Si le raté "L'Année du requin" (2022) avait été autant promu dans les salles art et essai c'est parce que les frères Zoran BOUKHERMA et Ludovic BOUKHERMA avaient auparavant réalisé un film de genre, certes un peu bancal mais prometteur, "Teddy". Bancal parce que maîtrisant déjà mal le mélange des genres. Ainsi des scènes très réussies dramatiquement et esthétiquement alternent avec des moments creux. La greffe entre la comédie de terroir à la façon d'un "Groland" occitan, le teen-movie et l'imaginaire fantastique est laborieuse. Heureusement, Anthony BAJON qui est de tous les plans ou presque rend crédible et touchant son personnage de paria social un peu naïf qui tente de gommer les manifestations de sa lycanthropie pour s'intégrer. Du moins jusqu'à ce que ses illusions ne s'écroulent et que n'ayant plus rien à perdre, il provoque un bain de sang dans une scène qui fait fortement penser à "Carrie au bal du diable" (1976). Très travaillée visuellement avec ses contrastes de couleurs primaires et ses cadres dans le cadre, elle conclue un film visuellement recherché que ce soit pour les extérieurs (les paysages de montagnes pyrénéennes) ou les intérieurs (les effets de transparence du salon de massage où travaille Teddy, très "Vénus Beauté Institut" (1999) dans lequel la patronne jouée par Noémie LVOVSKY le poursuit de ses assiduités). Quant à l'horreur, elle reste pour l'essentiel suggérée, sans doute par manque de budget. Les frères Boukherma se font surtout plaisir avec des clins d'oeil à des classiques de la mutation comme "La Mouche" (1986) de David CRONENBERG. En dépit de ses imperfections, le film fonctionne assez bien et il est logique qu'il ait été remarqué.
Bien que "Fumer fait tousser" aurait eu besoin d'avoir un rythme plus soutenu pour libérer toute sa puissance de frappe, le film, à l'image de "Le Daim" (2019) m'a renvoyé à toute une série de références. Le fait d'appartenir à la même génération, celle des "enfants de la TV" des années 80 aide certainement à mieux l'apprécier. En effet j'ai grandi avec les Sentai ("Bioman") (1984) et autres metal heroes japonais ("X-Or") (1982). Je me suis bidonnée devant l'excellente parodie des Inconnus même si elle était mâtinée de la xénophobie antijaponaise propre à l'époque ("toi tu t'appelles Nathalie avec tes yeux bridés et ta face de citron? Tais-toi c'est pour l'exportation en France"). Et je n'ai raté aucun des épisodes de la version amateur franchouillarde des sentai "Les France five" (très appréciée d'ailleurs au Japon), beaucoup plus fun que la déclinaison américaine, pro mais très premier degré alias les "Power Rangers" (2015). Néanmoins le film de Quentin DUPIEUX s'abreuve à d'autres sources. La bande reçoit ses missions à la manière de les "Drôles de dames" (1976) d'un personnage qui ressemble à une version dégoûtante de "Alf" (1986) (qui a la voix de Alain CHABAT donc l'esprit des Nuls) et se déplace à bord d'un véhicule qui n'est pas sans rappeler "Scoubidou" (1969) (sans le flower power mais avec la crétinerie des personnages joués par Gilles LELLOUCHE et Anaïs DEMOUSTIER qui m'ont fait penser à Fred et Daphné). Mais en voyant le film, je me suis dit qu'il était bien dommage que Quentin Dupieux n'ait pas pu collaborer avec Roland TOPOR tant "Fumer fait tousser" m'a rappelé l'esprit absurde, surréaliste, critique et mélancolique de "Téléchat". Ou encore celui des Monty Python (Anthony SONIGO qui se fait broyer par Blanche GARDIN sans moufter c'est un peu Graham CHAPMAN commentant d'un air détaché sa jambe arrachée dans "Monty Python : Le Sens de la vie") (1982). Car "Fumer fait tousser" n'est pas si absurde qu'il en a l'air (comme tous les Dupieux). Il s'agit en réalité d'un film catastrophe mais qui prend le contrepied du blockbuster spectaculaire façon "Le Jour d après" (2004). Le méchant, Lézardin (Benoît POELVOORDE) veut anéantir la "petite planète malade" qu'est devenue la Terre mais en fait elle s'empoisonne très bien toute seule. Chaque membre de la "Tabac force" libère la substance toxique qui lui donne son nom. Le lac autour duquel ils font leur retraite est tellement pollué qu'on y pêche un barracuda qui parle (comment ne pas penser à "The Host" (2006) de BONG Joon-ho?) Les histoires que chacun raconte au coin du feu pour faire peur aux autres évoquent la dissolution prochaine du corps humain dans un monde privé de sens. Et la fin est sans ambiguïté: nulle technologie ne viendra nous sauver. "Le changement de l'époque en cours" s'avère être un vieux disque rayé. Sous le rire perce une angoisse proprement métaphysique.
