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Pédale douce

Publié le par Rosalie210

Gabriel Aghion (1995)

Pédale douce

"Pédale douce" est une comédie inégale mais beaucoup plus habile que ne le laissent penser ses oripeaux criards des années 90 (tubes à foison, vision tape à l'œil des homosexuels comme s'il s'agissait d'une faune à part, ressorts comiques boulevardiers etc.) Les bonnes comédies disent toujours quelque chose de leur époque. Le choc culturel frontal entre le monde bourgeois pétri de valeurs conservatrices d'Alexandre Agut (Richard BERRY) et celui du monde de la nuit débridé représenté par le restau-club d'Eva (Fanny ARDANT) ne sont que les deux faces d'une même pièce schizophrénique. Eva vient du même milieu mais donne l'impression d'avoir mis les doigts dans la prise. Ce qui est presque le cas: Alexandre lui offre un bouquet d'ampoules électriques après l'avoir vu en voler une chez lui. Mais par-delà sa crinière ébouriffée, c'est surtout par elle que le scandale arrive puisqu'avec son look de tigresse et son franc-parler, elle révèle les faux-semblants du couple Agut, et plus largement, les turpitudes qui se cachent derrière les convenances bourgeoises. Tous les personnages qui gravitent autour d'elle ont un double fond, à l'image du salon privé de son restaurant qui représente "la face cachée de la lune". Ainsi, lorsque Alexandre décrit l'image qu'il avait de son employé André Lemoine (Jacques GAMBLIN) avant qu'il ne le découvre en plein strip-tease libérateur dans le salon privé d'Eva (un fameux plan-séquence sur le tube de Dalida "Salma ya Salama"), on a l'impression qu'il se décrit lui-même: trop sérieux, voire ennuyeux. Adrien, le collègue d'André Lemoine et ami fusionnel d'Eva (Patrick TIMSIT) est le plus clivé de tous. Obsédé par les apparences, c'est lui qui a l'idée de présenter Eva comme sa femme chez les Agut, introduisant sans le savoir le loup dans la bergerie. On rit beaucoup de ses efforts pour ne pas vieillir et ne pas paraître gay mais dans le fond, c'est un personnage qui illustre assez bien les difficultés de nombre d'homosexuels de l'époque qui pour faire carrière devaient cacher leur homosexualité et ne pouvaient pas se mettre en couple ou fonder une famille (ou alors comme dans le film, d'une manière bancale et en faisant souffrir tout le monde). Sans parler de l'ombre du sida qui s'invite au beau milieu de la fête dans l'appartement des Agut transformé en boîte de nuit sous l'impulsion de Marie (Michèle LAROQUE) qui ne sait plus quoi inventer pour que son mari la regarde à nouveau. Tout le film repose ainsi sur des quiproquos et des malentendus entre des personnages déboussolés qui cachent leur mal-être sous l'extravagance ou sous les convenances. La pirouette finale qui fait penser à "Les Valseuses" (1974) est plutôt bien trouvée dans le sens où le film de Bertrand BLIER s'attaquait lui aussi aux conservatismes sociétaux même s'il s'atteint pas le même degré de méchanceté subversive. Le film de Gabriel AGHION en dépit de ses répliques acides signées Pierre PALMADE est plus bon enfant que véritablement dérangeant.

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Serpico

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1973)

