demandant s'il n'y a pas de loups (plus tard, il lui dira qu'il a tout le temps peur) est une métaphore assez transparente de l'histoire du film tout entier si celui-ci avait été un conte. Car l'autre aspect frappant du film de Louis MALLE, c'est la précision et la justesse de sa reconstitution de la France de Vichy. Dans "Lacombe Lucien" (1974) qui avait fait scandale, il avait déjà taillé en pièces le mythe résistancialiste et montré le parcours sinueux d'un jeune homme aux motivations primaires. Il reprend le même procédé dans "Au revoir les enfants", avec Joseph qu'il définit comme "le petit cousin de Lucien". Mais il y a beaucoup d'autres personnages secondaires dans "Au revoir les enfants" dont les comportements ou les propos renvoient l'image d'un pays nageant en eaux troubles. Cela va de la religieuse qui dénonce un enfant juif du regard pendant qu'un surveillant (réfractaire du STO) essaye de le cacher à la mère de Julien qui lâche un "il ne manquerait plus que ça" (que nous soyons juifs) à un camarade de classe de Julien qui dit un "Tu crois qu'ils vont nous emmener? On a rien fait, nous, hein?" qui renvoie à une supposée culpabilité intrinsèque des juifs. La culpabilité d'ailleurs imprègne aussi le personnage de Julien (double de Louis MALLE) qui semble suggérer que c'est son regard vers Jean sous l'oeil du chef de la Gestapo qui l'a dénoncé. Le père Jean lui-même, héroïque figure de la Résistance est montré comme un homme en proie aux doutes (la scène de l'hostie le met en face d'un terrible dilemme, trahir Jean Bonnet ou trahir la religion de celui-ci) et faillible (le renvoi de Joseph édicté selon sa ligne de conduite morale est le déclencheur de la tragédie finale). Tant de nuances dans un film où si peu de mots sont prononcés mais où le regard (celui des personnages, celui de la caméra) en dit tant est tout simplement admirable.

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La 317ème section

Publié le par Rosalie210

Pierre Schoendoerffer (1965)

La 317ème section

Immersion dans la jungle vietnamienne à la fin du conflit indochinois, "La 317° section", adaptation au cinéma du roman de Pierre SCHOENDOERFFER par lui-même est un film qui frappe par son réalisme quasi-documentaire mais aussi par son humanisme. Sans doute le meilleur film de guerre français à ce jour, en tout cas celui qui a eu le plus d'influence. L'expérience du réalisateur comme vétéran et reporter de guerre y est manifeste plus que celle de son imaginaire nourri de lectures de romans d'aventure. S'y ajoute l'influence de la Nouvelle Vague: le film est produit par Georges de BEAUREGARD et le chef opérateur n'est autre que Raoul COUTARD, lui-même vétéran de la guerre d'Indochine où il officiait comme photographe. On notera d'ailleurs le clin d'oeil à "A bout de souffle" (1960) dans le dialogue à la fin du film entre Torrens (Jacques PERRIN) qui dit en parlant de sa blessure "Ah c'est dégueulasse" et Willsdorf (Bruno CREMER) qui lui répond "Qu'est ce que ça veut dire dégueulasse, c'est la guerre". "La 317° section" dépeint l'évacuation sans issue d'une garnison isolée dans la jungle et la disparition progressive mais inexorable de ses membres. Au travers de l'amitié qui se noue progressivement entre le jeune et idéaliste lieutenant Torrens et l'expérimenté et pragmatique adjudant Willsdorf, un ancien malgré-nous qui enchaîne les conflits, Pierre SCHOENDOERFFER dépeint à hauteur d'homme la lente agonie d'une compagnie plongée en terrain hostile, la pluie, la boue, la dysenterie, la précarité du ravitaillement en vivres et de médicaments les traversées dangereuses des rivières, les embuscades dans une jungle qui semble ne pas avoir de fin tout comme la guerre. C'est d'autant plus réaliste que l'équipe du film s'est vraiment mise dans les conditions vécues par les personnage durant le tournage au Cambodge qui a dû être éprouvant.

