La Puritaine
Jacques Doillon (1986)
MK2 Curiosity a proposé gratuitement durant une semaine le dixième film de Jacques DOILLON dont je n'avais jamais entendu parler. Je n'avais d'ailleurs jamais vu de film complet de ce cinéaste dont le nom est plus connu (notamment au travers de sa fille) que son oeuvre. Après visionnage, je comprends pourquoi ses films ont fait polémique à leur sortie. Si j'en juge par celui-ci, ils mettent mal à l'aise. Doillon y explore en effet des rapports familiaux compliqués, tordus voire troubles. Deux éléments suscitent le malaise dans "La Puritaine" qui raconte les retrouvailles d'un père, Pierre (Michel PICCOLI) et d'une fille, Manon (Sandrine BONNAIRE dans un rôle sensible et provocant assez proche de celui qui la révéla au grand public).
Le premier élément du malaise provient de la mise en scène qui entoure ces retrouvailles, scénarisées à l'extrême. Directeur de théâtre, Pierre est montré comme un homme qui ne sait plus distinguer la réalité de la fiction et qui lorsqu'il apprend le retour de sa fille exorcise son anxiété en faisant jouer par toutes les actrices de sa troupe ayant l'âge de Manon toutes les variations possibles et imaginables de leurs retrouvailles. Mais Manon est complice de ce jeu puisqu'elle a envoyé un mot à son père lui indiquant qu'elle irait le retrouver au théâtre. Retrouvailles longtemps différées dans un jeu du chat et de la souris dans les coulisses jusqu'à ce que Manon décide d'entrer en scène d'une manière particulièrement... théâtrale. L'exhibition de ce qui devrait rester de l'ordre de l'intime est ce qui créé le sentiment de malaise. D'ailleurs dans une énième mise en abyme, Pierre décide de prendre une douche directement sur la scène, bientôt suivi par sa compagne, Ariane (Sabine AZÉMA). Il ne manquait plus de d'y ajouter la défécation en direct et la coupe du voyeurisme et de l'obscénité aurait été pleine.
Car la deuxième raison du malaise, intimement liée à la première est que la relation entre Pierre et Manon est incestuelle (autrement dit incestueuse mais sans passage à l'acte) et que c'est d'ailleurs la raison qui a fait fuir Manon avant une tentative de réconciliation médiatisée par Ariane (qui souhaite un enfant de Pierre). Les places de chacun y sont en effet floues, les actes, souvent déplacés. Pierre embrasse ses jeunes actrices et Manon elle-même sur la bouche. Actrices réduites à une partie du corps de Manon (la voix, la main, les oreilles etc.). Manon a une relation sexuelle à deux pas de Pierre, surprise par Ariane qui plus tard, avoue à celui-ci ce qu'elle a vu et qu'elle est peut-être amoureuse de Manon. Et puis il y a les photos pornos à l'origine de la rupture entre Pierre et Manon. Manon a vu ce qu'aucun enfant ne doit voir: la scène originaire entre ses parents ce qui l'a traumatisée. A cette violence, elle souhaite répliquer par une autre violence: obliger son père à voir des photos du même genre d'elle. Cette sexualisation des rapports entre père et fille (verbale et physique) et cette violence dans leurs rapports nourrit une tension qui ne se relâche jamais, le spectateur craignant d'être lui aussi soumis à des images qu'il n'a nulle envie de voir (pour plus de détails, voir "Les Damnés" (1969) de Luchino VISCONTI).