Deux ans après le magnifique "Printemps tardif" (1949) Yasujiro OZU tourne "Ete precoce" (1951) qui en offre une variation avec la même actrice, Setsuko HARA dont le personnage porte le même prénom que dans "Printemps tardif" tout en articulant sa chronique familiale intimiste aux changements sociétaux du Japon d'après-guerre dont il se fera l'inlassable l'observateur. C'est pourquoi "Eté précoce" bien que traversé par l'ombre de la guerre qui a emporté le fils aîné, la mélancolie du temps qui passe et la douleur de la séparation entre membres d'une même famille comporte déjà des aspects résolument modernes (dont quelques phrases en anglais, traces de l'occupation américaine). Noriko est comme dans "Printemps tardif" une jeune femme célibataire qui subit des pressions familiales pour accepter un "beau mariage" (arrangé) mais ose maintenant endosser le rôle de celle qui interprétait son amie émancipée dans le film de 1949. La Noriko version 1951 a donc abandonné le kimono pour l'habit occidental et travaille comme secrétaire à Tokyo au lieu de tenir le rôle de mère de substitution au foyer. Ce n'est pas seulement l'indépendance économique que lui offre ce travail mais la possibilité de choisir elle-même son avenir. Alors certes, le choix est restreint (rester chez ses parents ou se marier) mais au moins, peut-elle se décider à l'intérieur de ce périmètre en dehors de toute considération d'argent et même de convenances sociales. C'est pourquoi elle décide, en apparence sur un coup de tête mais en réalité selon son coeur de choisir un mari qui ne correspond pas aux attentes de sa famille (pauvre, veuf et déjà père d'une petite fille). D'ailleurs, le plus fâché de tous est son frère médecin qui tient le rôle d'entremetteur et de pater familias (et joué par un autre acteur fétiche de Yasujiro OZU, Chishu RYU). Débordé par sa petite soeur rebelle, il l'est également par ses deux enfants qui préfigurent les chenapans de "Bonjour" (1959) à ceci près qu'au lieu de faire du chantage pour obtenir une télévision, ils se révoltent pour des rails de train électrique!
Rareté récemment restaurée, "Same players shoots again" deuxième court-métrage de Wim WENDERS alors étudiant à l’Hochschule für Fernsehen und Film München (la Haute école de télévision et cinéma de Munich). Quelques images en noir et blanc de "Schauplätze" son premier film réalisé la même année mais perdu se retrouvent au début et à la fin de "Same players shoots again" sans qu'il n'y ait de solution de continuité avec le reste sinon ce que l'imagination du spectateur peut en faire. Ces quelques images sont suffisamment énigmatiques pour que l'on puisse créer un nouveau scénario avec. Celles du début montrent une pièce avec une télévision allumée et des bouteilles d'alcool vides traînant sur la table puis la silhouette d'un homme sortant d'une cabine téléphonique. Celles de fin montre un homme rouler en voiture à travers la campagne avec à l'arrière un passager mourant. Entre les deux, cinq fois le même plan, un travelling latéral suivant un homme armé d'une mitraillette coupé au niveau des épaules. Celui-ci se déplace en titubant, d'abord lentement, puis de plus en plus vite. A chaque fois que le plan se répète, la couleur de l'image change: noir et blanche puis verte, puis jaune, puis rouge et enfin bleue. Wim WENDERS expérimente l'outil cinématographique en revenant aux sources du septième art. L'animation de corps en mouvement se répétant à l'infini fait partie du cinéma primitif et par ailleurs le film de Wim WENDERS est totalement muet. S'y ajoute le traitement de la couleur et une thématique, celle de la violence. Même si celle-ci reste hors-champ, tout l'indique: le titre, les bouteilles d'alcool vides, la mitraillette, la démarche hagarde de l'homme comme s'il était blessé et enfin le mourant à l'arrière de la voiture. Même avec un matériau aussi primitif, on baigne déjà dans une ambiance de thriller même si on est évidemment très loin de "L'Ami americain" (1977). A moins qu'à l'égal de "The Big Shave" (1967) réalisé la même année par Martin SCORSESE il ne s'agisse de dénoncer symboliquement la guerre.