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Avoir vingt ans dans les Aurès

Publié le par Rosalie210

René Vautier (1972)

Avoir vingt ans dans les Aurès

« La place d’un homme, dans un pays puissant, est d’être avec les plus faibles, avec ceux d’en face »
(René Vautier dans un entretien avec Antoine de Baecque, 2001)

Cette citation en forme de manifeste définit bien qui était Rene VAUTIER. Un cinéaste engagé contre toutes les formes de domination occidentales, auteur du premier film anticolonialiste, "Afrique 50" et dont l'oeuvre majeure "Avoir 20 ans dans les Aurès", tourné 10 ans après la fin de la guerre d'Algérie est tout comme celle de son compatriote italien Gillo PONTECORVO, communiste lui aussi un jalon majeur de la représentation de cette guerre de décolonisation au cinéma. Et ce alors que sa véritable nature était niée par l'Etat français qui a maintenu jusqu'en 1999 la fiction d'une Algérie comme morceau du territoire français où auraient eu lieu des opérations de maintien de l'ordre. Remettre en question cette version, c'était s'exposer à des mesures de rétorsion donnant une tout autre image de la France que celle des pays des droits de l'homme Rene VAUTIER a donc subi une violence d'Etat (censure, prison) doublée de celle des extrémistes d'extrême-droite (il a notamment contribué à révéler le rôle joué par Jean-Marie Le Pen pendant la guerre).

"Avoir 20 ans dans les Aurès" est une fiction qui se base sur des centaines de témoignages d'anciens appelés, une méthode qui a été par la suite reprise, par exemple par l'excellent "Warriors : L'impossible mission" (1999) sur la guerre de Bosnie. L'histoire a quant à elle sans doute inspiré celle de "L'Ennemi intime" (2007): des soldats innocents (ou variante, insoumis) transformés en bourreaux après avoir été plongés dans la réalité de la guerre. Leur endoctrinement par le lieutenant Perrin (Philippe LEOTARD), la perte des repères moraux lié à l'état de guerre et le phénomène grégaire ont pour effet d'effacer les individualités et les responsabilités, permettant le passage à l'acte violent (meurtres, tortures, viols, pillages). Cette partie du film pour intéressante qu'elle soit est cependant trop intellectualisée, les discours l'emportant sur le langage cinématographique. L'unité de lieu et d'action a également tendance à brouiller la frontière entre les flashbacks et le présent du film, rendant la progression dramatique confuse. La deuxième partie, basée sur le récit d'un déserteur est plus percutante cinématographiquement parlant. On y voit le seul membre du groupe n'ayant pas renoncé à ses convictions pacifistes, Noël (Alexandre ARCADY le futur réalisateur) s'enfuir dans le désert avec le condamné qu'il était chargé de surveiller dans le but de gagner la Tunisie (pays où le film a été tourné et qui a également été impliqué dans la guerre comme le rappelle d'atroces archives de massacres). Une errance bouleversante à la fin terrible qui frappe l'esprit.

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Les 12 salopards (The Dirty Dozen)

Publié le par Rosalie210

Robert Aldrich (1967)

Les 12 salopards (The Dirty Dozen)

