Parce que j'adore "Playtime" (1967) de Jacques TATI et parce que je sortais tout juste d'un cours où l'on s'était amusé à traduire la novlangue des start-up avec ses "ASAP" (as soon as possible) "KPI" (indicateurs clés de performance) et autres "benchmark à forwarder" (étude comparative à faire suivre) avant la "deadline" (date limite) et le "conf-call" (la visioconférence), j'ai eu envie de voir "Les 2 Alfred" qui en constitue la satire réussie. Pour une fois, les tics qui me gênent tant dans d'autres films de Bruno PODALYDÈS (l'accumulation de gadgets technologiques par exemple) trouvent ici un emploi justifié. De même, l'intrigue est resserrée autour de trois personnages ce qui atténue l'effet de clan (même si les potes comme Michel VUILLERMOZ ou Isabelle CANDELIER sont présents dans de petits rôles). Et la résistance au "monde moderne déshumanisé 2.0" n'est plus à chercher cette fois dans une méga-fête où tout le monde se lâche étant donné que c'est justement ce que la start-up singe avec ses soirées "galette des kings" (anglicismes toujours) mais dans la reformation des liens que les nouvelles formes de travail en miettes cherchent à détruire. D'un côté l'usine digitale, sorte de "meilleur des mondes" sous serre où règne en maître l'injonction paradoxale (espace de travail organisé comme un espace de détente, jeunisme et infantilisation des salariés par ailleurs interdits d'enfanter, liberté d'organisation contredite par l'exigence d'être disponible 24h sur 24, transparence des lieux qui s'oppose à la nécessité de mentir pour ne pas être licencié). De l'autre, l'ubérisation, modèle dans lequel un actif offre ses services à qui veut veut bien les acheter, le rendant également taillable et corvéable à merci. Alexandre (Denis Podalydès) incarne ainsi un chômeur déclassé embauché à "The box" pour être "reacting process" (en réalité parce qu'il connaît le maire de la ville dont "The box" veut décrocher le marché) et Arcimboldo (Bruno PODALYDÈS), un précaire "entrepreneur de lui-même" mais qui squatte chez les autres comme le Llewyn Davis des frères Coen. Les éléments de langage servent de cache-misère à un travail en lambeaux privé de sens que seule la solidarité entre les deux amis (dont on sait qu'ils sont joués par des frères et symbolisés par deux peluches de singe nommées "les 2 Alfred") parvient à masquer. Le troisième personnage important est la supérieure d'Alexandre, Séverine Capulet (Sandrine KIBERLAIN) exécutive woman surbookée et matrixée puis dépassée par des technologies censées lui faciliter la vie et que les deux amis vont faire sortir de sa "boîte" et mettre de leur côté. On rit beaucoup devant les nombreux quiproquos et situations absurdes provoquées par le monde ubuesque dans lequel évoluent les personnages et en même temps le film sonne juste. Il est même prémonitoire en ce qu'il a été réalisé avant le covid et montre déjà le télétravail, la visioconférence et autres appareils se substituant à la présence humaine ou pénétrant dans sa vie privée tout en détournant leur usage. Mention spéciale à la voiture autonome légèrement capricieuse et à la reprise en version folk au banjo de "Da Funk" des Daft Punk. Finalement ce sont les machines qui s'humanisent et non l'inverse.
