Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Rendez-vous (The shop around the corner)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch (1940)

Rendez-vous (The shop around the corner)


Lubitsch est surtout connu en France pour ses comédies sophistiquées et piquantes situées dans des milieux aisés, dilettantes et oisifs (comme "Haute pègre (1932)", "La Huitième femme de Barbe Bleue (1938)", "Le Ciel peut attendre (1943)", "Sérénade à trois (1933)" etc.) Mais c'est à une autre veine, plus sociale et humaniste qu'appartient "The shop around the corner" qui après une discrète sortie en 1945 fut invisible en France jusqu'en 1986 avant de connaître un triomphe lors de sa ressortie (sous son titre original) au cinéma "Action Christine" à Paris.

"The shop around the corner" (l'ayant moi-même découvert sous son titre en VO j'ai beaucoup de mal à employer le titre français "Rendez-vous") est l'adaptation d'une pièce de théâtre de Miklós László, "Parfumerie". Cette origine théâtrale est très palpable dans le film (unité de lieu, décors de cartons pâte) car c'est l'univers dont Lubitsch est issu et qu'il maîtrise sur le bout des doigts avec notamment un sens du rythme imparable et des dialogues parfaitement ciselés. Il lui rendra d'ailleurs un hommage éclatant deux ans plus tard avec l'un de ses films les plus célèbres "Jeux dangereux (1942)" qui lui aussi est plus connu sous son titre original "To be or not to be (1942)".

D'autre part le film se déroule dans un milieu beaucoup plus modeste que celui que Lubitsch a l'habitude de montrer, celui d'une boutique de maroquinerie à Budapest où cohabitent un patron dépressif et des employés précarisés par la peur du chômage et de la misère. Une misère qui n'est pas seulement matérielle mais aussi sentimentale. Lubitsch délaisse le cynisme qu'il emploie lorsqu'il dépeint la haute société pour un humanisme proche du style de Frank CAPRA. La comparaison est d'autant plus pertinente que Lubitsch emprunte pour le rôle majeur d'Alfred Krulik, James STEWART dans un rôle très proche de ceux dans lesquels il a joué pour Frank CAPRA .

La boutique de Hugo Matuschek (Frank MORGAN) où se déroule l'histoire apparaît comme un refuge. Elle abrite une petite communauté soudée et chaleureuse, capable de surmonter les épreuves grâce à l'entraide entre ses membres. Seul celui qui sème la discorde (Joseph SCHILDKRAUT) finit par être impitoyablement chassé. Epreuves externes mais surtout internes car les personnages principaux, complexes et nuancés ont une tendance autodestructrice assez affirmée. Le quiproquo qui occupe une place centrale dans le film n'est qu'un paravent comique qui dissimule la difficulté à entrer en contact et communiquer. La relation filiale entre Matuschek et Krulik ainsi que la relation amoureuse entre Krulik et Klara Novak (Margaret SULLAVAN) se construisent dans la douleur, l'humour n'étant que la politesse du désespoir.

Voir les commentaires

La Croisière du Navigator (The Navigator)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Donald Crisp (1924)

La Croisière du Navigator (The Navigator)

A l'origine du Navigator il y eut le Buford. Ce paquebot joua un sombre rôle lors de la première crise de paranoïa anticommuniste et xénophobe que traversèrent les USA en 1919. 250 étrangers furent arrêtés lors des Palmers Raids et expédiés sur le Buford jusqu'en Finlande. Le maître d'œuvre de cette opération n'était autre que John Egard Hoover le futur patron du FBI.

C'est pour un usage bien différent qu'il fut ensuite loué par Buster Keaton qui le rebaptisa le Navigator et ainsi lui redonna son "innocence". Il transforma en effet le navire en gigantesque terrain de jeu pour son nouveau film qui fut son plus grand succès avec le "Mécano de la Général" tourné deux ans plus tard.

