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Articles avec #cinema du moyen-orient tag

Les Graines du figuier sauvage (The Seed of the Sacred Fig)

Publié le par Rosalie210

Mohammad Rasoulof (2024)

Les Graines du figuier sauvage (The Seed of the Sacred Fig)

Quand le mouvement "Femme, vie, liberté" vient percuter de plein fouet une famille iranienne aisée dont le patriarche sert un système que rejettent ses filles, cela donne "Les Graines du figuier sauvage". Un immense film, un uppercut qui ne relâche jamais la tension tout au long de ses près de 3h de projection. On peut se demander comment a fait Mohammad Rasoulof pour tourner un film d'une telle ampleur et d'une telle maîtrise dans les conditions que l'on sait. Un film haletant qui m'en a rappelé deux autres: "Mustang" et "Shining" dans lesquels des enfants doivent lutter pour leur survie face à un père potentiellement meurtrier. Comme eux, il s'agit d'un huis-clos familial qui commence normalement avant de basculer dans une dimension de thriller paranoïaque puis dans l'épouvante avec des scènes finales cauchemardesques de course-poursuite labyrinthique. Le film commence par la promotion de Iman comme enquêteur au tribunal de Téhéran qui dans un premier temps met des étoiles dans les yeux de son épouse, Najmeh, laquelle semble complètement endoctrinée par le régime et le patriarcat. Comme un symbole, lorsque les événements révolutionnaires éclatent, elle les regarde par le prisme déformant de la télévision plutôt que de sa fenêtre ou comme ses filles, sur les réseaux sociaux. Les filles justement sont le grand souci de Najmeh. Elle tente de contrôler leurs fréquentations, leurs paroles, leurs accoutrements de façon à ne pas nuire à son mari mais se retrouve vite prise de court par la violence qui se déchaîne dans la rue et frappe de plein fouet une amie de sa fille aînée qu'elle accepte d'accueillir brièvement et de soigner. A partir de ce moment, Najmeh est de plus en plus tiraillée entre son mari qu'elle supplie sans succès d'être plus présent pour leurs filles et celles-ci, de plus en plus révoltées en dépit de leur confinement à la maison. C'est alors que se produit le basculement du film: l'arme de service de Iman qu'il avait déposée dans un tiroir se volatilise. Le soupçon s'introduit aussitôt au coeur de la famille, le régime s'immisçant pour procéder à des interrogatoires glaçants sur les trois femmes. Mais la pression s'intensifie aussi dans l'autre camp lorsque les coordonnées et le visage d'Iman, auteur de nombreuses exécutions sont balancées sur les réseaux (dont le rôle fondamental dans la révolte est bien souligné à l'aide d'images d'archives). Celui-ci devient un homme traqué qui sous prétexte d'aller se cacher loin de Téhéran, devient le geôlier et bourreau de sa propre famille. Mais plus l'étau se resserre, plus la résilience des femmes éclate au grand jour. Des femmes qui ne veulent plus subir et se taire en dérobant les outils de la domination masculine pour mieux s'en libérer. Des femmes qui à l'image des actrices et de nombreuses iraniennes ont envoyé au passage leur voile brûler en enfer. Le changement de ton est palpable. Fini les compromis.

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Un Héros (Ghahreman)

Publié le par Rosalie210

Asghar Farhadi (2021)

Un Héros (Ghahreman)

