Tim Burton est le maître d'un imaginaire macabre qui n'est pourtant pas morbide. Il le prouve encore avec "Les Noces funèbres", le premier film d'animation en volume qu'il a lui-même réalisé (même s'il s'est appuyé sur une grande partie de l'équipe de "L'étrange noël de M. Jack" et sur les studios Laika futurs producteurs de "Coraline" et de "Kubo et l'armure magique") et où il inverse astucieusement les clichés, comme il le faisait déjà dans "Edward aux mains d'argent". Le monde des vivants n'a de "vivant" que le nom, il est peuplé de personnages mangés aux mites depuis longtemps, véritables caricatures de la société victorienne que n'aurait pas renié Honoré Daumier (on pense aux fameuses "Poires"). D'un côté les aristocrates fauchés, de l'autre les bourgeois parvenus qui espèrent par une alliance matrimoniale renflouer les caisses chez les uns, s'anoblir chez les autres. Sans parler du séducteur opportuniste qui trucide ses épouses pour s'emparer de leur dot. De sordides calculs qui se combinent avec un puritanisme tout ce qu'il y a de plus mortifère. A l'inverse chez les morts qui n'ont plus rien à perdre ou à gagner puisqu'elle est la même pour tous, on est déchargé du poids qui pèse sur les vivants et on peut s'amuser en toute insouciance, prendre du bon temps au cabaret et aller se mêler aux vivants pour danser la sarabande (Tim Burton s'est ouvertement inspiré du court-métrage Disney de 1929 "La danse macabre"). Ce monde est celui de la fantaisie la plus débridée où Tim Burton s'amuse avec les possibles offertes par l'animation et le film de zombies: une tête qui se déplace sur des insectes, un ver qui occupe une loge dans l'orbite de la mariée et joue un peu le rôle de son Jiminy Cricket, un homme qui peut se séparer en deux moitiés, un pirate nabot arborant un sabre en travers des côtes etc. Et au beau milieu de tout cela il y a Victor, le maladroit et attachant fils des bourgeois parvenus (clone animé de Johnny Deep qui le double ^^) écartelé entre sa fiancée bien vivante Victoria (Emily Watson) dont il est amoureux mais qui l'effraie et Emily (Helena Bonham-Carter), une jeune femme en robe de mariée morte-vivante à qui il s'est uni par mégarde et qui l'entraîne dans son monde. On comprend qu'il soit tenté à un moment donné de la préférer à Victoria d'autant qu'ils ont plus de goûts en commun. Emily par sa grandeur d'âme qui la prédispose au sacrifice a quelque chose de la petite sirène. En renonçant à Victor (c'est à dire en lui laissant épouser Victoria) son corps se désintègre mais au lieu de devenir de l'écume il se transforme en une multitude de papillons qui s'envolent vers la lune. Enfin, Tim Burton rend hommage à travers son film au cinéma de genre horrifique et ses figures imposées. Ainsi le pasteur est doublé par Christopher Lee, le légendaire comte Dracula des studios Hammer.