Ils sont 12 comme les apôtres du Christ, 12 candidats au suicide, prêts à mourir en martyrs de la grande Alliance contre le nazisme. Ils vont jusqu'à communier la veille de leur sacrifice en une scène de repas qui rappelle la Cène. Ces références spirituelles contrastent cependant violemment avec les objectifs guerriers, les méthodes employées et la nature des recrues, un ramassis de crapules condamnées à mort ou à de lourdes peines et qui sous la houlette d'un officier lui-même fâché avec les règlements (Lee MARVIN) va se transformer en commando opérationnel. Cet échantillon d'humanité majoritairement composé d'idiots et de psychopathes que le major Reisman doit mater et souder à la fois tourne en dérision l'armée et ses chefs, aussi malmenés que chez Stanley KUBRICK. Et en même temps se fait jour aussi un certain réalisme. La démythification de l'héroïsme patriotique permet d'évoquer l'anomie des périodes de guerre où des prisonniers de droit commun ont pu servir de supplétifs aux armées régulières. Le cas le plus connu étant celui des Kapos chargés par les nazis d'encadrer la main d'oeuvre des camps de concentration. Mais surtout, le film est une charge virulente contre l'Amérique WASP. L'un des salopards est un afro-américain qui a tué pour ne pas être lynché mais le motif de légitime défense lui a été refusé ce qui sous-entend une partialité de la justice américaine. Surtout, les acteurs choisis pour les rôles des salopards étaient eux-mêmes pour la plupart d'origine étrangère et cantonnés à des rôles d'arrière-plan, voire même pour certains, débutants (Jim Brown était footballeur, Trini López chanteur). Tous n'ont pas tirés profit d'être ainsi projetés dans la lumière, mais pour certains, le film a été un tremplin. C'est particulièrement vrai pour Charles BRONSON qui a enchaîné ensuite avec le rôle qui l'a immortalisé, celui d'Harmonica dans "Il etait une fois dans l'Ouest" (1968). Il est assez jouissif d'ailleurs dans le film de voir le major Reisman contraint de s'appuyer sur lui lors de leur opération d'infiltration du château nazi, le personnage de Charles BRONSON étant le seul à parler allemand (je soupçonne Quentin TARANTINO d'avoir repris cette idée comme d'autres dans "Inglourious Basterds") (2009). Autre exemple, John CASSAVETES dont la carrière d'acteur servait à financer ses projets de films indépendants, en l'occurence à cette époque "Faces" (1968). Enfin, on peut citer dans le rôle du pire de tous les salopards Telly SAVALAS qui n'était pas encore devenu l'inspecteur Kojak et dans celui de l'idiot du village, le canadien Donald SUTHERLAND qui allait voir ensuite sa carrière décoller dans les années 70.

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La Traversée

Publié le par Rosalie210

Florence Miailhe (2020)

La Traversée

Film d'animation aussi beau que prenant, "La Traversée" dépeint les pérégrinations de deux adolescents fuyant la guerre et les persécutions dans leur pays. Volontairement, celui-ci n'est pas identifiable, pas plus que le contexte historique afin de donner à l'histoire une résonance universelle. Mais la réalisatrice, Florence MIAILHE dont c'est le premier long-métrage y rend hommage à ses parents, obligés de fuir en zone libre pendant la seconde guerre mondiale et à ses arrières grands-parents ayant quitté l'Ukraine au début du siècle dernier pour fuir les pogroms. Elle effectue ainsi la jonction avec les migrations forcées d'aujourd'hui et ce avec brio - rien à voir par exemple avec le raté "Transit" (2018) de Christian PETZOLD. L'animation est évidemment un élément-clé dans la réussite de l'entreprise, donnant à l'histoire des allures de conte. On oublie trop souvent combien les contes initiatiques peuvent être cruels. Or les épreuves que traversent Kyona et son petit frère Adriel coïncident avec leur passage de l'enfance à l'adolescence et de l'adolescence à l'âge adulte, celui-ci étant accéléré par les événements. Très tôt séparés du reste de leur famille qui ne réapparaîtra pas, Kyona et Adriel s'engagent dans une périlleuse aventure peuplée d'obstacles qui révèlent leurs caractères et leur capacité de survie: la première par la rébellion et le dessin, le second par des capacités d'adaptation qui ne sont pas sans faire penser au "Zelig" (1983) de Woody ALLEN. Les personnages qu'ils rencontrent sont tous extrêmement intéressants. A l'exception de Jon, le trafiquant, tous sont à l'image du conseil donné par l'un d'entre eux à Kyona, celui d'apprendre à voir le monde en gris plutôt qu'en noir et blanc. Ce sont des tueurs, des exploiteurs, des combinards, des mouchards, des gens rudes vivant à la dure mais ces mêmes personnes peuvent aussi abriter, protéger, aider, aimer. Cette palette élargie se retrouve dans l'animation qui est superbe. La mère de Florence MIAILHE était peintre et la réalisatrice a mis au point une technique d'animation originale consistant à peindre sur une plaque de verre directement sous la caméra, prendre le cliché, effacer et recommencer, le mouvement se construisant ainsi au fil de l'eau, sans filet. Le style qui a été comparé à celui de Chagall oscille entre fauvisme et abstraction. Les couleurs flamboient d'autant plus qu'elles s'inscrivent dans un univers sombre et gris. Jamais le film ne cède au misérabilisme ou au pathos. L'image de la pie voleuse qui symbolise impertinence et liberté vient toujours à point nommé désamorcer les situations les plus tendues sans pour autant les édulcorer.