Tout dans ce film suggère le point de vue enfantin des protagonistes. Rollo (Buster KEATON) est un jeune homme très riche dont les premières séquences nous offrent une satire de son mode de vie oisif. Comme un petit enfant, il n'a pas la moindre autonomie. Un domestique lui sert son déjeuner, un autre lui prépare ses habits et son chauffeur le conduit pour traverser la rue (c'est peut-être une coïncidence mais cette séquence fait penser à celle où dans "Toy Story 2" (1999) Al prend sa voiture pour traverser la route qui sépare son domicile de son magasin de jouets). Sa demande en mariage est puérile puisqu'il en a eu le désir en voyant un couple de mariés dans la rue (comme les enfants qui voient un beau jouet et exigent le même). Sa "fiancée" (Kathryn McGUIRE) est une fille à papa gâtée issue du même monde.

Tous deux se retrouvent (d'une manière un peu invraisemblable d'ailleurs) à bord d'un paquebot désert à la dérive. Conçu pour 500 personnes, l'échelle du navire est démesurée par rapport à eux ce qui entretient le lien avec l'enfance. Par exemple la plupart des ustensiles de cuisine sont beaucoup trop grands et ces deux enfants gâtés qui ne savent rien faire de leurs 10 doigts multiplient les bourdes (celle du café à l'eau salée rappelle un peu le thé à la craie des "Malheurs de Sophie"). Peu à peu, ils vont s'adapter à leur nouvelle vie et trouver d'ingénieuses solutions à leurs problèmes. La machinerie qui permet de faire les déjeuners est une extension de celle du court-métrage "L Épouvantail" (1920) où Buster KEATON expérimentait déjà d'ingénieux systèmes de cordes et de poulies pour faciliter la plupart des tâches ménagères de la maison. Il est probable que Robert ZEMECKIS s'en est inspiré pour les machines à petit-déjeuner de "Retour vers le futur" (1985) et Retour vers le futur III" (1990).

Et puis d'autre part, le couple habite le bateau comme s'il s'agissait d'un parc d'attractions, suscitant tantôt du plaisir et tantôt de la peur, une ambivalence typique de l'enfance. Côté plaisir il y a les courses-poursuites chrorégraphiées utilisant toutes les possibilités horizontales et verticales offertes par l'espace du bateau un peu comme une sorte de parcours aventure avant la lettre, les déguisements, les pétards, le mini-canon, le jeu de cartes et le plus spectaculaire, l'attaque des cannibales qui fait penser à un assaut de château-fort. Côté peur, le bateau prend la nuit un caractère de manoir hanté avec des fantômes invisibles qui ouvrent les portes des cabines (une illusion d'optique très réussie), font apparaître un visage grimaçant par le hublot et entendre des voix sinistres. Pas étonnant que Rollo et sa dulcinée finissent par faire leur nid dans le ventre du navire, bien à l'abri dans la salle des machines.

Il y a enfin dans ce film de très beaux moments de poésie liés à l'émotion amoureuse (le désir dont l'ombre s'affiche sur le mur, la cabine du sous-marin qui chavire à 360° lorsque ce désir se concrétise) qui rappellent que ces enfants sont aussi à la frontière de l'âge adulte et que leur périple à bord du Navigator les a aidés à grandir.

Voir les commentaires

Notre ami le rat (Your Friend the Rat)

Publié le par Rosalie210

Jim Capobianco (2007)

Notre ami le rat (Your Friend the Rat)

"Il est interdit d'interdire", tel pourrait être la devise de Pixar avec ce court-métrage où l'équipe s'autorise à casser les codes et à mélanger les genres pour un résultat enlevé, déjanté, inventif, instructif et extrêmement divertissant.

"Notre ami le rat" est conçu comme un hommage aux films pédagogiques Disney des années cinquante-soixante et plus particulièrement à un de ses principaux réalisateurs et animateurs, Ward Kimball. "Notre ami le rat" s'inspire notamment très fortement de "C'est pas drôle d'être un oiseau" couronné par l'oscar du meilleur court-métrage d'animation en 1970. Le petit oiseau rouge est remplacé dans le rôle du professeur-présentateur par Rémy et Emile qui informent le spectateur de l'utilité du rat pour l'homme. Ils déroulent notamment l'historique des interactions entre les deux espèces où l'importance des échanges internationaux a joué un rôle capital. Le rat s'avérant de plus être une espèce quasi indestructible, vouloir les supprimer revient à s'autodétruire (ce dont on commence à s'apercevoir avec d'autres espèces comme les abeilles). Si bien qu'en dépit de sa source d'inspiration issue de la période des 30 glorieuses, le film évoque au final une question d'écologie contemporaine, celle de l'interdépendance des espèces au sein de l'écosystème que l'action de l'homme menace de détruire, en partie par ignorance.

