"L Homme de Rio" (1963) de Philippe de BROCA a fécondé au moins deux beaux bébés. Steven SPIELBERG s'en est inspiré pour "Les Aventuriers de l arche perdue" (1980) et a ensuite rendu hommage à la source originelle du film d'action et d'aventures de Philippe de Broca en réalisant "Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne" (2010). Robert ZEMECKIS, poulain de Spielberg qui avait réalisé "1941" (1979) à partir d'un scénario écrit par Zemeckis et Bob GALE et produit ses deux premiers films n'avait cependant pas encore connu de succès commercial retentissant. Afin de convaincre les studios de lui donner le feu vert pour tourner "Retour vers le futur" (1985) dont il avait écrit le scénario, toujours avec Bob Gale, il s'est donc lancé dans sa propre version de "L'Homme de Rio", "A la poursuite du diamant vert" que Michael DOUGLAS lui avait proposé de réaliser. On l'a un peu oublié aujourd'hui mais Michael Douglas était à cette époque davantage connu comme producteur que comme acteur (il avait notamment été l'artisan du succès de "Vol au-dessus d un nid de coucou") (1975). Le rôle de jack D. Colton a définitivement lancé sa carrière d'acteur.
Dans le genre, "A la poursuite du diamant vert" est une réussite qui se démarque de ses illustres "parrains" en ajoutant à la BD d'aventures trépidantes dans la jungle (par ailleurs parfaitement menée) une touche de screwball comédie à caractère féministe. Le film doit beaucoup en effet à l'alchimie du duo formé par Michael DOUGLAS et Kathleen TURNER et à la dynamique de leur relation. Alors qu'au départ Jack D. Colton est présenté comme un baroudeur expérimenté face à Joan la romancière inadaptée avec sa valise et ses talons, le rapport de forces s'inverse très vite. Colton fait systématiquement les mauvais choix face aux situations auxquelles ils sont confrontés alors que Joan s'ouvre facilement toutes les portes ce qui conduit Colton à se plonger dans des romans qu'il aurait auparavant méprisés. A ce couple détonant il faut ajouter la plue-value comique de Danny DeVITO et voilà comment Robert Zemeckis obtint le ticket gagnant pour sa célèbre saga rétro-futuriste tout en nous livrant un film réjouissant qui traverse le temps avec une suprême élégance!
Dire que "Joies matrimoniales" est la seule comédie réalisée par Alfred Hitchcock comme on peut le lire un peu partout est inexact. "Mais qui a tué Harry?" ou bien "Complot de famille" sont des comédies policières et nombre d'autres thrillers d'Alfred Hitchcock comportent des passages relevant de la comédie (ce qui explique en partie que Cary Grant, acteur fétiche du genre y soit comme un poisson dans l'eau). Néanmoins, "Joies matrimoniales" est le seul film de sa filmographie appartenant à la catégorie de la screwball comédie subversive héritée du slapstick muet, fondée sur la contestation du mariage traditionnel, une guerre des sexes et un remariage final avec des rapports plus égalitaires entre hommes et femmes.
Au vu du rapport plutôt fétichiste que Alfred Hitchcock entretenait avec ces dames, il n'est guère étonnant qu'il se soit senti mal à l'aise dans un genre plutôt fait pour tailler en pièces que pour mettre sur un piédestal. Si "Joies matrimoniales" est par moments franchement drôle lorsque son couple phare (excellement interprété) se retrouve en raison d'un imbroglio administratif "démarié" à l'époque du rigide code Hays, il n'a rien de subversif, bien au contraire, il aboutit à un renforcement des stéréotypes de genre. Ainsi tous les efforts de l'immature Ann (Carole Lombard) pour grandir et s'émanciper (trouver un travail, fréquenter un autre homme etc.) sont court-circuités par le très jaloux et possessif David (Robert Montgomery) qui la présente de surcroît comme "une excellente ménagère" et finit par (métaphoriquement) lui briser les ailes. On peut être certain que les scènes vues au début du film (disputes, procrastination puis réconciliation sur l'oreiller) attendent le couple une fois leur problème administratif réglé.
