"Wild man blues" est un documentaire sur Woody ALLEN sorti dans la foulée de "Harry dans tous ses états" (1996) à l'occasion de la première tournée européenne du cinéaste-clarinettiste et de son groupe de jazz "The New Orléans Jazz Band" dirigé par Eddy Davis. On reconnaît les sonorités indissociables des films du cinéaste dans le répertoire du groupe qui rappelle à notre bon souvenir la passion que Woody Allen voue au jazz depuis son enfance (comme expliqué dans le film, il l'écoutait à la radio, une époque à laquelle il a rendu hommage dans "Radio Days") (1986) au point qu'il a pris son surnom en hommage au clarinettiste Woody Herman.
Ce préambule établi, il faut tout de même souligner que s'il n'avait pas été un cinéaste majeur, son activité musicale serait restée cantonnée au domaine d'un passe-temps privé. On se doute que c'est ce qu'il représente bien plus que la qualité réelle de ses prestations musicales (sympathiques mais tout à fait anecdotiques) qui attire les foules dans les salles de concert où le groupe se produit. De fait, les séquences musicales du film sont assez longuettes et répétitives. Heureusement, il n'y a pas que cela. Ce que le film offre de plus intéressant, outre les traits d'humour, c'est la mise en évidence de l'importance que le déracinement joue chez un cinéaste intellectuel plus apprécié en Europe que "chez lui" (le film rappelle combien ses films introspectifs ont mieux marché sur le vieux continent) et qui se sent écartelé entre les deux mondes sans appartenir pleinement à aucun d'entre eux. On découvre également que ce déracinement est culturel et sociologique. Woody ALLEN tout comme sa femme, Soon-Yi* semblent inadaptés aux hôtels luxueux qu'ils fréquentent. Cela m'a rappelé une blague cruelle et douteuse (comme la plupart) de Laurent Gerra à propos de Céline Dion et de René Angelil dans leur palace en Floride "deux bouchers ayant gagné à la loterie". Mais c'est surtout la séquence de fin chez les parents de Woody Allen (très âgés mais encore en vie au moment du tournage) qui apporte un éclairage sur l'écartèlement identitaire d'un cinéaste "mondialisé" alors que sa mère aurait voulu qu'il épouse une juive et devienne pharmacien.
* Soon-Yi Prévin, d'origine sud-coréenne est la fille adoptive de Mia Farrow et André Prévin qui l'ont tous deux reniés (et réciproquement) après la révélation en 1992 de sa liaison avec Woody Allen alors le compagnon de Mia Farrow. La différence d'âge avec Woody Allen autant que leurs liens familiaux a créé le scandale, entretenu depuis par la guerre que se font les deux ex et leurs enfants autour d'accusations de maltraitance sur fond de climat incestueux.
Je ne suis pas très fan du style exubérant (pour ne pas dire hystérique) de Xavier DOLAN mais en lisant le pitch de "Matthias et Maxime", je me suis dit que cela allait être autre chose que le navrant "Do Not Disturb" (2011) de Yvan ATTAL (je n'ai pas vu le film original américain) qui bottait en touche et de ce fait ne dérangeait personne. Xavier Dolan -pour s'adresser au public le plus large possible et non comme les cinéastes gay du passé comme James WHALE ou Tod BROWNING par impossibilité de traiter le sujet frontalement- met beaucoup l'accent dans ses films sur la notion de différence et sur la difficulté à la vivre au sein d'une société conformiste. C'est particulièrement flagrant avec "Matthias et Maxime" qui brouille les frontières de l'orientation sexuelle à partir d'un postulat assez proche de "Do not Disturb": pour les besoins d'un film, deux amis d'enfance trentenaires -mais pas complètement adultes- qui se définissent comme hétéros sont amenés à s'embrasser ce qui a ensuite des répercussions sur l'ensemble de leur édifice identitaire. Le fait que le film soit réalisé par une fille beaucoup plus jeune qu'eux qui se définit comme "fluide sexuellement" (une fluidité qui se manifeste également dans son langage franglais assez coloré) joue un rôle important puisque c'est elle et son frère (qui héberge la bande de potes dont font partie les deux garçons dans son chalet et oblige, sans doute malicieusement, Matthias à la suite d'un gage à jouer dans le film de sa soeur) qui déclenchent la crise. Avec plus de retenue que dans les autres films que j'ai vu de lui (personnellement pour moi c'est une qualité), Xavier Dolan fait donc l'introspection des deux garçons, surtout de Matthias (Gabriel d'Almeida Freitas), le plus hétéronormé des deux. Maxime (qu'il interprète lui-même) avec sa tache de naissance sur le visage, ses origines modestes, son boulot de barman sans éclat et sa famille dysfonctionnelle, notamment sa mère dépressive qui le rejette et le manipule (jouée une énième fois