"Le château des singes" est le deuxième long-métrage de Jean-François LAGUIONIE réalisé dans le cadre de sa société de production cévenole La Fabrique fondée en 1979 (surnommée ainsi en raison du fait qu'il s'agissait à l'origine d'un atelier de bobinage de fils de soie). La filiation artisanale est assurée par le fait que le film a été réalisé entièrement à la main (le DVD ne lui rend d'ailleurs pas justice avec sa jaquette cheap). Il est le fruit d'un compromis réussi entre l'œuvre d'auteur et la recherche d'une adhésion populaire (de l'aveu même deJean-François LAGUIONIE, c'est la première fois qu'il a réalisé un film en pensant aux enfants). Si bien que tout en étant un récit initiatique classique peuplé de figures archétypales issues des contes (le roi, la princesse, le méchant, le héros sans parler des chansons qui peuvent évoquer les classiques Disney), "Le château des singes" est une fable philosophique qui porte la marque de son réalisateur. Il préfigure "Le Tableau" (2011) en ce qu'il met en scène les préjugés que des peuples pourtant issus de la même origine entretiennent les uns vis à vis des autres. Ici pas de "Toupins" et de "Pasfinis" mais deux tribus de singes séparées autrefois par un cataclysme, l'une, les Woonkos vivant dans la canopée et l'autre, les Laankos vivant sur le plancher des vaches. La première vit quasiment à l'état sauvage alors que la seconde évoque plutôt la civilisation de la Renaissance, sa sophistication étant contrebalancée par de sombres complots politiques qui se situent entre Hamlet et le tsar Ivan, Shakespeare et Sergei M. EISENSTEIN étant explicitement cités, le second non seulement pour "Ivan le Terrible" (1943) mais aussi pour "Alexandre Nevski" (1938) avec la séquence sur le lac gelé. Jean-François LAGUIONIE met en scène Kom, un jeune Woonko curieux et impertinent qui à l'inverse de ses congénères remet en cause l'enseignement binaire qu'il reçoit du prétendu sage de la tribu pour qui "tout ce qui vient d'en haut est bon et tout ce qui vient d'en bas est mauvais". Jean-François LAGUIONIE égratigne ainsi le bourrage de crâne, les idées toutes faites et le manichéisme. Kom débarque donc logiquement chez les Laankos dont l'enseignement fait l'objet d'une critique tout aussi pertinente. Maître Flavius (doublé par Michael LONSDALE) est présenté comme un vieux "singe savant" incapable de naturel et d'esprit critique. Lorsqu'il explique la géographie verticale de la hiérarchie sociale (calquée sur "Metropolis" (1926) et sur "Le Roi et l'Oiseau (1979) du maître de Jean-François LAGUIONIE, Paul GRIMAULT) à Kom en lui disant que les singes supérieurs vivent en haut de la tour, Kom lui répond que les Woonkos sont logiquement supérieurs à eux puisqu'ils vivent dans la canopée, très au-dessus d'eux ce qui a pour effet de donner d'autant plus de relief ironique à la chanson "Assimiler pour être civilisé" où Kom s'interroge sur son identité hybride. L'intrigue m'a fait penser par ailleurs à un récit d'héroïc-fantasy écrit par Georges-Olivier Châteaureynaud et publié en 1991 dans le magazine "Je Bouquine". Intitulé "Le combat d'Odiri", il décrit deux peuples humains, l'un évolué, vivant dans les airs mais se faisant la guerre et l'autre, primitif, vivant dans la forêt et aux prises avec de dangereuses créatures et raconte l'histoire d'un transfuge primitif dans le monde évolué.
Cinq ans avant de connaître la consécration internationale avec la Palme d'or pour "Une Affaire de famille" (2018), Hirokazu KORE-EDA raflait le prix du Jury avec son magnifique "Tel père, tel fils" (que je trouve même encore meilleur). Bien que le film ait pour point de départ une histoire de bébés échangés à la naissance, il ne s'agit pas d'une version nippone de "La Vie est un long fleuve tranquille" (1987). Certes, comme dans le film de Étienne CHATILIEZ, les deux familles n'appartiennent pas au même milieu social. Les Nonomiya sont des bourgeois qui vivent dans un appartement luxueux au