Un film peut en cacher un autre. Je pensais au départ regarder un mélodrame de Frank Borzage, le spécialiste de l'amour fou sans me douter que j'allais regarder en fait une comédie sophistiquée de Ernst Lubitsch, officiellement producteur mais dont l'influence sur la mise en scène ne fait aucun doute. Tout le début est 100% lubitschien avec le montage d'un savoureux quiproquo par une croqueuse de perles (Marlène Dietrich) qui pour parfaire son joli tour de passe-passe à la douane se sert d'un pauvre quidam, genre grand dadais naïf (Gary Cooper évidemment) comme "mule", à l'insu de son plein gré. Le pauvre ingénieur américain Tom Bradley qui espérait passer des vacances tranquilles au soleil en faisant au passage la promotion des voitures de sa firme se retrouvé doublé puis dépouillé de son véhicule par l'escroqueuse qui est aussi chauffarde: de purs moments de screwball comédie. La façon dont il se laisse mener par le bout du nez par Madeleine est également assez irrésistible. Mais la suite m'a moins convaincue. Je l'ai trouvé plus convenue. La manipulatrice qui tombe amoureuse de sa proie, c'est du déjà vu, en mieux, ailleurs (dans "L'Extravagant M. Deeds" par exemple avec le même Gary Cooper qui date de la même année). On ne retrouve pas dans la romance naissante entre Tom et Madeleine le caractère sacré de l'amour que se portent les amants de Frank Borzage. Le film est trop léger pour ça. Il y a plutôt des allusions coquines... à la Lubitsch, une fois de plus (une difficulté suspecte à réveiller les deux tourtereaux qui certes dorment chacun dans leur chambre mais pensent à l'autre avec une expression de béatitude sur le visage). Quant à la fin, elle est moralisatrice et on finit par se demander si ce n'est pas "Tante Olga" (la meneuse du gang d'escrocs) qui a fait le bon choix en renonçant à l'amour et en conservant sa liberté plutôt que Madeleine obligée de courber l'échine devant tous ceux qu'elle a volé, cornaquée par Tom qui détient sa liberté conditionnelle dans une poche et sa licence de mariage dans l'autre.
J'avais envie depuis très longtemps de voir "Boule de feu" réalisé par Howard Hawks avec Billy Wilder au scénario, celui-ci n'ayant alors pas encore commencé sa propre carrière de réalisateur à Hollywood. Hélas le film est difficilement visible car non édité en DVD zone 2. Cela fait partie de ces aberrations d'édition des films de grands réalisateurs hollywoodiens en France, comme pour "Le gouffre aux chimères"... de Billy Wilder.
Avec "Boule de feu" on a donc deux cinéastes pour le prix d'un (même si le second n'avait alors réalisé qu'un seul film, en France ). On y reconnaît le genre de prédilection de Howard Hawks, la screwball comédie entre un professeur linguiste coincé genre grand dadais naïf, type de personnage dans lequel Gary Cooper excelle (il prolonge ses rôles chez Capra, en particulier Longfellow Deeds) et la gouailleuse et sexy Barbara Stanwyck en danseuse de cabaret gravitant dans l'orbite d'un groupe de gangsters et maniant l'argot avec beaucoup de pétulance. Deux mondes aussi opposés que possible qui n'auraient jamais dû se rencontrer. Mais au cinéma tout est possible et c'est bien la magie de cette rencontre qui en fait tout le sel avec pour anges gardiens les sept autres professeurs assimilés aux sept nains du conte des frères Grimm. Sugarpuss (surnom évocateur et qui fait penser à la future Sugar de "Certains l'aiment chaud") est cette boule de feu projetée dans la tour d'ivoire poussiéreuse des huit têtes pensantes pour le transformer en "dancefloor" et titiller les hormones du plus jeune, le professeur Potts qui sonne comme "empoté". Il faut dire qu'il était temps qu'elle arrive pour éclairer leur lanterne puisque dans leur travail de rédaction encyclopédique, ils bloquaient à la lettre S comme Slang (argot) mais aussi comme Sex. La découverte de l'amour par ces deux-là a quelque chose de magique et on est pas près d'oublier cette scène nocturne dans lequel Bertram se trompe de chambre et parle sans le savoir à une Sugarpuss plongée dans la pénombre dont on ne voit que le regard embué avant que cela ne se termine dans une étreinte passionnée en ombre chinoise. Délicieux, tendre, rythmé, remarquablement dialogué et interprété, ce film est un régal de tous les instants.