Ce va et vient entre passé et présent se retrouve dans la forme. Le film mêle avec bonheur les trois principales techniques d'animation (2D, 3D et stop motion), parfois dans la même image. S'y ajoutent même des images live en noir et blanc dans le style des films muets des années 20 et même des images de jeu vidéo des années 80.

Voir les commentaires

Rebecca

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1940)

Rebecca

"Rebecca", le premier film américain d'Alfred HITCHCOCK adapté du roman éponyme de Daphné du Maurier préfigure "Vertigo" (1958) tourné dix-huit ans plus tard. Dans les deux cas, le fantôme d'une morte quasi déifiée revient hanter les lieux vécus de son vivant et entraver le bonheur d'un couple en empêchant la rivale de prendre sa place (sauf à se confondre illusoirement avec elle). Mais la comparaison s'arrête là. "Vertigo" (1958) est une vaste manipulation psychique à plusieurs niveaux (Scottie est manipulé par la fausse Madeleine et son amant puis il manipule Judy en devenant son pygmalion et nous sommes tous manipulés par Hitchcock, le metteur en scène qui s'en donne à cœur joie). Les plus grands manipulateurs de "Rebecca" sont les normes sociales et les individus leurs victimes.

Au premier plan de ce cruel conte gothique à la fois onirique et romantique, il y a le ténébreux Maxim de Winter (Laurence OLIVIER) et la dame de compagnie (Joan FONTAINE) de l'insupportable Mrs Van Hopper (Florence BATES). Même si selon les paroles de la fée des Lilas "un prince et une bergère peuvent s'accorder quelquefois" il s'agit d'une mésalliance aussitôt condamnée par la bonne société pour qui la nouvelle épouse n'a pas l'étoffe d'une grande dame. Le château des Winter, Manderley se referme sur la jeune femme comme une prison dans laquelle la pression sociale devient insupportable. Rebecca, la première femme a ses initiales gravées partout, "occupe" toujours la plus belle chambre du château et revient sans cesse dans les conversations comme un mètre-étalon qu'il est impossible d'égaler. Face à ce fantôme envahissant, omniprésent, qui se nourrit de la dévotion féroce de la gouvernante, Mrs Danvers (Judith ANDERSON) et des silences de Maxim qui est enfermé dans son douloureux secret, la jeune mariée, privée d'identité propre (elle n'a ni nom, ni prénom à elle), naïve, maladroite et totalement ignorante des codes sociaux de l'aristocratie n'arrive pas à trouver sa place ou plutôt à occuper la place qui devrait lui revenir. Et lorsqu'elle y parvient enfin grâce à la libération de la parole de Maxim, cela a un prix, la perte de son innocence.

Mais à l'arrière-plan de ce drame, tel un écho, il s'en joue un autre qui donne toute sa profondeur tragique à ce grand film. Il s'agit de la relation impossible entre Rebecca et Mrs Danvers. Deux personnages au comportement détestable mais qui s'avèrent au final surtout autodestructeurs. Si une relation hétérosexuelle entre un homme riche et une jeune fille pauvre pouvait se concevoir (dans la lignée de "Cendrillon"), l'inverse n'a pas d'équivalent (où est le conte où une jeune fille riche épouse un jeune homme pauvre?) et si en plus on ajoute le facteur supplémentaire de l'orientation sexuelle, on rentre dans l'inconcevable. Pourtant, la visite ultra-érotisée de la chambre de Rebecca ne laisse aucun doute sur l'intensité du désir que Mrs Danvers continue de nourrir à son égard. Un désir qui finira par la consumer, littéralement. Et il apparaît d'autre part que Rebecca qui se jouait des hommes tout en étant incapable d'en aimer un seul était rongée par un cancer.

Ces deux femmes autodestructrices pèsent considérablement sur l'atmosphère de l'histoire car elle tentent d'entraîner dans leur chute Maxim et sa femme. Rebecca a manigancé son suicide de façon à compromettre son mari et à le pousser lui aussi au suicide (la première scène du film montre comment il en réchappe in-extremis). Mrs Danvers quant à elle "travaille au corps" la nouvelle Mrs de Winter pour que, condamnée à échouer dans ses tentatives d'égaler Rebecca, elle finisse par disparaître du paysage.

