Les liens entre la magie et le cinéma sont étroits. D'abord parce que le cinéma est une forme de magie qui repousse les limites du possible mais aussi parce que les premiers pas du cinématographe se sont accomplis pour une bonne part sur les planches des théâtres de music-hall. C’est là qu’ont débuté ses premières grandes stars telles que Charles CHAPLIN, Buster KEATON ou Roscoe ARBUCKLE. D’autre part le cinéma a été mis dès l'origine au service de l'illusionnisme. Le tout premier film utilisant un trucage fut "L'Exécution de Mary, Reine des Écossais" (1895) réalisé par Alfred CLARK. Evidemment on pense au père des effets spéciaux Georges MÉLIÈS dont le premier film truqué fut "Escamotage d'une Dame au Théâtre Robert-Houdin" (1896). Avec le célèbre transformiste Fregoli, lui aussi auteur de nombreux films à trucages, il a tourné "transformations éclair" où ce dernier opérait 20 transformations à vue en deux minutes.
« Character Studies » dont la date de tournage la plus vraisemblable est 1925 est un formidable hommage aux origines théâtrales et magiques du cinématographe. On y voit un acteur, Carter DeHAVEN accomplir 6 transformations en moins de 6 minutes. La scène est celle d’un théâtre, les accessoires sont ceux du magicien mais c’est le cinéma et le cinéma seul qui créé l’illusion à l’aide du montage. Car en fait il y a substitution à chaque fois entre Carter DeHAVEN et les véritables Buster KEATON, Harold LLOYD, Roscoe ARBUCKLE, Rudolph VALENTINO, Douglas FAIRBANKS et Jackie COOGAN. On se demande alors où se trouve Charles CHAPLIN tant son absence semble surprenante au vu des personnalités représentées. C'est qu'il est vraisemblablement à la place du spectateur, le film ayant été réalisé à son intention pour la sortie de la "La Ruée vers l'or" (1925) et diffusé lors d’une soirée donnée par Douglas FAIRBANKS et Mary PICKFORD à leur domicile. C’est du moins l’historique le plus vraisemblable d’un film dont le fait qu’il est parvenu jusqu’à nous tient du miracle.
Même dans les versions plus ou moins écourtées qu'il nous reste du troisième film de Erich von STROHEIM, ce dernier marque l'esprit. Il faut dire que Erich von STROHEIM qui une fois de plus est devant et derrière la caméra ainsi que l'auteur du scénario a vu les choses en grand: son film devait durer plus de six heures. Même à l'époque, cela ne passait pas auprès des studios avec lesquels il était en conflit. Dommage qu'il n'ait pas pu étendre son désir de contrôle à la production et distribution de ses films.
"Folies de femmes" est un film incroyablement moderne de par les thèmes traités mais aussi la manière de les traiter. Erich von STROHEIM est un moraliste (et non un moralisateur) dont le regard caustique est aussi réjouissant que percutant. Il rend visible les stigmates de l'après-guerre que ce soit la crise sociale ou les anciens combattants infirmes pour mieux souligner la facticité et le parasitisme du petit milieu mondain qu'il dépeint (Monte-Carlo, un paradis fiscal, rien de neuf sous le soleil). Un milieu oisif, corrompu et décadent obsédé par l'argent et le sexe. Erich von STROHEIM dans l'un des rôles les plus mémorables de sa carrière interprète Karamzin, faux comte russe ayant vraisemblablement usurpé ses décorations militaires mais vrai escroc et surtout redoutable prédateur sexuel. Dans le film, il court trois lièvres à la fois. Son oeil-caméra nous offre des plans voyeuristes saisissants des pieds et jambes de ses victimes (un fétichisme assumé que l'on retrouve de film en film) mais aussi du buste maté sournoisement à l'aide d'un miroir. La lâcheté du personnage n'a d'égale que sa perversion. Il n'attaque que des proies d'un statut social inférieur au sien ou bien handicapées (les premières victimes de viol encore de nos jours) ou endormies et isolées. Cette lâcheté combinée à son hypocrisie le rendent ridicule et pitoyable, sauf aux yeux de ses victimes qui se laissent prendre à ses larmes de crocodile (ou plutôt des gouttes de thé s'écoulant d'un bout de mouchoir caché dans sa main). Car le regard moraliste de Erich von STROHEIM trouve des relais dans le film auprès d'autres regards: celui du moine qui le prend en flagrant délit de tentative de viol et le tient en respect tout au long de la nuit, celui du soldat infirme et celui du faux monnayeur qui le remet à sa vraie place: dans l'égout.
