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Articles avec #cinema japonais tag

Ne coupez pas! (Kamera wo tomeruna !)

Publié le par Rosalie210

 Shin'ichirô Ueda (2017)

Ne coupez pas! (Kamera wo tomeruna !)

"Ne Coupez pas!", l'original japonais du remake français de Michel HAZANAVICIUS, "Coupez !" (2021) trouve ses racines en Europe. La pièce de théâtre dont le film est l'adaptation, "Ghost in the box" de Ryoichi Wada s'inspire en effet d'une comédie musicale londonienne "Noises off" de Michael Frayn déclinée en France sous le titre "En sourdine les sardines" et au cinéma sous celui de "Bruit de coulisses" de Peter BOGDANOVICH, sorti directement en DVD en France. Néanmoins, question de culture et de forme, le vaudeville initial s'est transformé en comédie horrifique en arrivant au Japon. La mise en abyme en revanche reste la même, les coulisses devenant le making of du film.

En dépit de cette riche genèse, "Ne Coupez pas!" se présente à l'origine comme un simple film de fin d'études. Tourné en 8 jours par un étudiant en cinéma avec des élèves de l'école dramatique de Tokyo pour un budget dérisoire, il bénéficie d'un bouche à oreille enthousiaste qui le propulse au rang de phénomène au Japon, étend son parc d'exploitation à tout le pays et lui ouvre les portes d'une carrière internationale qui reste cependant confidentielle. Le remake réussi de Michel HAZANAVICIUS donne donc une seconde jeunesse au film japonais. En dépit d'une différence flagrante de budget, d'une réalisation globalement plus maîtrisée (ce qui aide à faire passer la pilule de la terrible première demi-heure, celle qui fait croire qu'on regarde un navet) et de blagues liées au décalage culturel qui ne peuvent évidemment pas exister dans le film original, les deux versions sont très proches avec d'ailleurs la présence de l'impayable Yoshiko Takehara dans le rôle de Mme Matsuda, la productrice. "Ne Coupez pas!" est un exercice de mise en abyme attachant et ludique qui proclame son amour du cinéma artisanal et des petites mains qui le fabriquent, oeuvrant tous dans une grande énergie collective pour parvenir à fabriquer une oeuvre coûte que coûte.

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Comme un lundi (Mondays)

Publié le par Rosalie210

Ryo Takebayashi (2024)

Comme un lundi (Mondays)

Comédie enlevée et sympathique, quelque part entre la série "The Office" et le cultissime "Un jour sans fin" (1993), "Comme un lundi" raconte la semaine infernale d'une employée de bureau japonaise carriériste qui pour se faire embaucher par une agence publicitaire prestigieuse sacrifie sa vie privée, son sommeil et sa santé. Jusqu'au jour où deux de ses collègues lui font remarquer qu'elle revit toujours la même semaine, du lundi au dimanche. Elle ne s'en est même pas aperçue parce que la vie pour elle se résume à un tunnel de travail dans un bureau qu'elle ne quitte quasiment jamais, même pas pour dormir, pas plus que ses collègues d'ailleurs. Et ses rêves, tous identiques se résument encore et toujours au travail. Une conception du travail très japonaise où il paraît normal de sacrifier ses soirées et ses dimanches et où la mort par excès de travail est une réalité.

Le réveil de la jeune femme, puis des membres de toute l'équipe, un par un ne viendra pas d'une marmotte (ils ne dorment pas assez pour ça ^^) mais d'un pigeon qui chaque lundi vient se fracasser contre leur fenêtre. Une fois qu'ils ont tous pris conscience de la boucle temporelle dans laquelle ils sont enfermés, la question devient "comment en sortir?". Et la jeune femme d'être tiraillée par un dilemme cornélien: utiliser ce temps à rallonge pour produire un travail parfait qui lui permettra de réaliser son objectif professionnel ou se joindre à ses collègues pour enquêter sur les causes de leur infortune et briser la malédiction. La culture du collectif face à l'individualisme en somme. La solution se trouve peut-être entre les planches d'un manga à l'ancienne, c'est à dire dans la nostalgie de l'enfance qui apporte une belle touche de mélancolie à l'ensemble.