Voir les commentaires

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet (2001)

Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain

"Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain" me fait l'effet d'une inépuisable malle aux trésors à plusieurs entrées. Il y a l'entrée de la réminiscence proustienne par la boîte de bergamotes (et non la madeleine!) de Nancy, il y a tout à côté l'entrée sensuelle delermienne par le sac de grains, il y a l'entrée folklorique du Paris-village par la carte postale, le biais idéologique dans lequel certains s'acharnent à voir une entrée (c'est plutôt selon moi un cul-de-sac) et puis il y a l'entrée autistique par le bocal d'aquarium de Bruno Delbonnel, celle que je vais emprunter aujourd'hui pour faire mieux découvrir cet univers.

Il y a d'abord l'hypertrophie du détail. Lorsque le film commence, il se focalise sur... une mouche. Un détail dont on connaîtra tous les détails de ses derniers instants. Son espèce, ses capacités, sa dernière action, le lieu et la seconde, minute, jour, mois et année de sa mort "Le 3 septembre 1974 à 18 heures 28 minutes et 32 secondes, une mouche bleue de la famille des Calliphoridae capable de produire 14 670 battements d'ailes à la minute se posait rue saint Vincent à Montmartre." Nous sommes directement connecté à l'esprit d'Amélie Poulain (Audrey Tautou), celle qui regarde lorsqu'elle est au cinéma l'insecte qui se pose par mégarde dans un plan de "Jules et Jim" de Truffaut plutôt que les personnages qui en forment le centre.

Il y a ensuite ce défilé de personnages solitaires qui tournent en rond dans leurs (au choix) obsessions, maniaqueries, routines, rituels, ceux-ci les enfermant autant que les aidant à survivre en contenant leurs angoisses. La forme même du film épouse cette manière de vivre en établissant des listes poétiques en vers "à la Prévert" sur le mode "Il/Elle aime", "Il/Elle n'aime pas". Quelques exemples:

-Le père et la mère d'Amélie (Rufus et Lorella Cravotta) aiment nettoyer et ranger régulièrement le contenu de leur boîte à outil/sac selon un ordre bien précis.
-Une fois sa femme décédée, le père d'Amélie lui construit un mausolée qu'il entretient de façon obsessionnelle.
-Raymond Dufayel (Serge Merlin) reproduit le même tableau de Renoir depuis 20 ans.
-Nino (Matthieu Kassovitz) collectionne les photos d'identité ratées en fouillant sous les photomatons.
-Joseph (Dominique Pinon) qui passe ses journées au café à surveiller le comportement de ses ex-petites amies enregistre sur magnétophone des observations qu'il pense être des "preuves" de sa jalousie en mentionnant toujours l'heure et la minute précise (quand on évoque les obsessions autistiques de certains garçons asperger, on prend toujours l'exemple des horaires de train appris par cœur!).
-Georgette (Isabelle Nanty) est une hypocondriaque obsédée par ses maladies imaginaires.
-Amélie ramasse compulsivement des galets plats dont elle remplit ses poches pour ensuite faire des ricochets dans l'eau.