Film-culte que j'ai découvert (comme beaucoup) grâce à son remake musical des années 80 réalisé par Frank OZ. On voit tout de suite que c'est une production fauchée transcendée par son état d'esprit déjanté et sans limites (vis à vis du bon goût notamment). J'ai pensé aux films des Monty Python ou plus récemment à "Le Daim" (2019) ou encore à " Coupez !" (2021). Le film de Roger CORMAN est en effet un agrégat de contraintes liées au caractère cheap et bricolé du film (tournage dans le décor de studio recyclé d'une production préexistante avant qu'il ne soit détruit et donc dans l'urgence, ajout de scènes extérieures réalisées avec tout ce qui tombait sous la main). Cependant, si les limites techniques sont évidentes, elles sont compensées par un scénario malin et une mise en scène maîtrisée (quoique foutraque en apparence). Le film est une petite mécanique d'horlogerie fondée sur le comique de répétition et d'accumulation ainsi que sur un ballet de personnages plus loufoques les uns que les autres. De plus, le potentiel comique des personnages est mis en valeur par un certain art du contraste qui accentue l'humour noir du film: le mangeur de fleurs et la plante carnivore (en réalité un monstroplante ^^ moins proche de "Jayce et les Conquérants de la Lumière" (1985) que de "Alien, le huitième passager" (1979) mais en carton-pâte et animé de façon très basique), le dentiste sadique et son patient masochiste (Jack NICHOLSON alors tout jeune s'en donne à coeur joie dans un rôle qui sera ensuite repris tout aussi génialement par Bill MURRAY dans le remake), l'employé naïf et maladroit qui devient assassin presque malgré lui (Jonathan HAZE, un habitué des films de Corman tout comme Mel WELLES et Dick MILLER, le Murray Futterman de "Gremlins" (1984) qui partage avec le film de Corman l'idée d'une créature inoffensive qui devient monstrueuse) ou encore des personnages qui prennent avec une légèreté déstabilisante la mort de leurs proches.
Le premier film que je vois de Quentin DUPIEUX m'a paru tout simplement brillant! Et loin de le trouver "absurde", j'y ai vu au contraire une mise en abyme de l'art cinématographique et la mise en relief de la mécanique implacable du serial killer:
1. Il est dénué d'affects comme de personnalité, d'ailleurs le film s'ouvre sur la chanson de Joe Dassin "Et si tu n'existais pas, dis-moi pourquoi j'existerais?" Comme un écho un peu plus tard sa femme lui dit au téléphone "qu'il n'existe plus".
2. Comme il est une coquille vide, son apparence devient une obsession car c'est elle qui définit sa personnalité. Le daim est une seconde peau exactement comme la veste en peau de serpent que porte Nicolas CAGE dans "Sailor & Lula" (1990) (inspirée de celle que porte Marlon BRANDO dans le titre au titre éponyme). J'ai pensé aussi au personnage de "Le Silence des agneaux" (1989) qui se fabrique un vêtement avec des morceaux de peau prélevé sur ses victimes. Comme il est immature, c'est le vêtement qui mue à sa place. Celui de Georges (Jean DUJARDIN) renvoie autant à l'aspect infantile du personnage* qu'à la sauvagerie. Ses propos sur "son style de malade" qui "bute" (on pourrait ajouter "qui flingue") prennent un double sens tout à fait savoureux.
3. Plus on avance dans le film, plus le personnage s'enfonce dans sa folie obsessionnelle et par conséquent "s'ensauvage": le daim recouvre progressivement toutes les parties de son corps alors même qu'il bascule progressivement dans la folie meurtrière (dans la sauvagerie, terme plus approprié que l'animalité proprement dite).
