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Coup de Torchon

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1981)

Coup de Torchon

Jugement dernier d'une communauté de dégénérés servant de parabole à une humanité sur le point de basculer dans l'horreur du second conflit mondial (comparable en cela à "La Règle du jeu" de Jean Renoir), "Coup de torchon" est un film déconcertant, inclassable qui marque l'esprit par son contraste de noirceur et de drôlerie, son atmosphère déjantée, surréelle et cynique, son humour pince-sans-rire, registre dans lequel Philippe Noiret et Isabelle Huppert s'illustrent particulièrement, ses répliques magistrales ("ce n'est pas parce qu'on met la tentation à portée de main qu'il faut se laisser tenter"; "s'en prendre à vous c'est comme qui dirait un devoir civique!"; "T'es ombrageux, tu commences à m'ombrager, tu mets les gens à l'ombre" etc.), ses plans séquences remarquables. Bref en tous points un film qui ne ressemble à aucun autre. Si dans mon cœur, c'est "La Vie et rien d'autre" qui demeure mon Tavernier préféré, "Coup de torchon" est certainement celui que je trouve le plus brillant.

Les séquences d'ouverture et de fermeture du film qui se répondent le situent sur un plan métaphysique avec l'apparition d'un justicier vengeur (Philippe Noiret) près d'un groupe d'enfants souffrant de la faim et du froid. Une éclipse solaire souligne le caractère messianique du personnage. Pourtant à la fin il est devenu tellement nihiliste qu'il en arrive à menacer les enfants eux même après avoir repoussé sa seule chance de salut (l'amour de l'institutrice, seul personnage non corrompu du film). Il faut dire que Lucien (Lucifer?) Cordier est un piètre représentant de l'ordre, un policier d'une affligeante médiocrité, veule et laxiste, à l'image de sa communauté où ne règnent que les pulsions les plus viles, la bêtise la plus crasse. L'atmosphère est parfaitement résumée par les latrines qui se trouvent sous son balcon: ça pue en lui, chez lui et autour de lui. Entre sa femme (Stéphane Audran) qui le méprise et le cocufie sous son nez avec son prétendu frère (Eddy Mitchell), son supérieur macho et raciste (Guy Marchand) qui lui donne des coups de pied aux fesses, les proxénètes du coin (Jean-Pierre Marielle et Gérard Hernandez) qui en ont fait leur souffre-douleur, l'autorité qu'est censé représenter Cordier ne cesse d'être humiliée. C'est en s'autoproclamant le bras armé d'une autorité supérieure que Cordier se métamorphose de paillasson en tueur et manipulateur diabolique, réussissant à tous les coups à faire endosser ses crimes par d'autres que lui. Tout cela sur fond de colonialisme (l'histoire se déroule au Sénégal en 1938) et de marche à la guerre (avec une allusion aux accords de Munich). Et si le fond de l'affaire est éminemment tragique, son traitement est proche d'une bouffonnerie à la lisière du fantastique. L'idée la plus dingue de ce point de vue est de faire jouer à Jean-Pierre Marielle deux rôles, celui du maquereau victime de Cordier et plus tard celui de son frère jumeau qui fait figure de revenant. Mais n'est-ce pas finalement le reflet du dédoublement de Cordier lui-même, ce pauvre type inoffensif en apparence qui cache dans ses entrailles un dangereux assassin illuminé?

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Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Cary Joji Fukunaga (2011)

Jane Eyre

Cette version de Jane Eyre (la dernière en date il me semble) ne manque pas de qualités, que ce soit dans la mise en scène ou dans l'esthétique. Mais elle passe à côté de l'essentiel. En effet en dépit des apparences, "Jane Eyre" n'est pas un roman facile à adapter parce qu'il n'est pas facile d'en saisir l'essence. Le nombre très élevé d'adaptations (plus d'une quinzaine!) plaide d'ailleurs en ce sens, il est l'expression d'une insatisfaction, d'une difficulté face à une histoire aussi insaisissable que son héroïne et celle qui lui a donné vie, Charlotte Brontë.

