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Entre choix et destin: les voyages dans le temps comme accomplissement de soi dans la trilogie Retour vers le futur (1985, 1989, 1990) Page 5

Publié par Rosalie210

III- Le Dr Emmett Brown: vaincre le fantôme dans la machine

70.
"Ce soi-disant docteur Brown est une vraie calamité. Un cas. Un homme dangereux, sans nul doute. Sa place est à l'asile." 
"Peut-être pour vous répondit Marty. Moi je ne vois pas les choses comme ça." (première version du scénario novélisé de RVLF I)
"Le temps passait. Même pour Doc, cela avait parfois de l'importance." (scénario novelisé RVLF I)
"Je suis un homme à principes. " (RVLF II)
"L'avenir n'est pas écrit! Chacun peut changer le sien, tu le sais ça! Tout le monde peut faire ce qu'il veut de son avenir (...) Je dois vivre ma vie, en accord avec ce que j'estime être le bon choix, dans mon coeur." (RVLF III)

Le palais de justice de Hill Valley et les forces cosmiques qui se déchaînent autour symbolisent la dimension mythologico-religieuse du destin particulièrement compliqué d'Emmett Brown. Et le poids symbolique du père qui était le juge de la ville.

Le palais de justice de Hill Valley et les forces cosmiques qui se déchaînent autour symbolisent la dimension mythologico-religieuse du destin particulièrement compliqué d'Emmett Brown. Et le poids symbolique du père qui était le juge de la ville.

71.
Doc nous est présenté dès la première seconde comme l'archétype du savant fou. Tous les clichés y sont: cheveux blancs hirsutes, yeux exhorbités, grands gestes théâtraux, comportement fébrile au bord de la rupture, atelier-laboratoire rempli d'objets hétéroclites et de machines plus bizarres les unes que les autres, décalage avec la réalité, difficulté avec le quotidien etc. 

La première apparition de Doc, au croisement du mythe, de l'archétype et de l'histoire. Autant de paramètres qui rendent d'autant plus difficile et intéressante sa (re)conversion en homme libre.

La première apparition de Doc, au croisement du mythe, de l'archétype et de l'histoire. Autant de paramètres qui rendent d'autant plus difficile et intéressante sa (re)conversion en homme libre.

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Ajoutons le fait que Doc est à la fois un scientifique qui élabore des théories et un technicien bricoleur capable de fabriquer artisanalement toutes sortes de machines.

La machine à petit-déjeuner de 1955 révèle un intérieur négligé (toast cramés, cafetière électrique qui verse de l'eau sans le récipient, ouvre-boîte de nourriture pour chien qui déverse son contenu dans une écuelle qui déborde etc.) Doc a disparu pour faire les derniers réglages de sa Deloréan et a tout laissé en plan.

La machine à petit-déjeuner de 1955 révèle un intérieur négligé (toast cramés, cafetière électrique qui verse de l'eau sans le récipient, ouvre-boîte de nourriture pour chien qui déverse son contenu dans une écuelle qui déborde etc.) Doc a disparu pour faire les derniers réglages de sa Deloréan et a tout laissé en plan.

La même en version 1885. Doc est de nouveau occupé ailleurs mais cette fois sa machine fonctionne proprement.

La même en version 1885. Doc est de nouveau occupé ailleurs mais cette fois sa machine fonctionne proprement.

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Une autre caractéristique majeure du personnage est la distorsion, encore plus poussée que chez George entre l'âge physique et l'âge mental. Le censeur du lycée de Hill Valley, Strickland le définit d'ailleurs comme "un enfant qui n'a jamais grandi". Mais en fait c'est un peu plus compliqué. Doté d'un enthousiasme juvénile débordant et d'un tempérament qui ne supporte pas les compromissions, Doc a connu une période normale jusqu'en 1955 puis à la suite d'événements malheureux, une période de repli misanthrope jusqu'en 1985 durant laquelle il a régressé psychiquement et continué de vieillir physiquement. Jusqu'à ce que dans un ultime sursaut, il décide de se jeter dans le voyage temporel comme dans une sorte de quitte ou double, en profitant au passage pour faire "réajuster" son âge biologique et se redonner un avenir.

L'âge de Doc est particulièrement...élastique!

L'âge de Doc est particulièrement...élastique!

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Après Marty, Biff et Jennifer, Doc se croise aussi lui-même dans RVLF II: "On ne sait jamais, peut-être qu'on se rencontrera un jour futur." (Doc 1955)..."Ou un jour passé." (Doc 1985). Comme on l'a vu en introduction et dans le chapitre précédent, les deux doc n'ont pas du tout le même état d'esprit. Celui de 1955 s'est replié dans sa bulle scientifique après une série de désillusions (racontées dans les versions antérieures des scénarios). Celui de 1985 est confronté à la vieillesse et à la mort et cherche par tous les moyens à gagner du temps et à revenir en arrière car il a conscience d'avoir raté sa vie. Ils finissent en quelque sorte par fusionner ce qui rend au deuxième l'espérance de vie nécessaire (c'est à dire une seconde chance) pour se "consacrer à l'étude de l'autre grand mystère de l'univers: les femmes!" (RVLF II)

Doc 1 et Doc 2.

Doc 1 et Doc 2.

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Doc est un scientifique qui se réfugie facilement dans les explications rationnelles et a peur de ce qui est incontrôlable. Or sa machine s'avère dangereuse et dans le troisième film, le confronte à des émotions douloureuses. Doc se retrouve ainsi écartelé entre son cœur et sa raison. Le premier le pousse à transgresser les principes moraux qui le guident dans l'utilisation de sa machine alors que la deuxième s'y refuse. Mais si "science sans conscience n'est que ruine de l'âme", appliquer cette règle sans discernement s'avère être un piège mortifère. Car il n'est pas si simple de distinguer le bien du mal et les règles rigides pour rassurantes qu'elles soient ne mènent qu'à une impasse.

Doc renonce à son bonheur au nom de ses principes (incarnés par un Marty sinistre qui lui rappelle la Loi...du père -et de la société- évidemment). Pourtant si les règles suffisaient il n'y aurait pas besoin de juges, jurés et avocats!

Doc renonce à son bonheur au nom de ses principes (incarnés par un Marty sinistre qui lui rappelle la Loi...du père -et de la société- évidemment). Pourtant si les règles suffisaient il n'y aurait pas besoin de juges, jurés et avocats!

76.
"Ca me rappelle le temps où j'essayais d'atteindre le centre de la Terre, je dévorais les livres de mon auteur préféré, Jules Verne. J'ai passé des semaines à préparer l'expédition mais je ne suis pas arrivé à cette profondeur, évidemment je n'avais que 12 ans à l'époque. Tu vois, ce sont les écrits de Jules Verne qui ont complètement transformé ma vie, j'avais 11 ans quand j'ai lu pour la première fois 20 000 Lieues sous les mers, à ce moment là j'ai pris conscience que je devais consacrer ma vie à la science." (RVLF III)
Si Doc s'est mis sous le patronage de Newton, Franklin, Edison et Einstein quatre scientifiques majeurs de l'histoire de l'humanité des XVII°, XVIII°, XIX° et XX° siècle son plus grand père spirituel est sans conteste Jules Verne pour lequel il nourrit une véritable passion.

La gravitation universelle, le paratonnerre, l'électricité, la relativité, quatre découvertes essentielles pour les inventions de Doc mais aussi pour sa survie (le paratonnerre est un substitut du gilet pare-balles) et son avenir.

La gravitation universelle, le paratonnerre, l'électricité, la relativité, quatre découvertes essentielles pour les inventions de Doc mais aussi pour sa survie (le paratonnerre est un substitut du gilet pare-balles) et son avenir.

Voyage au centre de la terre et voyage dans les étoiles, Jules Verne démontre que si on ne peut dépasser le périmètre de Hill Valley, on peut creuser au-dessous ou s'envoler au-dessus, relier le ciel et la terre, agrandir l'espace.

Voyage au centre de la terre et voyage dans les étoiles, Jules Verne démontre que si on ne peut dépasser le périmètre de Hill Valley, on peut creuser au-dessous ou s'envoler au-dessus, relier le ciel et la terre, agrandir l'espace.

Les voitures volantes sur le stratosphérique, encore un moment jubilatoire de RVLF II.

Les voitures volantes sur le stratosphérique, encore un moment jubilatoire de RVLF II.

77.
Jules Verne est LE passeur de sciences de la seconde révolution industrielle, celui qui vulgarise par ses romans les découvertes de son temps à l'usage des adultes mais aussi des enfants. Et il le fait avec un esprit visionnaire qui lui fait anticiper bien des réalisations du XX°. Visionnaire et lucide car contrairement à la société de son temps il mesure bien le risque d'un détournement de la science à des fins de puissance et de destruction. De fait après 1918 et surtout après 1945, l'héritage vernien est associé aux horreurs de la guerre. Et la famille d'Emmett Brown a apporté sa pierre à cet édifice.

Le roman de Jules Verne chez Doc en 1955, une édition de 1925 (vraisemblablement celle qu'a lu Doc à l'âge de 11 ans, sa date de naissance la plus crédible étant 1914).
Le roman de Jules Verne chez Doc en 1955, une édition de 1925 (vraisemblablement celle qu'a lu Doc à l'âge de 11 ans, sa date de naissance la plus crédible étant 1914).