Dès les premières notes électrisantes du générique, signées par Ennio MORRICONE, on sent que l'on va voir un film iconique, enchaînant les morceaux de bravoure menés de main de maître. Un film à la fois brillant et obscur car derrière la lutte manichéenne du bien contre le mal qui sature le premier plan, le film est parcouru par d'autres enjeux qui lui donnent sa complexité. La première partie, dédiée à la formation et aux premiers succès du quatuor formé par Eliot Ness (Kevin COSTNER), Jim Malone (Sean CONNERY), George Stone (Andy GARCIA) et Oscar wallace (Charles Martin SMITH) se déroule sur une note claire, celle du clairon de la cavalerie sûr de son fait qui culmine dans la scène westernienne triomphale où les quatre hommes attaquent le pont à la frontière vers le Canada. Pourtant si on est attentif, les fausses notes sont nombreuses dans cette première partie. Il y a tout d'abord la fausse bonhommie de Al Capone (Robert De NIRO) qui nous est systématiquement présenté dans des plans en plongée, contre-plongée ou circulaires qui nous enserrent ou nous écrasent, sensation redoublée avec son homme de main cadavérique, Frank Nitti (Billy DRAGO) dont l'acte inaugural (la mort d'une petite fille, allusion à Alfred HITCHCOCK qui dans "Sabotage" (1936) faisait périr un enfant dans un attentat à la bombe) signe l'emprise du mal absolu sur la ville. Face à ces monstres, Eliot Ness fait bien pâle figure, lui et sa famille modèle montrée volontairement c'est Brian DE PALMA qui le dit comme "ce qu'il y a de plus faux dans le film". La séquence où il se fait ridiculiser souligne à quel point il n'est pas de taille. Seuls ses comparses peuvent lui permettre de parvenir à ses fins, mais comme ne cesse de le lui répéter Malone, il n'y a pas de retour possible lorsqu'on est prêt à plonger dans la fosse aux serpents. La deuxième partie du film, plus que jamais sous influence hitchcockienne décline à l'infini le vertige de cette chute à la manière (Brian DE PALMA est un grand maniériste) de "Vertigo" (1958). C'est dans ce cadre que la transposition dans la gare de Chicago de la séquence des escaliers d'Odessa de "Le Cuirassé Potemkine" (1925) prend tout son sens: Eliot Ness doit plonger les mains dans le cambouis s'il veut mettre la main sur le seul homme qui peut compromettre Al Capone en mettant notamment la vie d'un enfant en danger. De même, la seule manière d'en finir avec Nitti ne peut de toute évidence pas être propre. L'héroïsme de la première partie est remplacée par une ambiance crépusculaire voire tragique (scène d'opéra à l'appui) où les hommes qui ont guidé Eliot Ness sont destinés à tomber à leur tour dans un ascenseur (comme dans "Pulsions") (1979) ou au terme d'un long travelling subjectif comme dans les introductions de "Blow Out" (1981) et "Snake Eyes" (1998). Et si Al Capone finit sous les verrous, c'est grâce à l'obscur travail de fourmi du comptable de l'équipe et non grâce à une quelconque "La Chevauchée fantastique" (1939). Car effectivement, je rejoins Claude Monnier dans sa critique du film pour DVDClassik, "Les Incorruptibles" est un John FORD filmé par un Alfred HITCHCOCK. Et Eliot Ness, le chevalier sans peur et sans reproches finit dans de telles eaux troubles qu'il n'est pas loin de rejoindre le monstre que son patronyme suggère.
Après "La Soupe au canard" (1933) avec les Marx Brothers, Leo McCAREY remet le couvert avec Harold LLOYD (très bon encore dans le cinéma parlant) pour la "Soupe au lait". Pas de canard au menu cette fois-ci mais quelques animaux sont de la partie, notamment un tigre, le surnom donné à Harold LLOYD et surtout une jument facétieuse nommée Agnès et son poulain (Agnès junior) qui vont donner du fil à retordre au champion de boxe Speed (William GARGAN) et son garde du corps Spider (Lionel STANDER), deux types qui en dépit de leurs surnoms cocasses ne sont vraiment pas des flèches. Quand ils ne sont pas bourrés, le second donne au premier un somnifère juste avant le combat en croyant lui prescrire un anti-inflammatoire. De quoi saboter les plans de Gabby Sloan, leur patron auto-proclamé l'homme "le plus honnête" du monde (Adolphe MENJOU) qui monte une magouille autour du laitier loser joué par Harold LLOYD qu'un quiproquo avec Speed transforme en champion de boxe. Ce n'est pas le seul d'ailleurs, le film, très bien rythmé en regorge et offre en prime une satire des médias contemporaine de "L'Extravagant Mr. Deeds" (1935) (outre Lionel STANDER dans le rôle de l'homme de main on retrouve Charles LANE dans celui du journaleux) qui annonce en mode comique la célèbre phrase de "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962), "Entre la légende et la vérité, imprimez la légende".