Enfin les problèmes de communication sont au coeur du film et les voies détournées pour y parvenir (les fameux "stratagèmes") un de ses principaux vecteurs poétiques et polémiques, les actions anti-Collignon (Urbain Cancelier) revêtant un aspect intrusif et harceleur peu louable (quoique ce soit aussi un moyen de le faire plonger dans la peau d'un handicapé, lui qui les méprise et les rabaisse à longueur de journée). Le téléphone par exemple est une hantise des autistes. Des téléphones dans "Amélie Poulain" il y en a plein mais ils sont détournés de leur usage habituel. Ils sonnent dans les cabines publiques, mais personne ne répond au bout du fil comme si l'interlocuteur était un fantôme (en fait il se cache et observe de loin l'effet de ses actions). Ou bien il répond brièvement et raccroche aussitôt comme s'il avait affronté une terrible épreuve. Celui d'Amélie est enfoui sous des coussins (parce qu'elle ne s'en sert jamais). Il y a aussi la hantise du contact physique. Le père d'Amélie ne la touche jamais, sauf lors des examens médicaux, Amélie met toute la distance des escaliers de Montmartre entre Nino et elle, ou bien une vitre, ou bien une porte, ou bien des affiches et photos plus ou moins savamment floutées. Lorsqu'enfin elle se laisse approcher, c'est sur le mode d'un lent apprivoisement. Sinon elle s'absente de nouveau (comme le montre la première scène de sexe du film où elle est visiblement ailleurs.) Raymond Dufayel et ses os de verre qui l'obligent à vivre en huis-clos dans un appartement molletonné est un écho d'une Amélie dont l'appartement est un cocon protégé de la lumière de l'extérieur par d'épais rideaux. La plupart des autistes, hypersensoriels, ne supportent pas les lumières vives et les bruits forts. Par contre de toutes petites sensations apparemment anodines (caresser une endive, plonger sa main dans le grain, écouter le son que produit la croûte d'une crème brûlée lorsqu'elle est cassée par la cuillère etc.) deviennent par la voie de l'amplification de grands plaisirs (ce qui rejoint l'hypertrophie du détail). Et le manège/l'attraction par son aspect circulaire est un grand moyen d'apaisement.

Voir les commentaires

Jackie Brown

Publié le par Rosalie210

Quentin Tarantino (1997)

Jackie Brown

"Jackie Brown" est considéré comme le mal-aimé de la filmographie de Tarantino. Rien n'est plus faux. Il existe des fans absolus de ce film, dont je fais partie. Ces fans là, ce sont des femmes mûrissantes qui n'aiment pas spécialement (voire pas du tout) l'univers de Tarantino mais qui sont profondément touchées par le portrait de femme d'une incroyable justesse qu'il nous donne à voir.

Si "Jackie Brown" sonne si juste, c'est parce qu'il s'appuie sur un substrat fort qui donne au film son authenticité. Le film est un hommage à la blaxploitation, un courant cinématographique américain des années soixante-dix qui mis sur le devant de la scène des acteurs et actrices d'origine afro-américaine, leur culture et leurs préoccupations (à mettre en relation avec les combats des années soixante pour les droits civiques et la révolution culturelle du "black is beautiful"). Ceux-ci étaient jusque-là cantonnés la plupart du temps à des rôles secondaires de faire-valoir dans l'industrie cinématographique WASP (white anglo-saxonne protestante) dominante.

Néanmoins ces films étaient fabriqués dans une logique communautariste (ils n'engageaient que des noirs et ne s'adressaient qu'à eux) et pour la plupart, ils relevaient de la série B ce qui au bout de quelques années épuisa le filon. Quant aux films déjà tournés, ils sombrèrent dans l'oubli. Pam Grier qui était l'une des icônes du genre eu alors beaucoup de difficultés à continuer sa carrière dans les années quatre-vingt où elle dû se contenter le plus souvent de simples apparitions.

Tarantino, fan de "Blaxploitation" a conçu "Jackie Brown" comme un hommage à Pam Grier. Et une revanche éclatante sur l'adversité. Pour lui donner le premier rôle, il a remanié le roman dont le film est adapté "Punch Créole" car l'héroïne était blanche à l'origine. Et afin de lui donner un alter ego masculin digne d'elle, il a choisi un autre acteur vétéran du cinéma bis, Robert Forster qui n'avait lui non plus, jamais accédé au vedettariat mainstream en dépit de son talent. Ce sont les moments entre eux qui font toute la force de "Jackie Brown". Ceux où ils parlent évidemment car les dialogues sont nourris par leur vécu (comment faire face au vieillissement, à la perte des illusions, comment repartir à zéro après une carrière brisée). Mais tout autant ceux où ils ne parlent pas. Car si "Jackie Brown" est si atypique dans la filmographie de Tarantino, c'est parce que les non dits, les silences l'emportent sur les bavardages. La scène où Max (Robert Forster) voit Jackie (Pam Grier) pour la première fois lorsqu'elle marche vers lui est une scène de reconnaissance où tout se joue dans le regard. La complicité est immédiate, une atmosphère intimiste magique s'installe entre eux qui imprègnera tout le film. Le rythme lent, cool, bercé de musique soul et de gros plans accentue cette sensation cosy dans laquelle le spectateur se sent bien, si bien qu'il peut y revenir, encore et encore. La comparaison, souvent faite, y compris par Tarantino avec "Rio Bravo" d'Howard Hawks est totalement justifiée. "Jackie Brown" est un film qui se donne un genre (dans lequel évoluent ironiquement les acteurs les plus connus comme Samuel L. Jackson et Robert De Niro, mis volontairement au second plan) mais où l'essentiel se joue à hauteur d'homme, au niveau des yeux et du coeur.