Le roman de Jules Verne chez Doc en 1955, une édition de 1925 (vraisemblablement celle qu'a lu Doc à l'âge de 11 ans, sa date de naissance la plus crédible étant 1914).

78.
"Une famille d'Américains moyens dans une banlieue tranquille, juste après dîner. Le père lit le journal du soir, sans se douter le moins du monde de ce qui va arriver. La mère fait la vaisselle, sans savoir que son petit univers va exploser en débris atomiques dans quelques secondes. Les enfants font leurs devoirs, dans leur chambre, pour la dernière fois. La force la plus terrifiante jamais créée par l'homme s'apprête à déferler sur eux… 
"Cinq… Quatre… Trois… Deux… Un" Sur l'image suivante, une espèce de tornade blanche d'une puissance inouïe s'engouffra dans la pièce. Les corps se désarticulèrent en accéléré. On vit des têtes, des bras et des jambes tournoyer un instant avant de disparaître. En un éclair, cette maison sereine s'était transformée en un magma rugissant de lambeaux de chair déchiquetée, de bois broyé, de briques liquéfiées et d'éclats de verre. Tout pris feu et fut aspiré par une espèce de trou noir qui sembla se dissoudre dans l'atmosphère torturée. Un long moment de silence pesant s'ensuivit, l'atroce déflagration s'amenuisant en doux écho surnaturel de fin du monde. 
La classe ne se montra pas particulièrement impressionnée par ce film catastrophe. Pas la plus petite manifestation de peur ni d'étonnement. Les élèves ne se sentaient carrément pas concernés. Mais le narrateur poursuivait vaillamment son commentaire. Le film datait de 1955." (première version du scénrio de RLVF I)

Le 12 novembre 1955 à la fin de RVLF II ce n'est heureusement pas la bombe mais (une fois de plus) la foudre qui s'abat sur la DeLoréan volante avec cette fois Doc à l'intérieur

Le 12 novembre 1955 à la fin de RVLF II ce n'est heureusement pas la bombe mais (une fois de plus) la foudre qui s'abat sur la DeLoréan volante avec cette fois Doc à l'intérieur

Un portail temporel s'ouvre et engloutit littéralement la voiture.

Un portail temporel s'ouvre et engloutit littéralement la voiture.

Ne laissant dans le ciel qu'une trace en forme de 99 inversé à cause du fait que pour atteindre les 88 milles à l'heure celle-ci a tourné sur elle-même au lieu d'avancer.

Ne laissant dans le ciel qu'une trace en forme de 99 inversé à cause du fait que pour atteindre les 88 milles à l'heure celle-ci a tourné sur elle-même au lieu d'avancer.

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Dans Retour vers le futur III on apprend que les Brown sont d'origine germanique et sont arrivés en Amérique en 1908 sous le nom de Von Braun avant d'angliciser leur nom pendant la première guerre mondiale. Les versions antérieures des scénarios précisent qu'il s'agit de sa famille paternelle. Ces informations (ainsi que d'autres distillées dans la trilogie) suffisent à comprendre de quelle famille il s'agit car elles font référence à une personnalité historique très connue aux USA, Wernher von Braun. Pour concrétiser son rêve d'enfance (aller sur la lune) ce dernier n'a pas hésité à franchir la ligne rouge et à pactiser avec le diable, n'assumant aucune responsabilité quand aux conséquences de ses actes.

Le premier a inventé le gaz moutarde, le second les missiles et le troisième est le père de la bombe nucléaire (à hydrogène). La guerre de 1914 marque en effet le début de la guerre industrielle et par conséquent de l'utilisation de la technologie à des fins de destruction de masse.

Le premier a inventé le gaz moutarde, le second les missiles et le troisième est le père de la bombe nucléaire (à hydrogène). La guerre de 1914 marque en effet le début de la guerre industrielle et par conséquent de l'utilisation de la technologie à des fins de destruction de masse.

Les fans de RVLF ont scruté chaque détail des décors et en ont ramené des trésors. Ici une affiche du café 80 du Hill Valley de 2015 entièrement remplie des différents modèles de navettes et de lanceurs envoyés dans l'espace par l'URSS, les USA et les autres pays du monde dont la Saturn V à laquelle a contribué Von Braun.

Les fans de RVLF ont scruté chaque détail des décors et en ont ramené des trésors. Ici une affiche du café 80 du Hill Valley de 2015 entièrement remplie des différents modèles de navettes et de lanceurs envoyés dans l'espace par l'URSS, les USA et les autres pays du monde dont la Saturn V à laquelle a contribué Von Braun.

80.
Wernher von Braun est un scientifique allemand d'origine aristocratique qui s'est mis au service du régime nazi pendant la seconde guerre mondiale. Il s'est illustré en 1944 en mettant au point les premiers missiles (V1 et V2) mais trop tardivement pour infléchir le cours de la guerre. Par la suite il a été exfiltré aux USA dans le cadre de l'opération Paperclip, comme d'autres cerveaux nazis où son sulfureux passé a été "effacé" (realpolitik de la guerre froide oblige). Naturalisé américain, il est devenu très populaire en contribuant au programme spatial des USA dans les années soixante mais aussi en fabriquant pour eux des missiles nucléaires. 

Von Braun au milieu de dignitaires nazis. Le nazisme, comme Vichy est un "passé qui ne passe pas" (Henry Rousso)

Von Braun au milieu de dignitaires nazis. Le nazisme, comme Vichy est un "passé qui ne passe pas" (Henry Rousso)

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Werhner Von Braun a été influencé de façon décisive durant son enfance par Jules Verne et a toujours manifesté plus d'intérêt pour l'exploration de l'espace que pour sa militarisation. Mais que ce soit au service de l'Allemagne ou de l'Amérique, cet opportuniste sans scrupules a toujours mélangé les deux objectifs et créé des engins à la fois porteurs de rêve et dispensateurs de cauchemar. Autrement dit il a peut-être rêvé d'aller sur la lune mais l'histoire a fait de lui un constructeur d'engins annihilateur d'hommes ce qui en fait un des hommes emblématiques de la science sans conscience. Ainsi il s’accommodera de son passé nazi en prétendant que ses premières fusées étaient juste tombées "au mauvais endroit" (grrrr...)

Von Braun a contribué de façon décisive à la construction de la fusée Saturn V qui a permis d'envoyer les premiers hommes sur la lune en 1969.

Von Braun a contribué de façon décisive à la construction de la fusée Saturn V qui a permis d'envoyer les premiers hommes sur la lune en 1969.

Affiche du film "L'homme dans l'espace" (1955). Disney et Braun ont étroitement collaboré pour mettre en images le rêve spatial de Jules Verne à des fins de propagande tout en dissimulant les finalités nucléaires de ce programme. L'attraction Space Mountain à Discoveryland (Tomorrowland en VO) dans les parcs Disney est une déclinaison de ce film.

Affiche du film "L'homme dans l'espace" (1955). Disney et Braun ont étroitement collaboré pour mettre en images le rêve spatial de Jules Verne à des fins de propagande tout en dissimulant les finalités nucléaires de ce programme. L'attraction Space Mountain à Discoveryland (Tomorrowland en VO) dans les parcs Disney est une déclinaison de ce film.

Walt Disney, Von Braun et entre les deux une fusée V2.  Un mélange plus que sulfureux.

Walt Disney, Von Braun et entre les deux une fusée V2. Un mélange plus que sulfureux.

82.
Von Braun a ainsi inspiré d'un des plus célèbres savants fous de l'histoire du cinéma, le Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964) qui est aussi l'un des films préférés de Zemeckis et un fil rouge de RVLF. Pour mémoire, ce bijou d'humour (très) noir filmé dans le contexte de la crise des fusées à Cuba imagine qu'un général paranoïaque donne l'ordre de larguer des bombes nucléaires sur la Russie ce qui déclenche la machine infernale entraînant une apocalypse sur la terre entière. Le docteur Folamour, ancien scientifique nazi au service des USA y voit alors l'occasion de mener une nouvelle expérience de selektion des meilleurs éléments humains pour les entraîner survivre sous terre. 

"Mein Führer! Je marche" (Et je tends le bras dans un geste bien phallique.) Rien n'excite plus sexuellement Folamour que la perspective d'une apocalypse nucléaire! Méchamment drôle (avec un Peter Sellers déjanté et génial). Tout le film est d'ailleurs une métaphore sexuelle qui montre que le désir de puissance via les armes conduit à la perte de l'humanité.
"Mein Führer! Je marche" (Et je tends le bras dans un geste bien phallique.) Rien n'excite plus sexuellement Folamour que la perspective d'une apocalypse nucléaire! Méchamment drôle (avec un Peter Sellers déjanté et génial). Tout le film est d'ailleurs une métaphore sexuelle qui montre que le désir de puissance via les armes conduit à la perte de l'humanité.

"Mein Führer! Je marche" (Et je tends le bras dans un geste bien phallique.) Rien n'excite plus sexuellement Folamour que la perspective d'une apocalypse nucléaire! Méchamment drôle (avec un Peter Sellers déjanté et génial). Tout le film est d'ailleurs une métaphore sexuelle qui montre que le désir de puissance via les armes conduit à la perte de l'humanité.

Robert Zemeckis rend hommage au Docteur Folamour dans Retour vers le futur I: le numéro de série de l'amplificateur dans l'atelier de Doc est celui que l'on retrouve dans l'avion américain qui largue ses bombes nucléaires en Russie: CRM 114. Capra, Wilder, Kubrick,: Zemeckis et moi avons les mêmes goûts. Comme c'est bizarre ah ah ah!