4. Pour pleinement "jouir" de sa toute-puissance (être le seul être au monde à porter un blouson), il a besoin d'un miroir. Comme Robert De NIRO dans "Taxi Driver" (1976) autre être solitaire en pleine dérive meurtrière, il se parle à lui-même dans le miroir (ou bien il donne une anima à sa veste lorsqu'elle est pendue en face de lui). Mais la suite ressemble davantage à "Le Voyeur" (1960) sauf que celui qui se rince l'oeil devant les images de ses crimes n'est pas celui qui tue. "Le Daim" est un monstre à deux têtes. Georges qui est mythomane se prétend cinéaste mais il est en réalité un acteur en costume, dirigé (manipulé) par sa serveuse-monteuse, Denise (Adèle HAENEL) qui l'encourage a aller toujours plus loin (ou plus près, c'est selon ^^) dans sa mise en scène sanglante et l'aide également à compléter sa peau de bête.
5. Et pour en finir avec les références cinématographiques, j'ai beaucoup pensé à un autre film avec Robert De NIRO, "Voyage au bout de l Enfer" (1978) alias "The Deer Hunter" (1978) d'autant que l'histoire se déroule dans un décor de montagnes et que des plans d'authentiques daims scandent l'intrigue. Georges avec sa panoplie de cow-boy d'opérette finit par y prendre la place du daim, c'est à dire de la cible chassée comme les héros du film de Michael CIMINO qui de chasseurs se muent en soldats avant de revenir (ou pas) dans la peau (dans le rôle) de la victime.
* Comment ne pas songer aux personnages des films de Wes ANDERSON, notamment celui joué par Owen WILSON dans "La Famille Tenenbaum"? (2002)
Ayant eu des échos flatteurs de "Teddy", le précédent film des frères Boukherma et alléchée par la promesse d'une parodie de "Les Dents de la mer", je suis allée voir le film enthousiaste et en suis sortie pour le moins déçue voire furieuse avec l'impression de m'être fait avoir par certaines critiques flatteuses et le label "art et essai" accolée au film. Il faut être bien chauvin pour ne pas voir que ce film pue l'amateurisme à plein nez. C'est bien simple, la sauce ne prend jamais, la faute à un manque de maîtrise évident des genres abordés. Le film est "vendu" comme une comédie, or comme je l'ai souvent dit, le comique est avant tout une affaire de rythme. "L'année du requin" est tout sauf rythmé, le film est mollasson et de ce fait, les quelques gags et bons mots tombent à plat. De plus, les réalisateurs ont l'ambition de mélanger les genres sauf qu'ils n'en maîtrisent aucun. Lorsqu'ils se décident à tourner des scènes de film-catastrophe à la Spielberg, ils oublient purement et simplement le comique sans que pour autant la tension dramatique ne soit véritablement instaurée. Vient se juxtaposer là-dessus un discours régionaliste (de la voix off horripilante, de la radio etc.) qui semble tomber comme un cheveu sur la soupe et qui se réduit à des propos de péquenots réacs: le requin, c'est la faute aux parisiens, aux wokistes, aux écolos, au covid, au réchauffement climatique... Certes, les réalisateurs ne pouvaient pas savoir au moment du tournage que le bassin d'Arcachon allait être frappé par des mégafeux mais on ne peut pas dire que le film se montre visionnaire là-dessus. Comme pour tout le reste, il hésite, le cul entre deux chaises et ne parvient pas à se hisser à la hauteur des enjeux (pour ne s'aliéner aucun public?). En témoigne le sort du requin, marqué par une énième volte-face (un titre qui aurait bien mieux convenu au film). L'arnaque se retrouve jusque dans l'affiche. On nous fait croire à une dynamique de trio alors que seule Marina Foïs occupe le devant de la scène, jouant un personnage aux motivations nébuleuses la plupart du temps figé en gros plan selon un grand angle déformant dont on se demande à quoi il sert sinon à faire original à tout prix. Kad Merad et Jean-Pascal Zadi, censés être les plus values comiques du film sont scandaleusement sous-exploités. Bref, rien ne fonctionne dans cette catastrophe de film dont les ambitions se heurtent au manque évident du savoir-faire le plus basique (écrire un scénario qui se tient par exemple).