Serpico

Bien que "Serpico" soit un cran en dessous du chef-d'oeuvre qu'est "Un après-midi de chien" (1975) en ce qui concerne la tension dramatique il a en commun avec lui une histoire tirée de faits réels, un regard critique sur la société américaine, un style documentaire percutant et une figure centrale d'inadapté social porté par un Al PACINO intense. Dire que Serpico est un flic intègre qui part en croisade, tel un Don Quichotte des temps modernes contre la corruption qui gangrène à tous les étages l'institution pour laquelle il travaille est un résumé superficiel du film. Le réduire à cet aspect, c'est en effet passer à côté du personnage. Ce que Sidney LUMET filme avant tout, c'est le parcours d'un homme qui ne s'intègre pas au nom de son intégrité et qui donc de ce fait est profondément seul. Dans le film, il n'existe véritablement qu'un personnage qui est proche de lui, celui du commissaire: il symbolise le juif errant qui reconnaît en Serpico une figure christique et le pousse à assumer jusqu'au bout les conséquences de sa quête de justice et de vérité: "si nous obtenons des inculpations, il faudra que vous soyez témoin" (sous-entendu, quitte à en payer le prix). Les autres attendent de lui qu'ils se fondent dans un rôle: celui du flic ripoux qui présente bien afin de ne pas ternir l'image de la police, celui de l'époux et du père pour ses petites amies successives qui ne semblent pas imaginer pouvoir vivre par elles-mêmes. Or Serpico fait exactement l'inverse car il est incapable d'être autre chose que lui-même. Par conséquent il n'entre pas dans les cases. Son look hippie de plus en plus affirmé au fur et à mesure que les années passent (très semblable à celui de John LENNON) et son style de vie bohème détonent dans le milieu. Une des meilleures scènes du film le montre dans sa prime jeunesse participant à une soirée étudiante avec sa petite amie Leslie dont un des amis lui dit qu'elle n'est excitée que par les intellectuels et les génies. Pas étonnant qu'il ait bien du mal à croire que Serpico soit flic. A l'inverse, les ragots sur son homosexualité supposée circulent chez ses collègues de travail autant par son refus d'utiliser la violence sur les détenus que par sa culture qu'il ne cherche pas à dissimuler, y compris lorsqu'elle a des connotations efféminées. Une fois de plus, on constate que l'image est le cadet de ses soucis et que son parcours dans la police est une succession de faux pas qui l'amènent à s'aliéner à peu près tout le monde. D'autant qu'en découvrant qu'il ne peut obtenir aucun secours d'une hiérarchie qui couvre les agissements véreux de ses employés, il les balance à la justice et aux médias devenant ainsi un traître. Le film de Sidney LUMET par-delà le contexte de sa réalisation en pleine contre-culture contestataire a ainsi toujours un caractère actuel, Serpico étant un lanceur d'alerte d'avant l'ère numérique.

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Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1955)

Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Maternité éternelle  

Kinuyo TANAKA est l'un des nombreuses victimes de la transmission sexiste de l'histoire des arts. Alors que ses compatriotes des années 50 pour lesquels elle a joué Kenji MIZOGUCHI principalement mais aussi Yasujiro OZU notamment pour "Fleurs d équinoxe" (1958) sont reconnus en occident comme des piliers de l'âge d'or du cinéma japonais depuis des décennies (Ozu n'a cependant reçu la consécration mondiale que dans les années 70) il a fallu attendre 2022 pour que les six films qu'elle a réalisé entre 1953 et 1962 soient enfin projetés lors des festivals Lumière (dans la section créée en 2013 spécialement réservée aux femmes cinéastes) et cannois. Avec cette accroche risible: "Quand l'actrice de Mizoguchi et de Ozu devient une immense réalisatrice" alors qu'il aurait fallu écrire "Quand cette grande cinéaste de l'âge d'or du cinéma japonais obtient une reconnaissance institutionnelle internationale 45 ans après sa mort."