Ce qui pèche dans cette version ce n'est pas tant les coupes dans le roman (comment faire autrement pour faire tenir l'histoire en moins de deux heures?) que la vision complètement dévitalisée qu'il en donne. "Jane Eyre" se compose de contradictions, de reliefs et c'est un grand huit émotionnel autant qu'une passionnante (et surtout revigorante!!!) réflexion autour de la condition féminine, des rapports entre les sexes et de tout ce qui entrave leur épanouissement mutuel. Dans la version de Fukunaga, tout n'est presque que tourment, souffrance, dépression et désolation. D'ailleurs le choix de commencer l'histoire non par le commencement (c'est à dire par l'enfance qui dévoile l'échec des éducateurs victoriens à mater la nature rebelle de Jane) mais par sa fuite éperdue dans la lande pour échapper à la tentation de céder aux avances de Rochester après leur mariage raté va dans ce sens. Le jeu de Mia Wasikowska est certes sensible mais il manque de feu et de conviction, il manque aussi de cette naïveté émerveillée propre à la découverte de l’amour (tremplin de son évolution future) il est terne, monocorde. Jane Eyre est un caractère fort, puissant (au point de faire peur à tous les tenants de l'autorité qui la voient comme une sorcière) ce qu'elle ne retranscrit pas du tout. Et le courant ne passe pas vraiment avec son partenaire, Michael Fassbender qui a également du mal à exprimer combien Rochester est une généreuse et vulnérable nature sous ses comportements parfois détestables de "seigneur et maître". C'est bien dommage car son jeu est intéressant, par exemple à l'église lorsqu'il s'apprête à épouser Jane, sa nervosité retranscrit parfaitement à quel point il n'a pas la conscience tranquille. Ce qui manque en fait dans ce film c'est la dimension joyeuse, païenne, sensuelle, l'énergie, la verdeur, la tendre complicité de leur relation. Le roman est à l'image de toutes les saveurs de l'existence, le film n'en offre que le versant dépressif. Jane et Rochester ne sont pas des apparitions fantomatiques mais des êtres de chair et de sang (plutôt bouillant) qui se débattent pour sortir de la situation sans issue dans laquelle ils sont plongés, ou plutôt dans laquelle la société victorienne étriquée les plonge jusqu'à ce qu'ils parviennent à se créer leur propre issue. C'est aussi sans doute à cause de ce manque global de relief (qui provoque un ennui poli) que le personnage de St John (Jamie Bell) tombe un peu à plat. Il devait représenter une réelle alternative à Rochester mais dans une version aussi monochrome, c'est tout simplement impossible.  

S'il fallait résumer en un exemple la vision tristounette que donne cette version, je citerais celui où Jane retrouve Rochester. Dans ma version préférée (celle de la BBC de 2006 qui a été tournée dans les mêmes décors mais qui a mieux su leur donner sens) elle s'accomplissait (comme dans le roman) autour d'un verre d'eau, symbole de retour à la vie. Ici elle s'accomplit autour d'un arbre en ruines. Cette vision est celle que Rochester a de lui à la fin du roman. Le film oublie juste de préciser que Jane lui dit que ça repoussera, juste un peu différemment*. Et Jane, elle s'y connaît en matière de résilience.

*Fukunaga a-t-il seulement compris le roman? J'en doute. Car ce même arbre mort qui apparaît dans une scène de renaissance, il le montre en fleurs dans la phase qui précède un mariage qui est en fait un leurre reposant sur des bases malhonnêtes et déséquilibrées.

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A Single Man

Publié le par Rosalie210

Tom Ford (2009)

A Single Man

De "A Single Man", je ne me souvenais avant de le revoir que d'une seule scène. Mais cette scène-là, elle était gravée dans le marbre de ma mémoire. C'est celle où Georges Falconer apprend la mort de son compagnon de longue date, Jim (Matthew Goode). D'abord parce que le jeu de Colin Firth, très retenu comme toujours y atteint une intensité extraordinaire, il a d'ailleurs reçu le prix d'interprétation masculine à Venise pour le rôle. Une grande partie de la scène, celle où il est au téléphone repose sur les expressions de son visage (il a en particulier le pouvoir d'exprimer une foule d'émotions par le regard), les intonations de sa voix et sa gestion des silences. Son corps semble littéralement aspiré vers le bas comme si la pesanteur s'était brusquement intensifiée. Lorsqu'il se précipite ensuite chez sa voisine et grande amie Charley (Julianne Moore) pour y exploser de douleur, la bande-son qui ne laisse plus passer que le bruit de la pluie et le montage heurté donnent l'impression d'assister à un déferlement émotionnel. La scène est de plus extrêmement violente psychologiquement: non seulement parce que son décès lui est annoncé sans ménagement mais aussi parce qu'on lui fait comprendre que la famille de Jim refuse tout simplement son existence ("il est mort hier soir, ses parents ne voulaient pas vous prévenir. Ils ne savent pas que j'appelle"; "la cérémonie n'est que pour la famille"). Etre dénié dans son existence, il n'y a sans doute pas pire violence que celle-là. C'est celle qui donne envie de mourir. Et le tableau de l'état de santé physique et psychique de Georges qui nous est donné, huit mois après la mort de Jim est sans appel: il est au bout du rouleau et a décidé d'en finir… ou pas.