"Pacifiction" m'a fait penser visuellement à un Gauguin qui aurait ingéré des racines pas très nettes. C'est un long, très long, interminable trip alcoolisé où l'on alterne entre des paysages polynésiens filmés sous une lumière magnifique et des scènes de discothèque qui se répètent jusqu'au bout de la souffrance du spectateur. Car le film dure près de trois heures et comme il est dénué d'un scénario digne de ce nom et regorge de plans étirés jusqu'à plus soif, ce sont trois heures qui pourraient en durer six ou neuf ou treize sans que l'on voit la différence. Il y a bien une vague intrigue dans "Pacifiction" autour de rumeurs portant sur la reprise d'essais nucléaires en Polynésie qui auraient pu être le point de départ d'un thriller mais celle-ci se perd dans les sables mouvants d'un film mou du genou, décousu, sans enjeu véritable et pire que tout, sans ambiance (les images de carte postale et les stroboscopes ça ne suffit pas). On a bien du mal à croire que Benoît MAGIMEL joue un représentant de l'Etat tellement il est relax, passant le plus clair de son temps à déambuler d'un lieu à l'autre soi-disant pour "tâter le pouls" de la population locale en journée, en réalité pour monologuer des propos improvisés et brumeux avant d'aller passer ses soirées et ses nuits au "Paradise". J'étais même à deux doigts d'éclater de rire dans la scène (magnifique au demeurant) de surf où il chevauche un scooter des mers en costard cravate immaculé et parfaitement sec: une métaphore de nos politiciens hors-sol? ^^ Le seul autre acteur du film est Sergi LÓPEZ que l'on voit quelques secondes et dont on a du mal à identifier le rôle, les autres sont pour l'essentiel des inconnus assez barrés: l'amiral du vaisseau-fantôme bourré aux propos incohérents, un employé transsexuel qui rêve de devenir la secrétaire personnelle du personnage de Magimel (pour apprendre des informations classées top secret?). Bref un film tout sauf abouti, un brouillon et qui le revendique explicitement sous couvert de cinéma expérimental.
Le principal intérêt de "War Pony" réside dans son aspect documentaire, mettant en lumière le triste sort des descendants d'amérindiens vivant dans des réserves, sorte de camps de concentration ruraux aux conditions de vie encore pires que celles des ghettos afro-américains urbains. Le film nous propose une immersion dans l'univers de la réserve la plus pauvre de toutes, Pine Ridge, dans le Dakota du sud. La raison de ce choix réside dans le fait que les deux réalisatrices du film, Riley KEOUGH (fille de Lisa-Marie PRESLEYet petite-fille de Elvis PRESLEY) et Gina GAMMELL se sont appuyés sur les témoignages de deux natifs de Pine Ridge rencontrés sur le tournage de "American Honey" (2015) et qui sont devenus les co-scénaristes du film. Nul doute que les deux personnages principaux du film, Bill et Matho sont leurs avatars. A travers leur parcours pour tenter de s'en sortir ou tout simplement, survivre, le film fait un portrait assez désespérant de la communauté. Bill, 23 ans, deux enfants de deux mères différentes est au chômage comme 90% de la population de la réserve et le film raconte ses tentatives pour monter un "business" légal et ainsi s'intégrer au rêve américain. Sauf que les règles du jeu sont dictées par les propriétaires blancs et donc que les dés sont pipés dès le départ. Matho qui est âgé de 12 ans semble lui être un avatar des enfants livrés à eux-mêmes de "Nobody Knows" (2003). A travers lui sont évoqués le délitement des liens familiaux (un père