cœur de Tokyo. Le père est un architecte obsédé par la réussite et la mère, femme au foyer. Les Saiki vivent en province (dans la ville natale de Midori Nonomiya pour être plus précise) et ont un train de vie beaucoup plus modeste. Le père est un petit commerçant qui aime profiter de la vie et jouer avec ses enfants et la mère est employée. Leur maison située au rez-de-chaussée plutôt vétuste et encombrée contraste avec la froideur clinique de l'appartement des Nonomiya qui surplombe la ville ("on dirait un hôtel" dit leur fils Ryusei). Mais la comparaison s'arrête là car le film de Hirokazu KORE-EDA n'est pas satirique. C'est plutôt l'analyse particulièrement fine d'une crise de paternité ou plutôt d'une crise d'un certain modèle de paternité, celui qu'incarne Ryota (Masaharu FUKUYAMA), le père de famille bourgeois. Un modèle qui n'est pas propre d'ailleurs au Japon. La sacralisation des liens du sang au détriment des liens adoptifs liés à l'affection mutuelle est très présente en France aussi (les enfants placés qui sont souvent arrachés à leur famille d'accueil au nom de la préservation -idéologique- du lien biologique en sont les premières victimes). D'autre part le discours que Ryota assène à son fils (en résumé, "soit le meilleur", "ne soit pas trop gentil", "soit fort" etc.) m'a fait penser à celui du personnage joué par Brad PITT dans "The Tree of Life" (2010). Dans un cas comme dans l'autre, ces pères de famille mettent de côté leur humanité pour endosser le rôle qu'ils pensent devoir jouer, celui du "père-guide" qui doit coûte que coûte faire de son fils un "homme" selon le modèle patriarcal, quitte à lui faire du mal, pour son "bien". Et dans un cas comme dans l'autre la mère, soumise reste passive (de toute façon, la mère c'est le "mal" selon les dogmes eux aussi très patriarcaux de la psychanalyse). Sauf que dans "Tel père, tel fils", le miroir façonné par Ryota à son image (plutôt mal que bien, son fils Keita ne répondant pas comme il le voudrait à ses attentes) se brise lorsqu'il apprend que cet enfant n'est pas de son sang. "C'était donc ça!" s'exclame-t-il. Il n'y a plus qu'à échanger Keita contre Ryusei et le tour est joué. Sauf que comme il le reconnaît lui-même, ce n'est pas aussi simple. Un enfant comme le dit Midori (qui est en désaccord complet avec son mari mais n'a aucune influence sur lui) n'est pas un chat ou un chien. Et même dans le cas d'un animal qui a pris modèle sur son maître, l'échange est délicat. Donc la greffe ne prend pas du tout avec Ryusei qui était beaucoup plus heureux avec ses parents adoptifs. Et surtout Ryota se retrouve déchiré entre ce qu'il croit être son devoir et ses sentiments pour le petit garçon qu'il a élevé (même s'il est mentionné dans le film qu'à cause de son ambition, il n'est pas proche de son fils et est très absent). C'est ce conflit intérieur qui fait la spécificité du film et sa beauté. Il y a un long plan par exemple où spontanément Ryota dit à Keita qui a fabriqué un cadeau pour chacun de ses pères qu'il est "la gentillesse même" avant de se rendre compte qu'il est en train de se contredire (ne disait-il pas au début du film qu'il ne fallait pas être gentil?). La caméra prend le temps d'enregistrer sa pensée, de montrer son trouble avec beaucoup de délicatesse. Vers la fin du film, Ryota découvre les photos que Keita a prises de lui quand il dormait. Quand il ne pouvait pas jouer de rôle et qu'il était lui-même. Et cela l'émeut aux larmes et lui fait prendre conscience de ce qui l'unit à son petit garçon par delà toutes les pressions sociales pour le faire se conformer à un modèle préétabli. C'est ce qui préfigure leurs retrouvailles et ce beau moment où il lui dit que "la mission est terminée". La sienne en tout cas, c'est certain puisqu'en rejoignant Keita, il choisit se s'écarter du chemin bien balisé des normes et d'entrer dans celui, plus touffu des sentiments.
"Vicky Christina Barcelona" est un film qui a un double mérite.