xcellent film en forme de conte moral et à résonance universelle, bien que profondément ancré dans la société iranienne. Le scénario est une véritable mécanique d'horlogerie qui nous entraîne avec le "héros" du titre, Rahim dont les deux jours de permission ne vont pas être de tout repos. Les premières scènes du film nuancent d'emblée le personnage par rapport à la version manichéenne que vont en donner les médias (saint homme puis affabulateur). Celui-ci est en prison pour une dette vis à vis de son oncle. Lors d'une permission, il entre en possession d'un sac rempli de pièces d'or trouvé par sa petite amie. Il tente de négocier avec son oncle le retrait de sa plainte en échange de l'or et d'une promesse de remboursement échelonné du reste de sa dette une fois qu'il aura trouvé un travail. Mais celui-ci refuse car il ne lui fait plus confiance. C'est d'ailleurs réciproque et la défiance entre les deux hommes joue un rôle clé dans le film. D'autant que les proches de Rahim ne se précipitent pas pour se porter caution. Enfin, lorsqu'il tente de vendre les pièces, il découvre que leur cours a baissé. C'est seulement à ce moment-là que Rahim décide de poser une annonce pour rechercher le ou la propriétaire du sac en omettant les détails du cheminement par lequel il y est arrivé. Deuxième arrangement avec la vérité, bien spécifiquement iranien, il fait croire qu'il a trouvé lui-même le sac pour ne pas compromettre son amie avec laquelle il n'est pas encore marié. Enfin, lorsque la propriétaire se manifeste, il est retourné en prison et c'est sa soeur qui lui remet le bien, sans prendre de précautions ni faire de vérifications. Mais comme Rahim a mis le numéro de la prison dans l'annonce (lui-même n'ayant pas droit au téléphone portable) la machine s'emballe très vite et celui-ci est réduit à l'état de pion dans un engrenage qui le dépasse. Dans un premier temps, tout le monde a intérêt à le présenter comme un héros: les dirigeants de la prison qui ont médiatisé l'affaire afin de redorer leur image ternie par des affaires de suicide. Mais aussi l'organisation caritative qui espère augmenter son audience pour récolter davantage de fonds ou les autorités qui le présentent comme un modèle pour la société. Rahim qui espère regagner l'estime et la confiance de son entourage pense alors naïvement la partie gagnée. Mais évidemment cela ne dure pas et comme en occident le poison du soupçon et de la jalousie alimenté par le complotisme des réseaux sociaux va rapidement ruiner l'édifice. Tous les manquements de Rahim vont alors se retourner contre lui lorsque la promesse d'embauche se transforme en inquisition et l'amener à "péter les plombs" et à tout perdre. Au moins aura-t-il appris à protéger son fils de la convoitise voyeuriste des médias à défaut d'avoir pu restaurer son honneur.

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Tatami

Publié le par Rosalie210

Guy Nattiv, Zar Amir Ebrahimi (2024)

Tatami

"Tatami" qui a été présenté au festival de Venise dans une section parallèle est le reflet de la coopération inédite d'un cinéaste israélien, Guy NATTIV et de l'actrice franco-iranienne Zar AMIR EBRAHIMI, récompensée à Cannes pour "Les Nuits de Mashhad" (2021). C'est un huis-clos en noir et blanc très prenant, immersif, donnant l'impression de tournage en temps réel, moins pour ce qu'il se passe sur la scène que pour ce qui se déroule en coulisses. Pendant que l'arène sportive voit s'affronter en duel les meilleures judokas pour le titre de championne du monde, les autorités iraniennes poursuivent leurs manoeuvres géopolitiques jusque dans l'enceinte du Dojo afin d'empêcher leur judokate de rencontrer la championne israélienne. Pour cela, ils veulent l'obliger à déclarer forfait, usant de moyens de pression de plus en plus brutaux, sous les yeux de la wjf (world federation judo), longtemps passive. Le spectateur voit Leila (Arienne MANDI) se battre comme une lionne sur le tatami et en même temps contre le rouleau compresseur du régime. Sa coach (jouée par Zar AMIR EBRAHIMI elle-même), elle aussi soumise à une intense pression essaye de gagner du temps, louvoyant entre une certaine résistance passive et la tentation de la reddition au grand dam de Leila ce qui rajoute un élément de tension supplémentaire. 