trafiquant, violent et abandonnant destiné à disparaître très tôt de sa vie), la violence endémique, l'alcoolisme qui touche 85% de la population, la drogue (méthamphétamine, une drogue de synthèse à faible coût) et l'absence totale d'une quelconque prise en charge de la société américaine vis à vis des orphelins de cette communauté (l'école le chasse au premier écart, tout comme le seul "orphelinat" qui est tenu par une "locale" qui trafique elle-même). Face à cet horizon bouché, le film offre bien peu de perspectives, tout au plus quelques réminiscences de leur culture d'origine qui ne se manifeste plus que par bribes tant les jeunes sont acculturés et un final qui déconstruit l'un des mythes fondateur de l'Amérique, celui de Thanksgiving. Il aurait été intéressant de creuser davantage cet onirisme et les personnages plutôt que de les montrer seulement comme des réceptacles des maux de leur communauté n'ayant pas de lien entre eux. On peut également déplorer quelques longueurs et maladresses d'écriture qui affaiblissent le propos.
Pourquoi est-ce que je n'avais jamais eu envie de regarder "Un éléphant, ça trompe énormément?" Sans doute parce que je pensais que c'était "Le Coeur des hommes" (2003) des années 70 (nul doute que Marc ESPOSITO a d'ailleurs trouvé l'inspiration chez Yves ROBERT) et que ça parlait d'adultère qui est le sujet qui m'ennuie le plus au cinéma! C'est en visionnant par la force des choses plusieurs extraits au fil des différents numéros du web-magazine d'Arte Blow Up ("Le tennis au cinéma", "Le parking au cinéma", "C'était quoi, Jean Rochefort?") que l'image que j'avais du film a changé. Un film de copains dans la lignée de "Vincent, François, Paul et les autres..." (1974) qui a été écrit à la même époque par le même scénariste, Jean-Loup DABADIE mais plus léger et sous influence américaine comme l'était aussi un autre grand succès de Yves ROBERT, "Le Grand blond avec une chaussure noire" (1972). Outre l'emprunt à "7 ans de réflexion" (1955), la couleur rouge symbolisant le désir qui ne quittera plus Etienne (Jean ROCHEFORT), c'est à Blake EDWARDS que l'on pense le plus, le film d'Yves Robert ayant eu l'idée (géniale) d'évoquer la crise de la quarantaine sur le mode burlesque au travers du personnage d'Etienne dont les déboires et la maladresse (mais aussi la tenue et l'allure) ne sont pas sans rappeler ceux de Peter SELLERS dans les différents volets de "La Panthère rose". D'ailleurs par un jeu de vases communicants, Blake EDWARDS s'est ensuite inspiré du film d'Yves Robert pour son désopilant "Elle" (1979). Etienne et ses trois amis se comportent davantage comme des gosses que comme des adultes et c'est ce qui les rend infiniment attachants. Simon (Guy BEDOS) dépassé par sa mère juive envahissante (Marthe VILLALONGA), Bouly (Victor LANOUX) dépassé par sa libido, Daniel (Claude BRASSEUR) vivant le plus naturellement du monde ce qui pourtant à l'époque était encore un tabou relevant d'une infraction pénale et enfin Etienne, contemplant ses chaussures avec l'air penaud d'un enfant pris en faute devant Charlotte (Anny DUPEREY) laquelle lui fait part elle aussi le plus naturellement du monde d'un désir que lui même a tant de mal à assumer. Car outre sa drôlerie, l'éternelle jeunesse de ce film se nourrit de la libre circulation du désir, même celui qui anime le jeune Lucien (Christophe BOURSEILLER qui se faisait alors appeler Christophe BRUCE) vis à vis de Marthe (Danièle DELORME), l'épouse d'Etienne, deux fois plus âgée que lui.