"A Single Man" est donc le récit d'une journée vécue comme si c'était la dernière (ponctuée de flashbacks sur le passé). Comme Georges est un homme tiré à quatre épingles, il sait "bien présenter". Tout est réglé au millimètre dans sa vie du matin au soir, rien ne dépasse, pas même un grain de poussière. Et il est tellement aguerri aux relations sociales qu'il sait avoir le bon mot pour chacun, la ou les remarques gratifiantes qui le rendront agréable aux yeux des autres. Tout cet aspect "control freak" est rendu par l'esthétisme de la mise en scène qui a un aspect un peu papier glacé. "A Single Man" est un film d'architecte et de grand couturier (le métier de Tom Ford et il imprègne le film).  C'est aussi un film gay avec des codes gay, on se croirait parfois chez Gus Van Sant (pour les gros plans parfois au ralenti sur l'anatomie de jeunes et beaux garçons) ou chez Bertrand Bonello (pour l'esthétisme de la mise en scène qui assimile par exemple les acteurs à des stars hollywoodiennes glamour des années 50 et 60). Le danger de tout ce dispositif était de tuer l'émotion sous le vernis décoratif. Mais Tom Ford en a eu conscience et c'est pour le contrer qu'il a engagé Colin Firth qui avait la classe nécessaire pour entrer dans le moule et en même temps la capacité à l'humaniser de l'intérieur, ce qu'il a fait avec tant de brio que Georges Falconer est devenu l'un de ses plus grands rôles. Un rôle éminemment romantique et ironique comme il les affectionne. La mise en scène sert aussi le propos du film puisque Georges est un caméléon, sa capacité d'adaptation étant liée au fait qu'il est en réalité un invisible nageant à contre-courant de la société américaine des années 50 et 60. Celle du maccarthysme qui a persécuté des homosexuels, celle de la crise de Cuba qui a lieu juste au moment où Georges se prépare à mourir. Personne ne voit sa tristesse insondable sauf un étudiant, Kenny joué par Nicholas Hoult (qui pourrait bien être Georges au même âge) décidé à tout faire pour l'empêcher de commettre l'irréparable et lui redonner goût à la vie.  

A Single Man

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Toy Story 4

Publié le par Rosalie210

Josh Cooley (2019)

Toy Story 4

La trilogie Toy Story, c'est l'ADN du studio Pixar, le cœur de son identité. Telle qu'elle était, elle me paraissait parfaite. Je ne voyais pas ce qu'un quatrième volet pouvait apporter de plus. Et pourtant, cette suite en forme d'épilogue conclut intelligemment la saga. Techniquement c'est superbe, l'introduction et le magasin d'antiquités sont de véritables bijoux. Il y a beaucoup de références comme toujours et de nouveaux personnages hilarants ou un peu inquiétants qui cherchent toujours à être adoptés par un enfant, quitte pour cela à élargir un peu plus leur horizon. La plupart des jouets historiques qui ont fait les beaux jours de la saga se sont effacés et sont devenus des jouets "sans histoire". Tous en fait sauf Woody dont la quête d'un nouveau sens à donner à son existence est au cœur de ce dernier volet. Il était le jouet star de Andy et il ne parvient pas à trouver sa place dans la chambre et dans le cœur de sa nouvelle propriétaire, Bonnie. Sans doute parce qu'il incarne un archétype trop masculin. Lorsque Bonnie veut jouer au western, elle épingle l'étoile de shérif sur la poitrine de Jessie. Autre trait de caractère de la petite fille, si on la prive de ses jouets, elle s'en fabrique un avec des matériaux de récupération qui ont bien du mal à accepter leur nouvelle affectation. Les problèmes d'identité de Fourchette sont le reflet de ceux de Woody. Celui-ci n'imagine pas un autre destin possible pour lui que d'appartenir à un enfant. Cette crise existentielle lui permet de retrouver un personnage en apparence très secondaire mais qui est en fait à la source de toute la saga: Bo Peep, la bergère. Dans les deux premiers Toy Story, Bo jouait un rôle décoratif mais également symbolique. Sa présence était un hommage au conte de Christian Andersen "La bergère et le ramoneur" qui est le premier auteur à avoir eu l'idée de donner une anima aux objets. C'est ce qui explique la relation privilégiée qu'ont toujours entretenu Bo l'inspiratrice et Woody, la créature qui en est directement issue. Logique qu'auprès d'elle, Woody trouve un modèle pour se réinventer. Car entretemps Bo a fait sa révolution copernicienne. Ne supportant plus le magasin d'antiquités, elle s'est détachée de son support, a pris son destin en main et est devenue autonome: une vraie camionneuse à la Charlize Théron (qui l'aurait cru!) Les jouets Pixar luttent contre la muséification (comme le montrait l'intrigue du deuxième volet). Et on n'oublie jamais que le fait de grandir s'accompagne de la perte car le bonheur pur n'existe pas. 

