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Pépé le Moko

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1937)

Pépé le Moko

Si j'ai des réserves sur certains films de Julien DUVIVIER (relatifs au scénario), ce n'est pas le cas de "Pépé le Moko", film noir à la française génialement transposé dans l'Algérie coloniale. Génialement car avec la Casbah d'Alger, Duvivier a trouvé un équivalent aux quartiers de la pègre des grandes villes américaines, l'exotisme en plus*. Présentée de façon quasi-documentaire au début du film**, la Casbah (la vieille ville arabe située sur les hauteurs d'Alger et cernée par les quartiers européens plus récents) est un dédale urbain de ruelles étroites et emmêlées mal contrôlées par les autorités françaises qui a servi de bastion au FLN pendant la guerre d'indépendance. Il est donc logique qu'à l'époque coloniale, ce quartier ait servi de refuge à tous ceux qui pour une raison ou pour une autre cherchaient à échapper aux autorités. Ce contexte historique très riche se marie avec une topographie, une architecture et une atmosphère unique que Julien Duvivier et son équipe ont parfaitement reconstitué en studio pour narrer un destin indissociable de lui. La virtuosité formelle et la qualité des dialogues de Henri JEANSON sert la limpidité du propos. Car que raconte au fond ce film sinon l'histoire d'un déraciné (un dangereux malfaiteur parisien recherché par la police) qui a trouvé refuge dans la Casbah mais qui s'y sent emprisonné puisqu'il sait qu'il ne peut mettre un pied dehors sans être arrêté. Le film est d'une fatalité implacable: pour lui n'existe aucun échappatoire, aucune planche de salut ici-bas: c'est derrière des barreaux qu'il voit son rêve de liberté et de retour au pays s'envoler. Plus que l'intrigue à la "Scarface" (1931) avec ses truands typés (le jeunot, le grand-père, le gros bras etc.), son flic retors, sa femme fatale et ses indics (Fernand CHARPIN et Marcel DALIO dont les méthodes ne brillent pas par leur subtilité, le premier étant même au centre d'une scène de règlement de comptes impressionnante) c'est la mélancolie du personnage porté par Jean GABIN chantant sa nostalgie du Paris perdu et des autres marginaux qui l'accompagnent (dont une poignante FRÉHEL, chanteuse alors oubliée dans un rôle autobiographique) qui donne toute sa profondeur au film, historiquement "habité".

* Juste retour des choses, "Pépé le Moko" (1937) inspirera quelques années plus tard "Casablanca" (1942).

** Mais pas de façon neutre: dans les années 30, le gouvernement français cherche à convaincre une population métropolitaine relativement indifférente de l'intérêt de son Empire colonial ("la plus grande France"). L'exposition coloniale de 1932 au bois de Vincennes s'inscrit donc dans le même effort propagandiste que "Pépé le Moko" ce qui n'enlève rien à sa valeur historique documentaire.

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Mort sur le Nil (Death on the Nile)

Publié le par Rosalie210

John Guillermin (1977)

Mort sur le Nil (Death on the Nile)

En rachetant la Fox en 2019, Disney a eu accès à un catalogue de films et de séries qui lui a permis de lancer sa propre plateforme de streaming, Disney +. "Mort sur le Nil" réalisé en 1977 par John Guillermin figure en bonne place dans cette offre et ce d'autant plus que la sortie du remake réalisé par Kenneth Branagh la même année et qui devait servir de vitrine à la plateforme a été repoussée de deux ans suite à la crise du covid et aux accusations de viol touchant l'interprète de Simon Doyle, Armie Hammer. Disney ne pouvait pas tout prévoir! 