En regardant "La Chinoise" de Jean-Luc GODARD, j'ai pensé à un autre film, vu à sortie, "La Seconda volta" (1995) dans lequel une ancienne victime des brigades rouges jouée par Nanni MORETTI retrouvait fortuitement la militante qui avait tenté de l'assassiner 10 ans auparavant (jouée par Valeria BRUNI-TEDESCHI) au nom de slogans criminels tels que "en tuer un pour en éduquer cent". Véronique, le personnage joué par Anne WIAZEMSKY dans "La Chinoise" pourrait représenter les années de formation de Lisa Venturi, le personnage joué par Valeria BRUNI-TEDESCHI. Soit une étudiante en philosophie à la faculté de Nanterre un an avant les événements de 1968 (ce qu'était réellement Anne WIAZEMSKY, nouvelle compagne de Jean-Luc GODARD) sous influence maoïste, l'idéologie alors tendance car d'un rouge "pur et parfait"* rejoignant la soif d'idéalisme de la jeunesse face aux "socio-traîtres" soviétiques ayant osé pactiser avec "le tigre de papier" américain pour éviter une guerre nucléaire. Si Jean-Luc GODARD utilise de nombreux procédés de distanciation (l'influence de Brecht est explicitement revendiquée) pour ridiculiser les discours de Véronique et de ses amis étudiants qui jouent au grand timonier entre les quatre murs d'un appartement bourgeois repeint aux couleurs aussi primaires que les idées qu'ils "bêlent comme des moutons" jamais il ne se place d'un point de vue véritablement humain ce qui rend son positionnement au final assez ambigu. Tout au plus, insère-t-il dans son film un moment qui le sort de la cour d'école pour le placer sur un terrain plus réaliste. Il s'agit de la séquence de conversation dans le train entre Véronique et son professeur de philosophie, joué par Francis Jeanson, le véritable professeur de philosophie de Anne WIAZEMSKY qui avait été Résistant puis engagé aux côtés du FLN durant la guerre d'Algérie et qui donc a l'expérience nécessaire pour mettre Véronique face à l'inanité de ses projets terroristes. Néanmoins la légitimité de la méthode n'est quant à elle jamais questionnée et encore moins l'aliénation de toutes les formes d'endoctrinement, à l'opposé de l'émancipation individuelle recherchée par la jeune fille mais aussi collective défendue par son professeur. Le film de Jean-Luc GODARD manque donc de hauteur de vue aussi bien que d'humanité, se réduisant pour l'essentiel à un exercice de style (un manifeste?) esthetico-intellectuel désincarné.
* Un rouge si pur et si parfait qu'il fit des millions de victimes (celles du Grand Bond en avant superbement ignorées avant celles dans les années 70 des Khmers rouges).
"Un homme est passé" est le premier film de John STURGES que je vois grâce au Cinéma de minuit qui comme la plupart des émissions et sites dédiés au cinéma s'est mis à l'heure du festival de Cannes. En effet Spencer TRACY y avait reçu le prix d'interprétation pour le personnage de Macreedy.