L'histoire est fictive mais inspirée par des faits réels survenus aux mondiaux de Tokyo qui entrainèrent la suspension de la fédération iranienne des compétitions organisées par la wjf. Le sportif iranien concerné, Saeid Mollaei avait dû s'incliner en demi-finale et en petite finale sous les menaces du régime le visant lui et sa famille afin qu'il ne rencontre pas le champion israélien. La posture officielle de Téhéran consiste en effet à nier l'existence de cet Etat. Saeid Mollaei avait fini par fuir le pays.

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Le goût de la cerise (Ta'm-e gilās)

Publié le par Rosalie210

Abbas Kiarostami (1997)

Le goût de la cerise (Ta'm-e gilās)

La première fois que j'ai vu "Le goût de la cerise" de Abbas Kiarostami, palme d'or ex-aequo avec "L'Anguille" au festival de Cannes, j'ai eu l'impression de passer à côté. J'ai d'ailleurs oublié l'intrigue. Mais je me suis aperçue avec le recul du temps qu'un image revenait à ma mémoire à chaque visionnage d'un film aux caractéristiques similaires: celle du véhicule qui serpente dans un paysage de collines arides comme une métaphore du chemin qu'emprunte l'existence jusqu'au moment où elle s'arrête. Ce que j'avais en revanche oublié, c'est l'ambiguïté de la scène inaugurale où l'on voit un homme aborder des inconnus depuis sa voiture pour les convaincre de monter à bord. Puis, pour ceux qui acceptent, la proposition "d'un travail bien payé" dont il refuse de dévoiler la nature. C'est franchement trouble et je pense que c'est l'effet recherché. Car on ressent particulièrement bien le malaise du premier des trois passagers, le jeune soldat qui croit d'abord que l'homme va juste le déposer à sa caserne et se sent au fil des minutes pris au piège au fur et à mesure que le véhicule s'en éloigne et que l'homme dévoile ses intentions après un interrogatoire de plus en plus intrusif. Même si ce que souhaite M. Badii n'est pas ce à quoi l'on pense, il s'agit bien d'un tabou dans la théocratie iranienne, quoique la condamnation du suicide soit commune à la plupart des doctrines religieuses qui font l'apologie de la vie et de la soumission à Dieu. Par conséquent l'idée de demander de l'aide à un séminariste ne peut mener qu'à une impasse, les divergences de point de vue étant irréconciliables. Cependant l'atmosphère du film change avec le troisième passager qui travaille au Museum d'histoire naturelle. Déjà parce qu'il a accepté la proposition de M. Badii lorsqu'on le découvre à la suite d'une ellipse mais aussi parce qu'il lui demande de bien réfléchir avant et de mesurer tout ce qu'il va perdre. La quête change alors de direction. Il ne s'agit plus de trouver quelqu'un pour mourir mais d'accomplir ou pas le geste fatal. Et en parfaite symbiose avec l'ode à la vie prononcée par le vieil homme, le paysage traversé se fait verdoyant, coloré et de l'eau apparaît. Le fait également que les trois hommes pris par M. Badii soient étrangers (un kurde, un afghan, un turc) n'est certainement pas innocent. Son choix final n'est pas montré, le film laissant la fin ouverte en bifurquant au dernier moment dans une tout autre direction, celle de son tournage, filmé en vidéo comme un album de famille. Une ultime dérobade qui laisse le spectateur seul avec ses questionnements.

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Il était une fois..."La Loi de Téhéran"

Publié le par Rosalie210

Pierre-Olivier François (2023)

Il était une fois..."La Loi de Téhéran"