"Lune de miel mouvementée" s'est fait complètement éclipser par le film de Ernst LUBITSCH sorti la même année "To Be or Not to Be" (1942) qui mêle également la comédie au drame sur fond de guerre et d'antinazisme. On pense également à "Le Dictateur" (1940) de Charles CHAPLIN qui lui est contemporain. Cependant force est de constater qu'on est loin des deux illustres chefs d'oeuvre pré cités et que le relatif oubli du film de Leo McCAREY est justifié. En effet la greffe ne prend pas dans "Lune de miel mouvementée". Si les passages de screwball comédie dont Leo McCAREY est un des maîtres sont évidemment très réussis, les moments dramatiques semblent plaqués de façon artificielle et l'intrigue d'espionnage ne prend pas vraiment. Le résultat est donc inégal avec des moments franchement poussifs. Le film vaut surtout pour le plaisir de voir se donner la réplique deux grands acteurs rôdés au genre, Cary GRANT et Ginger ROGERS (qui dix ans plus tard se retrouveront dans le délicieux "Chérie, je me sens rajeunir" (1952) de Howard HAWKS). Il émane de leurs échanges plein d'entrain beaucoup de complicité et la scène des "mesures" a même un petit caractère coquin qui donne d'emblée du piment à leur relation hélas ensuite plombée par les malheurs qui leur tombent dessus. Le rôle d'agent double de Kathie O-Hara souffre en outre terriblement de la comparaison que l'on ne peut manquer de faire avec "Les Enchaînés" (1945) car Leo McCAREY n'est pas Alfred HITCHCOCK.
Alors que Ingmar BERGMAN est perçu comme un cinéaste austère réalisant des films ésotériques, c'est paradoxalement avec une comédie légère située à la Belle Epoque qu'il a rencontré le succès international au milieu des années cinquante. Pourtant c'est pour échapper à des idées suicidaires qu'il a réalisé "Sourires d'une nuit d'été" (d'ailleurs si on est attentif, des traces de cet esprit suicidaire demeurent dans la comédie: le père et son rival qui "jouent" à la roulette russe, le fils qui tente de se pendre) comme le faisait également Billy WILDER*. De fait le film qui est virevoltant et plein d'esprit avec des dialogues particulièrement percutants se place sous un double héritage. D'une part celui du théâtre, première passion de Ingmar BERGMAN (Shakespeare évidemment, c'est d'ailleurs limpide dans le choix du titre qui adapte la nuit d'été au jour permanent qui règne la nuit de la Saint-Jean dans le grand nord scandinave mais aussi Marivaux et Beaumarchais), d'autre part la screwball comédie du remariage américaine dans lesquelles les femmes mènent les hommes par le bout du nez. De fait le pauvre avocat Fredrick Egerman (Gunnar BJÖRNSTRAND) dont les agissements sont dictés par un souci permanent de respectabilité ne cesse de se faire ridiculiser: par sa jeune épouse, Anne (Ulla JACOBSSON), qui se refuse à lui avant de s'enfuir avec son fils Henrik (Björn BJELVENSTAM) et par sa maîtresse, Désirée (Eva DAHLBECK) qui le met en présence d'un rival, le comte Malcolm (Jarl KULLE) le contraignant à fuir dans la chemise de nuit dudit rival après qu'il soit tombé à l'eau devant elle. Mais Désirée avec la complicité de Charlotte (Margit CARLQVIST), l'épouse du comte Malcolm qui désire se venger des infidélités de son mari se joue également de l'officier pour mieux ferrer son poisson d'avocat. A ces chassé-croisé libertins entre aristocrates et bourgeois, il faut ajouter l'inévitable soubrette peu farouche, Petra (Harriet ANDERSSON) qui a pour mission de déniaiser Henrik avant qu'il n'effectue le grand saut de la conjugalité. Car cette comédie friponne qui débride les désirs par le biais d'un vin aphrodisiaque et d'un système de lit pivotant et de cloison coulissante qui permet de passer d'une chambre à l'autre accouche au final d'une remise en ordre très conservatrice, chacun finissant dans les bras de la chacune qui lui correspond le mieux en terme d'âge et de classe sociale.
* " Quand je suis très heureux je réalise des tragédies, quand je suis déprimé je fais des comédies. Pour "Certains l'aiment chaud" (1959) j'étais très déprimé, suicidaire."
"Pension d'artistes" est comme l'année précédente "Mon homme Godfrey" (1936) un grand cru de Gregory LA CAVA. Il se distingue par son fabuleux casting d'actrices, ses dialogues brillants et sa grande résonnance contemporaine. En effet bien que réalisé en 1937, "Pension d'artistes" évoque l'ère "#Me Too" dans le monde du spectacle hollywoodien, sans doute parce qu'en 80 ans, la distribution inégalitaire des rôles sociaux n'a guère changé. Aux hommes, les postes de pouvoir, dont celui de faire et de défaire les carrières au gré de leur bon plaisir. Aux femmes, les postes de subordonnées contraintes de se soumettre à un mécénat qui ressemble furieusement à une promotion canapé. Les scènes entre le producteur Anthony Powell (Adolphe MENJOU) et les jeunes actrices sont extrêmement révélatrices, qu'il les fasse attendre pour rien ou qu'après avoir fait son "marché" il ne tente de les séduire avec de fallacieuses promesses tout en s'assurant de leur soumission (la censure l'empêche de leur sauter dessus comme Harvey Weinstein mais on y pense forcément d'autant que les poses devant le canapé sont suggestives).