Comme "Le crime de l'Orient-Express", "Mort sur le Nil" est un whodunit c'est à dire une enquête à huis-clos façon Cluedo dans un moyen de transport mettant en scène le détective belge Hercule Poirot et un aéropage de représentants plus ou moins excentriques de la haute société britannique qui ont tous un lien avec le crime commis. Comme l'adaptation cinématographique de "Le crime de l'Orient-Express" par Sidney Lumet en 1974, celle de John Guillermin qui traversait alors sa meilleure période cinématographique réunit un casting prestigieux (Bette Davis, Mia Farrow, Maggie Smith, Angela Lansbury etc.). Peter Ustinov qui reprend le rôle de Hercule Poirot après que Albert Finney ait décliné l'offre est savoureux. La mise en scène est inventive, que ce soit dans l'utilisation d'un site antique pour une scène à suspense, les visualisations des scènes de meurtres sous différents angles et avec différents suspects ou certains traits d'humour (ainsi le personnage joué par Angela Lansbury raconte qu'elle était sortie admirer le paysage alors qu'un flashback la montre en train d'acheter en douce des bouteilles de gin). On peut également souligner la qualité de l'adaptation (le scénario est de Anthony Shaffer qui a signé aussi ceux de "Frenzy" et de "Le Limier"), de la musique (par Nino Rota) et de la photographie. Le résultat est un divertissement réussi, même si le procédé est éventé depuis longtemps (le spectateur devine très vite qui est le véritable coupable).

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L'Avventura

Publié le par Rosalie210

Michelangelo Antonioni (1960)

L'Avventura

La mort de Monica VITTI a remis en lumière l'importance des films qu'elle a tourné avec Michelangelo ANTONIONI dans l'histoire de la cinématographie mondiale et en particulier le premier d'entre eux, "L'Avventura" qui l'a révélée. Bien que présenté comme un film en rupture avec les courants cinématographiques qui l'ont précédé (le classicisme, le néoréalisme etc.), "L'Avventura" se positionne plutôt comme un héritier qui propose quelque chose de nouveau. Un héritier car "Une femme disparaît" (1938) et qui dans "Psychose" (1960) disparaît au bout d'une demi-heure de film pour ne plus revenir alors qu'il était présenté comme le personnage principal renvoie à Alfred HITCHCOCK. Mais Michelangelo ANTONIONI refuse la voie du thriller psychologique et emprunte un chemin plus déroutant, celui de l'errance existentialiste dans laquelle la disparue s'évanouit des mémoires autant que du récit pour ne plus laisser qu'un grand vide. Sa recherche sur l'île rocheuse par ses amis prend la forme d'une errance labyrinthique dans le désert, errance qui renvoie chacun à son grand vide intérieur et à sa quête de sens dans un monde gagné par l'absurde. Car la bourgeoisie dépeinte dans le film transpire un profond mal-être, incapable qu'elle est d'aimer et de créer. Les paysages de ruines, les artères urbaines désolées, les salles immenses que traversent ensuite Sandro, le fiancé et Claudia, la meilleure amie de la disparue reflètent cet état de fait. Partis tous deux pour soi-disant enquêter sur la disparition d'Anna (soit un schéma qui rappelle encore une fois celui de "Psychose") (1960), ils oublient celle-ci en chemin, s'en servant comme prétexte pour entamer une liaison qui semble aussi vaine que celles qui l'ont précédé dans l'histoire, que ce soit celle de Sandro et Anna ou celles de leurs amis mondains. Le pire étant le couple disparate formé par Corrado et Giulia qui se venge des humiliations que lui fait subir son époux bien plus âgé, imbu de sa soi-disant supériorité culturelle et qui ne perd pas une occasion pour l'humilier en cédant aux avances d'un très jeune peintre. D'ailleurs les cadres très picturaux que Sandro et Claudia traversent font penser au dépouillement, à la minéralité et aux formes architecturales des tableaux de Giorgio de Chirico.