Michel Hazanavicius est décidément irremplaçable, réussissant à partir d'un remake français d'un film de zombies culte japonais ("Ne Coupez pas!") à faire réfléchir sur le cinéma et notamment son caractère d'oeuvre collective de façon ludique et humoristique. Je ne me rappelle plus depuis quand je n'ai pas autant ri en salle devant ce qui s'apparente à une grosse pochade mais qui en réalité est un hommage aux humbles artisans du cinéma de genre (classé de B à Z) tout à fait comparable à celui que Tim Burton rendait à Ed Wood sans parler des clins d'oeil appuyés à Quentin Tarantino. Un éloge du système D qui peut donner envie à n'importe qui de se lancer. Système D qui n'est d'ailleurs pas synonyme forcément de mauvaise qualité. Par exemple, faute de moyens financiers, qui se souvient que Raoul Coutard, le chef opérateur de Jean-Luc Godard a dû utiliser un chariot pour remplacer les rails de travelling dans "A Bout de Souffle? Et bien Michel Hazanavicius lui s'en souvient, les travellings du film étant obtenus à l'aide... d'une chaise roulante et le plan aérien, à l'aide d'une pyramide humaine, faute de grue! Si le résultat final, par lequel on commence (un plan-séquence de 32 minutes) peut interroger en raison de moments de flottements bien visibles, il ne faut surtout pas lâcher prise car c'est après, lorsqu'on découvre les coulisses d'un tournage-catastrophe et donc son caractère plutôt plus que moins improvisé que le film devient vraiment jubilatoire. Voir des acteurs français très connus capables d'autant d'auto-dérision procure un immense plaisir: Romain Duris dans le rôle du réalisateur double de Michel Hazanavicius (il est en effet entouré par la femme et et la fille de ce dernier), Jean-Pascal Zadi en ingénieur du son ou encore Grégory Gadebois en zombie sont impayables et les voir jouer des personnages au prénom japonais créé un décalage irrésistible. Enfin aussi étonnant que cela paraisse, toute cette énergie collective mise dans un projet aussi casse-gueule finit par émouvoir, chacun donnant malgré les apparences quelque chose de très personnel (comme en témoigne l'importance de photos de famille).
En dépit des mauvaises critiques, j'avais envie de voir comment Jim JARMUSCH avait traité le film de zombies, après avoir revisité le genre du western, du film noir, du film de sabre et plus récemment, du film de vampires. Et je dirais que les trois premiers quarts du film m'ont plutôt amusé. Le décalage entre les événements qui se déroulent à Centerville et qui se réfèrent à George A. ROMERO et le détachement avec lequel les habitants les vivent confèrent à l'ensemble un aspect irréel (sublimé par des mouvements de caméra toujours aussi admirables), mâtiné d'un humour noir qui fait parfois mouche, même s'il est un peu facile (on y récapépète beaucoup). Les acteurs de premier choix sont pour beaucoup dans le plaisir que l'on peut prendre à voir ces scènes car leur amusement est communicatif. Là où ça se gâte, c'est sur la fin qui devient, il faut le dire, grotesque. Entre une Tilda SWINTON tarantinesque qui s'avère être une extra-terrestre à la E.T. que sa soucoupe volante vient chercher, l'homme des bois joué par Tom WAITS qui se transforme en une sorte de prophète vengeur contre le consumérisme qui serait responsable de la transformation de Centerville en Zombiland* et Ronnie qui tout d'un coup devient son interprète, Adam DRIVER en train de raconter à son acolyte Bill MURRAY qu'il connaît la fin du film parce qu'il a lu le script de "Jim" (et nous spectateur, on est censé faire quoi? Applaudir des deux mains devant cette "transgression brechtienne"? Quoique ce n'était pas la première, il y avait déjà un clin d'oeil au début du film), Jim JARMUSCH ne sait plus où il va (je pense qu'en fait il s'en fiche) et termine donc dans le mur. "The Dead don't die" est un film nihiliste, tout simplement.
* Le dérèglement de la planète par l'action humaine est montré comme la cause de la catastrophe car le rejet que fait Jim JARMUSCH de la technologie en général et des appareils connectés en particulier revient de film en film. Cependant dans "The Dead don't die", il suggère qu'ils ont engendré une population de décérébrés ce qui est au-delà du caricatural. Aucun être humain ne peut être résumé à des addictions à l'alcool, aux bonbons ou au wifi. Pour le coup Jim JARMUSCH ne fait que confirmer que sur ses derniers films, il a tourné à l'aigri en rejetant la société actuelle, que ce soit pour cultiver son jardin (dans "Paterson" (2016) qui reste heureusement un très beau film), vivre en ermite dans les bois ou errer dans ses limbes.