A cet aspect d'inégalité des sexes, Gregory LA CAVA ajoute comme dans "Mon homme Godfrey" (1936) une dimension d'inégalités sociales. La riche héritière Terry Randall (Katharine HEPBURN) décroche un rôle convoité parce que son père a graissé quelques pattes alors qu'elle répète d'une manière désespérément atone et s'embrouille avec tout le monde. Bref, face à la concupiscence et à la corruption, le talent qui devrait être le seul critère du choix des actrices (avec la motivation) ne pèse pas bien lourd et les âmes trop fragiles comme celle de Kay Hamilton (Andrea LEEDS) le paieront au prix fort.
Mais le film de La Cava, en dehors d'une séquence franchement dramatique (et très émouvante) se tient constamment dans un entre-deux doux-amer comme pouvait l'être "La Garçonnière" (1960) de Billy WILDER qui était une féroce et drolatique satire sociale tout en étant tendre et mélancolique. Face au joug masculin, la pension de Mrs Orcutt où logent les aspirantes actrices est un espace de liberté où les énergies se libèrent et les personnalités s'expriment sans retenue, avec une verve d'enfer. Le personnage de Jean à la langue particulièrement acérée a ainsi été pour Ginger ROGERS une façon de montrer une autre facette de son talent.
Gregory LA CAVA est l'un des maîtres de la comédie américaine au même titre que Howard HAWKS, Leo McCAREY, Ernst LUBITSCH ou George CUKOR. Cependant contrairement à eux il a été oublié, surtout en Europe alors qu'il a réalisé quelques pépites de l'âge d'or d'Hollywood.
"Mon homme Godfrey" est son film le plus célèbre et le plus célébré tant par la qualité du scénario, l'écriture des dialogues que par l'excellence de l'interprétation. A la trame classique de la screwball comédie (la guerre des sexes), Gregory LA CAVA superpose un enjeu de classe. Il faut dire que le film a été réalisé en 1936, pendant la grande crise que traversaient les USA. Dès les premières images, il annonce la couleur en faisant coexister de grands immeubles bourgeois et une décharge publique avec des cabanes de SDF. Le malaise se renforce lorsque Cornelia Bullock (Gail PATRICK) vient proposer à Godfrey, l'un des SDF (William POWELL) en échange de 5 dollars de se prêter à un "jeu" qui m'a fait penser à "Le Dîner de cons" (1998) en ce que le clochard fait partie d'une liste "d'objets" à ramener comme trophée d'un concours pensé par des bourgeois désoeuvrés. Godfrey refuse l'humiliant marché et envoie bouler la bourgeoise dans un tas d'ordures. Une belle remise en place qui suscite l'enthousiasme de la sœur cadette Irène (Carole LOMBARD). Pour ses beaux yeux, Godfrey accepte de lui faire gagner le concours puis d'entrer au service de la famille en tant que majordome. On passe ainsi d'une peinture de la misère la plus extrême à celle de la bourgeoisie la plus décadente avec "God"frey en position d'observateur extérieur. Car on le comprend très vite, Godfrey est un transfuge social qui s'est donné pour mission (divine?) de rétablir un peu de justice et d'humanité dans tout ce bazar. Ce n'est pas un révolutionnaire (on est aux USA!) mais un homme bon qui veut utiliser son expérience pour aider son prochain en sortant les pauvres de la misère et en responsabilisant les riches. C'est aussi un homme échaudé par une expérience amoureuse malheureuse qui n'a pas très envie de "replonger" dans son milieu d'origine, incarné par des femmes aussi envahissantes que frappadingues: la mère et son ridicule Carlo pique-assiette (j'ai longtemps cru qu'il s'agissait du toutou de la famille, c'est dire ^^), Cornelia qui utilise son intelligence à des fins perverses et Irène qui s'avère stupide, capricieuse et hystérique. Le forcing de cette dernière face aux réticences de Godfrey a autant plus de saveur que Carole LOMBARD et William POWELL rejouent en quelque sorte leur histoire: ils étaient divorcés dans la vraie vie après avoir (brièvement) formé un couple mal assorti dont elle était l'élément extraverti et lui, l'élément réservé.