D'une part il masque des questionnements existentiels qui auraient pu être d'un ennui mortel sous les atours chatoyants d'une comédie en forme de carte du tendre touristique de plus en plus épicée pour ne pas dire caliente. La qualité de la distribution et de la photographie apportent un charme indubitable au film qui fait parfois le même effet sur le spectateur que le bon vin et le guitariste espagnol sur Vicky. Et ce même s'il ne connaît pas les monuments de Barcelone (qui doivent beaucoup à Gaudi comme on peut le découvrir dans le film: Sagrada Familia, parc Güell, Pedrera et ses cheminées en forme de chevaliers). Pourtant à travers le marivaudage amoureux des deux jeunes touristes américaines (Rebecca HALL et Scarlett JOHANSSON) et le couple explosif et "almodovarien" formé par Penélope CRUZ et Javier BARDEM, Woody ALLEN pose des questions qui préfigurent celles de "Whatever Works" (2009). Il est loin d'être le premier à opposer l'ennui conjugal qui attend Vicky auprès de son fiancé aussi excitant qu'un "pot de yaourt" pour reprendre l'expression du Monde à la passion auto destructrice qui anime les artistes Juan Antonio et Maria-Helena, trop fusionnels pour ne pas se rendre la vie infernale. C'était déjà l'un des thèmes majeurs du film de Jacques DEMY, "Une chambre en ville" (1982) qui s'y connaissait en problèmes de gémellité artistique. Mais à ces deux extrêmes aussi mortifères l'un que l'autre, Woody ALLEN ajoute des expérimentations amoureuses plus marginales (le saphisme, l'amour à trois) qui au final ne débouchent sur rien. En dépit de la devise de Juan Antonio "Carpe Diem" c'est l'insatisfaction qui prédomine. Vicky se résout à suivre son schéma plan-plan en dépit des avertissements de Judy (Patricia CLARKSON) qui l'héberge à Barcelone et qui ne supporte plus sa situation conjugale très semblable (quoiqu'en dise Vicky). Quant à Cristina, elle n'est pas plus avancée qu'avant puisqu'elle sait certes ce qu'elle ne veut pas mais toujours pas ce qu'elle veut.
D'autre part, ce film qui fait partie de la période où Woody ALLEN faisait le tour d'Europe démontre si besoin était que celui-ci que l'on a longtemps ancré dans une identité "juive new-yorkaise" est en réalité un caméléon. Comme dans "Zelig" (1983) il est capable de se fondre dans n'importe quel décor tout en étant toujours fidèle à lui-même.
"Gosford Park", c'est l'alliance (fructueuse) de la misanthropie acide de Robert ALTMAN et de l'écriture aiguisée alliée à une connaissance anthropologique du milieu aristocratique de Julian FELLOWES (milieu dont il est lui-même issu et qu'il connaît sur le bout des doigts) pour un résultat dense et passionnant. La première partie est une étude de mœurs qui reprend les principes de "La Règle du jeu" (1939) de Jean RENOIR avec un montage établissant un parallèle entre l'univers des maîtres et celui des domestiques avec à la place du pilote André Jurieux, un acteur et compositeur américain ayant réellement existé Ivor Novello (Jeremy NORTHAM), admiré des domestiques mais méprisé des aristocrates les plus snobinards. Un mépris réciproque car les américains considèrent de leur côté avec dédain le monde décadent de leurs anciens colons. Un monde hiérarchisé et codifié jusque dans les moindres détails (places à table, uniformes, noms employés pour désigner les gens de maison, protocoles du petit déjeuner différent selon le genre et le statut marital, multitude des couverts à table et écartement entre eux mesuré à la règle, pièces dévolues à des tâches telles que le cirage des chaussures ou le nettoyage de l'argenterie, rite de la chasse à courre etc.) qui n'a pas encore disparu en 1932 (l'époque du film et aussi des "Les Vestiges du jour" (1993) qui se situe dans le même milieu). Le personnage de Henry Denton (Ryan PHILIPPE) apprend à ses dépends que jouer sur les deux tableaux est impossible: il ne fait pas longtemps illusion et réussit l'exploit de fédérer les deux camps contre lui. La deuxième partie se rapproche davantage d'une comédie policière en huis-clos dans le style Cluedo. D'ailleurs elle s'inspire du "Noël de Hercule Poirot" de Agatha Christie. Elle a pour principal mérite de faire émerger des secrets jusqu'ici bien gardés.