Néanmoins on ne peut réduire "L'Avventura" à ce versant nihiliste. Parce que s'il n'était que cela, aussi beau soit-il, il ne serait pas un grand film, un film inspirant pour les générations suivantes (Lars von Trier lui doit à mon avis beaucoup). La disparition d'Anna et de son actrice, Lea MASSARI permet à sa meilleure amie et donc à Monica VITTI qui était jusque là en position périphérique de passer au premier plan et de l'inonder de lumière. Le magnétisme que dégage son visage envahit l'écran et ne le quitte plus. Et contrairement à Sandro (Gabriele FERZETTI) qui semble vivre en mode automatique et que rien ne semble affecter, Claudia ressent bien plus que les autres la perte de son amie et les contradictions qui l'accompagnent (tristesse, manque mais aussi culpabilité et peur que celle-ci ne resurgisse quand elle entame une liaison avec Sandro). Une autre contradiction -qui n'est qu'apparente- la traverse, entre la solitude qui l'entoure (c'est le seul personnage non accompagné de l'histoire et elle ne peut former un couple qu'au prix de la disparition d'un autre) et le regard pesant que la société pose sur elle (les cadres se peuplent soudain de gens au regard inquisiteur auxquels elle a du mal à échapper). Enfin, c'est le seul personnage qui semble connecté à une dimension invisible qui s'invite dans le film à plusieurs reprises quand l'image et la bande-son laissent entrer les puissances de la nature: mouvement des vagues, force du vent. Et c'est là que je n'ai pu m'empêcher de penser à un film postérieur d'une quinzaine d'années à "L'Avventura" mais qui présente de troublantes similitudes avec lui: "Pique-nique à Hanging Rock" (1975) de Peter WEIR et ses adolescentes blondes ultra-civilisées évaporées sans explication dans la nature, comme "avalées" dans les anfractuosités d'un site rocheux dont on ne parvient pas à percer le mystère (celui du gouffre insondable du désir et de la sexualité).

Cette dualité est parfaitement résumée dans la dernière scène et à l'intérieur de celle-ci par la dernière image du film, absolument fascinante. Bien qu'une scène antérieure nous fasse comprendre que derrière sa minéralité de façade, Sandro n'est en fait qu'un bloc de frustrations (l'incapacité de créer, encore), il faut attendre la fin pour voir enfin ce monolithe de pierre se fissurer et quelque chose d'humain apparaître derrière, quelque chose d'accablé et de vaincu auquel Claudia répond, non sans hésitation. On voit alors l'image se couper en deux de manière parfaitement symétrique: le mur de pierres à droite et l'ouverture à gauche avec le couple regardant un paysage dans le lointain.

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L'Esclave libre (Band of Angels)

Publié le par Rosalie210

Raoul Walsh (1957)

L'Esclave libre (Band of Angels)

"Autant en emporte le vent" (1938) numéro 2, "L'esclave libre"? Superproduction hollywoodienne certes, traitant du même thème certes (esclavage et guerre de Sécession), avec le même acteur certes (Clark GABLE avec vingt ans de plus) mais dans lequel le racisme et ses ravages joue un rôle bien plus important, Raoul WALSH ayant un point de vue nettement plus engagé sur la question que Victor FLEMING. Il y a quand même quelques (grosses) couleuvres à avaler. Yvonne DE CARLO n'est pas métisse et aucun effort n'est fait pour qu'elle passe pour telle sans doute pour que l'américain blanc moyen de 1957 s'identifie à elle et compatisse à son sort. Le scénario, adapté du roman "Band of Angels" de Robert Penn Warren comporte quelques grosses invraisemblances. On ne peut guère imaginer qu'un planteur du XIX° siècle élève la fille qu'il a eu d'une esclave noire comme si elle était sa fille légitime (puisqu'elle porte son nom) au vu et au su de tout le monde (sauf de la principale intéressée) sans que cela ne pose le moindre problème dans une société phobique du métissage. Et encore moins que celui-ci meure sans avoir pris la moindre disposition pour la protéger des esclavagistes après avoir passé vingt ans à la faire éduquer dans les meilleures écoles. Le personnage de Clark Gable est également un peu trop beau pour être vrai en ancien négrier cherchant à se racheter, même si on devine qu'une histoire d'amour interdite est (encore!) derrière tout ça et que ce n'est pas par hasard si la rédemption de Hamish Bond a commencé le jour où il a sauvé son rejeton. Lequel devenu adulte éprouve un sentiment inextricable d'amour et de haine vis à vis de son maître qui se comporte avec lui en père adoptif et dont on se demande s'il n'est pas son père biologique. La relation entre Rau-Ru (Sidney POITIER dans un de ses meilleurs rôles) et Hamish Bond (qui veut dire "lien") est autrement plus intéressante que celle, très balisée par les conventions romantiques et romanesques de l'époque entre Hamish Bond et Amantha Starr. Un des passages que je trouve parmi les plus remarquables du film est ce leitmotiv lancinant (il revient trois fois!) de l'homme traqué et en fuite. Le film s'ouvre sur deux esclaves cherchant à s'échapper de la plantation du père d'Amantha puis c'est Rau-Ru qui après avoir frappé un prétendant trop entreprenant avec Amantha doit s'enfuir vers le nord où il s'enrôle chez les nordistes. Enfin, dans un saisissant renversement de situation, c'est Amish Bond qui fuit les nordistes lancés à sa poursuite dans les marais. Nordistes dont Raoul WALSH souligne les préjugés racistes tout aussi ancrés dans leurs mentalités que dans celles des sudistes. Seuls des individus isolés parviennent à échapper à l'aliénation générale et à se libérer semble dire la mise en scène qui montre Rau-Ru observant Amish fausser compagnie à ceux qui l'ont arrêté grâce aux menottes qu'il avait lui-même truqué avant de s'embarquer avec Amantha pour on ne sait quel ailleurs.