"Maternité éternelle", son troisième film dont le titre français est un contresens (il signifie "Féminité éternelle" ou "les Seins éternels") raconte l'histoire vraie d'une poétesse morte à 31 ans des suites d'un cancer du sein. Prenant pour point de départ l'imagerie presque "cliché" de l'épouse et de la mère nippone soumise à un mari absolument odieux, il prend ensuite un tournant inattendu. D'abord il explicite assez rapidement les raisons profondes de la haine que son mari lui voue: Fumiko s'adonne à une riche activité littéraire dans un club de poésie que son mari qui souffre visiblement d'un complexe d'infériorité ne supporte pas. Il l'humilie donc de toutes les façons possibles jusqu'à ce que cette dernière qui le surprend avec une autre ne craque et demande le divorce. On pourrait penser que cet acte marque le début d'un nouveau départ mais la réalité est bien plus complexe. Fumiko doit céder la garde de son fils à son mari et surtout, elle se découvre rongée par un cancer qui la prive d'abord des attributs de sa féminité (les seins) avant de la condamner. De façon tout à fait paradoxale, la maladie qui l'enferme dans une chambre d'hôpital la libère aussi. Libération par l'écriture poétique, par la reconnaissance littéraire qui advient quand elle tombe malade mais surtout libération des carcans moraux et sociaux qui lui permettent de sortir du refoulement et de connaître les moments les plus heureux de sa vie en exprimant et concrétisant ses sentiments amoureux et ses désirs sexuels. Kinuyo TANAKA colle à son héroïne en se permettant une franchise tant dans les mots que dans les situations peu courante à l'époque: Fumiko prend un bain là où l'homme qu'elle aimait et qui est mort sans que cet amour ne soit avoué avait l'habitude de prendre les siens. Fumiko avoue ses sentiments à sa veuve et l'oblige à regarder sa poitrine mutilée comme une ultime preuve que cet amour étouffé l'a détruite. Fumiko prend le journaliste qui vient à son chevet pour amant et Kinuyo Tanaka n'hésite pas à filmer l'intimité meurtrie de la jeune femme (les seins sur le point d'être coupés, les prothèses...) Enfin, parmi les escapades qui permettent à celle-ci de trouver son inspiration créatrice, il en est une qui nous marque plus que les autres et annonce sa fin car elle aboutit à un lieu condamné par un grillage: la morgue. Ainsi, la réalisatrice parvient à réunir dans un même élan le désir et la mort, l'un se nourrissant de la proximité de l'autre pour dresser le portrait d'une femme fauchée en pleine jeunesse mais à qui ce cruel destin a aussi donné le courage de s'émanciper.

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Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger)

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (2010)

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (You will meet a tall dark stranger)

"Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu" porte bien son titre car il fait partie des films restés quelque peu dans l'ombre du prolifique cinéaste. Pourtant, il ne manque pas de qualités. Le titre justement est fort bien trouvé car ce "bel et sombre inconnu" peut tout aussi bien être le prince charmant que la grande faucheuse comme si l'illusion de l'un n'allait pas sans la réalité de l'autre (ou permettait de la supporter). Il est donc beaucoup question de désirs et de mort dans le film au travers des tribulations d'une famille, les Shepridge traitée à la fois avec beaucoup d'humour et un arrière-goût d'amertume et de mélancolie qui en fait tout l'intérêt. Anthony HOPKINS fait une composition pleine d'autodérision en homme qui, sentant sa fin approcher envoie promener toutes les convenances pour se payer une bimbo qui espère-t-il, lui donnera un héritier, quitte à prendre du viagra, à fréquenter les salles de musculation, les cabines à UV et les boîtes de nuit. Son ex-femme Helena (Gemma JONES) se réfugie quant à elle dans les sciences occultes, un avatar de la magie du cinéma (Cristal, la diseuse de bonne aventure lui suggère une belle prophétie autoréalisatrice) alors que le gendre, Roy (Josh BROLIN), tente un gros coup de poker à la "Match point" (2005) pour relancer sa carrière littéraire en berne tout en lorgnant sa jolie voisine qui n'est plus sûre de vouloir se marier. Enfin Sally (Naomi WATTS), la fille des Shepridge, épouse frustrée de Roy, s'éprend de son patron Greg (Antonio BANDERAS) sur lequel elle cristallise tous ses fantasmes. Sa déception n'en sera que plus cruelle. Même les intrigues vouées à réussir portent en elle leur fantôme maléfique: l'auteur du roman que s'est approprié Roy le hantera à jamais de même que Claire, la femme décédée de Jonathan sera toujours présente dans son couple avec Helena.