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La petite prairie aux bouleaux

Publié le par Rosalie210

Marceline Loridan-Ivens (2002)

La petite prairie aux bouleaux

"La petite prairie aux bouleaux" est la traduction française du mot allemand Birkenau lui-même dérivé du polonais Brzezinka. La petite ville polonaise qui se trouvait là a été rasée par les allemands en 1941 pour laisser la place à un camp de concentration situé à 3 km du premier camp construits par eux dès l'invasion de la Pologne, celui d'Auschwitz. A partir de 1942, c'est dans l'enceinte de ce camp que des fermes sont reconverties en chambres à gaz avant la construction de cinq grands crématoires "intégrés" qui à leur apogée durant l'été 1944 et l'extermination des juifs hongrois pouvaient tuer 12 mille personnes par jour. Néanmoins, les cadences et les quantités de tueries étaient telles qu'ils ne pouvaient plus les absorber et une partie des corps ont dû être brûlés en plein air. C'est de cet épisode que proviennent les quatre seules photos qui témoignent visuellement du génocide. C'est également lui qui est au coeur du premier film de Marceline LORIDAN-IVENS. Elle-même rescapée de Birkenau où elle fut internée pendant deux ans alors qu'elle avait une quinzaine d'années, elle travailla longtemps dans l'ombre de son compagnon, le documentariste Joris IVENS. Mais ce qu'elle documente dans "La petite prairie aux bouleaux", c'est l'impossibilité de combler le fossé entre histoire et mémoire, surtout lorsque celle-ci est de nature traumatique. Son double à l'écran, interprété par Anouk AIMEE revient à Paris où elle fut arrêtée une soixantaine d'années plus tôt pour une cérémonie de commémoration de la libération des camps d'extermination. Elle y retrouve d'anciennes camarades de déportation mais découvre que ses souvenirs ne coïncident pas avec les leurs. Troublée, elle décide de retourner sur les lieux de sa captivité et de tenter de retrouver les traces oubliées de ce passé. Sur son chemin, elle croise d'autres témoins. D'abord un juif polonais qui tente de faire revivre la mémoire du quartier juif de Cracovie, celui-ci ayant été englouti avec la Shoah avant que Steven SPIELBERG ne l'exhume en venant y tourner "La Liste de Schindler" (1993). Et un jeune photographe allemand, petit-fils de SS (August DIEHL) qui traque également l'invisible à l'aide notamment de relevés cartographiques. L'entreprise est d'autant plus forte que c'est la première fois qu'un film a reçu l'autorisation de tourner à l'intérieur du camp. Peu à peu, on découvre qu'Oskar et Myriam sont les deux facettes de la même pièce. Lui a hérité du fardeau de culpabilité de son grand-père puisque son père n'a pas pu le supporter et en est mort et elle éprouve la culpabilité du survivant, le voile d'oubli jeté sur les souvenirs les plus éprouvants où elle a dû servir les bourreaux dans leur entreprise d'extermination en creusant les fosses où ont été brûlés les corps près des crématoires. Ce témoignage brut, parfois maladroit aussi dérange, bouleverse, questionne et reste longtemps en mémoire.