"Frankenweenie" est le troisième long-métrage d'animation sur lequel a travaillé Tim Burton après "L'étrange noël de monsieur Jack" et "Les noces funèbres". Mais il n'avait pas réalisé le premier et n'avait pas sorti le second sous le label Disney (le premier non plus d'ailleurs, Touchstone étant une filiale de Disney destinée à produire des films plus adultes et Laïka étant le studio des productions de Genry Selick, réalisateur de "L'étrange noël de monsieur Jack" et de "Coraline".
Par ailleurs "Frankenweenie" est un remake du court-métrage live au titre éponyme que Tim Burton avait réalisé en 1984. Changement de format et de style oblige, l'histoire est bien plus développée et fait autant penser à "Vincent" qu'à "Edward aux mains d'argent" ou à "Ed Wood". Victor est un enfant différent comme Vincent, un solitaire à l'imagination débordante. Comme Ed, c'est un artiste qui réalise des films bricolés plein de créativité. Comme le "père" d'Edward, il joue les Prométhée pour donner naissance à une créature bien plus touchante et belle intérieurement que tout ce qui l'entoure et comme son nom de famille est Frankenstein, il convoque tout l'imaginaire (et l'atmosphère expressionniste) du film éponyme de James Whale (et de sa suite, la petite chienne dont Sparky est amoureux se dotant de la coiffure zébrée de la fameuse fiancée après son électrisation). Les efforts de Victor pour ressembler à un enfant WASP de la middle class lambda aboutissant à la mort de son chien adoré, il bascule dans une autre dimension aux apparences morbides mais qui l'est moins en réalité que celui dans lequel il vit. L'intolérance qui gangrène les banlieues pavillonnaires aboutit à l'excommunication du professeur de biologie lequel ne se prive pas par ailleurs de dire ce qu'il pense de la mentalité des parents. Et la fin prend la forme d'une chasse aux sorcières contre les monstres nés des expérimentations d'enfants tous plus bizarres les uns que les autres qui sèment la panique sur leur passage. On reconnaîtra toutes sortes de clins d'oeil à Godzilla, aux Gremlins, à la Momie, à Dracula alors que l'ensemble du casting de l'épouvante est représenté d'une manière ou d'une autre (Vincent Price, Christopher Lee, Boris Karloff...) Le résultat est moins horrifique que poétique et émouvant avec cette fragilité propre à l'animation en stop-motion qui fait de ce "Frankenweenie" une petite pépite.
La première version de "Frankenweenie" est une excellente introduction à l'univers de Tim BURTON. Parce qu'il a fait ensuite l'objet d'un auto-remake en 2012 en long-métrage d'animation stop-motion. Parce qu'il est une sorte de brouillon de son chef d'œuvre "Edward aux mains d'argent" (1990) en étant fondé comme lui sur une opposition frontale entre un freak issu d'un univers gothico-fantastique et une banlieue WASP typique dont l'aspect pimpant de bonbonnière cache une sombre morale inquisitrice (un aspect que l'on retrouve chez Peter WEIR dans "The Truman Show" (1998) ou sous une autre forme chez David LYNCH dans "Blue Velvet") (1986). Et parce que cette œuvre, au même titre que "L'Étrange Noël de Monsieur Jack" (1994) (qui n'a pas été réalisé par Tim BURTON mais qui a été scénarisé par lui) illustre de manière édifiante la relation compliquée entre Tim BURTON qui s'identifie bien évidemment aux freaks de ses films et les studios Disney qui incarnent les valeurs traditionnelles américaines. En dépit des efforts de Burton pour s'adapter aux exigences des studios Disney au sein desquels il travaillait et qui finançaient ses projets (ce qui explique par exemple une fin optimiste en tous points opposée à celle de "Edward aux mains d argent") (1990) il reste inassimilable à leur univers et est donc mis sur la touche dans un premier temps ("Frankenweenie" est resté invisible pendant des années et "L'Étrange Noël de Monsieur Jack" (1994) est sorti sous le label d'une filiale de Disney) avant d'être "récupéré" par la maison-mère une fois le succès au rendez-vous.