Dans le monde tel qu'il nous a été transmis par la culture populaire, "c'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme" pendant que sa femme l'attend patiemment et passivement à terre, tenaillée par l'angoisse qu'il ne revienne jamais. Et l'air est un équivalent de la mer lors des premières décennies de l'aviation où les disparus en vol côtoient les disparus en mer à l'image de Antoine de Saint-Exupéry. Pourtant, la conquête de l'air se conjugue également au féminin et des noms d'aviatrices (tous cités dans "Le ciel est à vous") commencent à devenir célèbres aux côtés de ceux de Lindbergh ou Mermoz comme Adrienne Bolland, Hélène Boucher ou Maryse Bastié. Mais c'est une femme "ordinaire" que dépeint "Le ciel est à vous", l'épouse d'un garagiste tout ce qu'il y a de plus traditionnelle voire obtuse comme le montre son obstination à brimer le talent artistique de sa fille ou à chercher querelle à son mari, ex-mécanicien de Georges Guynemer durant la grande guerre lorsqu'il reprend goût aux baptêmes de l'air. Du moins jusqu'à ce qu'elle découvre qu'elle partage la passion de son mari. Et ce dernier s'efface pour lui laisser le champ libre car c'est elle qui a le plus de potentiel. Tous deux se heurtent alors aux préjugés de la société: les subsides leur sont coupés lorsque le fondateur de l'aéroclub décède sous prétexte que la place des femmes est au foyer. Mais le moment le plus puissant du film a lieu lorsque l'on croit Thérèse disparue en vol et que Pierre Gauthier se retrouve dans la peau de la femme du marin. Il ne peut même pas vivre son chagrin parce qu'il se retrouve brutalement poussé devant le tribunal de la petite société de province où il vit et qui le juge défaillant dans son rôle social. A l'image de Spencer TRACY dans "Furie" (1936) à qui Charles VANEL fait penser, on craint alors un lynchage imminent. C'est dans ces rares et trop précieux moments que l'on comprend le poids de l'aliénation patriarcale non seulement pour les femmes mais aussi pour les hommes. "Le ciel est à vous" réalisé pendant l'occupation par Jean GREMILLON est un vibrant plaidoyer pour la liberté d'être soi-même en échappant aux rôles genrés particulièrement défendus par le régime de Vichy. C'est aussi une bouffée d'air dans un cinéma français verrouillé par les représentations stéréotypées et irréelles du masculin et du féminin. Charles VANEL et Madeleine RENAUD qui n'avaient pas le profil de ces rôles fantasmatiques pétris de misogynie dans lesquels on enfermait les hommes et les femmes et peuvent y exprimer leur singularité. Leurs personnages -un couple qui s'aime et dans lequel chacun est le partenaire de l'autre - sont tout autant atypiques. Si le film préserve les apparences familiales et provinciales au point que Vichy y vit une célébration de ses valeurs, il s'avère en réalité avant-gardiste: les aviatrices de l'entre deux guerres militaient pour obtenir le droit de vote et c'est en 1944, l'année de la sortie du film que Charles de Gaulle le leur octroya pour les récompenser de leur engagement au sein de la Résistance dont elles formaient jusqu'à un tiers des effectifs.
"Mean Streets", le troisième film de Martin SCORSESE est une plongée dans les bas-fonds de Little Italy qui a des airs de "Les Quatre cents coups" (1959) d'autant plus qu'on y rencontre pour la première fois celui qui deviendra l'alter ego du cinéaste, Robert De NIRO. Mais en beaucoup plus trash et torturé. Le film déconcerte de par son hétérogénéité voire ses nombreuses contradictions. D'un côté, un aspect néoréaliste voire documentaire, pris sur le vif, nerveux, souvent caméra à l'épaule. De l'autre, des effets maniéristes qui deviendront la signature du réalisateur tels que le rouge écarlate, les ralentis, les explosions de violence, l'utilisation flamboyante de la musique. Les contradictions sont également au coeur du personnage de Charlie, joué par le premier acteur important du cinéma de Scorsese, Harvey KEITEL. En quête de respectabilité et de réussite dans la mafia de son quartier dont l'un des bonnets est son propre oncle, le jeune homme ne peut pas s'empêcher de risquer de tout perdre en protégeant envers et contre tout Johnny Boy (Robert De NIRO), un jeune chien fou inconscient et incontrôlable. Le catholicisme est aussi important que la pègre chez Scorsese et Charlie ne cesse d'osciller entre l'Eglise et le bar comme si Johnny boy était sa croix et son rachat. Même contradictions vis à vis de la gent féminine car le quartier est un théâtre où il ne faut pas montrer qu'on en pince pour une afro-américaine ou pour une épileptique. Le machisme, le racisme et la morale chrétienne font écran aux désirs et aux sentiments. "Mean Streets" avec son apparence de patchwork désordonné, son absence de véritable scénario, ses personnages de petites frappes immatures n'est franchement pas un film aimable ni confortable. Mais il vaut la peine d'être vu non seulement parce qu'il annonce la filmographie d'un grand cinéaste mais parce qu'une direction finit par émerger de tout ce chaos. Comme dans "Les Vitelloni" (1953) qui décrivait également le marigot dans lequel vivotait une bande de jeunes paumés soudés comme des frères, le salut est à chercher seul et dans l'exil lors d'une fin autrement plus violente que dans le film de Federico FELLINI (également largement autobiographique). Une fin dans laquelle Martin Scorsese apparaît d'ailleurs en personne dans un rôle des plus symboliques.