Il est également intéressant de comparer "Gosford Park" et "Downton Abbey" (2010), série réalisée et écrite par Julian FELLOWES qui avait été conçue au départ comme un prolongement du film de Robert ALTMAN. Car si l'on retrouve bien évidemment le même univers jusque dans ses moindres détails ainsi que la finesse et la causticité de l'écriture alliée à un regard affûté sur une société en évolution (surtout dans la saison 1 qui est parfaite alors que dès la saison 2, les intrigues sentimentales et rebondissements dignes d'un roman de gare gâchent déjà un peu le plaisir) sans bien sûr oublier Maggie SMITH en douairière dans les deux œuvres, il y a une différence "existentielle" qui saute aux yeux. Les relations humaines dans "Downton Abbey" ne sont ni cruelles, ni sordides. Dans "Gosford Park", la cruauté et le sordide sont partout, dans les relations familiales et dans les relations de couples (presque toujours en raison de questions d'argent), dans les relations entre domestiques (rivalités, alcoolisme, menaces de viol) et aussi bien sûr dans les relations entre maîtres et domestiques. Mary Maceachran (Kelly MACDONALD), la bonne de la comtesse de Trentham subit moultes humiliations dont celle dès l'ouverture du film de devoir rester plusieurs minutes sous une pluie battante à devoir attendre que sa maîtresse daigne monter dans sa voiture puis à lui ouvrir son thermos. Surtout le château de "Gosford Park" fait penser à du Zola ou à du Maupassant avec son maître de maison (Michael GAMBON) qui exerce son droit de cuissage sur ses subordonnées (ouvrières puis domestiques) enfantant autant de tragédies que d'expressions de l'inégalité des classes autant que celles de la domination d'un sexe par l'autre.
Avant de se pencher sur le film lui-même, un mot sur l'histoire (édifiante) de sa créditation. On sait aujourd'hui que Lois Weber, l'auteure du script original a au minimum co-réalisé le film aux côtés du directeur de la photographie Allen G. Siegler. Mais la société de production Universal ne l'a pas créditée parce qu'attribuer à une femme un poste à responsabilité n'était pas conforme aux convenances de l'époque. C'est l'une des très nombreuses raisons qui ont abouti à l'invisibilisation des femmes dans la réalisation des films muets, films dont on redécouvre aujourd'hui la véritable origine en même temps que les femmes retrouvent leur juste place dans une industrie qu'elles ont contribué à créer au même titre que les hommes.
"Discontent" qui est un court-métrage de deux bobines raconte l'histoire d'un vétéran de la guerre de Sécession, personnage qui faisait alors partie intégrante de la société des USA de 1916. Ceux-ci avaient alors effectivement entre 70 et 80 ans et retraités, vivaient soit dans leur famille, soit en maison de retraite avec leurs anciens compagnons de combat. C'est le cas de Pearson mais il ne semble pas content de son sort puisqu'il passe son temps à dire que chez son riche neveu, tout est mieux (matériellement parlant). Sauf que quand sa famille l'accueille, il ne trouve pas sa place et au contraire, il sème la zizanie dans la famille en instillant le doute chez chacun de ses membres. Au final l'opulence provoque chez lui une indigestion et l'incommunicabilité entre lui et le reste de la famille l'isole au point qu'il finit par regretter sa maison de retraite certes plus spartiate mais où au moins il pouvait échanger des souvenirs avec des hommes qui avaient vécu la même expérience que lui. "Discontent" ("Mécontentement") fait donc réfléchir sur les limites de l'institution familiale déifiée par la société américaine mais qui n'est pas forcément synonyme de bonheur, pas plus d'ailleurs que l'autre grande valeur devant laquelle elle se prosterne, celle de l'argent. En cela, c'est un film qui conserve toute sa pertinence en raison du fait qu'il montre d'une part la famille comme un possible cauchemar (ce qui était osé à l'époque) et de l'autre, l'insatisfaction chronique générée par nos sociétés d'abondance et qui se traduit aujourd'hui par une fuite en avant vers le toujours plus (de biens matériels, de prestige ou de cachets).