"La Loi de Téhéran", grosse claque cinématographique de 2021 méritait bien un making-of retraçant sa genèse. Et de fait, le documentaire de Pierre-Olivier FRANCOIS qui s'inscrit dans la collection "Un film et son époque" est particulièrement fouillé. Il faut dire que la conseillère artistique du film est Asal Bagheri, enseignante-chercheuse et spécialiste du cinéma iranien dont j'ai pu apprécier la qualité des interventions lors d'une conférence consacrée à la censure dans le cinéma iranien. Elle intervient à plusieurs reprises dans le documentaire, tout comme Saeed ROUSTAEE, Payman MAADI et d'autres membres de l'équipe du film. Le documentaire, qui rappelle l'importance du cinéma en Iran, y compris depuis la révolution islamique de 1979 souligne la singularité de "La Loi de Téhéran" au sein de la production cinématographique nationale. En effet, à l'inverse du film d'auteur intimiste d'un Abbas KIAROSTAMI ou Asghar FARHADI fait pour concourir à Cannes, "La Loi de Téhéran" s'apparente à un blockbuster et reprend nombre de codes du cinéma américain grand public. Il a d'ailleurs été adoubé par William FRIEDKIN comme une sorte de "French Connection" (1971) iranien. C'est sans doute l'une des clés de son succès international. Mais il fait également un triomphe en Iran, de par son traitement réaliste et humain du fléau de la drogue gangrenant la société des Mollahs. Le documentaire fait d'ailleurs le point sur l'importance du trafic et de la consommation dans le pays qui partage une frontière avec l'Afghanistan, principal producteur mondial d'opium et d'héroïne. Le film dans lequel ont tourné de véritables drogués fait la lumière sur un phénomène ne cessant de prendre de l'ampleur en dépit de la répression du régime qui condamne à mort trafiquants et consommateurs en possession de plus de 30 grammes de drogue. C'est pourquoi le flic intègre joué par Payman MAADI ne peut tirer aucune gloire de ses succès. Quant au trafiquant, joué par Navid MOHAMMADZADEH qui a connu avec ce film une notoriété internationale méritée, il accède à une profondeur qui en fait un authentique personnage tragique.

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Winter Sleep (Kis Uykusu)

Publié le par Rosalie210

Nuri Bilge Ceylan (2014)

Winter Sleep (Kis Uykusu)

"Winter Sleep" est le film de Nuri Bilge CEYLAN qui a obtenu la palme d'or à Cannes. Comme pour Hirokazu KORE-EDA, elle ne récompense pas seulement un film mais une oeuvre dense et d'une remarquable constance. Comme ses autres films, "Winter Sleep" est d'une grande beauté esthétique avec ses images de paysage anatolien recouvert de neige d'où émerge le véhicule orange du personnage principal, Aydin ainsi que le charismatique hôtel troglodyte dont il est le patron. D'ailleurs, de même que l'établissement domine le paysage, on comprend rapidement que Aydin est un notable qui tel un roi en son royaume possède de nombreuses propriétés dans le village. Cependant, il n'assume guère ce rôle qu'il préfère déléguer à son assistant, lui-même se définissant comme un ancien acteur à la retraite (son hôtel s'appelle "Othello") et un intellectuel travaillant pour un journal local. L'essentiel du film se déroule à huis-clos et consiste en de longs échanges entre ce dernier et les deux femmes qui vivent avec lui, sa soeur et son épouse, bien plus jeune que lui et avec laquelle il est en froid, c'est de saison. "Winter Sleep" est donc un film intimiste disséquant les dissensions familiales et conjugales. On pense tout de suite à Ingmar BERGMAN bien que Nuri Bilge CEYLAN se soit inspiré surtout de nouvelles de Tchékhov.

Néanmoins, je n'ai pas vraiment adhéré au dispositif mis en place par le cinéaste dans ce film, excessivement bavard et cérébral. En effet, on a du mal à voir où il veut en venir avec ses personnages dissertant sur l'attitude à adopter face au mal, notamment la thèse de la soeur qui pense que ne pas s'opposer à lui permet d'ouvrir les yeux du malfaiteur. Sauf que cette soeur n'est pas vraiment Jésus-Christ ("si on te frappe sur la joue droite, tend l'autre joue"), mais une insupportable harpie aigrie aux propos vipérins. Et la femme de Aydin, Nihal ne vaut guère mieux, se transformant en petite fille boudeuse et pleurnicheuse parce que son mari vient marcher sur ses plates-bandes, à savoir l'oeuvre de charité qu'elle cornaque pour tromper son ennui. Bref, deux bourgeoises antipathiques comblant le vide de leur vie en se cherchant des poux dans la tête: j'ai eu l'impression de voir par moments un film de Arnaud DESPLECHIN. Heureusement, Nihal finit par se prendre le réel dans la figure dans une scène de fin assez magistrale où le pauvre qu'elle veut aider la remet à sa place. Mais la lutte des classes n'est présente que par intermittences, l'aspect psychologique et philosophique dans un entre ("antre") soi bourgeois tournant à vide étant privilégié.