Pour les japonais animistes, les arbres sont tellement sacrés qu'ils préfèrent les intégrer à leur urbanisme plutôt que de les couper. Il n'est donc pas rare d'observer leur présence au beau milieu d'une gare, d'une route ou comme dans le film qui nous occupe, d'une maison. Car bien qu'étant issue de l'esprit de son père architecte, la maison de Kun, le héros du dernier film de Mamoru HOSODA est construite en marches d'escaliers (comme si elle épousait une pente naturelle) avec en son coeur, une cour intérieure abritant un arbre. Or cet arbre "généalomagique" contient en lui toute l'histoire familiale. C'est grâce à lui que la crise déclenchée par l'arrivée de Miraï la petite soeur de Kun (qui signifie "avenir") va pouvoir se dénouer. S'ensuit un formidable voyage temporel entre passé, présent et futur, réalité et imaginaire qui permet à Mamoru HOSODA de développer ses thèmes de prédilection: les voyages dans le temps ("La Traversée du temps" (2007)), l'évolution de la famille et les relations entre l'homme, la nature et les esprits ("Summer Wars (2009)", "Les Enfants Loups, Ame & Yuki" (2012), "Le Garçon et la Bête") (2015). Dans tous les cas, l'enjeu est de grandir et de trouver sa place aussi bien dans sa famille et dans le monde. Kun âgé de quatre ans à l'arrivée de sa soeur est particulièrement égocentrique et capricieux, une véritable "tête à claques" comme il se qualifie lui-même une fois devenu adolescent. L'arrivée de Miraï dans la famille déclenche donc en lui une jalousie incontrôlable parce qu'il n'est plus au centre du monde (comme le montre particulièrement bien la scène des photographies). La douleur et la colère le poussent à faire des bêtises, à tourmenter sa soeur voire à se mettre en danger. Sa rencontre avec des membres de sa famille à divers âges de leur vie ainsi qu'avec son chien Yukko métamorphosable en homme sont des jalons essentiels pour l'apaiser et lui permettre de donner du sens à son vécu. La plasticité spatio-temporelle et rêve-réel n'empêche pas le récit d'être limpide. En effet, l'arbre est toujours le déclencheur des événements fantastiques tandis que l'album photo familial permet de replacer chaque voyage dans l'histoire de la famille et de s'interroger sur la part de hasard et de destin dans sa construction. On remarque également que les garçons de la famille ont tous une fragilité entre un grand-père estropié, un père gringalet et un fils en proie à la furie furieuse. Le fait que le père garde les enfants à la maison pendant que la mère travaille dans une configuration semblable à celle des "Les Indestructibles 2" (2018) montre que l'évolution des rôles sexués touche aussi le Japon. Enfin signalons une scène onirique magnifique dans la gare de Tokyo utilisant la technique du papier découpé. Les trains dont raffole Kun sont les principaux véhicules de rêve et d'aventure mais ils peuvent aussi à l'occasion se transformer en cauchemar.
Contrairement à "Astérix: Le secret de la potion magique (2018)" qui s'appuie sur un scénario original, "Le Domaine des Dieux", la première réalisation des aventures d'Astérix par Alexandre ASTIER et Louis CLICHY est l'adaptation fidèle du dix-septième album de Uderzo et Goscinny sorti en 1971. Force est de constater la pertinence de ce choix tant la fable satirique de Goscinny s'avère plus que jamais d'actualité. C'est là une différence fondamentale avec le film de Alain CHABAT, drôlissime mais léger sur le fond. Ceux de Alexandre ASTIER sont plus engagés et permettent de penser notre monde de façon critique sous couvert de divertissement. Une démarche proche de celle des studios Pixar ce qui n'est guère surprenant vu que Louis CLICHY a participé au sein de leurs rangs à la création de "Wall-E" (2008) et "Là-haut" (2008) qui traitent de la résistance aux effets délétères du capitalisme. La perfection de la technique d'animation en 3D s'allie donc à ce qui est plus précieux que tout par les temps qui courent : la liberté d'esprit et la clairvoyance.