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Crépuscule à Tokyo (Tokyo boshoku)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1957)

Crépuscule à Tokyo (Tokyo boshoku)

"Crépuscule à Tokyo" aurait pu porter un titre en relation avec l'hiver, seule saison absente des titres des films de Yasujiro OZU. Si l'on retrouve au coeur de ce film la famille et les conflits de générations, sa tonalité inhabituellement désespérée et même tragique l'en distingue. Le froid glacial qui imprègne l'atmosphère du film, l'horizon bouché et par-dessus tout l'incapacité des différents membres de la famille à communiquer, leur enfermement en eux-mêmes donnent au spectateur une sensation de claustrophobie très éloignée de l'habituelle sérénité pétrie de sagesse qui se dégage de ses films. En dépit de la récurrence des figures du patriarche, de la tante entremetteuse, de la fille aînée placide et de la cadette rebelle et des acteurs qui les incarnent (Chishu RYU, Setsuko HARA, Haruko SUGIMURA), il n'y a aucune place pour la comédie dans "Crépuscule à Tokyo" et on ne retrouve pas chez eux les repères stables et rassurants qui en font des éléments incontournables de l'univers du cinéaste. "Crépuscule à Tokyo" fait le portrait d'un paysage familial disloqué par le départ de la mère. Le père désemparé a échoué à la remplacer et ne peut que constater les dégâts sur ses filles devenues adultes. L'aînée qu'il a contraint à un mariage arrangé quitte un mari alcoolique et autoritaire, reproduisant ainsi en partie le schéma maternel (en partie car elle n'abandonne pas sa fille pour s'enfuir avec un amant). La cadette qui est celle qui a le plus souffert de l'abandon maternel traverse une crise existentielle dans laquelle elle se retrouve désaffiliée. En rupture de ban familial, on la voit errer dans la nuit, solitaire et mutique, à la recherche d'un amant qui se dérobe, au point d'être prise pour une traînée et une délinquante. Elle ne livre rien de ses tourments ni même de ses sentiments à sa famille, hormis le fait qu'elle doute de ses origines et pense que son existence est une erreur de la nature. On comprend dans ses conditions qu'elle soit condamnée à disparaître sans commettre l'erreur de la mère qui est d'avoir laissé des enfants orphelins derrière elle. Si l'on ajoute le fantôme d'un garçon mort d'un accident et l'échec de la mère à rétablir un lien avec ses filles ce qui l'oblige à un exil définitif, on constate que le tableau est bien sombre pour le dernier film en noir et blanc du cinéaste japonais.

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A Man (Aru Otoko)

Publié le par Rosalie210

Kei Ishikawa (2024)

A Man (Aru Otoko)

C'est le tableau de René Magritte qui m'a donné envie d'aller voir "A Man". Parce que chaque tableau de ce peintre qui me fascine depuis l'adolescence est un poème visuel, une invitation au voyage, au mystère, à l'aventure, intérieure le plus souvent. Et comme le film, les tableaux de Magritte, faussement simples sont des énigmes qui se dérobent à une interprétation univoque. "La reproduction interdite" fait partie d'une série de tableaux dans lesquels le visage, siège de l'identité, est occulté. Et c'est l'un des plus puissants puisque l'on voit un homme de dos qui se regarde dans le miroir mais ne parvient pas à y voir autre chose que ce que nous-même voyons, comme s'il ne pouvait accéder à lui-même. Ce tableau qui ouvre et ferme le film se mêle à un sujet de société proprement japonais: celui des johatsu ou disparus volontaires qui étaient déjà évoqués dans "Quartier lointain" (2008), le film réalisé d'après le manga éponyme de Jiro Taniguchi. C'est une coïncidence, mais le disparu volontaire se nomme Daisuke Taniguchi dans le film. Et on découvre peu à peu qu'il a échangé son identité avec celui que l'on croit longtemps être lui et qui a porté avant Taniguchi deux autres patronymes. Un troisième homme joue un rôle fondamental dans l'histoire, Akira (Satoshi TSUMABUKI), l'avocat de la veuve du faux Daisuke Taniguchi chargé de l'enquête destinée à démasquer sa véritable identité. Cet avocat pourtant parfaitement intégré, né au Japon et ayant la nationalité japonaise est sans cesse renvoyé aux origines coréennes de ses grands-parents ce qui est l'une des facettes de l'insupportable rigidité de la société japonaise. Et pas seulement vis à vis des descendants d'étrangers mais également vis à vis des enfants de parents criminels ou vis à vis des familles monoparentales et recomposées (je ne sais si c'est également une coïncidence mais la mère veuve est jouée par Sakura ANDO qui interprétait le même personnage dans "L'innocence" (2023) où ce thème était également central). La disparition volontaire et le changement d'identité sont donc un moyen d'échapper à l'opprobre social où à des rôles aliénants. Si l'on accepte le rythme heurté du film et les changements de ton voire de genre (cela commence comme une romance, se poursuit comme un thriller et se termine sur une méditation existentielle), le jeu de miroirs entre les trois hommes et leurs identités problématiques (auxquels on peut rajouter le fils de la veuve de Daisuke qui ne sait plus quel nom de famille adopter) s'avère tout à fait pertinent.