Vu il y a des lustres, "Comment épouser un millionnaire" est typiquement un film de studio calibré pour le succès et qui n'arrive pas à la cheville de son modèle "Les Hommes préfèrent les blondes" (1953) de Howard HAWKS. Le prologue ennuyeux à mourir qui montre durant cinq bonnes minutes un orchestre jouer le thème principal du film sert à en mettre plein la vue avec le Cinémascope qui en était à ses débuts. A l'époque, ça devait faire son petit effet. Aujourd'hui, c'est kitsch à mort, à l'image du film lui-même qui en remet plusieurs couches en filmant New-York comme un dépliant touristique ou en faisant advenir une séquence de défilé de mode qui ralentit encore plus un rythme déjà poussif. Quant au scénario, il est anémique: trois mannequins fauchées s'installent grâce à une combine dans un luxueux appartement qui doit servir d'attrape-millionnaire. Mais aucune ne va finir avec le richard convoité. Aucun des neuf personnages (les trois filles, les trois millionnaires et les trois fiancés "fauchés") n'est véritablement développé et l'intrigue comme la mise en scène est répétitive et sans relief. Ne parlons même pas de la vision vénale des femmes que l'histoire véhicule. Le seul intérêt du film réside dans la présence de Lauren BACALL et de Marilyn MONROE (la troisième, l'ex pin-up Betty GRABLE est parfaitement oubliable). La première est classieuse, la deuxième, craquante et on sourit une ou deux fois lorsque les dialogues font allusion à Humphrey BOGART ou à "Diamonds are a girl's best friend" mais c'est à peu près tout.
Je m'étais déjà aperçue avec son précédent film, "Pupille" (2018), qu'il y avait beaucoup d'humanité et d'empathie dans le cinéma de Jeanne HERRY. Une approche documentaire sans pour autant renoncer à la fiction. Une envie de soigner les maux de la société qui dans "Je verrai toujours vos visages" s'applique à faire connaître et reconnaître le travail de la justice restaurative ou réparatrice. Une justice à hauteur d'individus dont l'application en France est relativement récente (moins de dix ans) mais dont l'existence remonte aux origines de l'humanité et qui s'est maintenue de façon informelle en dépit de sa prise en charge (ou de sa confiscation) par les Etats. Les principes en sont très simples: réintroduire de la parole en lieu et place de la violence à l'aide de un ou plusieurs médiateurs afin d'aider ceux qui sont pris dedans à sortir du statut de bourreau ou de victime qui les aliène. Deux déclinaisons de cette pratique sont montrées alternativement: un cercle de parole composé de trois victimes de vols avec violences (joués par MIOU-MIOU, Leila BEKHTI et Gilles LELLOUCHE), trois auteurs de délits du même ordre et autant d'accompagnants, tous volontaires. Et un processus plus intimiste, plus âpre et plus délicat concernant une rencontre entre une jeune femme ayant été victime d'inceste (jouée par Adele EXARCHOPOULOS) et son frère qui en a été l'auteur (joué par Raphael QUENARD), un dossier pris en charge par une seule personne (jouée par Elodie BOUCHEZ). Dans ce dernier cas, il ne s'agit aucunement de restaurer une relation de toute manière détruite mais de permettre à Chloé, l'ancienne victime de reprendre son destin en main et de parvenir enfin à se protéger de son agresseur, lequel s'effondre durant la confrontation après des années de déni. L'autre dispositif au contraire créé des liens entre d'un côté des victimes qui racontent leur calvaire et le traumatisme qui s'en est suivi et des délinquants assez peu conscients de la gravité de leurs actes. Cette partie bien que très bien interprétée est un peu plus survolée et convenue, sans doute en raison du trop grand nombre de personnages. Il est également important de se détacher du caractère immersif du film pour en mesurer la principale limite: seuls ceux qui le veulent vraiment peuvent parvenir à tirer quelque chose de bon de ce dispositif. Autrement dit il y a aussi bien du côté des victimes que de celui des auteurs des gens qui ne pourront jamais se parler. Peut-être que cela aurait été bien aussi de montrer cette réalité là.