John STURGES a la réputation d'être un cinéaste inégal, "Un homme est passé" est en tout cas à placer en haut du panier. C'est une petite merveille d'efficacité dramaturgique respectant les trois unités du théâtre classique. Le décor, celui d'un western à peine modernisé par les voitures souligne à quel point le voyageur qui s'arrête à Black Rock entre dans un univers vivant sous cloche, hors de l'espace-temps. D'ailleurs, cette impression se confirme dans le contraste entre le costume moderne et urbain de Macreedy et ceux des hommes du village, tous vêtus de tenues de cow-boy. De même, l'allure des bâtiments comme leur décoration semble ne pas avoir évolué depuis un siècle. Néanmoins la suite de l'histoire évoque moins le western que le thriller, Macreedy faisant penser à un privé par son allure et par son comportement (et à Groucha, le présentateur félin de "Téléchat" avec son bras plâtré dont les séquences au Milk bar ressemblaient à celles des films noirs). Macreedy est en effet manchot ce qui ajoute une dose de mystère à sa présence en un lieu qui manifeste ostensiblement son hostilité vis à vis des étrangers. Les différents spécimens humains qu'il croise sur sa route offrent en effet autant de variations sur les tares de la communauté vivant en autarcie sous la loi mafieuse des terreurs du coin, lesquelles sont incarnées par des acteurs habitués à ce type de rôle: Robert RYAN dans le rôle du "parrain" flanqué de deux grosses brutes incarnées par Lee MARVIN et Ernest BORGNINE. La scène où Macreedy corrige ce dernier après les multiples provocations et humiliations qu'il lui a infligées est un moment hautement jouissif. Mais si Macreedy, un vétéran de la seconde guerre mondiale a du sang-froid et de l'expérience, ce n'est pas un justicier ni un redresseur de torts, encore moins un homme invincible puisqu'il n'est pas armé et est handicapé. Il se rend juste à Black Rock pour solder une dette d'honneur et appuie sans le vouloir là où ça fait mal, déclenchant un engrenage fatal. Par-delà sa dénonciation du racisme, le film, tourné dans le contexte du maccarthysme (à la même époque que "Johnny Guitar" (1954) où jouait aussi Ernest BORGNINE) épingle la lâcheté collective et les lynchages, faisant penser par son intrigue à un "Jean de Florette" (1986) à la sauce américaine bien que la présence de Spencer TRACY ait des relents de "Furie" (1936). Heureusement, son personnage n'est pas tout à fait seul. Il peut compter sur le sidekick préféré du western alias Walter BRENNAN, quatre ans avant "Rio Bravo" (1959).
Mike LEIGH a un point commun avec Pedro ALMODÓVAR: c'est un cinéaste qui sait donner du relief à ses personnages et mettre en valeur ses acteurs. Si la jeune génération a découvert David THEWLIS, Imelda STAUNTON ou Timothy SPALL avec les films de la saga Harry Potter, tous trois ont connu la consécration d'un prix d'interprétation dans un grand festival international (Cannes ou Venise) grâce aux films de Mike LEIGH dans lesquels ils ont joué (respectivement "Naked" (1993), "Vera Drake" (2005) et "Mr. Turner") (2014).
Ce talent de portraitiste, Mike LEIGH le met en abyme dans "Secrets et mensonges" au travers du personnage de Maurice (Timothy SPALL) qui est photographe de profession et dont les clichés tentent de saisir la vérité de l'instant sous l'artificialité de la pose (le secret derrière le mensonge?). C'est dans la maison où il habite depuis un an avec sa femme Monica (Phyllis LOGAN) que l'on découvre sur l'un de ses clichés Roxanne (Claire RUSHBROOK), une petite fille charmante et souriante que l'on pense être leur fille. On a tout faux. Roxanne est leur nièce et est devenue une jeune femme au visage renfrogné qui vit encore chez sa mère, Cynthia (Brenda BLETHYN) dans une maison ouvrière exigüe, délabrée et encombrée. Pour ne rien arranger les rapports entre les deux femmes sont exécrables. Si Roxanne semble toujours être en colère, Cynthia semble se résumer à une plainte perpétuelle. Inversant les rôles, elle passe son temps à réclamer de l'amour (voire leur amour exclusif) à sa fille ou à Maurice (qui est son petit frère et qu'elle a plus ou moins élevé) avec une insupportable voix de petite fille geignarde ce qui logiquement les fait fuir tous les deux. Les rapports de Maurice avec Monica ne sont guère plus satisfaisants, celle-ci s'avérant facilement irritable ou souffrante.