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Pluto (Puruto)

Publié le par Rosalie210

Toshio Kawaguchi (2023)

Pluto (Puruto)

Naoki Urasawa est l'auteur de mes deux mangas préférés: "20th Century Boys" et "Pluto", tous deux primés à Angoulême, respectivement en 2004 et en 2011. Tout en bâtissant des intrigues palpitantes et des personnages intenses, Naoki Urasawa insuffle à ses oeuvres une dimension existentielle d'une puissance rare. Ainsi en est-il de "Pluto" qui rend hommage au père des mangas, Osamu Tezuka et à "Tetsuwan atomu" alias "Astro le petit robot" chez nous. Un auteur qui développait dans ses oeuvres nombre de thèmes religieux et philosophiques. Mais l'oeuvre d'Urasawa est plus sombre, plus adulte, plus mélancolique, plus inquiète, hantée par le mal. Elle prolonge à la fois la réflexion d'Asimov et celle de Philip K. Dick sur les robots avec un questionnement très simple mais imparable sur nos profondes contradictions humaines. L'homme a voulu créer le robot à son image mais il ne veut pas qu'il mente ni qu'il tue tout en l'utilisant comme machine de guerre dans les conflits armés. Il veut en garder le contrôle tout en lui insufflant des émotions par essence incontrôlables et ensuite s'effraie de voir celui-ci lui échapper. Le dernier avatar de Frankenstein s'appelle d'ailleurs Bora dans "Pluto" et ressemble à la créature d'eau et de glaise de Prométhée.  

Le résultat est que les robots de "Pluto" sont des vétérans de guerre remplis de tourments. Les plus sophistiqués d'entre eux ont une apparence humaine qui les rend indécelables à l'oeil nu. Ils ont un subconscient, une mémoire traumatique, sont submergés par la haine ou l'empathie, jouent du piano, peignent, jardinent, ont une famille, ne comprennent pas d'où viennent leurs larmes, mentent aux autres comme à eux-mêmes. Alors évidemment en dépit du tabou nimbé d'une épaisse couche de déni, il apparaît évident que ces robots peuvent tuer, et pas seulement d'autres robots. L'enquête porte d'ailleurs sur une intelligence artificielle qui commet des meurtres, sur les robots les plus puissants du monde mais aussi sur des humains qui leur sont liés. Tous ont trempé dans un conflit sanglant qui s'inspire de l'invasion de l'Irak par les USA en 2003, le "39° conflit d'Asie centrale".

Mais cette enquête en rejoint une autre, beaucoup plus intime. Gesicht, le robot-inspecteur chargé des investigations veut comprendre l'origine des cauchemars qu'il fait toutes les nuits, comprenant peu à peu que sa mémoire a été trafiquée par ses supérieurs humains pour reprendre le contrôle sur lui et les armes redoutables qu'il possède dans son corps. Armes et démons intérieurs ne faisant pas bon ménage, il éprouve le besoin d'interroger Brau 1589, seul robot a avoir officiellement tué un humain en violation de la législation inspirée des lois d'Asimov. Celui-ci est prisonnier mais n'a pas été détruit parce que les humains, dépassés par son cas ont peur des conséquences. Peu à peu, Gesicht reprend possession de ses souvenirs et de son identité et c'est de cette mémoire que hérite Astro. Tous deux sont reliés par le souvenir d'un enfant mort et des émotions extrêmes qu'elle a déclenché, des émotions incontrôlables qui les ont propulsé à un stade d'évolution supérieur. Alors bien évidemment, la question angoissante qui se pose aux humains dépassés face à ces robots ayant acquis le libre-arbitre c'est "que vont-ils choisir?" 