Robert Zemeckis rend hommage au Docteur Folamour dans Retour vers le futur I: le numéro de série de l'amplificateur dans l'atelier de Doc est celui que l'on retrouve dans l'avion américain qui largue ses bombes nucléaires en Russie: CRM 114. Capra, Wilder, Kubrick,: Zemeckis et moi avons les mêmes goûts. Comme c'est bizarre ah ah ah!

83.
Le scénario de la Jetée de Chris Marker écrit lui aussi pendant le contexte de la crise de Cuba et fondé lui aussi sur des voyages dans le temps reprend les mêmes idées. La jetée d'Orly qui venait d'être construite dans les années 60 était un symbole de progrès, celui des trente glorieuses. Il s'agissait d'un lieu de promenade dominical pour les familles qui regardaient décoller les avions. Marker, grand voyageur lui aussi très marqué par la lecture de Jules Verne brise cet élan en montrant un homme mourir puis en dévastant la terre avec la "la troisième guerre mondiale", nucléaire bien sûr. Les rares survivants doivent se cacher sous terre, comme des rats. Rien que ça.

Les voyages en avion n'étaient pas encore démocratisés et beaucoup de gens se contentaient d'en rêver.

Les voyages en avion n'étaient pas encore démocratisés et beaucoup de gens se contentaient d'en rêver.

Dans un plan-photo comme celui-ci, l'influence de Jules Verne sur Chris Marker (tant les livres que les gravures) est évidente sauf que l'homme est fauché en plein vol, face tournée vers le ciel alors qu'il s'apprête à rejoindre la femme qu'il aime au bout de la jetée. Car "On n'échappe pas au temps".

Dans un plan-photo comme celui-ci, l'influence de Jules Verne sur Chris Marker (tant les livres que les gravures) est évidente sauf que l'homme est fauché en plein vol, face tournée vers le ciel alors qu'il s'apprête à rejoindre la femme qu'il aime au bout de la jetée. Car "On n'échappe pas au temps".

Un monde post-apocalyptique où les rares survivants se terrent et servent de cobayes à une dictature de scientifiques qui les envoie dans le passé ou le futur pour réparer la catastrophe.

Un monde post-apocalyptique où les rares survivants se terrent et servent de cobayes à une dictature de scientifiques qui les envoie dans le passé ou le futur pour réparer la catastrophe.

84.
Le lien de parenté entre Werhner Von Braun et Emmett Brown est donc évident. Il s'agit de deux branches de la même famille ce qui est logique puisque les membres de l'aristocratie sont tous cousins. Lorsqu'au début de RVLF I celui-ci teste sa machine sur son chien en l'envoyant dans le futur, on ne peut s'empêcher de penser aux premières expériences de vol dans l'espace avec des animaux. Sa combinaison anti-radiations fait penser à un costume de cosmonaute (Marty sera pris pour un extra-terrestre par les habitants de 1955 à cause de cette même combinaison). Quant à la source d'énergie utilisée pour faire fonctionner le convecteur temporel, c'est le plutonium autrement dit l'énergie nucléaire. Comme le dit Marty "It's heavy" (c'est lourd).

Dès le générique, parmi toutes les informations relatives à Doc, il y a la caisse de plutonium. On comprend d'emblée que Doc est un personnage qui joue avec le feu et qui peut à tout moment se brûler les ailes.

Dès le générique, parmi toutes les informations relatives à Doc, il y a la caisse de plutonium. On comprend d'emblée que Doc est un personnage qui joue avec le feu et qui peut à tout moment se brûler les ailes.

Un film est inséparable du contexte de sa réalisation. En 1985, le monde est encore plongé dans la guerre froide et la menace nucléaire bien réelle (crise des euromissiles en 1983). D'autre part les procès impliquant des américains irradiés par les essais nucléaires US dans le désert du Nevada se multiplient.

Un film est inséparable du contexte de sa réalisation. En 1985, le monde est encore plongé dans la guerre froide et la menace nucléaire bien réelle (crise des euromissiles en 1983). D'autre part les procès impliquant des américains irradiés par les essais nucléaires US dans le désert du Nevada se multiplient.

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Bob Gale a donné des précisions sur les rapports entre Doc et le nucléaire, expliquant qu'il avait participé dans les années 40 au projet Manhattan mais qu'il avait ensuite décidé de tout arrêter pour faire ses propres expériences "dingues" destinées à œuvrer au bienfait de l'humanité (c'est à dire se racheter). C'est à partir de ce moment là qu'il a commencé à se marginaliser. Son titre de docteur laisse entendre qu'il donnait aussi des cours de sciences à l'université. Une première version du scénario précise que c'était effectivement le cas jusqu'en 1955. Mais le doyen de l'université a tenté de l'impliquer dans ses projets de développement d'entreprise en utilisant la relation qu'il avait avec sa fille comme moyen de pression. Moyennant quoi Doc a claqué la porte de l'université, s'est désocialisé et s'est émotionnellement anesthésié pendant trente ans. Un scénario (l'homme intègre crucifié par les requins de la société) directement inspiré des films de Frank Capra.  Au final pour ne pas ressembler à Wernher Von Braun, son "feu rouge moral", il a renoncé à toutes les formes de compromissions. Ce qui est une vertu en soi mais qui appliqué sans discernement s'avère être un piège mortel. Au sens propre du terme.

A l'origine, le retour de Marty devait se faire à l'aide d'une explosion nucléaire dans l'un des sites d'essai du Nevada (qui a réellement fonctionné de 1951 à 1992, à l'air libre jusqu'en 1963).

A l'origine, le retour de Marty devait se faire à l'aide d'une explosion nucléaire dans l'un des sites d'essai du Nevada (qui a réellement fonctionné de 1951 à 1992, à l'air libre jusqu'en 1963).

Le champignon atomique d'un essai de 1946 sur l'atoll de Bikini sur l'une des 6 chaînes que Marty junior regarde en simultané en 2015.
Le champignon atomique d'un essai de 1946 sur l'atoll de Bikini sur l'une des 6 chaînes que Marty junior regarde en simultané en 2015.

Le champignon atomique d'un essai de 1946 sur l'atoll de Bikini sur l'une des 6 chaînes que Marty junior regarde en simultané en 2015.

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Ainsi à peine a-t-il eu le temps de tester sa machine sur son chien qu'il est aussitôt assassiné par le groupe de terroristes libyens à qui il a dérobé le plutonium (et à qui il a quand même promis la fabrication d'une bombe nucléaire même s'il n'a aucune intention de le faire). Cette punition est une réactualisation du mythe de Prométhée qui est au fondement de la construction de l'archétype du savant fou. D'où la savoureuse expression de Doc "Great Scott" (déformation de "Great God") qui en VF devient "Nom de Zeus" d'autant qu'après le plutonium c'est l'énergie de l'éclair qu'il s'agit de canaliser dans RVLF I. La foudre, attribut divin que peut s'approprier Doc grâce à la connaissance du futur apportée par Marty (qui sait exactement où et quand la foudre va frapper).

Doc n'a même pas le temps de se servir de la machine qu'il a inventé, il reçoit 6 balles dans la poitrine. C'est Marty (qui n'a aucune "tare" héréditaire ou personnelle de ce genre) qui prend sa place.

Doc n'a même pas le temps de se servir de la machine qu'il a inventé, il reçoit 6 balles dans la poitrine. C'est Marty (qui n'a aucune "tare" héréditaire ou personnelle de ce genre) qui prend sa place.

 Prométhée est un Titan (fils des Dieux primordiaux, Gaïa -la Terre- et Ouranos -le Ciel-), qui se révèle protecteur des hommes, leur fait don du feu dérobé aux dieux et leur enseigne sciences et arts, transgressant une interdiction de Zeus. Pour le châtier, il l'enchaîne sur un mont caucasien, où un aigle lui dévore son foie qui repousse sans cesse. Les différentes versions du mythe soit accentuent l'orgueil de Prométhée soit la tyrannie de Zeus.

Prométhée est un Titan (fils des Dieux primordiaux, Gaïa -la Terre- et Ouranos -le Ciel-), qui se révèle protecteur des hommes, leur fait don du feu dérobé aux dieux et leur enseigne sciences et arts, transgressant une interdiction de Zeus. Pour le châtier, il l'enchaîne sur un mont caucasien, où un aigle lui dévore son foie qui repousse sans cesse. Les différentes versions du mythe soit accentuent l'orgueil de Prométhée soit la tyrannie de Zeus.

Tout ceci me ramène à cette phrase culte du générique de la série animée Ulysse 31 "Quiconque ose défier la puissance de Zeus doit être puni."

87.
Doc ne peut pas se dépêtrer tout seul d'une telle situation. C'est pourquoi sa rencontre avec Marty est de ce point de vue fondatrice. Pas tant celle des années 80 (d'autant qu'elle est annulée dès le premier voyage de Marty) que celle qui se déroule en 1955 dans Retour vers le futur I. Lorsque Marty débarque chez le docteur, celui-ci apparaît comme un asocial à moitié dingue, le parfait cliché du savant fou vu plus haut, dont les inventions ratent systématiquement et qui refuse tout d'abord de l'écouter. Ce portrait pittoresque est en réalité destiné à montrer qu'Emmett Brown est parfaitement inoffensif ou a fait en sorte de l'être en se mettant en marge de la société et en ne construisant que des machines qui ne marchent pas.