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Les résultats du féminisme

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1906)

Les résultats du féminisme

" Vous ferez des films, c'est d'accord, c'est une affaire de fille, mais en dehors de vos heures de travail et à condition que votre courrier n'en souffre pas". C'est en ces termes que Léon Gaumont qui dirigeait une société de fabrication et de vente d'appareils photographiques à la fin du XIX° a donné le feu vert à Alice Guy pour réaliser des films: en dehors de ses heures de travail (de secrétaire, bien entendu…) et parce que l'art cinématographique, Léon Gaumont ne le prenait pas au sérieux, c'était "une affaire de fille".

C'est pourquoi en dépit du fait qu'il contient le mot "féminisme" dans son titre et qu'il a été réalisé par une femme, Alice Guy, ce court-métrage exprime en réalité l'angoisse des tenants du patriarcat de voir les rôles s'inverser. Car il leur est tout simplement inconcevable d'imaginer une société fondée sur l'égalité des sexes. La conception patriarcale de la société est fondée sur un rapport de forces dans lequel l'homme opprime la femme. Remettre en cause cet ordre des choses, c'est selon eux donner aux femmes les moyens de les écraser. Ainsi on voit (de façon d'autant plus caricaturale qu'on est au début du XX° siècle) des femmes faire la tournée des bars, fumer le cigare et séduire des hommes pendant que ceux-ci repassent, font de la couture ou promènent les enfants. Mais à la fin, il suffit que ceux-ci sifflent la fin de la récré et tout rentre dans "l'ordre", preuve que tout ceci n'était qu'une mascarade. Une mascarade même pas crédible puisque les femmes conservent leurs habits Belle Epoque très contraignants (corset, chignon), Alice Guy n'ayant pas osé demander aux acteurs de mettre des jupes. Pourtant cela rendrait plus crédible la scène où une femme fait respirer des sels à l'homme qu'elle est en train de déshabiller. C'est très révélateur de la réalité des rapports de force dans le cinéma, même durant cette époque pionnière. La fin a été ainsi imposée par Léon Gaumont à Alice Guy qu'il laissait libre mais pas trop. Et lorsque au début des années 20 elle est revenue en France, son aura n'avait pas survécu à la première guerre mondiale. Entretemps le cinéma était devenu une "affaire d'hommes".

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La Glu

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1907)

La Glu

C'est parce que Léon Gaumont ne prenait pas le cinéma au sérieux que Alice Guy, sa secrétaire put s'y faire une aussi grande place, devenant ainsi la première réalisatrice de l'histoire du septième art. Fille d'un éditeur-libraire , elle était passionnée par les pouvoirs de la fiction qu'elle décida d'appliquer à l'art cinématographique (à l'origine, pour faire vendre les caméras Gaumont). Jusqu'en 1907, elle dirigea toute la production cinématographique de la maison, embauchant techniciens et scénaristes  tout en réalisant elle-même ses propres films (plus de 300!), conçus comme autant de moyens d'expérimentations. Ainsi "La Glu" tourné en 1906 qui est une "saynète humoristique" de quelques minutes préfigure le slapstick américain avec un tournage en extérieur, une trame narrative et des situations burlesques se succédant à partir d'un élément perturbateur unique, un seau de colle qui, détourné par un chenapan introduit le désordre dans la vie de quelques quidams. Ceux-ci se retrouvent avec les chaussures collées au sol ou pire encore, le fondement collé au siège. La fin du court-métrage est assez abîmée.