Dans cette famille éclatée façon puzzle et dysfonctionnelle, Mike LEIGH introduit non un élément perturbateur (la famille l'est déjà bien assez, perturbée) mais au contraire un élément rassembleur: Hortense (Marianne JEAN-BAPTISTE), la fille aînée de Cynthia abandonnée à la naissance et qui à la mort de sa mère adoptive entreprend des recherches pour retrouver sa mère biologique. L'apparence exogène de Hortense, tant par son appartenance sociale aisée que par sa couleur de peau ou son tempérament apaisant s'avère être une bouffée d'air frais dans le microcosme vicié de la famille de Cynthia. Plus que la fin du film qui pèche parfois par un excès de lourdeur, j'aime les scènes où l'on voit Cynthia et Hortense ensemble, la manière dont elles se découvrent, dont elles s'apprivoisent et le temps que le cinéaste prend pour filmer ce processus (la longueur du film qui a été déplorée par certains est sur ce plan là un atout). Le changement qui s'opère alors chez Cynthia qui redresse la tête, retrouve le goût de se faire belle et surtout la force de sortir de sa posture infantile pour prendre ses responsabilités d'adulte justifie amplement le prix d'interprétation attribué à Brenda BLETHYN (cumulé avec la Palme d'Or, à l'époque, c'était possible), énième preuve du talent de Mike LEIGH à diriger ses acteurs.
Voilà un film qui ne manque pas de références! A commencer par le titre qui rend hommage à la série de peintures que David Hockney a consacré aux piscines californiennes dans les années 60 dont une trilogie représentant les éclaboussures d'un plongeon intitulée "The Little Splash", "The Splash" et "A Bigger Splash". Mais bien évidemment, le film de Luca GUADAGNINO est surtout le remake de "La Piscine" (1969), le célèbre film de Jacques DERAY avec Alain DELON et Romy SCHNEIDER. Imagine-t-on "Le Mépris" (1963) avec une autre actrice que Brigitte BARDOT? Il y a des films qui ont si bien imprimés la mémoire collective et des acteurs si iconiques que vouloir les remplacer, c'est déjà courir à l'échec. Alors tout n'est pas complètement raté dans "A Bigger Splash". L'île sicilienne de Pantelleria offre un très beau cadre avec ses roches volcaniques et ses lacs bleu azur. Et Ralph FIENNES impose un Harry survolté et fan des Rolling Stones vraiment amusant. Mais c'est à peu près tout ce qu'il y a à sauver. On se demande ce que la fille de Harry, Penelope (Dakota JOHNSON) vient faire là (si on fait abstraction du scénario) tant elle semble déconnectée du film. Le couple formé par Tilda SWINTON et Matthias SCHOENAERTS ne fonctionne pas et n'a rien à dire, littéralement puisque Marianne est aphone et Paul, mutique mais aussi métaphoriquement. L'idée d'avoir fait de Marianne une David BOWIE féminine colle à la peau de l'actrice androgyne (qui a d'ailleurs tourné un clip avec lui) mais elle ne peut pas en même temps incarner la chair féminine tentatrice épanouie et sensuelle autour de laquelle tourne les mâles. Il y a là une contradiction insurmontable. C'est pourquoi le choix fait par le réalisateur d'user et d'abuser de la nudité et de scènes de sexe pour tenter de compenser le déficit de magnétisme animal et d'alchimie entre les acteurs est un flop complet. Le pouvoir de la suggestion est inversement proportionnel à celui de la monstration. Le pire reste quand même Matthias SCHOENAERTS qui traverse le film comme un somnambule en tirant une gueule de trois mètres de long. Rien à voir avec Alain DELON dont on sentait derrière l'attitude taciturne le fauve prêt à bondir. L'art de la suggestion toujours alors que la rivalité Paul/Harry dans "A Bigger Splash" tend à se résumer à un concours de quéquettes plus ou moins fièrement exhibées. Quant aux idées de mise en scène (flashbacks, allusions aux migrants), elles semblent complètement à côté de la plaque.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.