L'invention (ratée) par laquelle on découvre Doc en 1955 n'est pas aussi loufoque qu'elle en a l'air, rien n'étant laissé au hasard dans la saga. L'analyseur à ondes cérébrales avait pour but de découvrir les intentions des personnes à qui il avait affaire. (Echaudé par ses précédentes expériences, le Doc de 1955 redoutait de se faire manipuler de nouveau).

L'invention (ratée) par laquelle on découvre Doc en 1955 n'est pas aussi loufoque qu'elle en a l'air, rien n'étant laissé au hasard dans la saga. L'analyseur à ondes cérébrales avait pour but de découvrir les intentions des personnes à qui il avait affaire. (Echaudé par ses précédentes expériences, le Doc de 1955 redoutait de se faire manipuler de nouveau).

88.
Bob Gale a raconté comment Doc et Marty avaient fait connaissance dans les années 80. De façon assez logique, la curiosité de Marty a été piquée par les rumeurs qui couraient sur lui (dangereux, fou, cinglé etc.) Et un jour quand il avait 13-14 ans il s'est glissé dans son atelier et a"flashé" sur les inventions et la personnalité de Doc en qui il a reconnu un alter ego. Très heureux que Marty l'apprécie et l'accepte tel qu'il était, Doc lui a offert un poste d'assistant, rémunéré 50 dollars par semaine ainsi que l'accès à sa collection de disques vintage. Si on regarde attentivement les objets qui entourent Doc, on peut constater qu'il est lui aussi un passionné de musique: il possède un piano dans son manoir, un saxophone et un juke-box dans son garage sans parler de l'amplificateur qu'il a construit spécialement pour Marty.

Dans le film Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur  les enfants d'Atticus (avocat et homme juste de l'histoire) sont tellement fascinés par la maison de "Boo", leur mystérieux voisin reclus (il se protège de la laideur de Maycomb, la petite ville sudiste raciste dans laquelle ils vivent) qu'ils finissent par tenter d'y pénétrer.

Dans le film Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur les enfants d'Atticus (avocat et homme juste de l'histoire) sont tellement fascinés par la maison de "Boo", leur mystérieux voisin reclus (il se protège de la laideur de Maycomb, la petite ville sudiste raciste dans laquelle ils vivent) qu'ils finissent par tenter d'y pénétrer.

Idem avec l'autre grand succès de Zemeckis, Forrest Gump où la ville sudiste et raciste de Savannah rejette aussi son "idiot du village". Lequel semble sur le point de partir (la valise, l'arrêt de bus) mais en réalité ne bouge pas.

Idem avec l'autre grand succès de Zemeckis, Forrest Gump où la ville sudiste et raciste de Savannah rejette aussi son "idiot du village". Lequel semble sur le point de partir (la valise, l'arrêt de bus) mais en réalité ne bouge pas.

89.

Grâce à son savoir sur le futur de son ami, Marty change sa destinée. Tout d'abord une amitié très forte naît entre eux ce qui rompt l'isolement de Doc et le fait évoluer de façon irréversible. Une relation complexe car en un sens les deux personnages ont le même âge (le savoir de Marty sur le futur compense sa jeunesse et l'immaturité d'Emmett Brown son âge avancé) mais d'un autre côté il y a aussi une relation père-fils entre eux (réciproque, ils se confient, se protègent et se sauvent mutuellement un nombre incalculable de fois).

Lorsque Marty le serre contre lui (il a peur de ne plus jamais le revoir), Doc est tellement estomaqué qu'il met quelques secondes avant de savoir comment réagir!

Lorsque Marty le serre contre lui (il a peur de ne plus jamais le revoir), Doc est tellement estomaqué qu'il met quelques secondes avant de savoir comment réagir!

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Marty bouleverse également la vie de Doc en lui montrant la machine qu'il a fabriqué et en étant la preuve vivante de son fonctionnement. "Ca marche, ça marche, j'ai inventé quelque chose qui marche!"; " Tu as changé ma vie, tu m'as donné un but." "Merci à toi". C'est le moment où le temps qui s'était arrêté se met enfin de nouveau à avancer pour lui. Mais c'est aussi le début des problèmes de responsabilité avec cette machine dont l'utilisation entraîne des réactions en chaîne rapidement incontrôlables. Bref la sortie d'une certaine "innocence" de l'enfance qui a un prix.

Le jour où Marty rencontre Doc le 5 novembre 1955, celui-ci vient juste d'inventer le convecteur temporel (inspiré des théories d'Einstein sur la conversion Espace-Temps-Matière-Energie) qu'il a matérialisé sur un dessin.

Le jour où Marty rencontre Doc le 5 novembre 1955, celui-ci vient juste d'inventer le convecteur temporel (inspiré des théories d'Einstein sur la conversion Espace-Temps-Matière-Energie) qu'il a matérialisé sur un dessin.

Marty lui montre alors le convecteur temporel qui fait voyager la DeLoréan en 1985 et Doc réalise qu'il s'agit bien du système qu'il vient d'imaginer.

Marty lui montre alors le convecteur temporel qui fait voyager la DeLoréan en 1985 et Doc réalise qu'il s'agit bien du système qu'il vient d'imaginer.

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Doc va consacrer effectivement les trente années suivantes à fabriquer sa machine à voyager dans le temps. Pour y parvenir il fait sauter son manoir en 1962 et se réfugie dans son garage-atelier. Il le fait pour toucher la prime d'assurance et vendre son domaine afin de financer ses recherches sur la Deloréan. Mais c'est aussi un moyen de liquider un héritage encombrant et de repartir à zéro: le manoir rappelle en effet un peu trop la vieille aristocratie allemande qui s'est donnée à Hitler (sinon il aurait vendu sa maison, il ne l'aurait pas détruite). 1962 n'est pas une date choisie au hasard: c'est l'année de la crise des missiles à Cuba qui a failli se transformer en catastrophe nucléaire mondiale. Et qui est l'inventeur des missiles? Werhner Von Braun!

Le manoir de Doc en 1955, entouré d'un grand parc au 1640 avenue Riverside. Son garage est au bout de l'allée.

Le manoir de Doc en 1955, entouré d'un grand parc au 1640 avenue Riverside. Son garage est au bout de l'allée.

"Il a fait sauter son manoir parce qu'il y avait des fantômes?". Car de même que le temple, le manoir suscite des associations bien précises dans l'inconscient.

"Il a fait sauter son manoir parce qu'il y avait des fantômes?". Car de même que le temple, le manoir suscite des associations bien précises dans l'inconscient.

En 1985, l'avenue Riverside, devenue entre-temps l'avenue John Kennedy s'est recouverte de commerces. Doc survit au 1646 dans son garage exigu et mal chauffé à côté d'un Burger King et d'un Toys'R US. La réduction drastique de son espace vital cerné par la consommation triomphante est un symbole lourd de sens.

En 1985, l'avenue Riverside, devenue entre-temps l'avenue John Kennedy s'est recouverte de commerces. Doc survit au 1646 dans son garage exigu et mal chauffé à côté d'un Burger King et d'un Toys'R US. La réduction drastique de son espace vital cerné par la consommation triomphante est un symbole lourd de sens.

Dans Forrest Gump, les traumatismes d'enfance de Jenny sont symbolisés par la maison de son père que Forrest décidera de faire raser après la mort de celle-ci.
Dans Forrest Gump, les traumatismes d'enfance de Jenny sont symbolisés par la maison de son père que Forrest décidera de faire raser après la mort de celle-ci.

Dans Forrest Gump, les traumatismes d'enfance de Jenny sont symbolisés par la maison de son père que Forrest décidera de faire raser après la mort de celle-ci.

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Mais son héritage le rattrape avec la Deloréan comme le montrent les événements situés au début de RVLF I. C'est pourquoi Marty va tout essayer pour déjouer le destin en informant le Doc de 1955 de ce qui l'attend en 1985. C'est à ce moment là que le conflit se manifeste. Alors que Doc est complètement transporté à la perspective de savoir qu'il verra 1985 et qu'il réussira à voyager dans le temps il est effrayé à l'idée de connaître son avenir, se contredisant en affirmant que "l'homme ne doit pas connaître son destin. En savoir trop c'est se mettre en danger." "Les informations sur le futur peuvent être dangereuses." Et lorsque Marty lui dit "C'est un risque que vous devez prendre. Votre vie en dépend." il lui répond qu'il refuse d'accepter la responsabilité de "rompre le continuum espace-temps", celui-ci devant entraîner selon lui rien moins que la destruction de l'univers (avec le spectre de la bombe atomique en toile de fond.) 

Ne parvenant pas à se faire entendre, Marty écrit une lettre à Doc que celui-ci déchire aussitôt.

Ne parvenant pas à se faire entendre, Marty écrit une lettre à Doc que celui-ci déchire aussitôt.

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Heureusement, il comprend à temps l'absurdité de cette dérobade. Car il est trop tard, Marty a déjà transformé le présent et l'avenir de son père et donc rompu le "continuum spatio-temporel":

"Mon vieux a vraiment assuré, ça a marché, il a mis Biff KO d'un seul coup. Je savais pas qu'il pouvait le faire. Il a jamais tenu tête à Biff."

"Jamais??"

"Non. Pourquoi? Qu'y a-t-il?"