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Il était une fois en Anatolie (BIR ZAMANLAR ANADOLU'DA)

Publié le par Rosalie210

Nuri Bilge Ceylan (2011)

Il était une fois en Anatolie (BIR ZAMANLAR ANADOLU'DA)

"Il était une fois en Anatolie" porte un titre en forme de conte (revendiqué) et inscrit ses personnages dans les grands espaces désertiques ponctués de haltes, comme une version levantine du "Il etait une fois dans l'Ouest" (1968) de Sergio LEONE. Néanmoins la comparaison s'arrête là. Car non seulement le récit "classique", celui d'une enquête policière est particulièrement étiré mais il n'est au final que secondaire. Ce qui compte dans le film, c'est le cheminement intérieur des personnages, tous reliés par la même souffrance existentielle dont on découvre peu à peu les différentes variantes au fil du récit. Une bonne partie du film se déroule pendant la nuit dans la steppe anatolienne, à peine trouée par le convoi de trois véhicules qui transporte l'équipage composite de l'histoire: un commissaire, un procureur, un médecin, un criminel et son complice, des chauffeurs et quelques militaires. Ils sont à la recherche du cadavre de l'homme que Kemal est censé avoir tué mais les souvenirs de celui-ci se dérobent et le convoi semble tourner en rond*. Pour tuer ce temps interminable et comme suspendu au bord du vide, chacun va venir le remplir avec sa propre histoire. Le film est donc en réalité un puzzle qui se reconstitue peu à peu au fur et à mesure que le passé de chacun s'éclaircit et que la nuit dorée cède la place à un jour blafard. Car derrière la diversité des parcours de chacun existe une profonde communauté de destins marquée du sceau de la tragédie. S'il y a quelque chose qui ne peut que frapper le spectateur, c'est l'absence dans ce microcosme des femmes ou plutôt leur relégation hors-champ, dans les paroles et les pensées des hommes qui sont littéralement "hantés" par elles ou plus exactement par l'impossibilité d'être avec elles et par son corollaire, l'empêchement de la paternité. Le moment qui souligne le plus ce qui relie tous les personnages est la scène renversante de beauté dans laquelle la fille du maire vient servir le thé. Eclairée par une lampe dans la nuit noire comme dans la peinture en clair-obscur, elle semble auréolée de lumière comme une divinité descendue sur terre pour offrir à ces hommes plongés dans la nuit un bref instant de grâce, ceux-ci assis à terre étant obligés de lever les yeux l'un après l'autre pour la contempler, éblouis, émus voire bouleversés comme Kemal. Mais cet instant ne dure pas et chacun est ensuite renvoyé à son enfer personnel. Les dix dernières minutes du film qui superposent deux champs sonores opposés se prolongeant jusqu'à la fin du générique nous poursuivent bien au-delà. Splendeur esthétique et profondeur philosophique font de ce film une expérience cinématographique exigeante certes mais inoubliable.

* Ce dispositif m'a rappelé celui de "Le goût de la cerise" de Abbas Kiarostami, l'une des influences majeures du cinéaste turc.