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Partir, revenir

Publié le par Rosalie210

Claude Lelouch (1985)

Partir, revenir

"Une histoire romanesque pour piano, orchestre et caméra", tel se présente "Partir, revenir", le 27eme film de Claude LELOUCH qui entrecroise littérature, musique et cinéma. L'histoire du film qui traite de la persécution des juifs sous l'occupation en France, thème récurrent (et autobiographique) de la filmographie de Claude LELOUCH est traitée selon un double filtre: celui de la mémoire et celui de l'écrit. Le récit est en effet fondé sur les souvenirs de l'unique rescapée d'une famille juive déportée, Salomé Lerner (Monique LANGE, elle-même romancière) qui présente son livre dans l'émission Apostrophes en 1985 avec Bernard PIVOT et Bernard-Henri LEVY dans leurs propres rôles. Pour entrer dans sa tête et montrer ses mots en images, Claude LELOUCH utilise deux procédés. Tout d'abord le plan-séquence en caméra subjective où une voiture dévale à toute vitesse une route déserte sous la pluie avec des tournants brusques et des montées et descentes en montagnes russes. Une belle métaphore de la vie accidentée et tumultueuse de Salomé. Puis un concert d'Erik BERCHOT lui aussi dans son propre rôle interprétant un concerto de Rachmaninov dirigé par Michel LEGRAND (qui a ajouté un mouvement supplémentaire). Salomé Lerner assiste au concert et croit reconnaître en Erik BERCHOT la réincarnation de son frère disparu, Salomon (évidemment interprété par le même acteur) qui était lui aussi pianiste. L'éternel retour "lelouchien" est présent tout au long du film par des valses tourbillonnantes incarnant les jours heureux mais également les germes de l'horreur à venir (comme dans "Les Miserables" (1995) qui reprend aussi le thème de la traque des juifs et de la trahison de leurs protecteurs) mais également par une sorte de roue de la fortune qui tourne mal, à l'image du château de conte de fées dans lequel la famille Lerner s'est réfugié. Si le point de départ de la fuite de la famille Lerner a une motivation parfaitement mesquine (se débarrasser de voisins bruyants), ce sont ensuite les passions tristes qui vont enclencher l'engrenage fatal, lequel se retourne ensuite comme un boomerang sur celui ou celle qui l'a provoqué. L'ombre du film de Henri-Georges CLOUZOT, "Le Corbeau" (1943) plane alors que la fracture dans la vie de Salomé s'incarne dans la transformation impressionnante de celle qui l'interprète jeune, Evelyne BOUIX, revenue des enfers tel le fantôme d'Hamlet pour demander des comptes à son ancienne concierge et à ses anciens logeurs. L'occasion pour Annie GIRARDOT de briller encore dans un rôle intense sous les yeux de Francoise FABIAN et d'hommes quelque peu dépassés (Jean-Louis TRINTIGNANT et Michel PICCOLI) alors que Richard ANCONINA joue lui les funambules d'un casting étincelant.

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Une vie cachée (A Hidden Life)

Publié le par Rosalie210

Terrence Malick (2019)

Une vie cachée (A Hidden Life)