Entre "Alien, le huitième passager" (1979) (pour les indices sonores et visuels d'une présence longtemps invisible ou furtive faisant monter l'angoisse) et "La Guerre des mondes" (2005)" (pour le thème de l'invasion extra-terrestre et l'histoire du père qui tente de protéger ses enfants), "Signes" bénéficie de la touche M. Night SHYAMALAN qui vient jeter le trouble dans une histoire qui possède plusieurs facettes. Comme dans ses films ultérieurs, "Le Village" (2004) et "La Jeune fille de l'eau" (2006), "Signes" raconte l'histoire d'une cellule (ici familiale) repliée sur elle-même à la suite d'un traumatisme et confrontée depuis à la peur de "l'étrange étranger" pour reprendre le titre du poème de Jacques Prévert. M. Night SHYAMALAN (qui aime bien comme l'un de ses réalisateurs favoris, Alfred HITCHCOCK faire des apparitions dans les films qu'il réalise) se réserve d'ailleurs un rôle très significatif dans le film. C'est (involontairement) par lui que le malheur a frappé la famille Hess, or il représente l'étranger d'origine indienne dans un monde WASP. Par conséquent les membres de la famille Hess sont prédisposés à ne voir dans les extra-terrestres que des ennemis. Ils sont prédisposés à la méfiance et à la peur. Et ce d'autant plus qu'ils avalent sans aucun recul les propos catastrophistes des médias. De façon très significative, lorsque l'alien apparaît enfin, c'est à travers le reflet d'un écran de télévision (les surcadrages abondent dans le film, symbolisant l'enfermement des personnages). Les flashbacks revenant sur la mort de Colleen (Patricia Kalember), l'épouse de Graham (Mel Gibson) sont là pour nous faire comprendre que celui-ci pense qu'il revit la même histoire avec ses enfants (les garants de l'avenir familial) pour enjeu. Morgan le fils aîné asthmatique achète un livre désignant les aliens comme des êtres hostiles et destructeurs. Les intentions qu'il leur prête sont des projections de celles des humains: explorer et coloniser. Et Bo, sa petite sœur est obsédée par l'eau contaminée. D'ailleurs le chien, reflet de ses maîtres en pisse de peur. C'est toujours leur point de vue qui nous est donné. C'est leur peur qui rend les aliens effrayants. Or à aucun moment du film, leur présence n'est montrée comme irréfutablement hostile. Tous les gestes de violence proviennent de Graham et de son frère Merill (Joaquin Phoenix). Et c'est cela qui est extrêmement troublant: prendre fait et cause pour deux personnages dont l'un coupe des doigts et l'autre flanque des coups de batte de baseball à un être humanoïde à l'apparence fragile (au vu de l'effet que provoque l'eau sur lui) et qui lâche un gaz sur Morgan évanoui que Graham interprète comme une tentative de meurtre mais qui pourrait tout aussi bien être ce qui l'a sauvé (c'est d'ailleurs la pensée qui m'est venue spontanément). La dernière image où on le voit devant le "miracle" reprendre sa défroque de pasteur qu'il avait lâchée au moment de la mort de sa femme pourrait donc bien être d'une ironie bien amère. Mais nous ne le saurons jamais puisque contrairement à Steven SPIELBERG dans "Rencontres du troisième type" (1977), il n'y a aucune tentative d'établir une quelconque communication avec les aliens ni même de déchiffrer leurs étranges signes. Dans un monde où règne la peur, cette espèce a le tort d'ouvrir des clairières dans les champs de maïs qui entourent la maison forteresse (comme la forêt d'épines du château de la Belle au bois dormant) et de finir par entrer dedans en dépit de toutes les barricades érigées par Graham et Merill pour se protéger du mal (incluant la ville comme dans "Le Village") (2004). Sauf que le mal n'est pas extérieur à eux, il est en eux.
Les années 90 ont été propices aux transpositions ou aux réécritures modernes des pièces de Shakespeare. Je pense aux premiers films de Kenneth Branagh ("Henry V", "Beaucoup de bruit pour rien", "Hamlet"), à "My Own Private Idaho" de Gus van Sant qui contient des allusions à "Henry IV" mais aussi à la saga littéraire du "Trône de fer" de George R. R. Martin dont le premier volume est sorti en 1996 (popularisée par la suite par son adaptation en série sous le nom de "Game of Thrones") et qui revisite les pièces historiques de Shakespeare, "Richard III" en particulier.