Car c'est lui, Emmett Brown qui a rendu cela possible. Il se rend compte qu'il doit en prendre la responsabilité, quelles que soient les perspectives effrayantes que cela ouvre.

Doc se rend compte qu'il est responsable d'un changement de l'histoire.

Doc se rend compte qu'il est responsable d'un changement de l'histoire.

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C'est pourquoi finalement il lit la lettre que Marty lui a écrite pour le prévenir du danger qui le menace et s'en prémunit à l'aide d'un gilet pare-balles. Et lorsque Marty lui rappelle ses réticences "Et tout ce baratin sur les événements futurs qu'il ne fallait pas faire foirer? Le continuum espace-temps?" Il lui répond "Je me suis dit: on s'en balance!" (la phrase libératrice par excellence, que certains qualifient d'irresponsable. Tout dépend en fait du contexte car rien n'est simple dans cette histoire!)

L'une des caractéristiques de Doc c'est qu'il parvient toujours à recoller les morceaux. A l'image de Christopher Lloyd d'ailleurs qui avait dans un premier temps mis le script de Retour vers le futur à la poubelle... Il a eu tout le temps depuis de méditer sur ce qu'aurait été son destin s'il ne l'avait pas récupéré.
L'une des caractéristiques de Doc c'est qu'il parvient toujours à recoller les morceaux. A l'image de Christopher Lloyd d'ailleurs qui avait dans un premier temps mis le script de Retour vers le futur à la poubelle... Il a eu tout le temps depuis de méditer sur ce qu'aurait été son destin s'il ne l'avait pas récupéré.

L'une des caractéristiques de Doc c'est qu'il parvient toujours à recoller les morceaux. A l'image de Christopher Lloyd d'ailleurs qui avait dans un premier temps mis le script de Retour vers le futur à la poubelle... Il a eu tout le temps depuis de méditer sur ce qu'aurait été son destin s'il ne l'avait pas récupéré.

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A la fin du premier film, Doc se rend dans le futur et trouve une solution au problème énergétique que posent les voyages dans le temps. Il substitue une énergie vertueuse, (le biogaz grâce au générateur de fusion qui remplace le réacteur nucléaire de la DeLoréan) aux énergies dangereuses précédemment utilisées.

Recycler les déchets pour les transformer en énergie, une idée visionnaire en 1985.

Recycler les déchets pour les transformer en énergie, une idée visionnaire en 1985.

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En revanche la question éthique des risques entraînés par la "rupture du continuum espace-temps" n'est pas réglée. Elle se repose dans l'épisode II à cause de la rencontre entre Jennifer jeune et Jennifer âgée que le Doc ne parvient pas à empêcher "Les risques sont trop gros, cet incident le prouve". Puis par le vol de la Deloréan par Biff Tannen pour se venger et s'enrichir "Cela montre que le voyage dans le temps peut être mal utilisé et que la machine doit être détruite."

J'adore le moment où Doc fait taire cette bécasse de Jennifer dont la principale préoccupation dans RVLF II est de savoir si elle a fait un beau mariage, s'ils vivent dans un beau quartier etc. Et le changement d'actrice n'a pas aidé, elle fait la gueule en permanence.

J'adore le moment où Doc fait taire cette bécasse de Jennifer dont la principale préoccupation dans RVLF II est de savoir si elle a fait un beau mariage, s'ils vivent dans un beau quartier etc. Et le changement d'actrice n'a pas aidé, elle fait la gueule en permanence.

Il n'y a pas mort d'homme et encore moins destruction de l'univers mais Jennifer en est quitte pour quelques heures d'évanouissement, bien pratiques pour l'évacuer du scénario (qui était obligé de la faire figurer dans l'histoire à cause de la fin de retour vers le futur I écrite sans avoir envisagé la suite)

Il n'y a pas mort d'homme et encore moins destruction de l'univers mais Jennifer en est quitte pour quelques heures d'évanouissement, bien pratiques pour l'évacuer du scénario (qui était obligé de la faire figurer dans l'histoire à cause de la fin de retour vers le futur I écrite sans avoir envisagé la suite)

Dans la version apocalyptique de 1985, Hill Valley est ravagée à l'image du lycée de Marty, détruit dans un incendie. La scène a été coupée parce qu'elle plombait trop l'ambiance (qui devait rester celle d'une comédie).

Dans la version apocalyptique de 1985, Hill Valley est ravagée à l'image du lycée de Marty, détruit dans un incendie. La scène a été coupée parce qu'elle plombait trop l'ambiance (qui devait rester celle d'une comédie).

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De plus en plus submergé par la perception maléfique de sa machine ("J'aimerais n'avoir jamais inventé cette machine infernale. Elle n'a su engendrer que malheurs et désastres"), Doc est donc prêt à la détruire sans l'avoir utilisée pour ses recherches scientifiques ou son bénéfice personnel (à l'exception de son gilet pare-balle et de sa cure de rajeunissement soit la survie et l'avenir). Il en a été empêché par les libyens puis il s'est consacré au sauvetage de Marty et de sa famille. Enfin il a contribué à sauver Hill Valley des griffes de Biff Tannen, autant d'utilisations vertueuses ou rédemptrices. C'est à ce moment précis que la foudre frappe la voiture et l'expédie en 1885, au Far West.

La machine comme transcription de l'inconscient humain trouve dans RVLF II l'une de ses plus brillantes illustration. Alors que Doc ne cesse d'affirmer qu'une fois leur mission accomplie en 1955 ils retourneront en 1985 pour détruire la machine, celle-ci affiche à deux reprises la date de destination du 1er janvier 1885 ce qui l'oblige à taper sur le panneau d'affichage pour la faire disparaître et à se justifier en disant qu'elle est détraquée! Un vrai "retour du refoulé"!

La machine comme transcription de l'inconscient humain trouve dans RVLF II l'une de ses plus brillantes illustration. Alors que Doc ne cesse d'affirmer qu'une fois leur mission accomplie en 1955 ils retourneront en 1985 pour détruire la machine, celle-ci affiche à deux reprises la date de destination du 1er janvier 1885 ce qui l'oblige à taper sur le panneau d'affichage pour la faire disparaître et à se justifier en disant qu'elle est détraquée! Un vrai "retour du refoulé"!

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L'année 1885 n'est pas un hasard, Doc l'avait programmée puis y avait renoncé ("Mon seul regret c'est que je n'aurais jamais l'occasion de visiter mon époque préférée, le Far West."). En s'abattant sur la voiture, la foudre a réactivé les circuits temporels et l'a expédié à la date précise qu'il avait choisi. Un sacré coup de pouce du destin.
1885 c'est d'abord pour Doc un rêve d'enfance qui rejoint celui de Jules Verne "J'ai toujours rêvé de jouer au cow-boy." Dans un brouillon du scénario de RVLF III daté de 1988, Doc confie à Marty qu'il a passé tous les étés de son enfance dans le ranch de son oncle maternel, Abraham Lathrop qui lui a appris à monter à cheval, à tirer et à lancer le lasso. Et qui a dit à ses parents "Ce garçon est fait pour vivre à l'air libre et dans les grands espaces et non confiné à l'intérieur d'une salle de classe."

Entre choix et destin: les voyages dans le temps comme accomplissement de soi dans la trilogie Retour vers le futur (1985, 1989, 1990) Page 5

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Doc s'est également abreuvé de westerns des années 30, 40 et 50, notamment ceux de John Ford ("Fais-nous une chevauchée fantastique!") mais aussi de séries B avec l'acteur Roy Rogers. Dans les années 50, il n'a pas raté un seul épisode de l'émission de marionnettes Howdy Doody qui mélangeait cirque et Far West (et à laquelle Pixar rend aussi hommage dans Toy Story 2). Comme pour George et sa SF, les émissions TV de cette époque s'avèrent être un puissant vecteur d'imaginaire et de créativité.

Le western par la petite lucarne chez Doc en 1955.

Le western par la petite lucarne chez Doc en 1955.

Doc habille Marty en 1955 avec le costume criard de Roy Rogers qui fera de lui la risée des clients du saloon de Hill Valley. Le décalage générationnel entre les deux hommes s'incarne dans le fait que Marty -comme Zemeckis- ne jure que par Sergio Leone et Clint Eastwood que Doc ne connaît pas en 1955 (Clint débutait alors tout juste sa carrière au cinéma comme le rappellent les affiches clin-d'oeil du cinéma drive-in, Clint jouant alors de si petits rôles qu'il n'était même pas crédité au générique!).

Doc habille Marty en 1955 avec le costume criard de Roy Rogers qui fera de lui la risée des clients du saloon de Hill Valley. Le décalage générationnel entre les deux hommes s'incarne dans le fait que Marty -comme Zemeckis- ne jure que par Sergio Leone et Clint Eastwood que Doc ne connaît pas en 1955 (Clint débutait alors tout juste sa carrière au cinéma comme le rappellent les affiches clin-d'oeil du cinéma drive-in, Clint jouant alors de si petits rôles qu'il n'était même pas crédité au générique!).

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Mais surtout, aussi dure et violente soit-elle c'est une époque d'avant la chute de la technologie dans la barbarie. Bref à l'image du Far West, table rase est faite du passé et tout redevient possible. Dans un Hill Valley en construction, Doc peut refonder sa relation aux autres et sa place dans le monde. Il se dote à nouveau d'une identité sociale (il devient maréchal ferrant) tout en conservant la sienne mais en secret. C'est pour cela que cela ne lui pose pas de problème de conscience car il n'interfère pas avec le continuum espace-temps, imaginant simplement terminer sa vie paisiblement dans un cadre agréable.