"Le Domaine des Dieux" est une satire des ravages du capitalisme mondialisé sur l'environnement local. S'y ajoute une critique du (post) colonialisme et du centralisme autoritaire de la V° République. Le "Je vous ai compris" de Abraracourcix résonne d'autant plus savoureusement que l'Algérie a été une colonie romaine (le chef des esclaves est d'ailleurs censé être un numide). Face à l'échec du hard power (l'offensive armée), César change de stratégie et choisit de vaincre les gaulois par le soft power de l'acculturation. La rhétorique de la mission civilisatrice des romains qui dompte la sauvagerie de la Gaule chevelue fait ressurgir l'histoire coloniale de la France et ce qui s'y est depuis substitué: l'aménagement du territoire décidé d'en haut contre le peuple d'en bas et contre la nature qu'un État technocrate décide de mettre au pas pour au final les détruire. Et tout cela au nom du dieu profit maquillé en "travailler plus pour gagner plus". Car le Domaine des Dieux n'est pas qu'une question de domination, c'est aussi une juteuse opération immobilière soutenue par une intense propagande publicitaire. La colonisation des corps (par le grignotage de l'espace vital) va de pair avec celle des cerveaux (par la corruption et la démagogie). Le village gaulois doit être détruit de l'extérieur et de l'intérieur. Il est significatif que seule une minorité garde sa lucidité face à un tel rouleau compresseur, les glands du renouveau puisant à la même source magique que ceux des Totoros de Hayao MIYAZAKI.
Ceux qui croient encore que la frontière entre tragédie et comédie est étanche devraient se jeter sans plus attendre (contrairement au ciel ^^) sur le chef-d'œuvre de Ernst LUBITSCH afin de prendre une bonne leçon de "politesse du désespoir" pour reprendre la définition de Chris MARKER. Car tout comme le "Le Dictateur" (1940) de Charles CHAPLIN, "To be or not to be" a été réalisé pendant la seconde guerre mondiale. Dans un film en forme de mise en abyme où le simulacre est roi (des acteurs interprètent des acteurs qui interprètent des nazis) la frontière entre "Hamlet" la tragédie et "Gestapo" la comédie qu'interprète alternativement la troupe (du moins avant la censure), réalité et représentation, mensonge et vérité s'efface. En résulte un brillant jeu de dupes et de massacre qui n'épargne ni les nazis, ni des acteurs qui "ont fait subir à Shakespeare ce que les nazis ont fait subir à la Pologne" ^^. Il est jubilatoire de voir les premiers se faire berner par les seconds mais en arrière-plan, tout aussi jubilatoire de voir les égos hypertrophiés des interprètes au talent plus ou moins discutable se dégonfler à l'épreuve du réel. Le personnage clé de ce point de vue est Joseph Tura (Jack BENNY). Il se rêve en Hamlet et se réveille en potentiel cornard, sa femme Maria (Carole LOMBARD) recevant en coulisses les faveurs de fringants jeunes militaires pendant qu'il déclame le célèbre monologue du héros de Shakespeare. La tragédie se mue alors en vaudeville d'autant plus tordant que Ernst LUBITSCH y va au bazooka avec les métaphores sexuelles guerrières ce que n'oublieront ni Stanley KUBRICK et son "Docteur Folamour" (1963) ni Steven SPIELBERG dans son "1941" (1979) où on s'envoie joyeusement en l'air dans un avion capable de lâcher "3 tonnes de bombes toutes les deux minutes" (voir également le film de Alain RESNAIS "Les Herbes Folles" (2008) pour un trip aérien toute braguette ouverte). Mazette, quel exploit! Heureusement Joseph a l'occasion d'échapper au rôle peu enviable du mari cocu pour celui du redoutable "camp de concentration Ehrhardt" dont un passage documentariste du film nous montre sans filtre comique l'étendue de la tyrannie. Mais Joseph Tura qui a montré ses limites en Hamlet est incapable d'incarner le rôle et se fait démasquer aussitôt par l'agent des nazis, Siletski (Stanley RIDGES). Un moment qui marque l'irruption d'un réel dramatique au milieu de ce théâtre bouffon maquillé en QG de la Gestapo. Et le fait que Siletski soit presque aussitôt tué par l'aviateur Sobinski (Robert STACK) incarnation de la puissance virile de la Résistance enfonce le clou. C'est donc seulement après avoir vécu cette épreuve que Joseph Tura parvient enfin à être convaincant dans un autre rôle que le sien, celui de Siletski dans le registre de la comédie d'espionnage puisqu'il réussit un numéro d'illusionnisme digne du gang des postiches ^^. Au tour des nazis d'être ridicules, le véritable Ehrhardt (Sig RUMAN) s'avérant très doué dans le registre.