"Les mauvais garçons", César du meilleur court-métrage en 2022 sort du lot pour au moins trois raisons qui font que l'on a envie de voir son réalisateur, Elie GIRARD passer au format long (ce qui est en cours de concrétisation):
- La beauté de la photographie, métier initial de Elie GIRARD. On est dans un quasi huis-clos, l'intérieur d'un kebab, les "1001 nuits", filmé en plan fixe et de nuit ce qui joue beaucoup dans l'atmosphère introspective et mélancolique du film.
- La présence de Raphael QUENARD dans l'un des rôles principaux (son partenaire, Aurelien GABRIELLI est excellent lui aussi).
- Une thématique universelle traitée certes du point de vue masculin mais qui peut tout autant concerner les "Bande de filles" (2014): le temps qui passe et défait les amitiés les plus fusionnelles à la façon du clip de Jean-Jacques Goldman, "Pas toi". Lorsque Victor, le pote de lycée de Cyprien et Guillaume leur annonce qu'il va être père et disparaît de leur vie, ces deux derniers se retrouvent plongés dans une crise existentielle. 40 minutes à réfléchir à ce qui a bien pu dysfonctionner pour qu'à trente ans passés ils se retrouvent aussi seuls. Le choc de voir leur ami construire sa famille les oblige à regarder en face le désastre de leur propre vie sentimentale. Non sans humour certes car leurs déboires ont quelque chose de comique et de pathétique à la fois. Elie GIRARD ne cherche pas à enjoliver et montre la déprime et l'angoisse qui résultent d'une telle situation. Mais aussi le réconfort d'avoir quelqu'un avec qui partager son intimité.
En regardant la mini-série "Polar Park", j'avais en tête la phrase de Wim WENDERS "C'est quelqu'un qui est né dans un paysage trop petit pour lui". Comment filmer de grands espaces aux accents très américains au sein d'un petit village français? En créant grâce à la magie du cinéma un lieu ni d'ici, ni d'ailleurs. Alors certes, Mouthe, estampillé "village le plus froid de France" a vraiment l'hiver des airs de Canada, d'Alaska ou de Middle West sous blizzard. Mais il est également évident que les équipements vastes et dernier cri montrés dans la série (piscine, médiathèque) ne sont pas ceux d'une commune de 900 habitants. Peu importe car ce décalage fait une partie du charme de la série. A l'image d'un film sorti récemment "L'Autre Laurens" (2023) dans lequel joue également Olivier RABOURDIN. L'autre aspect qui rend cette série très contemporaine, c'est son message sous-jacent que l'on peut résumer avec une autre phrase, de mon cru cette fois "chercher l'indien qui est en soi". C'est exactement la piste que suit le romancier de polars David Rousseau (Jean-Paul ROUVE) dont la double quête (connaître ses véritables origines, retrouver l'inspiration) s'effectue sous le signe du retour à la nature. Non sans difficultés, il parvient à convertir à sa "pensée magique" sensible aux rêves, aux esprits, aux signes, à l'art, aux coïncidences, aux associations d'idées bref à tout ce qui échappe à la raison le gendarme Louvetot (Guillaume GOUIX) qui vit dans le refoulement de sa véritable nature justement et que Rousseau surnomme dans ses écrits "Le Loup" (comme dans "Le Regne animal") (2023)). Alors bien sûr que l'on pense à "Fargo" (1995) parce que enquête policière, parce que neige, parce que casquettes à oreillettes, parce que trio de tueurs improbable et loufoque. On pense aussi à David LYNCH parce que oreille coupée, parce que cheminement tortueux dans l'inconscient. Mais le film auquel la série m'a fait le plus penser est "Dead Man" (1995) parce que neige tirant la photo vers le noir et blanc parce que forêt, parce que tipi, parce que sacré, parce que poésie parce que sagesse chamanique. Rien que les titres des romans de Rousseau sont un régal pastichant les titres de films et de chansons célèbres: "Apocalypse plus tard", "Orange balsamique", "Drôle de brame" ou "La groupie du botaniste" alors que les crimes reconstituent de célèbres tableaux et sculptures et que les enquêtes s'orientent vers des jeux de lettres au scrabble et des films à plusieurs dimensions ("Shining" (1980), "Orphee" (1949) etc.)