 

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L'Innocence (Kaibutsu)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (2023)

L'Innocence (Kaibutsu)

Difficile de parler du dernier film de Hirokazu KORE-EDA sans dévoiler son intrigue en forme de puzzle. Jouant dans un premier temps sur différents points de vue plus biaisés les uns que les autres (la mère, persuadée que son fils Minato est maltraité par un professeur couvert par la hiérarchie, le professeur, persuadé que Minato est un harceleur), il finit par sortir de ce tunnel anxiogène pour épanouir son cinéma à l'air libre, dans ce qui constitue une sorte d'Eden lumineux reconstitué par deux enfants qui hors des cadres sociaux peuvent être eux-mêmes. Cette partie du film, de loin la plus belle fait penser à "Nobody Knows" (2003) qui montrait également comment des enfants marginalisés pouvaient voler des instants de magie en construisant un abri précaire les protégeant de la folie du monde. Les parties précédentes sont plus laborieuses. Le thriller n'est pas le genre de prédilection de Hirokazu KORE-EDA et on a du mal à raccrocher les wagons d'autant que l'intérêt des séquences est inégal. Le faible professeur qui se fait manger tout cru est davantage un instrument de l'intrigue qu'un personnage à part entière si bien que le dysfonctionnement du système scolaire a tendance à se cristalliser sur le personnage particulièrement retors de sa directrice. Néanmoins la critique sociale sous-jacente au film fait mouche. A travers ces deux enfants, Hirokazu KORE-EDA dénonce le conservatisme de la société japonaise, son patriarcat moisi, son incapacité à accepter la différence et ses institutions sclérosées sans parler de sa propension effrayante à la dissimulation et à la cruauté. Les scènes de confrontation entre la mère de Minato et le personnel de l'école sont surréalistes et glacent le sang! Néanmoins et en dépit de son prix du scénario à Cannes, je suis persuadée que plus de simplicité et de clarté dans la narration aurait amplifié l'émotion qui se dégage d'un film inutilement alambiqué.

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Printemps précoce (Soshun)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1956)

Printemps précoce (Soshun)

Dans la filmographie très cohérente de Yasujiro OZU, "Printemps précoce" se distingue par sa tonalité plus amère que douce. En effet c'est la morosité qui domine cet opus désenchanté que rien ne vient véritablement éclairer hormis deux ou trois scènes sur lesquelles je reviendrai. Morosité d'un quotidien sans perspectives, rythmé par une routine monotone et sans joie, tant dans le travail que dans un couple qui ne semble plus fonctionner que mécaniquement. Yasujiro OZU semble d'ailleurs renvoyer la tradition et la modernité dos à dos. Les conventions sociales sont montrées au travers de la crise que traverse le couple formé par Shoji et Masako. Ces deux-là semblent ne plus rien avoir à se dire depuis la mort de leur enfant (était-il donc leur seule raison d'être?) Lui semble fatigué, résigné et fuyant. Elle n'est qu'un bloc de reproche et de refus silencieux et s'est retirée en elle-même. Pourtant ils ont intégré l'un comme l'autre qu'ils sont condamnés à rester ensemble. Et contrairement à "Le Gout du riz au the vert" (1952), la réconciliation nous laisse, c'est le moins que l'on puisse dire, sur notre faim. Les conventions sociales sont également montrées dans leur hypocrisie au travers de la condamnation sans appel de l'adultère entre Shoji et Chiyo, la jeune secrétaire émancipée, condamnation scellée par une mutation pour Shoji qui a tout d'une mise au placard. De toutes façons, Shoji préfère la compagnie de ses anciens camarades de régiment ou de ses collègues masculins avec qui il peut jouer au mah-jong ou prendre des cuites ce qui en dit long sur une société restée très patriarcale et qui n'a pas tourné la page de la défaite. Sur le plan de la modernité, c'est le triomphe du "métro-boulot-dodo" avec sa cohorte de cols blancs de banlieue s'entassant le matin dans les mêmes trains avant de rejoindre les sempiternels mêmes bureaux pour des salaires faméliques sans espoir de promotion avec au bout du chemin, une retraite médiocre. Une vision très critique du second miracle japonais vu au travers des petites mains qui le soutiennent.