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Les Amants passagers (Los Amantes Pasajeros)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2012)

Les Amants passagers (Los Amantes Pasajeros)

Pedro ALMODÓVAR en panne sèche dans ce qui est l'un de ses plus mauvais films. Bien plus mauvais que ceux de ses débuts qui avaient pour eux une certaine fraîcheur. Là, ça sent franchement la viande avariée dans cet avion qui tourne en rond-rond (comme le scénario du film). Moins une métaphore de l'Espagne en crise qu'une régression communautariste sans pour autant que l'énergie de la Movida n'anime le film. Ce qui est révolu ne peut être ranimé. Aussi le spectateur lambda se retrouve dans la situation du passager classe éco qui sous l'effet de ce puissant somnifère sombre peu à peu dans une douce torpeur et est exclu de la fête (à l'exception de celui qui, bien gaulé peut servir de poupée gonflable à Lola DUEÑAS). Seuls les initiés peuvent s'éclater à l'image des passagers classe affaire et de l'équipage qui s'envoient joyeusement en l'air durant 90% de l'histoire. Mais ils sont bien les seuls avec leurs cocktails à la mescaline et leur déchaînement de libido 100% "La Cage aux Folles" (1973): les personnages sont caricaturaux, les intrigues sont insignifiantes et décousues, le rythme est poussif, la construction, foutraque (la séquence initiale entre Antonio BANDERAS et Penélope CRUZ tombe comme un cheveu sur la soupe ou plutôt comme le téléphone depuis le pont du viaduc qui vient briser le huis-clos du reste du film) La seule scène un peu sympa est celle de la chorégraphie des trois stewards sur "I'm so Excited" des The Pointer Sisters, autrement dit, une séquence-clip. C'est trop peu.

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Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2020)

Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Le début des années 90 correspond au moment où j'ai commencé à fréquenter les cinémas art et essai. C'est justement à ce moment-là que Anthony Hopkins est devenu célèbre pour son interprétation de Hannibal Lecter dans "Le Silence des Agneaux". Mais je suis bien d'accord avec lui, ce n'est pas sa plus grande interprétation. Sa plus grande interprétation, celle qui en dit le plus sur lui est celle du majordome Stevens dans "Les Vestiges du jour" sorti en 1993. La même année sortait "Les Ombres du coeur" de Richard Attenborough (qui avait déjà fait tourner Anthony Hopkins à la fin des années 70 dans "Magic") et dans lequel son personnage était un prolongement de celui du majordome Stevens. J'ai dû aller voir ce film au moins trois fois au cinéma et c'est aussi à cette époque que j'ai acheté un grand poster de l'affiche anglaise de "Les Vestiges du jour" tout en me plongeant dans le roman de Kazuo Ishiguro. A cette époque, le cinéma représentait pour moi ce qu'il représentait pour Woody Allen dans ses films des années 80: un refuge dans lequel Cecilia venait sécher ses larmes et oublier sa triste vie dans "La rose pourpre du Caire" et Mickey retrouver goût à la vie devant "La Soupe aux Canards" après avoir frôlé le suicide dans "Hannah et ses soeurs". J'avais instinctivement reconnu en Anthony Hopkins des problématiques qui étaient aussi les miennes et qui sont sans cesse évoquées dans le portrait que Arte diffuse jusqu'en janvier 2023: la sensation d'être coupé du monde et des autres, de venir d'une autre planète et d'être incapable de communiquer avec son environnement d'origine ("je ne comprenais rien à ce qu'on disait"), la solitude, les difficultés d'apprentissage et le harcèlement scolaire, le manque de confiance en soi, la nécessité de l'exil face à l'incapacité de s'intégrer ("Je ne supportais plus le théâtre anglais, je ne m'y sentais pas à ma place (...) quand je suis arrivé en Californie c'était comme être sur une autre planète. Les gens semblaient appartenir à une espèce différente (...) Comment peux-tu vivre ici? C'est comme vivre sur la lune. J'ai dit que c'est très bien, je me plaît ici."), un déracinement géographique mais aussi social, Anthony Hopkins étant un transfuge de classe (son père était boulanger, lui a été anobli). Les difficultés sociales et relationnelles d'Anthony Hopkins qui l'ont poursuivi toute sa vie sont bien résumées par Jodie Foster qui raconte qu'elle le fuyait parce qu'il lui faisait peur avant d'apprendre à la fin du tournage de "Le Silence des Agneaux" que lui aussi avait peur d'elle. Dommage que le film qui date de 2020 soit déjà daté. Il ne peut évoquer le rebond actuel de sa carrière à plus de 80 ans (nouvel Oscar pour "The Father", rôle dans le dernier James Gray) et fait l'impasse aussi sur le fait qu'il a été diagnostiqué comme étant atteint de troubles autistiques à plus de 70 ans ce qui rend évident l'ensemble des manifestations de son mal-être en société ("je ne suis pas grégaire du tout, j'ai très peu d'amis, j'aime beaucoup la solitude, je préfère ma propre compagnie") et de sa difficulté à en déchiffrer les codes ("Je suis naïf et facilement dupé, c'est ma principale faiblesse").