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L'Enfant de la barricade/L'émeute sur la barricade/Anarchiste

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1906)

L'Enfant de la barricade/L'émeute sur la barricade/Anarchiste

Ce court-métrage qui possède plusieurs titres (j'en ai mis trois mais il en existe d'autres variantes) est considéré comme la première adaptation du roman "Les Misérables" de Victor Hugo. Compte-tenu de sa durée, il n'en adapte qu'un fragment, inspiré de l'histoire de Gavroche. Inspiré seulement car la version qu'en donne le court-métrage est très différente. Et pour cause, Victor Hugo a également écrit un poème "Sur une barricade", publié dans le recueil l'Année terrible en 1872 et qui fait référence à la Commune de Paris. Et c'est bien plus de ce poème qu'est tiré l'argument du film que de l'échec de l'insurrection de 1832. L'auteur y évoque en effet un enfant arrêté par les Versaillais pour avoir combattu avec les Communards mais qui obtient l'autorisation d'aller rendre sa montre à sa mère avant d'être fusillé. Comme il tient parole, l'officier impressionné par son courage lui fait grâce.

Dans la version de Alice Guy (je me demande encore comment Gaumont a pu attribuer le court-métrage à un homme tant le point de vue féminin se fait ressentir), l'enfant est innocent (il est pris pour un émeutier alors qu'il est juste sorti pour faire des courses), le personnage de la mère joue un rôle actif en s'interposant entre son enfant et l'officier et la montre devient une bouteille de lait. Il y a d'ailleurs un va-et-vient entre l'intérieur symbolisé par la cuisine (le ventre de la mère) et l'extérieur, théâtre de la tuerie perpétré par les hommes sur d'autres hommes. En devenant actrice politique et historique, la femme perturbe cet ordre du monde à l'image de Alice Guy qui réalisait des films. Elle n'avait cependant pas pensé que l'histoire pouvait être manipulée selon les intérêts politiques du moment et donc que les femmes pouvaient en être effacées.

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Tokyo Shaking

Publié le par Rosalie210

Olivier Peyron (2021)

Tokyo Shaking

Voilà un film, sorti en juin 2021 qui ne paye pas forcément de mine mais pourtant qui vaut le détour. En effet il donne un bon aperçu de la diversité du comportement humain en situation de crise à l'échelle d'une entreprise. L'introduction adopte un ton satirique ("tout va très bien Madame la Marquise") pour signifier que dans leur tour d'ivoire (ou plutôt de verre et d'acier) les décideurs (dys)fonctionnent selon leur logique fictionnelle du "storytelling capitaliste" jusqu'à l'absurde. Absurde que va boire jusqu'à la lie Alexandra, cadre ambitieuse spécialisée dans la finance expatriée à Hong-Kong avec sa famille à qui l'antenne japonaise d'une banque française offre une promotion. Elle déménage donc avec ses enfants et découvre (première déconvenue) qu'au lieu de lui donner des tâches financières, on lui fait faire le sale boulot des RH: dégraisser le personnel. Et la voilà en train d'annoncer la mauvaise nouvelle à son stagiaire qu'elle avait pourtant promis d'intégrer alors que la terre se met à trembler. Mais pendant un certain temps, Alexandra comme le reste du personnel continuent comme si de rien n'était car rien ne doit arrêter la machine entrepreneuriale.