Voir les commentaires

Malec champion de tir (The High Sign)

Publié le par Rosalie210

Buster Keaton et Edward F. Cline (1920)

Malec champion de tir (The High Sign)


"Malec champion de tir" est le premier film que Buster Keaton a lui-même réalisé, du moins officiellement. En réalité, il avait prêté main-forte anonymement à certaines des réalisations de son ami Roscoe Arbuckle comme "Fatty chez lui" en 1917. "The High Sign" (en VO) est son premier film en solo. Comme il n'en était pas pleinement satisfait, il n'est cependant sorti qu'un an plus tard après six autres courts-métrages alors qu'il venait d'avoir son accident sur le tournage de "Frigo à l'Electric Hôtel".

Les réticences de Keaton peuvent s'expliquer par le fait que ce court-métrage est une sorte d'essai de l'oeuvre à venir, forcément imparfait quoique déjà de très bon niveau. "The High Sign" possède un rythme trépidant dès son ouverture sur les chapeaux de roues, et par la suite celui-ci ne faiblit jamais. Il est aussi d'une grande inventivité dans les gags. La course-poursuite finale dans la maison remplie de trappes est un grand moment qui met en lumière son sens de l'espace et de la chorégraphie ainsi que ses talents d'ingénieur tout comme la machine qu'il met au point pour faire croire aux gens qu'il est un grand tireur.

Néanmoins il manque incontestablement à "The High Sign" la profondeur métaphysique de ses meilleurs films. Comme Keaton était d'une grande exigeance, il jugeait les gags trop "faciles". Et son personnage n'avait pas encore acquis ses caractéristiques définitives. Dans ce film, il est une sorte de cousin du vagabond de Chaplin ("venu de nulle part, il n'allait nulle part et échoua quelque part") qui cherche avant tout à survivre en recourant au système D. Par conséquent, il n'hésite pas à voler (un journal, un pistolet) et à rouler les gens dans la farine avec sa machine à tirer. Une amoralité incompatible avec l'idée que Keaton se faisait de son personnage, honnête, travailleur et encaissant avec un stoïcisme à toute épreuve les pires épreuves.

Voir les commentaires

Sherlock Junior (Sherlock Jr.)

Publié le par Rosalie210

 Buster Keaton et John G. Blystone (1924)

Sherlock Junior (Sherlock Jr.)

Film vertigineux que "Sherlock Junior" à cause du nombre ahurissant de niveaux de réalités emboîtées les unes dans les autres grâce au pouvoir du cinéma. Il y a de quoi perdre pied et c'est d'ailleurs exactement ce qui arrive au héros.

Psychologiquement d'abord. Keaton est un petit projectionniste de cinéma sans le sou. Logiquement à force de (se) passer des films, il a des rêves de grandeurs et s'imagine en super détective. Cela le rend vulnérable, aveugle et passif comme le montre la séquence où il est accusé d'avoir volé la montre. Au lieu de combattre son malhonnête rival, il le fuit en se plongeant dans un livre puis en s'endormant lors de la projection. Si bien que la résolution de l'énigme du vol dans le monde réel n'est pas le fait de Keaton mais de sa fiancée. Amusant renversement des stéréotypes sexués où le rêveur passif est masculin et celui qui agit, féminin.

Là où les choses deviennent bien plus complexes, c'est quand la projection onirique de Keaton entre dans le film en train d'être projeté. Un film qui se transforme sous l'influence de son activité onirique en double de ce qu'il vient de vivre (mais avec un tout autre scénario). La mise en abime est vertigineuse. Le réel c'est nous, spectateurs en train de regarder le film réalisé et joué par Keaton. Il y a ensuite un premier niveau de représentation, celui d'un homme qui rêve devant un écran projetant un film dans le film que nous regardons. Et au final, un deuxième niveau de représentation qui est le "film" de son rêve et qui finit par se confondre avec le premier niveau. La perte de repère devient alors visuelle.