De ses origines boulevardières, "Mélo" a gardé un dispositif théâtral (livret, rideau rouge, décor extérieur factice) et son titre qui fait référence au drame populaire. Mais Alain RESNAIS a transformé la pièce vaudevillesque de Henri Bernstein en tragédie dans le prolongement de "L Amour à mort" (1984). Il est courant d'opposer les deux films mais ce que je vois, c'est surtout la continuité. Pas seulement parce que Alain RESNAIS réemploie le même quatuor de comédiens mais parce que les thèmes abordés et surtout la manière de les mettre en scène sont fondamentalement les mêmes. La passion amoureuse symbolisée par le bouquet de roses rouges débouche sur le suicide de Romaine, l'héroïne (Sabine AZÉMA). Se consumant dans l'adultère, elle fait l'objet d'un interdit qui en accroît l'intensité tout comme le caractère mortifère. De plus à l'exception de Christiane joué par Fanny ARDANT (mais que l'on voit peu), les personnages ont des caractères infantiles assez marqués. Romaine ressent le besoin d'échapper à son époux Pierre (Pierre ARDITI) qui ressemble à un petit garçon aux besoins tyranniques mais elle-même se comporte de façon capricieuse et puérile. On comprend d'emblée pourquoi le couple ne peut avoir d'enfant puisqu'ils en sont encore à faire des "piou-piou", "culbutes" et autres "poum-poum" en guise de jeux (?) Leur ami Marcel (André DUSSOLLIER) n'est pas en reste en terme d'immaturité. Son addiction aux amours malheureuses cache un féroce narcissisme que Resnais révèle lors du monologue où il prend ses états d'âme pour objet mais surtout lorsqu'il formule ses exigences envers Romaine qu'il contribue ainsi à pousser au suicide. Tous rêvent de fusion et ont une peur bleue de la séparation comme s'ils n'avaient jamais coupé le cordon.
C'est dans ce film que je me suis rendue compte à quel point Alain RESNAIS avait un talent incroyable pour filmer les voix des acteurs. Le monologue de 10 minutes de André DUSSOLLIER est d'autant plus prenant que la caméra le serre et l'isole, mettant en valeur aussi bien les expressions de son visage que les moindres nuances de sa voix dont il fait ressortir la musicalité particulière. De quoi faire vibrer le spectateur à l'unisson du visage fasciné de Romaine. Dans le même esprit je recommande la déclaration d'amour de Lionel à Célia dans "Smoking" (1992) où la caméra s'envole vers le ciel en osmose avec le lyrisme de la voix de Pierre ARDITI: frissons garantis. Car la passion amoureuse, c'est peut-être puéril mais c'est beau à en mourir.
Le premier long-métrage des aventures de Ethan Hunt vaut mieux à mon avis que la mention "film moyen". Pour au moins trois raisons :
- Un film moyen est un film qui ne se démarque pas de la masse et que l'on oublie vite. Or, j'ai découvert ce film à travers la scène culte du vol des données au siège de la CIA. Celle-ci s'est en effet infiltrée dans d'innombrables autres films. Autrement dit, cette scène a marqué le cinéma mondial de son empreinte comme le bullet time de la saga "Matrix" (1998), le raccord os-engin spatial de "2001, l odyssée de l espace" (1968) ou la douche de "Psychose" (1960).