La première apparition de Doc en 1885 annonce la couleur du renouveau. On n'a plus affaire au savant fou mais au héros romantique qui était caché dessous. Et sur le plan des armes, si celle qu'il utilisait en 1985 était en panne (à l'image de sa vie) son fusil-télescope lui fonctionne avec une précision chirurgicale!

La première apparition de Doc en 1885 annonce la couleur du renouveau. On n'a plus affaire au savant fou mais au héros romantique qui était caché dessous. Et sur le plan des armes, si celle qu'il utilisait en 1985 était en panne (à l'image de sa vie) son fusil-télescope lui fonctionne avec une précision chirurgicale!

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Mais le conflit qui l'habite n'est toujours pas réglé. La tombe du troisième film est là pour le rappeler. Car s'installer dans une époque qui n'est pas la sienne implique de prendre le risque d'interférer avec elle, donc de modifier le cours du temps. Et l'interférence la plus redoutable, c'est le coup de foudre qui est par définition incontrôlable. C'est la foudre qui a transporté Emmett Brown en 1885, c'est elle aussi, au sens figuré, qui s'abat sur lui lorsqu'il sauve Clara, le mettant dans une situation impossible.

Eros et Thanatos ont encore frappé. Même mécanisme que dans le premier film mais cette fois ce n'est pas la machine qu'il faut tuer dans l'oeuf mais cette histoire d'amour passionnelle avec Clara.

Eros et Thanatos ont encore frappé. Même mécanisme que dans le premier film mais cette fois ce n'est pas la machine qu'il faut tuer dans l'oeuf mais cette histoire d'amour passionnelle avec Clara.

Avec Doc, Thanatos n'est jamais très loin d'Eros et celui-ci se retrouve littéralement pris en sandwich entre sa pulsion de vie et sa pulsion de mort.

Avec Doc, Thanatos n'est jamais très loin d'Eros et celui-ci se retrouve littéralement pris en sandwich entre sa pulsion de vie et sa pulsion de mort.

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Pour la première fois dans la trilogie, Doc a fait ce qu'il redoutait le plus de faire. Il a rompu le continuum spatio-temporel en changeant lui-même de façon instinctive le destin d'un personnage. Dans la version originelle de l'histoire (sans Doc et sans Marty), Clara arrivait seule de la gare sur son chariot, ses chevaux s'emballaient, elle tombait au fond du précipice et mourait. Dans la version modifiée par la présence de Doc en 1885, il va la chercher à la gare mais c'est lui qui meurt trois jours après (en fait il est mortellement blessé par Buford dès le lendemain et met deux jours à succomber histoire d'en rajouter une couche dans le masochisme). Dans la version modifiée par la présence de Marty en 1885, Doc ne se rend pas à la gare car il espère éviter la rencontre avec Clara mais comme pour George ou pour Marty, on ne peut échapper à son destin. Doc est un sauveur (besoin de rédemption oblige) et Clara est sur son chemin, quoiqu'il fasse pour s'en écarter.

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On est à des années-lumière de l'atmosphère confinée du premier et du deuxième film! Pas étonnant que Doc puisse déployer ses ailes (Christopher Lloyd est en plus extrêmement doué en équitation ce qui conforte l'idée que Doc est comme un poisson dans l'eau dans cette époque).
On est à des années-lumière de l'atmosphère confinée du premier et du deuxième film! Pas étonnant que Doc puisse déployer ses ailes (Christopher Lloyd est en plus extrêmement doué en équitation ce qui conforte l'idée que Doc est comme un poisson dans l'eau dans cette époque).

On est à des années-lumière de l'atmosphère confinée du premier et du deuxième film! Pas étonnant que Doc puisse déployer ses ailes (Christopher Lloyd est en plus extrêmement doué en équitation ce qui conforte l'idée que Doc est comme un poisson dans l'eau dans cette époque).

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"Elle a dû avoir une sacrée frousse, après tout Mademoiselle Clayton a failli finir au fond du ravin Clayton. Le ravin Clayton ?

Oh la vache ! Eh Doc ! il a été baptisé comme ça à cause d'une institutrice, elle serait tombée dedans il y a 100 ans.

Il y a 100 ans ? mais c'est cette année ?

Tous les enfants connaissent cette histoire parce qu'ils aimeraient voir leur institutrice tomber dans le ravin.

Nom de Zeus ! Elle aurait dû tomber dans le ravin avec le chariot ! Mais alors, j'ai peut-être faussé le cours de l'histoire…"

Doc prend conscience de la "gravité" de ce qu'il vient de faire "Je me sens un peu responsable de ce qui est arrivé." Et pas qu'un peu! A 100%! Et maintenant il faut assumer...

Doc prend conscience de la "gravité" de ce qu'il vient de faire "Je me sens un peu responsable de ce qui est arrivé." Et pas qu'un peu! A 100%! Et maintenant il faut assumer...

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Avec ce dialogue, on touche à une question aussi délicate que la nitroglycérine: celle de la réécriture de l'histoire qui est à Zemeckis ce que la machine est à Doc. Zemeckis est un grand manipulateur d'images d'archives (on le voit déjà dans RVLF mais c'est encore plus flagrant dans Forrest Gump) et a été accusé à plusieurs reprises de révisionnisme néo-nazi (ou en France de lepénisme!) On lui a reproché par exemple d'avoir dépossédé la communauté noire de deux de ses contributions à l'histoire et la culture des USA: la genèse du rock et l'émancipation politique, toutes deux devenant des initiatives de Marty (qui souffle l'idée de la mairie à Goldie Wilson et de Johnny B Goode à Chuck Berry). Cela n'était sans doute pas conscient de la part de Zemeckis (c'était plutôt un jeu, un rêve) mais cela montre que le diable peut se cacher dans le moindre détail: la destruction de l'almanach ou d'une photo (un autodafé) ou les messages subliminaux (un viol des foules dans la propagande fasciste).

Biff Tannen et Marylin Monroe (RVLF II)

Biff Tannen et Marylin Monroe (RVLF II)

John Lennon et Forrest Gump. Difficile de distinguer le vrai du faux.

John Lennon et Forrest Gump. Difficile de distinguer le vrai du faux.

105.
En effet entre le révisionnisme (qui consiste à réinterpréter l'histoire en fonction de nouvelles sources ou d'un changement de contexte politique, social, culturel) et le négationnisme (qui consiste à effacer la mémoire de ses crimes en détruisant ou falsifiant ou dénigrant les preuves historiques) il n'existe que l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette. Celle de la conscience et de l'éthique. Et la frontière est d'autant plus ténue que les négationnistes emploient le mot révisionnistes pour se définir. 

Selon le Tao "Il n'y a pas l'épaisseur d'un fil d'araignée entre le bien et le mal. A chaque instant on peut basculer d'un côté ou de l'autre". A l'image de ses autres films The Walk sorti en 2015 est de facture artisanale, possède de multiples niveaux de lecture et reprend des thèmes qui lui sont chers (les rêves d'enfance, l'intégrité vis à vis de soi-même, le conflit avec le père, le goût des hauteurs, le sens de l'Histoire...) Zemeckis est un véritable trésor, en avoir la clé est un cadeau inestimable.

Selon le Tao "Il n'y a pas l'épaisseur d'un fil d'araignée entre le bien et le mal. A chaque instant on peut basculer d'un côté ou de l'autre". A l'image de ses autres films The Walk sorti en 2015 est de facture artisanale, possède de multiples niveaux de lecture et reprend des thèmes qui lui sont chers (les rêves d'enfance, l'intégrité vis à vis de soi-même, le conflit avec le père, le goût des hauteurs, le sens de l'Histoire...) Zemeckis est un véritable trésor, en avoir la clé est un cadeau inestimable.

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Zemeckis sait évidemment qu'il joue avec le feu (oui, lui aussi, bien sûr, forcément, puisque Doc est une projection de lui-même). Et en même temps, comment cela ne lui tiendrait-il pas à coeur? Lui aussi doit jongler avec ses racines.

Les négationnistes sont surnommés les faussaires de l'histoire. Zemeckis l'est aussi d'une certaine façon puisqu'il insère des personnages fictifs dans des images d'archives bien réelles et les fait interagir avec des personnages historiques. Mais leurs objectifs ne sont pas du tout les mêmes. Et il y a des barrières que les uns bafouent et pas l'autre.

Les négationnistes sont surnommés les faussaires de l'histoire. Zemeckis l'est aussi d'une certaine façon puisqu'il insère des personnages fictifs dans des images d'archives bien réelles et les fait interagir avec des personnages historiques. Mais leurs objectifs ne sont pas du tout les mêmes. Et il y a des barrières que les uns bafouent et pas l'autre.

107.
Les racines paternelles de Zemeckis se situent en Lituanie (pas de hasard, bien sûr...) La Lituanie fut l'un des épicentres de la Shoah car sa capitale Vilnius était un haut lieu de la culture juive européenne, "la Jérusalem de l'Europe du nord" et la haine antisémite très forte au sein de la population locale. De toutes les communautés juives d'Europe, celle de Lituanie fut la plus martyrisée. Plus de 95% des juifs lituaniens (254 mille sur 265 mille) furent exterminés par les nazis et les lituaniens collaborateurs. A cela s'ajoutèrent des formes de cruautés extrême comme l'interdiction faite à partir de 1942 aux femmes du ghetto de Kaunas d'accoucher sous peine de mort pour elles et leur famille ce qui les obligèrent à tuer leurs propres enfants. Aujourd'hui encore, ce pays n'assume pas son monstrueux passé collaborationniste. A quand le travail de mémoire de ce pays aussi nécessaire que celui qu'effectue en ce moment la Pologne?