La suite relève de la même logique. Alors que le réel cogne de plus en plus fort à la porte des métropoles mondialisées qui dirigent le monde (séisme puis tsunami puis catastrophe nucléaire, le film reconstituant les événements ayant conduit à l'accident nucléaire de Fukushima), Alexandra n'entend autour d'elle que des discours "rassuristes" (ça ne vous rappelle rien?) sur le thème "tout est sous contrôle", doit préparer une évacuation collective du personnel de l'entreprise sur les ordres de son chef qui va s'avérer être une pure manoeuvre de diversion pendant que ce dernier s'enfuit en douce, découvre comment les traders spéculent sur la catastrophe, reçoit des consignes contradictoires qui la mettent dans une situation impossible (une mère de famille doit sauver ses enfants mais une cadre d'entreprise doit rester à son poste sous peine d'être licenciée, ça s'appelle la double contrainte et ça, notre société adore!) etc., etc. Et c'est ainsi que l'on découvre, ô surprise, que lorsque la bulle d'illusion créée par l'aveuglement collectif éclate (comme les bulles spéculatives), c'est le chaos du chacun pour soi qui l'emporte alors qu'on nous vante à longueur de temps notre capacité à gérer les risques et que les chances de s'en sortir varient selon votre place dans la hiérarchie sociale, votre niveau de revenus, la qualité de votre réseau, votre genre, votre nationalité etc. Bref que toutes les inégalités en temps de crise sont exacerbées. Dans cette nouvelle configuration, Alexandra se retrouve au final malgré elle du côté des victimes et devient solidaire d'eux. Une découverte de soi à travers une société des antipodes dont elle adopte les codes et qu'elle apprend à découvrir. Symboliquement à la fin du film, Alexandra quitte les lieux occidentaux dans lesquels elle était enfermée depuis son arrivée à Tokyo -une prison de verre que le film souligne particulièrement bien- pour aller à la rencontre de la vraie société japonaise.

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La Collectionneuse

Publié le par Rosalie210

Eric Rohmer (1967)

La Collectionneuse

Quatrième conte moral de Eric Rohmer (mais tourné avant le troisième "Ma nuit chez Maud"), "La Collectionneuse" se situe dans la continuité de "La Carrière de Suzanne" et annonce "Le genou de Claire". Deux insupportables goujats intellos imbus d'eux-mêmes (mais paresseux et misanthropes comme pas deux) déversent leur misogynie sur une fille qui les trouble et les exaspère par son comportement libéré. Comme dans "Le genou de Claire", tout ce petit monde se retrouve en villégiature, le temps d'un été à marivauder dans un langage très écrit (bien que se laissant volontiers aller à quelques "vulgarités") dans une villa inondée de soleil. Avec l'apparition de la couleur, Eric Rohmer fétichise le corps de Haydée dont le ventre, la nuque et les genoux apparaissent en gros plan quand elle est en maillot de bain au moment même où Adrien prétend ne pas être intéressé (l'hypocrite). Cette ironie s'observe dès le prologue: Haydée qui ne prononce pas un mot et se contente de marcher sur la plage est présentée avant tout comme un objet de désir alors que les deux hommes avec qui elle va partager son espace sont au contraire des moulins à parole. Cette inégale répartition des rôles théâtralise en apparence ce qui se joue dans la société à ceci près que Eric Rohmer en inverse le sens. Le jugement moral que les deux hommes portent sur Haydée qu'ils définissent comme une "collectionneuse" (d'amants) révèle leur peur d'être eux-mêmes transformés en objets (de collection). Prise dans le tourbillon de la vie, Haydée ne cesse au final de leur échapper, se joue d'eux, sème la zizanie et leur renvoie la balle de la moralité, eux qui adorent s'écouter parler plutôt que d'écouter leurs vrais désirs. 

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Madame a des envies

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1907)