- Car ce "Mission: Impossible" est réalisé par Brian De PALMA. L'influence hitchcockienne se fait donc ressentir dans le film. Massacre de la quasi-totalité de l'équipe de IMF dès la première demi-heure de film, traque d'un faux coupable en la personne de Ethan Hunt, espionne écartelée entre son allégeance et ses sentiments, scène dans un train s'engouffrant dans un tunnel.
- Enfin si ce qui allait devenir le premier opus d'une saga a pour principal ressort la trahison et la mort de Jim Phelps, le héros de la série culte des années 60-70 et fin des années 80 c'est pour instaurer une filiation. Il s'agit de "tuer le père" afin que son "fils" symbolique Ethan puisse prendre la relève. Car film après film, Tom CRUISE créé un suspense haletant autour de son héros casse-cou, véritable défi lancé au vieillissement et aux limites physiques qu'il cherche toujours à dépasser en prenant des risques insensés. Jusqu'à quand?
S'il y a un bémol à apporter à ce film, il porte sur le choix des acteurs français. Emmanuelle BÉART est tellement à côté de la plaque qu'il a fallu couper au montage la plupart de ses scènes avec Tom CRUISE. Et Jean RENO, monolithique comme toujours n'est pas un choix plus heureux.
"Maris aveugles" est le premier film réalisé par Erich von STROHEIM. Il est également l'auteur du scénario et l'un des acteurs principaux. Ainsi dès ce coup d'essai, il se révèle l'auteur complet de ses films avec une volonté de contrôle et des ambitions démesurées qui ne pouvaient qu'entraîner des conflits avec les studios. Heureusement pour ce coup d'essai encore relativement modeste, la seule concession qu'a dû faire Stroheim est de changer le titre initial "The Pinnacle" en "Maris aveugles", plus vaudevillesque mais prêtant moins à confusion (en anglais le mot pinacle a des sonorités proches du jeu de pinochle).
Le résultat est en tout cas remarquable. Ce qui frappe le plus, c'est la modernité du film, tant sur la forme que dans le fond. Billy WILDER avait dit à Erich von STROHEIM sur le tournage de "Boulevard du crépuscule" (1950) qu'il était en avance sur son temps. Au lieu de chercher à compenser la contrainte du muet par un jeu et des effets outranciers, Erich von STROHEIM utilise au contraire la force expressive du silence en mettant en valeur visuellement des acteurs au jeu dépouillé d'artifices. L'effet obtenu est puissant car les personnages deviennent extraordinairement expressifs avec une telle économie de moyens. La même logique est appliquée au décor, de plus en plus minéral et minimaliste au fur et à mesure qu'on se rapproche du fameux Pinacle.
Tout est donc en place pour une tragédie se jouant à huis-clos entre quatre personnages. Un couple désaccordé par l'attitude fuyante du mari qui visiblement a peur de l'intimité avec sa femme. Celle-ci se sent par conséquent délaissée. Un trouble-fête en la personne de von Steuben, officier autrichien arrogant et séducteur mi-Don Juan, mi-Valmont qui s'engouffre dans la brèche. Et enfin aux antipodes, Sepp le guide de montagne, ange gardien du couple et force de la nature dont les rares paroles viennent frapper au coin du bon sens les âmes égarées.
Voici le énième remake des classiques Disney (en attendant le prochain, celui de Dumbo) qui comme d'autres grands studios hollywoodiens tournent en rond depuis un certain nombre d'années maintenant en ne produisant plus que des copies techniquement impeccables mais complètement vaines de leurs plus grands succès. La technique, ça se démode vite et il n'est pas exclu que dans trente ou quarante ans si le cinéma existe encore, les gens ne se gondolent pas devant les effets spéciaux des années 2010 un peu comme c'est le cas aujourd'hui avec les peplum des années 50-60. En revanche ce qui ne se démode pas c'est l'âme et la créativité. Or ces films de divertissement aussitôt consommés aussitôt oubliés ne possèdent ni l'un ni l'autre. Et viendra le moment où il n'y aura plus que des remake à remaker ^^.