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Pas question donc d'aller dans le passé pour effacer ses erreurs de jeunesse (l'achat de l'almanach ou la participation au programme Manhattan par exemple). Pas question non plus de réécrire la grande histoire. Doc ne fait que des choses qu'il pourrait parfaitement accomplir sans sa machine. C'est le cas lorsqu'il tranche le lien avec sa racine pourrie comme l'avait déjà fait son père avant lui et replante celles qui lui restent ailleurs (ce qui est plus ou moins l'histoire de la famille de Zemeckis). Le père de Doc, Erhardt Von Braun avait en effet déjà balisé le terrain en émigrant, en changeant de nom durant la première guerre mondiale et en épousant une jeune femme juive issue d'une famille de pionniers installés à Hill Valley depuis au moins les années 1880, Sarah Lathrop. 
 

Si la branche allemande des Von Braun (celle de Werhner) est purement aryenne, Doc est lui selon la terminologie nazie un "mischling", un sang-mêlé, comme l'est vraisemblablement aussi Zemeckis. Selon la religion juive, il est juif puisque la transmission de la judéité se fait par la mère. Cette double appartenance fait que Lathrop, le nom de jeune fille de sa mère est devenu son deuxième prénom. C'est dans un lieu souterrain que l'on découvre cette part de son identité -allusion au Voyage au centre de la terre- au début du troisième film. Les initiales E.L.B  (Emmett Lathrop Brown) deviennent alors sa signature en lien également avec le Far West et son oncle (le frère de sa mère, Abraham qui lui a appris l'essentiel de la vie de cow-boy).

Si la branche allemande des Von Braun (celle de Werhner) est purement aryenne, Doc est lui selon la terminologie nazie un "mischling", un sang-mêlé, comme l'est vraisemblablement aussi Zemeckis. Selon la religion juive, il est juif puisque la transmission de la judéité se fait par la mère. Cette double appartenance fait que Lathrop, le nom de jeune fille de sa mère est devenu son deuxième prénom. C'est dans un lieu souterrain que l'on découvre cette part de son identité -allusion au Voyage au centre de la terre- au début du troisième film. Les initiales E.L.B (Emmett Lathrop Brown) deviennent alors sa signature en lien également avec le Far West et son oncle (le frère de sa mère, Abraham qui lui a appris l'essentiel de la vie de cow-boy).

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Les erreurs ne sont pas effacées mais rachetées ce qui implique d'en assumer la responsabilité, tout le contraire des actes des nazis qui fuient ou nient les leurs. Ce sont sur les fils et petits-fils de bourreaux que pèse la culpabilité que leurs ancêtres n'ont pas assumé et rompre avec eux est le seul moyen de pouvoir revivre. Il en est ainsi par exemple de Rainer Höss, petit-fils de Rudolph Höss le commandant d'Auschwitz. Après une terrible période d'errements, il a rompu tous les liens avec sa famille et refondé sa filiation en se choisissant une grand-mère symbolique. Pas n'importe laquelle: une des jumelles survivante des expériences du docteur Mengele. Le fait que celle-ci ait accepté montre que le besoin est réciproque: "Je l'admire et je l'aime. Il a besoin de recevoir l'amour d'une famille, celle qu'il n'a jamais eu (...).Pardonnez à tous ceux qui vous blessent. Cela vous guérira de l'intérieur et vous rendra libre."'(Eva Mozes Kor).
Quant à ceux qui refusent cette voie, ils se suicident (soit directement soit en refusant d'avoir une descendance comme ce fut le cas des fils de Hans Frank, l'un des nazis jugés à Nuremberg) ou continuent de végéter dans l'idolâtrie mortifère de leurs ancêtres (comme la fille de Goering ou la majeure partie de la famille de Höss).

Rainer Höss et ses taouages (des noms de prisonniers, une étoile de david et la mention "N'oublie jamais." qui est au coeur de la culture juive "Zakhor".) Moi aussi j'admire cet homme qui a eu le courage de s'extraire d'une épouvantable hérédité pour en faire quelque chose de constructif.

Rainer Höss et ses taouages (des noms de prisonniers, une étoile de david et la mention "N'oublie jamais." qui est au coeur de la culture juive "Zakhor".) Moi aussi j'admire cet homme qui a eu le courage de s'extraire d'une épouvantable hérédité pour en faire quelque chose de constructif.

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Pour que l'insertion d'un personnage dans l'Histoire se fasse sans que cela ne passe pour du négationnisme, celui-ci doit bénéficier d'une protection spirituelle qui le rende imperméable à la corruption du monde. C'est pourquoi les personnages de Zemeckis sont très proches de ceux de Frank Capra: des candides au milieu des requins. Ils sont protégés par leur "innocence" qu'elle se nomme "idiotie " (dans le cas de Forrest Gump) ou "folie" (dans le cas de Doc). Ils sont évidemment rejetés par la société mais au final, ils réussissent sans vraiment le vouloir à devenir des sortes de guides spirituels car ce sont des figures christiques.

Longfellow Deeds, l'un des héros de Capra fait aussi partie de mes mentors spirituels depuis plus de 20 ans. Son comportement d'enfant-adolescent énigmatique (pour ceux qui ne jurent que par l'argent) conjugué à son fabuleux héritage (dont il ne veut pas) lui valent d'être la proie de tous les escrocs de New-York. Ils le prennent d'abord pour un idiot puis lorsqu'ils s'aperçoivent qu'il ne l'est pas et qu'il sait se défendre, ils tentent de le faire passer pour un fou. Jusqu'à ce qu'au tribunal s'engage un débat mémorable sur les notions de normalité et de différence, Deeds renvoyant à chacun le reflet de sa propre étrangeté.

Longfellow Deeds, l'un des héros de Capra fait aussi partie de mes mentors spirituels depuis plus de 20 ans. Son comportement d'enfant-adolescent énigmatique (pour ceux qui ne jurent que par l'argent) conjugué à son fabuleux héritage (dont il ne veut pas) lui valent d'être la proie de tous les escrocs de New-York. Ils le prennent d'abord pour un idiot puis lorsqu'ils s'aperçoivent qu'il ne l'est pas et qu'il sait se défendre, ils tentent de le faire passer pour un fou. Jusqu'à ce qu'au tribunal s'engage un débat mémorable sur les notions de normalité et de différence, Deeds renvoyant à chacun le reflet de sa propre étrangeté.

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Dans cette troisième version de la même histoire, Doc se retrouve donc face à un dilemme. D'un côté la crainte de manipuler le temps et de prendre le risque du paradoxe temporel bien plus que la perspective de se faire tuer (qui n'a jamais arrêté Doc, personnage courageux, téméraire, voire suicidaire): "je suis un scientifique, je dois me comporter comme tel. Je t'ai exhorté à ne jamais rompre le continuum pour ton profit personnel, c'est valable pour moi aussi." De l'autre la culpabilité d'avoir fait du mal à Clara car évidemment il n'est pas question de revenir en arrière et d'effacer le poids de ses actes (avoir choisi de vivre en 1885, avoir choisi de sauver la jeune femme et avoir entamé une relation amoureuse avec elle.) "Il ignorait comment il pourrait continuer à vivre en sachant la peine qu'il avait causé à cette jeune fille." Cette situation souligne encore une fois la règle morale implicite qu'ont choisi Gale et Zemeckis à propos de l'utilisation de la machine. Elle sert à donner une seconde chance de faire le bon choix et non à fuir (c'est à dire effacer) ses responsabilités.

"Je ne vais pas laisser une simple photographie décider de mon destin."

"Je ne vais pas laisser une simple photographie décider de mon destin."

112.
"On est pas à notre place ici. Ni vous ni moi Doc (...) Alors dites-moi, quel est le bon choix à faire, là-dedans" (Marty désigne son front, le siège du cerveau et donc de la raison).
Une première lecture peut laisser croire que celui qui se comporte comme un homme raisonnable dans cet épisode c'est Marty et que l'irresponsable est Doc. Une seconde lecture démontre que les deux personnages sont mûs par leurs pulsions et se comportent de façon irresponsable. L'attitude de Marty est dictée avant tout par la frustration et non par la raison. Qu'il compense par l'activisme viril via la manipulation des armes et le duel avec Buford (l'influence du Docteur Folamour, toujours...). Celle de Doc qui consiste à suivre Marty et à renoncer à Clara est une façon de fuir ses responsabilités, comme dans le premier film. Dans les deux cas la "raison" recouvre des motifs bien peu glorieux.

"Montre-nous donc que tu es un homme": le vendeur de foire qui offre le colt à Marty en bon publicitaire joue sur les clichés les plus éculés liés à la virilité. Vu le complexe de la mauviette qui mine Marty, celui-ci ne peut que mordre à l'hameçon ou plutôt au piège à c....

"Montre-nous donc que tu es un homme": le vendeur de foire qui offre le colt à Marty en bon publicitaire joue sur les clichés les plus éculés liés à la virilité. Vu le complexe de la mauviette qui mine Marty, celui-ci ne peut que mordre à l'hameçon ou plutôt au piège à c....