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Kasaba

Publié le par Rosalie210

Nuri Bilge Ceylan (1997)

Kasaba

Bien que très court (1h20), "Kasaba" ("petit village"), le premier film de Nuri Bilge CEYLAN, inédit jusqu'en 2023 en France se décompose en deux mouvements bien distincts. Le premier, que j'ai trouvé magnifique épouse pour l'essentiel le point de vue de deux enfants, Asiye et Ali qui sont également frère et soeur. Leur expérience du monde, silencieuse, sensorielle et ancrée dans l'instant suspendu (voir le dernier plan qui s'arrête au moment où la main de Asiye touche l'eau) s'oppose en tous points au bourrage de crâne idéologique que le maître d'école fait lire aux élèves. La séquence de l'école qui annonce "Les Herbes seches" (2023) met en scène deux mondes. Celui du dedans et celui du dehors, sauf que le deuxième vient s'inviter dans le premier lorsqu'un enfant trempé et transi de froid vient s'installer près du poêle. La bande-son laisse se dérouler en arrière-plan le discours de propagande tout en dilatant la séquence pour faire entendre le bruit des gouttes d'eau des chaussettes de l'enfant qui tombent sur le poêle, tandis que l'image se focalise sur des détails (une plume qui vole, le rougeoiement des braises) qui font écho au son des flocons de neige qui s'écrasent sur les fenêtres, manifestant ainsi le désir des enfants d'être ailleurs. Un désir qui trouve son accomplissement au printemps dans la séquence forestière et dans celle de la fête foraine, filmée en contre-plongée de sorte que les gens qui sont dans les manèges semblent sur le point de s'envoler. Sauf qu'il s'agit d'une illusion comme le montre l'oncle des enfants, Saffet (Mehmet Emin TOPRAK) qui regarde en l'air, affalé au sol. Une attitude qui reflète son dilemme entre son attachement au village et son désir non satisfait de partir à l'étranger. Le deuxième mouvement montre Saffet et les enfants se retrouvant lors d'un repas et d'une veillée nocturne autour d'un feu de camp avec le reste de leur famille pour quarante minutes (sur une heure vingt) d'échanges tendus -mais trop longs et répétitifs- entre le patriarche et sa progéniture autour des choix et désirs de départ. Une analogie avec le théâtre de Tchékhov a souvent été faite pour expliquer ce mouvement qui est en quelque sorte le reflet inversé de l'autre puisque les enfants silencieux sont renvoyés à l'arrière-plan. Film a forte teneur autobiographique et familiale (ce sont ses proches qui jouent la plupart des rôles, sa soeur a écrit le scénario etc.), la photographie y est sublime et parcourue d'instants de grâce sans pour autant occulter la cruauté de ce monde, symbolisé par l'humiliation que le maître fait subir à son élève et par ricochet, celle que les enfants font subir à plus faible qu'eux (handicapés et animaux).

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Inchallah un fils (Inshallah Walad)

Publié le par Rosalie210

Amjad Al Rasheed (2024)

Inchallah un fils (Inshallah Walad)

J'ai beaucoup aimé "Inchallah un fils", film venu de Jordanie, un pays ayant souvent servi de décor pour des superproductions hollywoodiennes mais dont la production cinématographique est rare et composée pour l'essentiel de jeunes pousses. Ainsi "Inchallah un fils" est un premier film et le premier film jordanien présenté au festival de Cannes. Et son sujet ne se réduit pas à ce qu'on lit partout à savoir le combat d'une veuve pour conserver ses biens, son indépendance et la garde de sa fille après la mort subite de son mari alors que les lois de son pays peuvent l'en priver au profit des hommes de sa famille parce qu'elle n'a pas de fils*. L'ambition du film est plus large et raconte la prise de conscience par Nawal de l'oppression patriarcale qu'elle subit au quotidien dans tous les aspects de sa vie y compris rétrospectivement dans son mariage. Ce dernier aspect se précise par petites touches: le pick-up laissé par le défunt que Nawal ne sait pas conduire, les papiers prouvant les apports financiers de Nawal dans l'achat du logement que son mari n'a pas signé et enfin son portable qu'elle ne peut pas débloquer alors qu'il continue de sonner, signe que celui-ci lui cachait sans doute une ou plusieurs liaisons sans parler du fait qu'elle n'était pas au courant qu'il avait quitté son travail. Ces détails dressent en creux un portrait peu flatteur dudit mari même s'il est surpassé par son frère qui tel un vautour saute sur la veuve pour lui réclamer l'argent dû par son mari et des droits sur sa succession, n'hésitant pas à user de tous les moyens, légaux et illégaux pour parvenir à ses fins. Mais en dépit de ce harcèlement qui ne s'arrête pas au beau-frère mais se manifeste également au travers d'un collègue de travail insistant et dans la rue sans parler d'une métaphorique souris qui s'empare de l'espace de la cuisine, Nawal oppose une résistance acharnée, décidant de défendre pied à pied cette liberté qu'elle découvre avec la mort de son mari, quitte à bluffer et à esquiver voire à soutenir des pratiques clandestines en s'affranchissant des normes religieuses. Même si le film semble montrer une descente aux enfers, il est plus subtil que ça et décrit en même temps une femme qui se cherche, expérimente, décide, bref, prend enfin sa vie en mains.