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Invasion Los Angeles (They Live)

Publié le par Rosalie210

John Carpenter (1988)

Invasion Los Angeles (They Live)

L'un des premiers numéros de "Blow Up" que j'ai regardé sur Arte en 2014 avait pour thème "les lunettes au cinéma" et citait largement "Invasion Los Angeles", plus précisément la scène assez géniale où John Nada (Roddy PIPER que j'ai longtemps confondu avec l'acteur fétiche de John CARPENTER, Kurt RUSSELL) découvre grâce à elles la véritable nature du monde dans lequel il vit, que l'on peut comparer, en bien plus artisanal (série B oblige) à "Matrix" (1998). Dans ce monde, la grande majorité des hommes sont asservis à leur insu par des extra-terrestres qui ont colonisé la planète en prenant leur apparence, aidés par une élite humaine qui prospère sur le dos des masses laborieuses. Celles-ci sont exploitées et manipulées à coups de messages de propagande subliminaux que la plupart ne veulent pas voir: les lunettes sont alors une métaphore de la prise de conscience comme les pilules de "Matrix". A ceci près que "Matrix" en dépit de ses prétentions intellectuelles initiales a été rapidement récupéré par l'industrie hollywoodienne et est devenu du pur divertissement alors que le film indépendant de Carpenter utilise le cerveau reptilien (au lieu du "Néo"-cortex ^^) pour livrer une satire féroce du libéralisme reaganien qui gangrène les cerveaux à la manière des aliens de "L Invasion des profanateurs de sépultures" (1956). On peut même remonter plus loin dans l'histoire des USA. Le chômage de masse et les bidonvilles ressemblent aux Hooverville de la crise de 1929 (renommés ironiquement "Justiceville" dans le film) et l'arrivée de John Nada à Los Angeles au début du film s'inscrit dans la plus pure tradition du western ("I'm a poor lonesome cowboy"). Cet homme venu de nulle part et n'ayant aucune attache est un énième avatar de "L Homme des vallées perdues" (1953) et de "Pale Rider - Le cavalier solitaire" (1985) en attendant "Drive" (2011), une figure de justicier. Il n'est pas "sans nom" mais c'est tout comme puisque "Nada" son patronyme signifie "rien du tout". Il est donc destiné à disparaître comme il est venu après avoir accompli sa mission (cathartique).

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Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

Publié le par Rosalie210

Michael Powell, Emeric Pressburger (1942)

Colonel Blimp (The Life and Death of Colonel Blimp)