Quelques scènes viennent cependant apporter un peu de lumière à ce sombre tableau. Le personnage de Chiyo possède une fraîcheur comparable à celle de Setsuko dans "Le Gout du riz au the vert" (1952). Elle étonne même par l'expression franche de ses désirs (dont une scène de baiser qui préfigure celle de "Herbes flottantes") (1959) et apparaît comme l'une des seules personnes vivantes au milieu de tous ces gens éteints. Et puis en bon adepte qu'il est du bouddhisme zen, Yasujiro OZU fait dire par la bouche d'un collègue mourant de Shoji combien même la routine en apparence la plus ennuyeuse recèle de possibilités de bonheur si l'on sait où le chercher. Les plans de train en marche ou celui de l'aviron laissent entendre que l'écoulement du temps est inexorable et qu'il faudra bien avancer.

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Le Goût du riz au thé vert (Ochazuke no aji)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1952)

Le Goût du riz au thé vert (Ochazuke no aji)

Les titres des films de Yasujiro OZU sont de petites merveilles de poésie. Certains parmi les plus célèbres se réfèrent au passage des saisons, de "Printemps précoce" (1956) à "Fin d'automne" (1960) (l'hiver est indirectement présent dans "Crepuscule a Tokyo") (1957). D'autres insistent sur le sens gustatif de plats typiquement japonais comme "Le Gout du sake" (1962) son ultime film et celui-ci "Le goût du riz au thé vert". Yasujiro OZU le considérait comme raté mais souvent les cinéastes ne sont pas de bons juges de leurs propres films. "Le goût du riz au thé vert" est plein de charme et dépeint avec finesse un couple en crise qui ne communique plus, celui de Taeko et Mokichi. La jeune nièce de Taeko, Setsuko qui représente la nouvelle génération observe et désapprouve les effets de cette mésentente conjugale sur le comportement de Taeko qui fuit son mari, lui ment et se moque de lui derrière son dos en le surnommant "M. L'Engourdi". Aussi quand Taeko et sa mère veulent arranger son mariage, elle en tire les conclusions qui s'imposent. Plutôt que de se plier aux traditions qui ont conduit à l'union malheureuse de sa tante et de son oncle, elle préfère passer du bon temps sous la houlette de Mokichi et de son jeune protégé. Derrière le masque indéchiffrable de son visage et des propos mollement réprobateurs, Mokichi s'avère en réalité d'une grande bienveillance et sans illusions sur son couple. Cependant alors que la rupture semble consommée, Yasujiro OZU met en scène une merveilleuse scène de réconciliation du couple autour de la préparation et de la dégustation d'un plat tout simple, le fameux riz au thé vert. La scène est préfigurée par un plan tout simple et très significatif: celui où Taeko contemple un paquet de cigarettes vide oublié par Mokichi alors qu'elle croit qu'il l'a quittée pour partir en Uruguay. Alors qu'elle lui reprochait ses goûts trop simples, trop frustes pour elle qui est issue d'un milieu social plus élevé, voilà qu'en un seul plan, on devine qu'il lui manque. Plus exactement, elle découvre qu'il est finalement à son goût, exactement de la même manière par laquelle Noriko dans "Ete precoce" (1951) découvrait qu'elle était amoureuse « Je me suis éprise de cet homme comme lorsque l’on cherche en couture une paire de ciseaux que l’on ne trouve pas et qui est pourtant sous nos yeux ». C'est avec ce genre de petits riens déclencheurs de mémoire sensorielle et affective à la manière d'une madeleine de Proust que Yasujiro OZU nous cueille.