* Une discrimination de genre quant au patrimoine (le terme lui-même est genré) qui a également longtemps été légale dans de nombreux pays occidentaux (en France il n'est égalitaire que depuis 1985!) et qui perdure dans les stratégies de nombreuses familles.

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Le Diable n'existe pas (Sheytan vojud nadarad)

Publié le par Rosalie210

Mohammad Rasoulof (2020)

Le Diable n'existe pas (Sheytan vojud nadarad)

Avant son arrestation, je ne savais pas qui était Mohammad RASOULOF. Grâce à Arte, on peut voir "Le Diable n'existe pas" qui lui a valu de remporter l'Ours d'or à Berlin en 2020. Le film a été tourné clandestinement, le cinéaste ayant dû ruser avec la censure. C'est en partie ce qui explique la forme segmentée du film, le réalisateur ayant dû faire croire aux autorités qu'il s'agissait de quatre films réalisés par des assistants différents, lui-même devant se cacher pour ne pas être reconnu sur le plateau. La forme divisée en chapitres ne résulte donc pas d'un choix mais d'une nécessité et les quatre histoires ont beaucoup en commun. Il s'agit de quatre hommes, deux jeunes effectuant le service militaire et deux ayant l'âge d'être père de famille. Chacun d'eux se retrouve ou s'est retrouvé confronté à l'exécution capitale, celle-ci découvre-t-on pouvant être effectuée par de jeunes conscrits dans des conditions artisanales qui les mettent face à leur acte ou par un bourreau professionnel qui n'a qu'à appuyer sur un simple tableau de bord. Ainsi pour ce dernier, tout est simple et sa vie ordinaire illustre le concept de "banalité du mal" de Hannah Arendt que l'on attribue d'ordinaire au nazisme. Mais afin justement que le spectateur ne puisse pas banaliser l'acte, Rasoulof filme la séquence-choc de l'agonie des condamnés, ne nous épargnant aucun détail même si l'on ne voit que leurs pieds. Les trois autres hommes qui ne sont pas des professionnels de la mort sont confrontés à un choix. Car -et en cela le film lui-même en témoigne- même au sein d'un système totalitaire, les hommes ont le choix. Celui d'accepter d'être un rouage du système et de vivre dans la culpabilité le restant de ses jours ou celui de désobéir et d'être en paix avec soi-même, mais en étant exclu de la société, l'Etat faisant payer très cher ceux qui lui résistent. Par ailleurs, plus le film avance, plus la mise en scène, confinée dans les deux premiers volets (parking, voiture, dortoir, couloirs) devient ample avec les deux derniers volets tournés dans des paysages magnifiques (une forêt puis un paysage de montagne aride). Et si donner la mort incombe aux hommes, les femmes ont également un rôle à jouer quand elles sont conscientes des enjeux, soutenant sans réserve ceux qui choisissent de désobéir ou condamnant ceux qui acceptent les compromissions.

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