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Magic in the Moonlight

Publié le par Rosalie210

Woody Allen (2014)

Magic in the Moonlight

Comédie romantico-philosophique possédant un charme fou (je me souviens en être sortie avec un grand soleil dans la tête ^^), "Magic in the Moonlight" représente dans la filmographie de Woody Allen une parenthèse légère, fraiche et pétillante entre deux films beaucoup plus sombres "Blue Jasmine" et "L'Homme irrationnel". Il se situe dans l'univers de la magie et des sciences occultes, un thème souvent abordé par Woody Allen ("Alice", "Le Sortilège du scorpion de jade", "Scoop", "Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu" etc.). L'ouverture sur un spectacle d'illusionnisme est une mise en abyme du film lui-même (et du pouvoir du cinéma en général). Ne nous fait-il pas croire que nous sommes dans les années 20, au bord de la Riviera, dans une luxueuse villa en compagnie d'une compagnie distinguée? La musique jazzy, les costumes et les véhicules classieux années folles, la magnifique photographie de Darius Khondji magnifiant les paysages provençaux, tout concourt à nous immerger dans une atmosphère enchanteresse. Pourtant c'est du pur fake (et ce d'autant plus que les films européens de Woody Allen ont un caractère de carte postale exotique ne montrant que luxe, calme, volupté, images d'Epinal touristiques etc.) Démasquer les fake, c'est la spécialité de l'illusionniste britannique Stanley Crawford (Colin Firth, un magicien du regard qui est fait pour ce genre de rôle de vieil aigri sarcastique qui voit tout d'un coup le monde autour de lui se réenchanter) plus connu sous son pseudonyme de Wei Ling Soo (une caricature de chinois à la Fu Manchu avec longues moustaches, natte et boule à zéro). Un personnage dérivé du magicien Houdini qui avait effectivement traqué dans les années 20 les escrocs détroussant de riches clients en se faisant passer pour des spirites. Stanley a une personnalité cynique, arrogante et misanthrope qui le porte à dénigrer tout le monde et à ne croire à rien (ses répliques pleines d'ironie sont un régal pour le spectateur). Mais il va se faire piéger par son meilleur ami (ou plutôt ennemi) et une pseudo medium de 19 ans, Sophie Baker (Emma Stone, craquante comme tout) dont le charme va le mener par le bout du nez alors même que tout est fait pour que le spectateur voit les artifices grossiers qu'elle emploie pour tromper son monde. Lui aussi en fait les voit mais il est tellement grisé par les délicieux moments qu'il passe avec la jeune femme qu'il préfère vivre dans l'illusion pour en profiter le plus possible. Ainsi même si l'existence d'un monde invisible est une porte définitivement close pour Woody Allen et qu'il s'interroge sur son pouvoir de cinéaste, il célèbre les joies de l'alchimie amoureuse (ou son illusion, la fin est volontairement ambigüe ^^), c'est déjà ça.

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L.OU. (Lost and fOUnd)

Publié le par Rosalie210

Dave Mullins (2017)

L.OU. (Lost and fOUnd)

 L'un, JJ, ne sait que prendre. L'autre, Lou, à l'inverse ne sait que donner. L'un a besoin de remplir, l'autre se laisse vider. Diffusé en 2017 en première partie de "Cars 3", Lou (Lost and fOUnd) se situe dans une cour de récréation en Caroline du nord dans laquelle interagissent deux personnages en marge de l'école (comme l'a été souvent le réalisateur Dave Mullins à cause des nombreux déménagements de ses parents). Un personnage composé d'objets trouvés qui récupère tout ce qui a été oublié par les enfants pendant qu'ils sont en classe et les dispose dans une boîte pour qu'ils puissent facilement les retrouver. Et un petit garçon qui harcèle ses camarades pour leur prendre leurs affaires et les mettre dans son sac. 

L'histoire (sans paroles comme souvent dans les courts-métrages Pixar) suit un schéma très classique mais efficace. L'enfant harceleur se mue en bon samaritain après avoir été corrigé par Lou et son comportement est expliqué par le fait qu'il a été lui-même harcelé, l'objet qu'on lui a pris ayant été lui aussi récupéré par Lou. Le personnage de Lou est original puisque polymorphe (il change selon la disposition et la nature des objets qui le composent) et très poétique aussi puisqu'il illustre ce qu'implique le don de soi. Lorsque tous les objets ont été récupérés, Lou a tout simplement disparu. 