"Colonel Blimp" est un film quelque peu déroutant de par sa narration non-linéaire (la fin revient au début en l'éclairant sous un jour nouveau ce qui donne au film une structure cyclique), ses brusques changements de ton et certains choix de mise en scène comme le fait de faire jouer à Deborah KERR trois rôles à travers 40 années d'histoire ce qui fait qu'elle semble être une présence presque surnaturelle (dans sa troisième incarnation, elle s'appelle d'ailleurs Angela) aux côtés de Clive et de Théo dont le vieillissement est au contraire spectaculaire (physiquement chez le premier, psychiquement chez le second). Réalisé durant la seconde guerre mondiale, "Colonel Blimp" raconte l'histoire de l'amitié entre deux officiers, l'un britannique et l'autre allemand entre 1902 et 1942. Une amitié qui reste indéfectible en dépit des trois guerres traversées dans des camps ennemis (celle des Boers et les deux guerres mondiales). Celles-ci sont d'ailleurs judicieusement laissées hors-champ. Ce ne sont pas elles en effet qui constituent le sujet du film mais plutôt la façon dont elles affectent les deux personnages. Michael POWELL et Emeric PRESSBURGER prennent le contrepied des attentes du spectateur et osent le mélange des genres. L'anglais, Clive Candy est inspiré d'un personnage de bande dessinée imaginé et dessiné par le caricaturiste David Low, le colonel Blimp (d'où le titre du film), un vieux réac xénophobe certes adouci dans le film mais qui reste arc-bouté sur des principes du XIX° dépassés (code d'honneur etc.) et aveugle sur l'évolution de la guerre au XX° siècle (qui n'a plus rien à voir avec une affaire de gentleman comme on essaye de le lui faire comprendre). A l'inverse, Théo est un officier allemand certes patriote (il encaisse mal la défaite de 1918) mais résolument anti-nazi qui s'enfuit en Angleterre et livre à son ami une confession poignante sur l'embrigadement de ses enfants par un régime dont il dénonce toute l'horreur. Le personnage ne fait alors plus qu'un avec l'acteur qui était juif et avait dû fuir l'Allemagne (comme Emeric Pressburger) et cela se ressent dans son interprétation pleine de mélancolie résignée. Pas étonnant qu'un film d'une telle lucidité, soulignant les errements de certains britanniques (on pense évidemment à Chamberlain) et au contraire refusant l'amalgame entre allemand et nazi n'ait pas plu à Churchill qui a tenté de le faire interdire et lui a mis un certain nombre de bâtons dans les roues. Ce n'était pas un film qui pouvait faire l'objet d'une récupération politique dans la guerre de propagande que se livraient les puissances mais une oeuvre humaniste faisant fi de toutes les barrières, une oeuvre totalement libre en somme.

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Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1975)

Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Je n'avais jamais vu ce film et je n'avais aucune idée de ce qu'il contenait. L'effet n'en a été que plus fort. Dès les premières minutes, ce qui m'a frappé, c'est qu'alors que les trois hommes n'ont encore rien fait de concret, il y a déjà écrit "loser" sur leur front: leur air hagard, leurs hésitations, la décision de l'un d'entre eux de rebrousser chemin juste avant de dépasser le point de non-retour, tout cela donne d'emblée l'impression d'un coup improvisé par des amateurs un peu paumés. Ce que la suite vient confirmer. A contre-emploi par rapport à "Le Parrain" (1972) avec son regard mouillé et embrumé, sa pâleur et ses cheveux ébouriffés Al PACINO se retrouve dans la peau d'un personnage qui a certainement inspiré Francis VEBER pour la séquence du hold-up commis par Pierre RICHARD jouant un chômeur désespéré dans "Les Fugitifs" (1986) où il accumule tant de gaffes que la police a tout le temps de se rendre sur les lieux, l'obligeant à prendre un otage en toute hâte. C'est exactement ce qu'il se passe dans "Un après-midi de chien": le braquage tourne court tant les malfaiteurs rivalisent de malchance et de maladresse et ils se retrouvent assiégés à l'intérieur de la banque par la police, le FBI, les journalistes et les badauds avec leurs otages. Le spectacle peut commencer.

C'est seulement à ce moment-là en effet que le film prend sa véritable dimension, celle qui l'ancre profondément dans son époque tout en lui donnant une portée visionnaire. "Un après-midi de chien", c'est le huis-clos caniculaire de "Douze hommes en colère" (1957) dans le bouillon de la contre-culture et sous les projecteurs du tribunal médiatique. Comme si Sidney LUMET-Henry FONDA tendait la main cette fois au Ratso de "Macadam cowboy" (1968) en lui donnant une tribune pour s'exprimer. Et pour cause! Dans cette histoire tirée de faits réels, la presse décrivait l'homme ayant inspiré le personnage de Sonny comme étant très proche du physique de Al PACINO et de Dustin HOFFMAN. Et c'est la crainte qu'il ne lui échappe au profit de son rival qui fit que Al PACINO (qui avait déjà joué pour Lumet dans "Serpico") (1973) accepta le rôle de cet homme dépassé par les événements et qui est amené à devenir le porte-voix des sans voix, ceux-ci étant admirablement symbolisés par la figure mutique et indéchiffrable de Sal (John CAZALE) qui semble emmuré en lui-même. Pourtant on apprend aussi que Sonny et lui-même sont des vétérans du Vietnam et l'on devine entre les lignes que comme Travis Bickle, ils n'ont jamais réussi à se réinsérer. Enfin la sexualité de Sonny, faite d'errance entre une normalité opprimante et une marginalité jetée en pâture aux médias est ce qui est à l'origine de son "coup de folie".