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Perfect Days

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (2023)

Perfect Days

L'un des traits culturels qui dépayse le plus le visiteur français lorsqu'il se rend à Tokyo, c'est l'abondance, la propreté et le caractère high-tech des toilettes publiques. S'y ajoute l'aspect design de celles du quartier de Shibuya, conçues par des créateurs comme des temples architecturaux dont le gardien (zen) est Hirayama (Koji YAKUSHO, l'acteur de "L'Anguille" (1997) récompensé à Cannes à juste titre tant il est charismatique) chargé de leur entretien. Aussi taiseux et solitaire que Travis dans "Paris, Texas" (1984), l'homme lui ressemble également dans son cheminement de reconnexion au monde, réapprenant à parler, redécouvrant des membres de sa famille, s'impliquant (même si c'est un peu malgré lui) dans la vie d'un collègue puis d'une propriétaire de restaurant. Mais le film s'avère être cependant d'une nature différente de "Paris, Texas". Ce n'est pas un road-movie (bien que Hirayama circule beaucoup dans Tokyo soit dans un véhicule professionnel motorisé, soit à vélo lors de ses jours de congé) mais une contemplation méditative. Hirayama est un philosophe amateur de lecture et de musique et amoureux des arbres qui puise sa liberté dans l'insignifiance apparente de son métier et sa joie de vivre dans un quotidien simple, routinier, ritualisé et dans la beauté de l'instant qu'il capture avec un appareil photo argentique dans le parc où il prend son déjeuner. Une allusion au "komorebi", le jeu de lumières dans les arbres qui a si fortement inspiré les peintres impressionnistes. Alors évidemment, impossible de ne pas penser à "Paterson" (2016) de Jim JARMUSCH, autre réalisateur passionné par le Japon qui raconte l'histoire d'un chauffeur de bus amateur de haïkus qui puise son inspiration dans un quotidien répétitif et réglé comme du papier à musique et ne quitte jamais la petite ville américaine où il travaille. Mais si "Paterson" est un film avant tout littéraire, "Perfect Days" fait davantage appel aux sens, principalement la vue et l'ouïe. La vue, car Tokyo est magnifiquement filmée, particulièrement de nuit où elle se couvre d'or et de lumières. On sait à quel point Wim WENDERS soigne ses images. Mais on reconnaît aussi en lui le passionné de musique. Parmi les airs-phares qui scandent "Perfect Days", des reprises étonnantes de "Le Pénitencier", du Patti Smith, la célèbre chanson de Lou Reed qui donne son titre au film et sur la fin, le magnifique "Feeling good" de Nina Simone.

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Eté précoce (Bakushū)

Publié le par Rosalie210

Yasujiro Ozu (1951)

Eté précoce (Bakushū)

Deux ans après le magnifique "Printemps tardif" (1949) Yasujiro OZU tourne "Ete precoce" (1951) qui en offre une variation avec la même actrice, Setsuko HARA dont le personnage porte le même prénom que dans "Printemps tardif" tout en articulant sa chronique familiale intimiste aux changements sociétaux du Japon d'après-guerre dont il se fera l'inlassable l'observateur. C'est pourquoi "Eté précoce" bien que traversé par l'ombre de la guerre qui a emporté le fils aîné, la mélancolie du temps qui passe et la douleur de la séparation entre membres d'une même famille comporte déjà des aspects résolument modernes (dont quelques phrases en anglais, traces de l'occupation américaine). Noriko est comme dans "Printemps tardif" une jeune femme célibataire qui subit des pressions familiales pour accepter un "beau mariage" (arrangé) mais ose maintenant endosser le rôle de celle qui interprétait son amie émancipée dans le film de 1949. La Noriko version 1951 a donc abandonné le kimono pour l'habit occidental et travaille comme secrétaire à Tokyo au lieu de tenir le rôle de mère de substitution au foyer. Ce n'est pas seulement l'indépendance économique que lui offre ce travail mais la possibilité de choisir elle-même son avenir. Alors certes, le choix est restreint (rester chez ses parents ou se marier) mais au moins, peut-elle se décider à l'intérieur de ce périmètre en dehors de toute considération d'argent et même de convenances sociales. C'est pourquoi elle décide, en apparence sur un coup de tête mais en réalité selon son coeur de choisir un mari qui ne correspond pas aux attentes de sa famille (pauvre, veuf et déjà père d'une petite fille). D'ailleurs, le plus fâché de tous est son frère médecin qui tient le rôle d'entremetteur et de pater familias (et joué par un autre acteur fétiche de Yasujiro OZU, Chishu RYU). Débordé par sa petite soeur rebelle, il l'est également par ses deux enfants qui préfigurent les chenapans de "Bonjour" (1959) à ceci près qu'au lieu de faire du chantage pour obtenir une télévision, ils se révoltent pour des rails de train électrique!

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