Madame a des envies

"Madame a des envies" est un court-métrage burlesque de Alice Guy encore plus osé et jubilatoire que "Les résultats du féminisme" (1906). Il alterne de façon très rythmée les plans d'ensemble filmés en extérieur et les gros plans filmés en studio ce qui était un procédé innovant à l'époque. Les plans d'ensemble montrent une femme enceinte s'adonner à des vols compulsifs envers les passants qu'elle croise, son mari resté à l'arrière avec leur premier marmot assistant impuissant aux écarts de conduite de sa femme et essayant de réparer les dégâts dans son sillage. Les gros plans montrent la femme déguster avec gourmandise le fruit de ses larcins ce qui constitue un autre type de transgression. Les produits qu'elle avale sont encore aujourd'hui déconseillés ou interdits aux femmes enceintes (tabac et alcool) mais à l'époque, ils n'étaient consommés que par des hommes. Plus largement ce que montrent ces plans, c'est que ce sont le désir (plans d'ensemble) et le plaisir (plans rapprochés) féminin qui mènent la danse ce qui était tellement subversif en soi qu'il n'est guère étonnant que le cinéma de Alice GUY soit passé à la trappe, à la fois pour ce qu'elle incarnait mais aussi pour ce qu'elle montrait. Car outre tabac, alcool et hareng saur (aliment à l'odeur forte qui s'oppose au goût supposé délicat des femmes)*, Madame commence par chiper une sucette à une petite fille dont la forme équivoque ne laisse aucun doute sur le sens caché que prend sa dégustation. Comme quoi Serge Gainsbourg n'a certainement pas été le premier à avoir l'idée d'évoquer le plaisir sexuel en le déplaçant sur cette friandise particulièrement suggestive.

* Dans le documentaire "Le sexe du rire", diffusé récemment sur France 5, l'éviction des femmes de la sphère comique au cours des siècles est expliqué par leur situation dominée dans la société. Le rire est un moyen de prendre le pouvoir par la séduction et parce qu'il a aussi quelque chose de carnassier, donc de puissant (on montre l'intérieur de la bouche, les dents etc.) Il en va de même avec la nourriture: une femme qui rit, fait rire ou qui dévore à pleine dents montre sa puissance.

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La Mort en direct

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1980)

La Mort en direct

Bertrand TAVERNIER a touché à de nombreux genres. Même s'il est surtout connu pour ses drames historiques et ses polars, il a aussi fait des incursions dans la comédie, le documentaire, le film musical ou comme ici, la science-fiction. Une science-fiction qui relève davantage de l'anticipation visionnaire car "La Mort en direct" se réfère à une émission de télé-réalité, vingt ans avant son apparition en France. Même si le film est dédié à Jacques TOURNEUR, il y a un autre cinéaste qu'admire Bertrand Tavernier et qui est présent implicitement en filigrane tout au long du film. C'est Michael POWELL et son sulfureux "Le Voyeur" (1960) qui inventait "le crime en direct" pour la jouissance de son unique spectateur qui en était aussi l'auteur avec l'aide sa caméra tueuse. Entre Powell et Tavernier, le spectacle de la mort en direct est sorti de sa confidentialité pour devenir un spectacle de masse, à la manière de "The Truman Show" (1998) mais en plus sensationnel. Dans une époque où la mort par maladie est devenue rare, réservée aux vieillards que l'on dérobe aux regards (ce qui est assez conforme à notre réalité), le directeur cynique de l'émission "Dead Watch" (Harry Dean STANTON) échafaude un scénario digne des expériences nazies pour booster ses audiences. Un médecin à sa solde lui déniche le cobaye parfait, une femme encore jeune au profil cinégénique (Romy SCHNEIDER) à qui il annonce qu'elle n'a plus que quelques semaines à vivre. Pour transformer le mensonge en vérité, il lui donne du poison camouflé en médicaments censés soulager son agonie. Et pour contrecarrer toutes les tentatives de fuite de la jeune femme qui a fait semblant d'accepter le contrat, il la fait suivre par un homme qui gagne sa confiance mais qui est en réalité un insoupçonnable caméraman (Harvey KEITEL qui traversait alors un trou d'air dans sa carrière). Et pour cause: l'objectif est directement greffé dans sa rétine. On a donc affaire à un personnage qui est à la fois manipulé (en tant que sujet d'expérience) et manipulateur ce qui lui permet de mettre à la place de la jeune femme comme d'épouser le point de vue de ses tortionnaires. A travers lui, Bertrand Tavernier développe une réflexion sur l'éthique de son métier: jusqu'où filmer sans tomber dans le voyeurisme obscène? On remarque que comme Steven SODERBERGH le faisait en escamotant les scènes de sexe dans "Sexe, mensonges & vidéos" (1989), Bertrand Tavernier refuse de montrer la mort de son héroïne, son pseudo chevalier servant s'étant au passage brûlé les yeux à force de contradictions insurmontables. En prime, le choix de Romy SCHNEIDER s'avère terriblement prophétique puisque un an après le tournage elle perdait son fils et dénonçait les journalistes déguisés en médecin s'étant introduit à l'hôpital pour tenter de photographier son cadavre.