La version courte et live de "Frankenweenie" doté d'une belle photographie expressionniste en noir et blanc qui jure d'autant plus avec le paysage suburbain californien est une œuvre de jeunesse dont les coutures, comme celles de Sparky, le chien de Victor sont encore bien apparentes. L'hommage au "Frankenstein" (1931) de James WHALE y est littéral puisque la scène de résurrection est copiée-collée sur celle du film de 1931 tout comme la scène du moulin en flammes. Il faut dire que le sentiment d'étrangeté de Burton n'a rien à envier à celui qui taraudait Whale dans les années 30. Quant à la présence de Shelley DUVALL dans le rôle de la mère, elle permet à Burton de rendre hommage à l'auteure du roman, Mary Shelley (on oublie trop souvent le rôle important joué par les femmes écrivains dans le genre gothico-fantastique et dans le polar) et de faire un clin d'œil au "Shining" (1980) de Stanley KUBRICK.
"Gremlins", film culte ancré dans les années 80 (les décors de Kingston Falls ont été réutilisés pour Hill Valley dans "Retour vers le futur" (1985), les deux films ont d'ailleurs beaucoup de points communs) est le "Docteur Jekyll et M. Hyde" de l'Amérique. C'est en effet un film bicéphale qui porte la marque diamétralement opposée de ses deux auteurs: celle de Steven SPIELBERG le producteur (redoublée par le scénariste du film, Chris COLUMBUS) et celle de Joe DANTE le réalisateur. Steven SPIELBERG incarne les valeurs-refuge des USA c'est à dire un univers de conte et la célébration de la cellule familiale à travers les références à ses films cultes tels que "La Vie est belle" (1946) devenu le film de noël des américains. Comme dans le film de Frank CAPRA, l'histoire se déroule à noël dans une petite bourgade où tout le monde se connaît et a pour épicentre la chaleur d'un foyer familial où vient se rajouter une grosse peluche vivante à la voix d'ange, le mogwai Gizmo. Mais comme dans "La Vie est belle" (1946), les apparences sont trompeuses et la famille a du plomb dans l'aile. A la lutte du petit entrepreneur contre le Big Business vient se substituer la crise du début des années 80 avec dès le début une mère qui avec ses enfants mendie en vain un délai pour payer son loyer et un père inadapté qui bricole des objets inutiles et défectueux (une façon de railler l'American way of life) nanti d'un fils qui s'est substitué à lui pour faire vivre la famille mais dont la voiture ne marche pas sans parler de la fille dont il est amoureux pour qui noël rime avec taux de suicide maximal. Quant à la grosse peluche, force est de constater qu'entre des mains immatures, elle peut faire tourner le rêve en cauchemar. C'est ainsi que la vision spielbergienne ainsi nuancée peut harmonieusement se combiner avec celle du sale gosse Joe DANTE et sa bande "d'affreux, sales et méchants" (des animatroniques, technique typique de l'époque pour animer les créatures de SF) qui ont pour mission de pulvériser façon puzzle ^^ la vision par trop ripolinée de l'Amérique profonde heureuse, cette Amérique qui tremble devant une invasion étrangère fantasmée ("Gremlins" partage également avec "Retour vers le futur" (1985) une citation explicite du film "L'Invasion des profanateurs de sépultures" (1956) dont l'habillage SF transpose la psychose liée à la peur du communisme, peur qui était encore d'actualité dans les années 80, la guerre froide n'étant pas encore terminée). Il y a donc aussi une satire grinçante dans "Gremlins" qui culmine avec le visionnage par les monstres de "Blanche Neige et les 7 Nains" (1937) (au vu de ce qui leur arrive après, on est pas loin de la séquence d'introduction de "Brazil" (1985) qui date de la même époque) mais aussi dans la cultissime et si drôle scène du bar ou encore celle de la cuisine où le symbole du foyer se transforme en film d'horreur façon "Massacre à la tronçonneuse" (1974). Les Gremlins sont l'inverse d'E.T., pour eux "Téléphone, maison" c'est "caca". Au final, c'est le cosmopolitisme rompu au dialogue et à l'adaptation qui juge l'Amérique WASP vivant sous cloche et son jugement est sans appel: c'est elle qui doit sortir de son cocon et grandir pour affronter ses responsabilités.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.