C'est donc dans ce contexte favorable que Richard Loncraine a réussi un joli coup de maître en transposant la célèbre pièce de Shakespeare au cœur d'une Angleterre fascisante dans les années 30. Ce malade du pouvoir qu'est Richard dont les difformités physiques nourrissent l'âme torturée et les actions sanguinaires se marie en effet très bien avec le décorum nazi. Ian McKellen incarne par ailleurs le rôle à la perfection. Impossible d'oublier son sourire en biais qui annonce à chaque fois quelque nouvelle tragédie. Du début à la fin on est tenu en haleine par une spirale de fatalité qui ressemble à la tyrannie totalitaire en ce qu'elle aboutit à faire le vide autour du protagoniste principal. En faisant assassiner tous ceux qui se dressent entre lui et le pouvoir suprême (d'abord ses rivaux, puis les membres de sa propre famille), Richard finit par faire l'unanimité contre lui. A force de voir des ennemis partout, les grands paranoïaques finissent ainsi par réellement les créer, les quelques survivants du massacre orchestré par Richard finissant ainsi par se retourner contre lui et se fédérer pour le vaincre. Ajoutons que la distribution anglo-américaine est de premier ordre: Maggie Smith, Kristin Scott Thomas, Jim Broadbent, Jim Carter, Annette Bening ou encore Robert Downey Jr.
"Angry Birds: copains comme cochons" est un film d'animation très sympa qui se situe dans la lignée du premier volet. Il n'a d'autre prétention que de divertir et il y parvient très bien. L'intrigue (une alliance entre oiseaux et cochons contre un troisième ennemi) n'a pas grand intérêt, l'aspect visuel est basique et la morale est toujours aussi convenue (grosso modo l'union fait la force et vive l'esprit d'équipe) mais il est bien construit et bien rythmé. La musique pop est certes envahissante mais ne se compose pas seulement de gros tubes lourdingues puisque David Bowie et son "Space Oddity" s'invitent de façon marquante à la fête comme le faisait Stanley KUBRICK dans le premier volet. L'alternance entre les aventures des bébés (oiseaux et cochons) et celle des adultes fonctionne très bien, d'autant qu'elles se rejoignent à la fin. Au sein des adultes, les personnages féminins se taillent une vraie place. Il est particulièrement bien vu d'avoir fait de la "méchante" de l'histoire l'ex-fiancée (aigrie) "d'Aigle vaillant" dont on sait depuis le premier volet qu'il s'agit d'un lâche. La baudruche patriarcale continue donc de se dégonfler pour notre plus grand plaisir. Il y a d'ailleurs dans le film un panorama assez bien vu des comportements amoureux et modèles familiaux modernes, du speed dating jusqu'aux familles monoparentales en passant par les femmes instruites et émancipées qui veulent être traitées d'égale à égale avec leurs homologues masculins.
Georges MÉLIÈS converse avec son double qu'il fait apparaître dans un tableau animé. Si ce court-métrage est l'un des plus célèbres de son auteur ce n'est pas par hasard. En effet il se situe à la fois dans la tradition de l'illusionnisme d'où est issu Georges MÉLIÈS et en même temps il explore à travers son sujet les possibilités du cinéma. Sur le plan technique, Georges MÉLIÈS a recours à de minutieux trucages artisanaux (à base de trompe l'oeil et de découpage/collage de bouts de pellicules). Sur le plan esthétique, le film est un exemple par l'insertion du tableau de surcadrage, le cadre dans le cadre ayant ici valeur de mise en abyme. Georges MÉLIÈS se met en effet en scène et ce, pour se tourner se dérision, en se moquant notamment de sa calvitie. N'est-ce pas justement ce que permet la réflexivité du miroir tendu à l'auteur? Enfin, Georges MÉLIÈS se démultiplie non seulement devant mais aussi derrière l'écran en jouant tous les rôles: réalisateur, scénariste, producteur et même distributeur!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.