Le passage du premier au deuxième niveau se fait par une série de situations d'entre deux qui ouvre un abîme de réflexions dont Keaton donne une traduction visuelle éblouissante. Le film projeté sur l'écran est une représentation certes, mais qui a sa propre réalité objective. Les conditions de sa projection, l'ambiance de la salle mais aussi le film lui-même sont autant d'éléments sur lesquels nous n'avons aucun pouvoir. Il nous est impossible par exemple de modifier l'intrigue, même si elle prend une direction qui nous déplaît. Il est donc logique qu'en tant que miroir réflexif, le film dans le film résiste d'abord à la projection onirique de Keaton et le rejette comme un corps étranger. Avant que l'on assiste à cette séquence ahurissante où les deux entités tentent de s'ajuster l'une à l'autre avec des changements de plans nécessitant de la part de la projection du personnage joué par Keaton des capacités d'adaptations exceptionnelles (et du vrai Keaton des talents de monteur pour faire les raccords d'un plan à l'autre).

La fin du film revient à une situation "simplement" dualiste avec le réveil du personnage qui tente de calquer ses agissements sur ce qu'il voit sur l'écran. Les plans en champ-contrechamp et l'effet cadre dans le cadre suggèrent très bien cet effet miroir. Jusqu'à ce que l'illusion soit brisée lors d'une de ces chutes fulgurantes dont Keaton a le secret. Une chute à plusieurs niveaux car ce qui vole en éclat, c'est aussi l'illusion romantique qui masque la réalité de la vie de couple. chute à plusieurs niveaux car ce qui vole en éclat, c'est aussi l'illusion romantique qui masque la réalité de la vie de couple.  ne chute à plusieurs niveaux car ce qui vole en éclat, c'est aussi l'illusion romantique qui masque la réalité de la vie de couple.  Une chute là aussi à plusieurs niveaux car c'est aussi l'illusion romantique qui masque la réalité de la vie de couple qui vole en éclat.  Une chute là aussi à plusieurs niveaux car c'est aussi l'illusion romantique qui masque la réalité de la vie de couple qui vole en é

Voir les commentaires

OSS 117: Rio ne répond plus

Publié le par Rosalie210

Michel Hazanavicius (2009)

OSS 117: Rio ne répond plus

Cette suite est peut-être encore plus percutante que le premier film qui était déjà excellent. 12 ans ont passé depuis "Le Caire, nid d'espions", beaucoup de changements ont eu lieu (décolonisation, retour du général de Gaulle, changement de République), d'autres sont déjà dans l'air comme la révolution culturelle de mai 68. Mais ils n'ont eu aucun effet sur Hubert Bonnisseur de la Bath. Tel les héros des BD franco-belges qui traversent le temps avec une tête et un costume immuable, il est resté confit dans ses certitudes moyenâgeuses et a oublié de s'acheter un cerveau. Outre les énormités racistes, sexistes, homophobes et antisémites qu'il continue à débiter (et qui dans un autre contexte lui vaudraient de sérieux ennuis), il étale plus que jamais ses valeurs réactionnaires néo-pétainistes face au mouvement hippie (contester papa c'est rien de moins que s'opposer à la patrie et au drapeau).

La Vème République du général de Gaulle s'accommode en effet très bien des anciens pétainistes puisque qu'Armand Lesignac, le supérieur d'OSS 117 (joué par Pierre Bellemare qui vient juste de nous quitter) est un ancien collaborateur réintégré à son poste comme ce fut le cas de la plupart d'entre eux après l'amnistie générale de 1951. Mais Hubert qui avale la propagande gouvernementale sans se poser de questions s'en étonne: les français n'ont-ils pas tous été résistants? Il faudra attendre Ophüls et Paxton au début des années 70 pour battre en brèche le résistancialisme en dépit de la chape de plomb de l'héritier pompidolien.