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La Chienne

Publié le par Rosalie210

Jean Renoir (1931)

La Chienne

Deuxième film parlant de Jean Renoir après "On purge bébé", "La Chienne" est adaptée d'un roman de Georges de la Fouchardière. C'est une comédie humaine grinçante avec une dimension tragique sous-jacente ou s'entrechoquent la théâtralité et un réalisme cinématographique quasi-documentaire obtenu par un tournage en décors naturels et une prise de son directe qui renforce encore l'impression de véracité des images en y ajoutant des sons qui les environnent. Cette authenticité contraste avec l'artificialité des rapports humains dans le film qui est soulignée dès le début avec la métaphore du théâtre de guignol. Les personnages sont en effet des pantins sociaux, la palme de la bêtise crasse étant remportée par Lulu (Janie Marèse) la prostituée folle de son Dédé (Georges Flamant) qui la tabasse et l'exploite mais en parfaite masochiste bavant devant la domination masculine elle en redemande. De façon plus générale, les femmes dans le film se pâment d'extase devant la force brute qui représentent selon elles le summum de la virilité (militaire, proxénète, j'aime bien ce rapprochement provocateur ^^) et crachent leur mépris à la face des poètes considérés avant tout comme des faibles. Toute sa colère et sa haine, Lulu les réserve en effet à Maurice Legrand (Michel Simon) qui l'entretient mais qui a le tort d'être vieux et terne. Il mène une petite vie obscure d'employé mal marié à une atroce mégère (Magdeleine Bérubet) dont il s'évade par cette relation extra-conjugale et par son activité d'artiste-peintre ("seuls l'art et l'amour rendent cette existence tolérable" disait Somerset Maugham). Son malheur, Guignol le souligne, c'est de s'être fait "une culture intellectuelle et sentimentale au-dessus du milieu dans lequel il évolue, de telle sorte que dans ce milieu, il a exactement l'air d'un imbécile." Le tragique de l'histoire provient effectivement de l'absolue médiocrité de son entourage petit-bourgeois (patrons, collègues, épouse) ventre à terre devant le veau d'or (ou plutôt devant le dieu argent ^^) et dont la bassesse se manifeste à son égard par des moqueries ou de l'exploitation. Suprême ironie de l'histoire, il ne parvient à trouver la paix et la liberté qu'en s'excluant de la société, tout d'abord par le vol et la tromperie puis en étant poussé au crime et enfin en se faisant clochard. Jean Renoir pose ainsi un jalon essentiel de sa critique sociale à tendance anarchisante avec ce film qui est aussi une puissante déclaration d'amour aux artistes (à commencer par son grand-père Auguste). C'est son supplément d'âme par rapport au remake de Fritz Lang, "La Rue rouge" (1945).

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La femme et le monstre (The Lady and the Monster)

Publié le par Rosalie210

George Sherman (1944)

La femme et le monstre (The Lady and the Monster)

Inspiré d'un roman de Curt Siodmak, "Donovan's Brain", "The Lady and the Monster" est un film Republic, studio spécialisé dans la production de séries B pour lequel Erich von Stroheim avait déjà joué 10 ans auparavant dans "Le Crime du docteur Crespi". Il enfile donc encore une fois ses habits de savant fou obsédé par les trépanations sauf que cette fois le professeur Mueller n'est qu'un second rôle rapidement dépassé par sa créature, le cerveau d'un milliardaire qu'il a extrait de sa boîte crânienne après son décès pour lui permettre de continuer à vivre dans un bocal de laboratoire. Le premier rôle est en effet tenu par son assistant, le Dr Patrick Cory (Richard Arlen) qui se fait posséder par le fameux cerveau au travers du lien télépathique qu'il a établi avec ce dernier. Manipulé par ce nouveau Dr Mabuse (l'atmosphère et le contexte rappellent le film de Fritz Lang de 1932), Patrick se met à contrefaire la signature du milliardaire pour lui soutirer ses billets de banque afin de faire rouvrir par des moyens peu avouables le procès d'un condamné à mort, M. Collins qu'il veut faire innocenter (on ne saura le comment du pourquoi qu'à la fin du film). Quant à ceux qui l'en empêcheraient, il est prêt à leur régler leur compte ^^. L'avantage de cette intrigue policière, c'est qu'elle permet au film de monter en puissance, les 10 dernières minutes faisant même l'objet d'un suspense insoutenable (le Dr Cory va-t-il tuer Janice, sa fiancée jouée par Vera Ralston avant qu'elle ne parvienne à le libérer de cette emprise maléfique?) Ainsi en dépit de ses moyens limités et de son âge, "The Lady and the Monster" est un film de genre très habilement construit et mené sans temps mort jusqu'aux toutes dernières secondes grâce à l'expérience de son metteur en scène George Sherman (qui faisait alors une entorse à son genre de prédilection, le western).

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