Le film, proche par son dispositif du documentaire offre une critique sociale et sociétale saisissante de l'Amérique au travers notamment de sa police, de sa justice, de ses médias et de ses valeurs morales puritaines. La disproportion flagrante du rapport de forces entre l'énorme cavalerie déployée autour de la banque et l'allure minable des deux braqueurs fait que, à l'image des otages, l'on prend fait et cause pour eux. Cette disproportion n'est que le reflet des inégalités sociales dont Sonny et Sal sont les victimes. C'est ce que met en évidence le moment où Sonny sort avec un mouchoir blanc à la main et se retrouve aussitôt braqué par des dizaines d'hommes. Lorsqu'il hurle "Attica!"* prenant la foule à témoin, il devient le porte-parole des "damnés de la terre" et il en va de même lorsque la raison de son geste désespéré est dévoilée sur la place publique. D'un côté, il est jugé, humilié, conspué, violé dans son intimité (un thème qui fait écho à l'époque paranoïaque du film et notamment à "Conversation secrète" (1974) où jouait aussi John CAZALE), de l'autre, l'homosexualité, le mariage gay et la transexualité (thème encore jamais abordé dans le cinéma en dehors des films underground) peuvent enfin s'exprimer au grand jour comme un abcès que l'on crève, Sonny devenant à son corps défendant aussi le porte-parole de cette humanité en souffrance à qui il clame son amour et qui le lui rend bien. La dimension christique de Sonny rejoint celle de Pacino qui s'est abîmé pour le rôle au point d'avoir réellement fini à l'hôpital (et d'avoir compris qu'il fallait laisser de côté quelque temps le cinéma pour sauver sa peau) alors que la fiction se nourrissant du réel et vice versa, c'est l'argent du film qui a permis au véritable Sonny de financer l'opération de sa femme trans, de même que sa lutte existentielle lui a sans doute sauvé la vie.

* Allusion à une mutinerie dans la prison d'Attica en 1971 en raison de l'assassinat d'un militant des Black Panthers par des gardiens lors d'une tentative d'évasion, le tout sur fond de racisme et de conditions de détention indignes. Le mouvement se termina dans un bain de sang (39 morts).

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Mina Tannenbaum

Publié le par Rosalie210

Martine Dugowson (1993)

Mina Tannenbaum

J'avais beaucoup entendu parler de "Mina Tannenbaum" à sa sortie. Force est de constater qu'aujourd'hui il est un peu oublié, sans doute parce qu'il a mal vieilli. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu en le regardant. Il y a évidemment les deux actrices qui crèvent l'écran, Elsa ZYLBERSTEIN et Romane BOHRINGER auxquelles il faut rajouter une cousine hors-sol commentant leurs faits et gestes qui est devenue également célèbre, Florence THOMASSIN. Mais autour d'elles, force est de constater que c'est un peu le désert: personnages secondaires inconsistants, environnement qui manque de vie, passage du temps abstrait (leurs looks improbables n'aident pas et comme il y a peu de choses autour, on a du mal à se situer) et même au final une certaine difficulté à nous faire ressentir le poids de leurs origines familiales et culturelles dans leurs existences alors que c'est censé être essentiel. Tout cela fait que je me suis assez vite désintéressée de leurs petits problèmes amoureux (tous leurs Jules sont insipides à part celui joué par Jean-Philippe ÉCOFFEY qui avait un vrai potentiel mais hélas sous-exploité) aussi bien que de leurs ambitions professionnelles ou artistiques. En résumé, le talent et le charisme des actrices dissimule un film anémique. Lorsque des séquences entières sont occupées par des citations musicales ou cinématographiques restituées telles quelles, ce n'est en général pas bon signe. L'étendard qu'il a pu constituer pour une partie des jeunes filles de l'époque a dissimulé sa pauvreté intrinsèque.

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