Je n'avais pas trop accroché au premier long-métrage de Thomas CAILLEY la première fois que je l'avais vu peu de temps après sa sortie. Le revoir m'a permis de le réévaluer. Il était sans doute un peu en avance sur son temps car en 2014 on ne parlait pas autant de fin du monde et de survivalisme. Encore que l'on puisse rapprocher "Les Combattants" d'un film comme "Take Shelter" (2011) qui est sorti dans la même période.
"Les Combattants" est assez difficile à cerner parce qu'il s'agit d'un film "gender fluid" au sens propre comme au sens figuré. Il joue avec de nombreux genres du cinéma en glissant de l'un à l'autre de manière imperceptible. Ce n'est pas par hasard que le poisson et l'élément aquatique (piscine, pluie, rivière, neige) occupent une place si importante dans le film. On a donc plusieurs films en un: une chronique sociale avec les frères menuisiers, une screwball comédie new look/âge, un film de bidasses, une robinsonnade et enfin un film catastrophe flirtant avec l'iconographie du récit post-apocalyptique. Et à ce mélange des genres cinématographiques correspond une inversion carabinée des stéréotypes assignés aux genres sexués. Arnaud (Kevin Azaïs) est un garçon très doux et féminin qui n'a pas encore quitté le nid familial et n'a pas d'idée claire de son avenir. Le voilà confronté à une fille rebelle et musclée aux yeux mitraillettes (Adèle HAENEL) et au caractère mal embouché qui veut faire un stage dans l'armée pour apprendre à survivre dans un monde qu'elle pense sur le point de s'effondrer. Une adepte de la collapsologie avant la lettre (ou du moins avant que celle-ci n'occupe le devant de la scène médiatique). Lui est fasciné par sa rage et sa détermination (c'est à dire tout ce qui lui manque). Elle pense qu'elle n'a besoin de personne mais une fois plongée dans le grand bain (tant social qu'environnemental) elle va se prendre veste sur veste. Entre eux cela fait des étincelles et leurs échanges, parfois très drôles sont tout à fait dans la lignée des screwball comédies de Howard HAWKS et George CUKOR (la scène du maquillage est un must). Mais il s'agit aussi d'un récit initiatique où chacun se révèle différent de ce qu'il paraissait. Arnaud l'altruiste s'adapte mieux aux attentes de l'armée que Madeleine l'individualiste. Mais comme il n'est là que pour elle, il la suit dans son rêve/cauchemar d'île déserte bientôt soumise à un véritable déchaînement apocalyptique. Et c'est lui qui l'aide à traverser toutes ces épreuves, elle qui finit par s'abandonner et reconnaître qu'elle ne peut pas tout affronter toute seule.
C'est dans le formidable chaudron de l'époque pionnière du cinéma qu'ont été élaborés les genres qui allaient faire la gloire des studios d'Hollywood. "A House Divided" n'est rien de moins que l'ancêtre de la screwball comédie et il n'est guère étonnant que l'on retrouve Alice GUY derrière la caméra tant celle-ci a expérimenté tous les styles et tous les formats, du parlant à la superproduction, tout spécialement dans sa période américaine au sein de son studio, la Solax.
Dans "A House Divided", des quiproquos à base d'éléments exogènes suspicieux (un parfum aspergé par un représentant d'un côté et une paire de gants oubliés par un livreur de l'autre) provoquent une crise de couple carabinée. Par contrat écrit, Diana (Marian Swayne) et Gérald (Fraunie Fraunholz), tous deux persuadés d'être trompés par l'autre décident de préserver les apparences de leur vie de couple tout en ne se parlant plus que par note interposée. Evidemment le spectateur n'attend qu'une chose, les voir se jeter dans les bras l'un de l'autre (ils en meurent d'envie mais sont trop fiers pour se l'avouer) ce qui finit par arriver avec l'intervention d'un deus ex machina des plus classiques, un pseudo-cambriolage. La peur de ce qui vient de l'extérieur est un puissant motif de séparation mais aussi de réconciliation. Si on met de côté Fraunie Fraunholz et son cabotinage outrancier, on est agréablement surpris par le naturel désarmant avec lequel jouent les autres acteurs ou plutôt actrices. Mention spéciale à la secrétaire mâcheuse de chewing-gum qui est devenue instantanément une icône!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.