Alors que je n'ai pas toujours été convaincue par le positionnement surplombant et le ton grandiloquent des films de Terrence MALICK (je pense particulièrement à "Les Moissons du ciel" (1978) et à "The Tree of Life") (2010) ainsi que par ses choix d'acteurs (je ne suis pas du tout sensible à Richard GERE et à Brad PITT), "Une vie cachée" m'a bouleversée. C'est bien simple, avec ce film, Terrence MALICK atteint l'équilibre parfait entre le ciel et la terre. La signature si reconnaissable du réalisateur atteint des sommets avec une photographie époustouflante de beauté et un paysage édénique, celui du village de St Radegund situé près de Salzbourg dans les Alpes autrichiennes (et non loin de Linz, le lieu de naissance de Hitler). L'ode à la nature passe aussi par l'utilisation du grand-angle et les voix intérieures. Mais les questionnements existentiels s'y ancrent dans les faits historiques et dans les comportements humains, les plus nobles comme les plus vils. Ils s'incarnent au travers du "chemin de croix" emprunté par Franz et son épouse qui à rebours de leur communauté, refusent de signer le pacte avec le diable (c'est à dire de se soumettre à Hitler) et en payent le prix. Lui par fidélité à sa foi, elle par amour pour lui. J'ai pensé très fort à la phrase de Viktor Frankl (lui aussi autrichien) "Tout peut être enlevé à l’homme sauf une chose : la dernière des libertés humaines – le choix de son attitude face à un ensemble de circonstances – pour décider de son propre chemin." C'est en ce sens qu'il faut comprendre les propos de Franz lorsqu'il dit et répète qu'il est un homme libre, alors même que Terrence MALICK montre toutes les formes de pressions, d'humiliations et de violences qu'il subit, d'abord dans son village, puis en prison*. Ses interlocuteurs se heurtent tous à sa foi inébranlable qui lui interdit toute compromission avec "l'Antéchrist". Son parcours singulier, fruit d'un choix singulier fait par contraste tomber tous les faux-semblants, particulièrement ceux qui sont liés à la religion. En effet, Terrence MALICK montre d'un côté des autorités religieuses s'accommodant (à l'image de toutes les autres formes d'autorité) du totalitarisme et un troupeau prêt à suivre aveuglément n'importe quel berger, par conformisme, par endoctrinement (la patrie ayant remplacé Dieu) mais aussi par peur. Il montre également la haine des villageois envers le mouton noir, celui qui ne suit que sa conviction intime, haine qui touche particulièrement la femme de Franz après l'arrestation de son mari et s'étend jusqu'à leurs enfants, ostracisés par ceux des autres familles. De l'autre, il montre en quoi l'indépendance d'esprit et une vie intérieure riche élève celui qui les possède au dessus des bas instincts, rendant son esprit incorruptible. Voir les chefs nazis qui se croient tout-puissants et leurs complices représentant les institutions incapables de faire plier un simple petit fermier a quelque chose de profondément satisfaisant. J'ai pensé à Sophie Scholl qui manifestait la même résistance inébranlable.
Le coup de grâce est asséné à la fin du film par l'extraordinaire confrontation entre August DIEHL et Bruno GANZ qui a joué tour à tour l'ange et le diable (et a eu le temps de passer chez Terrence MALICK avant de trépasser) et par une allusion flagrante à l'un des plus célèbres films anti-nazis, "Le Testament du Docteur Mabuse" (1932) de Fritz LANG.

* Comme dans la novlangue de George Orwell, le sens du mot liberté s'est restreint dans le III° Reich à la simple liberté physique d'aller et de venir, occultant le sens figuré du mot.

Au vu du nombre de gens qu'elle a pu toucher, j'ajoute exceptionnellement la présentation du film que j'ai faite sur Facebook:

Je viens de voir un film magnifique sur Arte (disponible pendant encore 3 jours): "Une vie cachée" de Terrence Malick. A part "Le nouveau monde" et "La ligne rouge" (deux films qui ont en commun avec "Une vie cachée" d'être basé sur des faits historiques), je n'avais pas été jusqu'ici très sensible à son cinéma. Comme ses autres films, "Une vie cachée" est d'une très grande beauté esthétique et rempli de questions existentielles. Mais comme il s'ancre dans les faits historiques, il témoigne également de ce qu'il y a de plus noble mais aussi de plus vil en chaque homme. Témoigne est le mot qui convient puisque le film raconte l'histoire d'un martyr du christianisme sous le III° Reich. Pas exactement un objecteur de conscience car ce n'est pas le combat que Franz refuse, c'est de devoir faire allégeance à Hitler. Malick montre l'échec de toutes les tentatives pour faire plier Franz qui ne dévie pas d'un pouce de sa trajectoire, laquelle rappelle celle de Sophie Scholl. Il montre la vilénie humaine sous les traits des autorités toujours prêtes à courber l'échine (par calcul mais aussi par peur), mais aussi sous celle des meutes humaines, ces hommes et ces femmes qui tournent le dos à leur conscience individuelle pour se fondre dans la masse et hurler avec les loups. L'hommage à Fritz Lang est aussi transparent que le rideau de "Le Testament du docteur Mabuse" qui apparaît à la fin du film est opaque. Bref tout dans "Une vie cachée" m'a fait penser à une phrase que j'aime particulièrement, "Tout peut être enlevé à l’homme sauf une chose : la dernière des libertés humaines – le choix de son attitude face à un ensemble de circonstances – pour décider de son propre chemin." (Viktor Frankl)

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