Très beau film comme je les aime, tout en (apparente) simplicité, délicatesse, subtilité et pudeur. Il commence par nous plonger dans le quotidien d'une frêle fillette irlandaise négligée dans sa famille de fermiers nombreuse et pauvre au début des années 80. Manifestement elle se sent de trop au point de s'effacer, n'ouvrant pas la bouche et se cachant le plus possible. Cependant cela ne suffit pas aux yeux de ses parents qui l'envoient passer l'été chez un couple de cousins éloignés. Des agriculteurs plus aisés et apparemment sans enfants avec lesquels la petite fille va peu à peu nouer le lien affectif qu'elle n'a jamais connu avec ses parents. C'est la naissance de ce lien que dépeint le film à l'aide de minuscules détails qui font toute la différence ainsi qu'un cadre et une photographie somptueuse qui contraste avec l'aspect terne de son milieu d'origine. Des gestes, des attitudes, des marques d'attention tout en retenue qui se déposent les uns après les autres dans le subconscient de la petite fille jusqu'à ressurgir dans un final bouleversant où le flot émotionnel jaillit enfin. La complémentarité des deux membres du couple est remarquablement dépeinte. L'épouse chaleureuse et aimante qui accueille Cáit à bras ouverts. L'époux taiseux et distant qui finit par trouver un chemin pour entrer en communication avec l'enfant dont il apprécie l'économie de paroles et les changements très tangibles que cela entraîne dans leur relation quotidienne. L'amour circule dans la maison au sein du couple et entre le couple et l'enfant en dépit d'un voile de tristesse dont la nature nous est dévoilée par un voisinage indélicat. De quoi méditer sur les injustices du hasard (ou du destin) qui fait tomber certains enfants dans des familles sans amour qui ne leur permettront pas de s'épanouir alors que d'autres ayant les capacités d'aimer n'auront pas de descendance.
Stanley KRAMER a réalisé "La Chaîne" dix ans avant le célèbre "Devine qui vient diner ?" (1967). Chacun de ces films a joué un rôle pionnier dans la représentation des noirs au sein du cinéma hollywoodien, à l'image de sa première star, Sidney POITIER. Si "Devine qui vient dîner?" montrait le premier baiser interracial, "La Chaîne" a été le premier film où Sidney POITIER a décroché le rôle principal, son nom étant affiché sur un pied d'égalité avec son partenaire, Tony CURTIS. Quant au fait qu'un blanc soit enchaîné à un noir dans le sud rural ségrégationniste comme ce n'était guère réaliste, le scénario le justifie par "le sens de l'humour très particulier" du directeur de la prison. Un moyen de désamorcer l'aspect subversif de la situation lorsque les deux détenus s'évadent.
"La Chaîne" est autant un film de cavale qu'un récit de survie, une odyssée initiatique et un buddy movie. Tony CURTIS n'était peut-être pas l'acteur le plus crédible dans le rôle d'un ancien bagnard mais il était en revanche doué pour traverser les barrières en duo (de race ou de genre dans "Certains l'aiment chaud") (1959) Quant à Sidney POITIER il s'avère impérial comme d'habitude. Leur fuite est prenante grâce à une mise en scène dépouillée mettant l'accent sur l'instinct de survie, un montage dynamique, l'absence d'effets superflus. Les deux fuyards vont d'épreuve en épreuve tout en étant traqués par les forces de l'ordre et en devant apprendre à se supporter puis à se connaître, leur enchaînement réciproque devenant au fur et à mesure que le film avance de plus en plus symbolique. L'humanité qui finit par circuler entre les deux hommes contraste violemment avec les bas instincts de leurs poursuivants que le shérif a bien du mal à contenir ou encore des lyncheurs du village, symptôme de la bestialité de l'Amérique profonde. Mais le personnage le plus étonnant est celui de la fermière qui les héberge, trop accueillante pour être honnête.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.