Aussi bien que "La Mort en direct" soit un film imparfait (outre des passages à vide, je trouve l'image très vieillie et le choix de décors sinistres ou désolés dans la région de Glasgow, discutable, dans le sens où rajouter de la misère à l'horreur de la situation détourne l'attention du véritable sujet), l'interprétation de haut vol et la pertinence de la réflexion sur le malheur d'autrui transformé en spectacle mercantile valent le détour.

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Les Amants sacrifiés (Supai no tsuma)

Publié le par Rosalie210

Kiyoshi Kurosawa (2020)

Les Amants sacrifiés (Supai no tsuma)

"Les Amants sacrifiés" qui a obtenu le Lion d'argent à Venise avait tout pour séduire sur le papier: son réalisateur, Kiyoshi Kurosawa (auteur du très beau "Tokyo Sonata"), son scénariste, Ryusuke Hamaguchi (son ex-élève devenu lui aussi réalisateur à succès avec "Drive my car"), son argument (la dénonciation des crimes commis par le Japon en Mandchourie dans les années trente et pendant la seconde guerre mondiale sur fond de thriller d'espionnage et de romance). Mais après un début prometteur témoignant de la folie xénophobe, militariste et nationaliste qu'a connu le Japon avant et pendant la guerre, la grande histoire est reléguée en toile de fond (sauf à deux ou trois reprises avec quelques scènes-chocs servant de piqûre de rappel) au profit de celle de ses protagonistes principaux, un riche entrepreneur et son épouse vivant à l'occidentale dont les agissements ne vont cesser d'aller vers une opacité croissante jusqu'à perdre le spectateur en chemin. La mise en scène de Kiyoshi Kurosawa très précise souligne bien les enjeux (un simple regard suffit à signifier au spectateur que le mari de retour de Mandchourie à des choses à cacher à sa femme). Mais la mayonnaise ne prend pas. Le film est certes de bonne facture mais incohérent, désincarné, impersonnel. Les personnages sont mal écrits et mal interprétés par des acteurs peu charismatiques et qui ne semblent pas d'ailleurs savoir dans quelle direction aller. Le pire de tous est Satoko (Yu Aoi, hyper niaise) qui passe sans transition de l'ingénuité bébête à l'amoralité la plus complète, la jalousie et la folie comme si elle était bipolaire pendant que son mari (Issey Takahashi) reste d'une impassibilité indéchiffrable. La manière dont leur entourage est traité n'est pas plus convaincante: l'infirmière que Satoko soupçonne d'être la maîtresse de son mari est (soi-disant) retrouvée assassinée mais ça n'émeut personne (et surtout pas le spectateur qui l'a vue trois secondes), elle dénonce son neveu qui est affreusement torturé sans que là encore ça n'émeuve qui que ce soit, son mari l'abandonne (et peut-être la trahit ou la sauve, on ne sait puisque le spectateur n'a pas accès à ce qu'il pense et ressent), elle ne comprend pas comment son ami d'enfance a pu devenir policier (entendez par là tortionnaire), lui "si gentil" (on appréciera la subtilité des dialogues), etc. L'impression que ce film m'a donné, c'est que Kiyoshi Kurosawa était resté étranger au scénario écrit par Hamaguchi dont il ne comprenait pas plus que le spectateur ou les acteurs les tenants et les aboutissants. Il a donc fait comme eux, il a fait semblant de piger alors que je pense il n'y a tout simplement rien à comprendre. C'est creux mais ça plaît aux snobinards qui peuvent ainsi renchérir sur les méandres tortueux d'un scénario retors (comparé à un jeu d'échecs, rien que ça!) auquel le simple quidam n'aurait pas accès (il est trop bête pour ça). Tout le contraire du thriller hitchcockien auquel ce film fait un évident appel du pied sans pourtant lui arriver à la cheville (et ne parlons même pas du titre VF hors-sujet et racoleur qui fait référence à Kenji Mizoguchi, cité également en passant dans le film, histoire d'en rajouter dans les références).

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