Même chose en ce qui concerne Doc qui croit régler son problème en mettant un terme à sa relation avec Clara alors qu'il ne fait que rajouter du mal sur ses craintes.

Même chose en ce qui concerne Doc qui croit régler son problème en mettant un terme à sa relation avec Clara alors qu'il ne fait que rajouter du mal sur ses craintes.

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C'est pourquoi en risquant sa vie pour le rejoindre, Clara oblige Doc à prendre ses responsabilités. Elle rejoue en effet la scène de leur rencontre puisqu'elle se retrouve à deux doigts de tomber à nouveau dans le ravin (ou sous les roues du train) et qu'une fois de plus il la sauve, scellant cette fois ci définitivement son destin. Il ne sont pas si nombreux, les films qui font une vraie place au désir féminin. Or c'est la force de ce désir qui balaie au final tous les obstacles, incarné par une Clara galopant à bride abattue sur son cheval, les cheveux au vent. Tout à fait à l'image de Lorraine adolescente dont Clara est en quelque sorte une version achevée, émancipée. (Et les parallèles entre les deux femmes sont nombreux, notamment dans la mise en scène avec la visite de l'atelier de doc ou la scène de bal ou encore la raclée exhutoire à Biff/Buford). Ce n'est pas un hasard: de même que Doc est une alternative à George, Clara est une alternative à Lorraine.

Les motifs de la chemise que porte Doc dans RVLF II montrent qu'il a déjà Clara dans la peau même s'il ne la connaît pas encore. Et dans le III il l'a encore sous forme de bandana. Ah ces messages subliminaux!

Les motifs de la chemise que porte Doc dans RVLF II montrent qu'il a déjà Clara dans la peau même s'il ne la connaît pas encore. Et dans le III il l'a encore sous forme de bandana. Ah ces messages subliminaux!

Aaaaah, que ça fait du bien! Encore! Encore!

Aaaaah, que ça fait du bien! Encore! Encore!

Le coup de pied de Clara à Buford qui l'a insultée.

Le coup de pied de Clara à Buford qui l'a insultée.

114.
La femme cristallise (et c'est exactement le mot qu'emploie Doc d'ailleurs "cristallisation émotionnelle") à la fois le bonheur et la souffrance liés aux voyages temporels aussi bien dans la Jetée, dans la Traversée du temps que dans Retour vers le futur. Dans les trois cas on a un homme venu d'un futur post-apocalyptique et voyageant dans le passé à la recherche d'un paradis perdu qui finit par s'incarner dans la figure d'une femme rédemptrice symbolisant la grâce divine. A la fin de RVLF III, Doc reçoit Clara comme un cadeau du ciel, une délivrance, une preuve qu'il est -enfin- pardonné.

"Cette image devait être la seule image du temps de paix à traverser le temps de guerre. Il ne savait pas s'il l'avait vue ou s'il avait créé ce moment de douceur pour étayer le moment de folie qui allait venir." La jeune femme de la Jetée est élevée au rang d'une véritable icône (la Jetée est une oeuvre profondément mystique ce qui explique que sa beauté touche souvent au sublime. Chaque fois que je la regarde, j'ai l'impression d'être dans une cathédrale).

"Cette image devait être la seule image du temps de paix à traverser le temps de guerre. Il ne savait pas s'il l'avait vue ou s'il avait créé ce moment de douceur pour étayer le moment de folie qui allait venir." La jeune femme de la Jetée est élevée au rang d'une véritable icône (la Jetée est une oeuvre profondément mystique ce qui explique que sa beauté touche souvent au sublime. Chaque fois que je la regarde, j'ai l'impression d'être dans une cathédrale).

Le tableau de paix d'influence bouddhiste pour lequel Chiaki est remonté dans le passé dans la Traversée du temps. "C'est un tableau étrange. remarque comme il apaise quand on le contemple (...) Il a été peint il y a des siècles alors que le pays de l'artiste était ravagé par une guerre très dure. Comment l'auteur a-t-il pu capter une telle sérénité alors que son monde était sur le point d'être anéanti?"

Le tableau de paix d'influence bouddhiste pour lequel Chiaki est remonté dans le passé dans la Traversée du temps. "C'est un tableau étrange. remarque comme il apaise quand on le contemple (...) Il a été peint il y a des siècles alors que le pays de l'artiste était ravagé par une guerre très dure. Comment l'auteur a-t-il pu capter une telle sérénité alors que son monde était sur le point d'être anéanti?"

Le télescope de Clara qui permet enfin de dégager l'horizon de Doc "Il n'y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n'y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel." (Le Dalaï-Lama) Comme les deux films cités plus haut RVLF III a une dimension mystique très forte (que Bob Gale a d'ailleurs reconnu).

Le télescope de Clara qui permet enfin de dégager l'horizon de Doc "Il n'y a personne qui soit né sous une mauvaise étoile, il n'y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel." (Le Dalaï-Lama) Comme les deux films cités plus haut RVLF III a une dimension mystique très forte (que Bob Gale a d'ailleurs reconnu).

115.
Rédemptrice, Clara l'est au plus haut point. C'est l'anti-Von Braun. Certes elle partage avec lui la passion pour Jules Verne et l'astronomie. Son père lui a offert son télescope quand elle avait 11 ans. Dans le cas de Wernher Von Braun c'est sa mère qui lui a offert son télescope quand il avait 13 ans. Mais Clara utilise ses connaissances dans un but de transmission (elle est institutrice) et non dans un but de puissance. Et elle a en plus un esprit tout aussi visionnaire que Doc ce qui en fait le symbole d'une possible refondation du rêve vernien.

Entre choix et destin: les voyages dans le temps comme accomplissement de soi dans la trilogie Retour vers le futur (1985, 1989, 1990) Page 5

116.

 

"Des Clara, on en trouve une sur des millions, une sur des milliards, une sur x puissance infini." Les femmes de sciences ne courent pas les rues et lorsqu'elles existent, la société les annihilent d'une façon ou d'une autre: brûlées, lynchées, effacées des livres d'histoire (un négationnisme "à la source" dont on ne parle jamais, l'histoire étant largement écrite par des hommes). La chute de Clara dans le précipice est une excellente métaphore de la place qui l'attendait à Hill Valley. Les mentalités ont depuis bien peu changé. On ne compte plus les "soi-disant" fans de RVLF qui insultent Lorraine à longueur de page et rêvent de tuer Clara d'une façon ou d'une autre (et ils ont beaucoup d'imagination, j'ai pu le vérifier). Ils ne se rendent même pas compte que la trilogie leur tend un miroir, celui de Biff Tannen, la brute sexiste au cerveau de pois chiche qui ne jure que par ce qu'il a en dessous de la ceinture.

Voilà une excellente définition du fan hétéro-macho de base. L'influence du Docteur Folamour est encore une fois ici évidente. Le film de Kubrick ramène tout en effet à des querelles d'ego ou plutôt de phallus par le biais des armes (je recommande aussi le coup de "c'est qui qui a la plus haute (tour)? C'est moi le roi, non c'est moi le seigneur, non c'est moi l'Emir de Dubaï etc.").

Voilà une excellente définition du fan hétéro-macho de base. L'influence du Docteur Folamour est encore une fois ici évidente. Le film de Kubrick ramène tout en effet à des querelles d'ego ou plutôt de phallus par le biais des armes (je recommande aussi le coup de "c'est qui qui a la plus haute (tour)? C'est moi le roi, non c'est moi le seigneur, non c'est moi l'Emir de Dubaï etc.").

117.
"Emmett, croyez-vous qu'un jour viendra où nous pourrons nous embarquer pour la lune comme nous voyageons à travers le pays, en train ? (Clara)

Sans nul doute, remarquez il faudra attendre 84 ans et ce ne sera pas en train mais en véhicule spatial, en capsule envoyée dans les airs par des fusées, des appareils qui produisent de gigantesques explosions, des explosions si... si puissantes, qu'elles su... (Doc)

...Qu'elles suppriment tout effet de pesanteur et envoient le projectile dans la stratosphère !" (Clara)
De la terre à la lune est le roman préféré de Clara qui est complémentaire de Doc puisque lui rêve plutôt d'explorations sous-marines et souterraines. Cette complémentarité symbolise l'harmonie et la plénitude de leur union d'autant que ce dialogue a évidemment un double sens, celui du sublime Madame rêve qui est au féminin ce que Docteur Folamour est au masculin. D'ailleurs comme lors du moment où il l'invite à danser, Doc laisse sa phrase en suspens et c'est Clara qui d'un ton ferme et définitif la termine pour lui, à l'image d'une personnalité qui comme on le sait va jusqu'au bout de ses désirs. 

Le créateur et sa muse.

Le créateur et sa muse.

118.
Voilà pourquoi lorsqu'ils se rencontrent, Doc et Clara se reconnaissent comme deux personnes très spéciales, dont la place est partout et nulle part ce qui ouvre tous les possibles.

"Vous avez lu Jules Verne ? (Doc)

Ah j'adore Jules Verne ! (Clara)

Mais je l'adore aussi !" (Doc) (...)

"Je n'avais jamais rencontré une femme qui aime Jules Verne." (Doc)

"Je n'avais jamais, jamais rencontré quelqu'un comme vous." (Clara)

Plus rien ne s'oppose à la nuit.

Plus rien ne s'oppose à la nuit.

René Magritte, Désir.

René Magritte, Désir.