Mais la meilleure saillie provient de sa coéquipière Dolorès (Louise Monot): "Comment vous appelez un pays qui a pour président un militaire avec les pleins pouvoirs, une police secrète, une seule chaîne de télévision et dont toute l'information est contrôlée par l'État ?" Et OSS 117 de répondre : "J'appelle ça la France, mademoiselle. Et pas n'importe laquelle ; la France du général de Gaulle". La dictature bien entendu c'était le communisme. Combien de films français un tant soit peu grand public ont ce regard critique sur notre histoire récente? Ils doivent se compter sur les doigts d'une seule main!

Plus explicitement encore que dans le premier film, OSS 117 est doté d'un inconscient qui la nuit venue, à l'aide de quelques puissantes substances pyschotropes se venge de tout ce que le conscient lui fait subir dans la journée. OSS devient libertaire et bisexuel, un dualisme qui n'est pas sans rappeler le millionnaire des "Lumières de la ville" de Chaplin. Ce dualisme est évidemment le propre des sociétés répressives.

Avec ça, le film reste ludique et léger, toujours aussi soigné dans ses effets de reconstitution d'époque (tant dans les costumes et décors que dans la mise en scène avec des effets sixties comme de nombreux split screen). Et il contient une avalanche d'hommages aux films de cette période. On soulignera particulièrement les références à "L'Homme de Rio" et au "Magnifique" (OSS 117 est un frenchie qui se prend pour Sean Connery mais qui a des attitudes très Bebel) ainsi qu'aux films d'Hitchcock ("Vertigo", "La Mort aux Trousses", "La Main au Collet"...) Et le grand méchant nazi d'opérette Von Zimmel (joué par Rüdiger Vogler, excellent comme d'habitude) a droit à une tirade parodiant une réplique de "To Be Or Not To Be" de Lubitsch, elle-même tiré du "Marchand de Venise" de Shakespeare. Dans la version parodique, le mot juif est remplacé par le mot nazi ce qui donne:

" Un nazi n'a-t-il pas des yeux ? Un nazi n'a-t-il pas des mains, des organes, des dimensions, des sens, de l’affection, de la passion ; nourri avec la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé aux mêmes maladies, soigné de la même façon, dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourrons-nous pas ?"

Là encore Hazanavicius mêle références ludiques et poil à gratter historique, rappelant que de nombreux nazis ont trouvé refuge en Amérique Latine avec la bénédiction de la CIA avant d'être traqués par le Mossad (non donné aux services secrets israéliens) et autres chasseurs de nazis pour des résultats médiocre: pour un Eichmann capturé combien de Mengele ont échappé aux mailles du filet?

Voir les commentaires

Deux escargots s'en vont

Publié le par Rosalie210

Jean-Pierre Jeunet, Romain Segaud (2016)

Deux escargots s'en vont

Jean-Pierre Jeunet revient à ses premières amours avec ce court-métrage d'animation artisanal remarquable à plus d'un titre:

- Il s'agit de la mise en scène d'un poème de Jacques Prévert, "chanson des escargots qui vont à l'enterrement d'une feuille morte" que l'on peut trouver dans le recueil "Paroles". Il s'agit d'une ode au cycle de la vie et de la nature qui fait le lien entre la mort (automne), le deuil (hiver), la renaissance (le printemps) et la plénitude de la jouissance (l'été), les uns étant indispensables aux autres.

- Chaque vers (il y a en 35 en tout) est déclamé par un acteur de la "galaxie Jeunet" (Dominique Pinon, Jean-Claude Dreyfus, Jean-Pierre Marielle, Rufus, Audrey Tautou, Mathieu Kassovitz, Serge Merlin…) dont certains membres font également partie de la galaxie Dupontel (Albert Dupontel lui-même, Nicolas Marié, Claude Perron, Yolande Moreau…)

- Les bestioles qui déclament chaque vers sont inspirées de l'œuvre du sculpteur Jephan de Villiers que Jean-Pierre Jeunet admire et collectionne. Jeunet les a fabriquées avec des débris végétaux ramassés dans la forêt (bois, feuilles, plumes, noyaux, bogues, écorces, graines…) dans la lignée des photographies contenues dans le livre du sculpteur "Bestioles ou bestiaire pour un enfant roi" et c'est Romain Segaud qui les a animées. Tant de créativité à partir de ce que nous offre la nature et le monde magique de l'enfance, source d'inspiration majeure de Jeunet n'inspire qu'une chose, un total respect!

Voir les commentaires

1 2 3 4 > >>