"Le retour de Mary Poppins" n'est en effet pas une suite comme il le prétend mais un pur et simple remake essayant sans arrêt de titiller la fibre nostalgique du spectateur. Censé se dérouler trente ans après les événements du premier film, il reprend le même cadre suranné, avec les mêmes personnages inamovibles (l'amiral et M. Boussole qui trente ans après devraient être en maison de retraite et non encore sur le pont et eux n'ont pas l'excuse de la magie pour ne pas vieillir). La maison des Banks n'a évidemment pas changé d'un iota (en dehors de quelques innovations techniques encore une fois) au point que Michael (Ben WHISHAW) a repris la place de son père et Jane (Emily MORTIMER), le flambeau de la mère (sauf qu'elle ne milite pas pour les droits des femmes mais des travailleurs). Quant aux enfants, il y a Jean, Michel et puis Wendy euh… non ça c'est dans "Peter Pan" (1953) mais c'est du pareil au même. Les séquences de comédie musicale marquent à la culotte celles du premier film. On a donc une séquence mêlant animation 2D et monde réel à partir non d'une peinture délavée par la pluie mais d'une soupière cassée, la séquence du thé au plafond de l'oncle Albert devient celle de la pièce renversée de la cousine Topsy où Meryl STREEP gagne la palme de la performance la plus ridicule. Enfin la séquence des ramoneurs devient celle des réverbères (et qu'est ce qu'elle est longue!)
Malgré tout ce travail de copié-collé, "Le retour de Mary Poppins" finit par trahir l'original lorsqu'il dévoile ses véritables intentions réactionnaires. En effet là où le sens profond de "Mary Poppins" (1964) consistait à sauver l'âme de M. Banks en le reconnectant à son enfance et à une vision humaniste du monde, symbolisée par le don des deux pence à la dame aux oiseaux, le remake fait l'éloge de l'investissement bancaire et boursier de ces deux pence qui permettent grâce au profit réalisé de sauver la maison des Banks. Bien entendu, on recouvre vite le message de propagande pro-capitaliste par une nouvelle mélodie sucrée en hommage aux vertus de l'enfance retrouvée qui ne peut que sonner faux.
"Tout le monde dit I love you" est une comédie musicale de Woody ALLEN bien appropriée à cette période de noël. Elle est toutefois inégale et vaut selon moi surtout pour sa dernière demi-heure parisienne avec le ballet des Groucho puis la danse de Woody ALLEN et Goldie HAWN sur la chanson "I'm thru with love" d'Ella FITZGERALD la nuit sur les quais de Seine. Le reste du film est bâclé avec un scénario indigent tournant autour d'une famille recomposée de la bourgeoisie new-yorkaise très aisée dont les personnages ne présentent vraiment aucun intérêt. De ce fait les acteurs surjouent et/ou font tapisserie. C'est dommage d'avoir à ce point mal employé Drew BARRYMORE, Edward NORTON, Tim ROTH ou encore Natalie PORTMAN (alors certes encore toute jeune). L'enfilade de clichés va bon train, du fils républicain pro-armes et pro-peine de mort qui devient subitement démocrate quand son artère est débouchée (et ce n'est même pas drôle) à la mère bourgeoise qui se croit obligée d'aider tous les parias de la terre et la fille qui enchaîne les petits copains comme les perles d'un collier. Mais le summum du lieu commun est atteint avec la séquence de séduction de Julia ROBERTS par Woody ALLEN qui se déroule à Venise. De toutes façons on est prévenu dès le début qu'il n'ira pas avec le dos de la cuillère sur les images d'Epinal lorsqu'on le voit surgir avec une baguette sous le bras au milieu d'un pont enjambant la Seine avant de déménager dans un appartement donnant sur le Sacré-Coeur. Il aurait dû y aller carrément et mettre la tour Eiffel devant sa fenêtre!
En revanche pour les fans des Marx Brothers (dont je fait partie même si je suis plus "marxiste tendance Harpo" que "tendance Groucho"), le film offre un final en apothéose. Outre le ballet déjà évoqué, on entend la chanson qui donne son titre au film "Everyone says I love you" extraite de "Plumes de cheval" (1932) ainsi qu'un instrumental de "You brought a new kind of love to me", la chanson de Maurice Chevalier que les frères chantent tour à tour (sauf Harpo qui la mime) dans "Monnaie de singe" (1931).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.