par Anne DORVAL) est d'emblée présenté comme un "freak". Tout l'enjeu pour lui est de parvenir à quitter ce nid toxique dont Matthias fait partie. En effet, celui-ci est présenté avec sa mère Francine (Micheline BERNARD) et ses copines comme la famille d'adoption de Maxime mais le fait est que Matthias vient d'un milieu bien plus aisé et a bien réussi socialement et matériellement. Il est à l'orée d'une brillante carrière d'avocat d'affaires (comme son père) et a une compagne ainsi qu'un grand appartement. Donc il a beaucoup plus à perdre que Maxime qui n'a rien construit. Cela l'entraîne dans une véritable dérive (illustrée dans une scène de traversée à la nage d'un lac qui peut faire penser par exemple aux moyens qu'utilise Maurice dans le film de James IVORY pour refouler ses ardeurs) qui l'amène à se montrer de plus en plus absent, renfermé, agressif voire odieux, notamment vis à vis de son ancien ami qui l'obsède mais qu'il tente d'éviter le plus possible, puis qu'il rejette à plusieurs reprises, y compris après une scène d'intimité physique à laquelle il met fin de manière brutale. Comme il n'en est pas à une contradiction près, Matthias tente en même temps d'empêcher Maxime de partir. C'est pourquoi la fin, très ouverte, peut se prêter à toutes sortes d'interprétations même si l'on peut y voir "un nouveau départ" pour les deux garçons et une nouvelle inspiration pour une identité masculine sclérosée.
"Entr'acte" est le deuxième film réalisé par René CLAIR mais le premier à avoir été diffusé dans le cadre du ballet "Relâche" écrit et décoré par Francis PICABIA sur une musique composée par Erik Satie pour la compagnie des Ballets suédois dirigée par Rolf de Maré et dont le chorégraphe était Jean Börlin. La première eut lieu en décembre 1924 au Théâtre des Champs-Elysées et le film de René Clair en faisait l'ouverture ainsi que comme son titre l'indique, l'entracte entre les deux actes du ballet.
Le film est à l'image du ballet, une "folie burlesque habitée par l'esprit dadaïste". Ballet est d'ailleurs un mot impropre tant l'état d'esprit de celui-ci était plus proche du happening potache (d'où le terme "instantanéisme" pour qualifier le courant auquel il appartenait à une époque où le monde du spectacle n'était pas aussi anglicisé). La compagnie avait d'ailleurs représenté en 1921 la pièce de Jean COCTEAU, "Les Mariés de la tour Eiffel" écrite pour eux. Quand on connaît la fascination que René Clair avait pour ce monument, on peut dire qu'il était prédestiné à travailler pour les Ballets suédois.
Entr'acte est un film indispensable pour comprendre l'oeuvre de René Clair, surtout à ses débuts, sa fascination pour le mouvement et la géométrie en particulier. Il s'agit d'un film surréaliste plein de trucages (ralentis, accélérés, surimpressions) qui établit des associations d'images n'ayant a priori aucun rapport entre elles sinon la géométrie (un échiquier et la place de la Concorde par exemple) ou un élément (de l'eau tombe sur ce même échiquier et un bateau en papier se met à naviguer sur les toits de Paris dans les plans suivants). Parfois on est même dans l'illustration de la phrase culte des surréalistes "beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie" avec l'exemple du corbillard traîné par un chameau de cirque ou de la danseuse barbue ou encore des allumettes et de la chevelure. Néanmoins si l'affiliation de ce film à l'avant-garde est indéniable (outre Picabia et Satie qui font des bonds au ralenti autour d'un canon, les joueurs d'échecs ne sont autre que Man RAY et Marcel Duchamp), on y trouve comme dans "Paris qui dort" (1925) un hommage appuyé au cinéma de Georges MÉLIÈS, l'un des maîtres de René Clair: une scène d'escamotage dans la plus pure tradition du théâtre Robert Houdin, des ballons d'hélium représentant des têtes qui gonflent et se dégonflent comme dans "L Homme à la tête de caoutchouc" (1901) ou encore un final qui fait allusion à "Les Affiches en goguette" (1906).
"Paris qui dort" est le premier film réalisé par René CLAIR même s'il n'est sorti faute de distributeur qu'après la diffusion de "Entr acte" (1924) au Théâtre des Champs-Elysées. Les deux films sont de toutes façons aujourd'hui réunis sur un même DVD ce qui est logique car ils ont de profondes affinités. Par ailleurs, les copies originales de "Paris qui dort" (il y aurait eu deux versions du film circulant conjointement, l'une française et l'autre anglaise) ayant été perdues, le DVD propose deux restitutions différentes. La plus réussie selon moi est la plus récente, celle de 2018 réalisée par la fondation Jérôme Seydoux-Pathé à partir de la copie anglaise du film conservée au British Film Institute. Il s'agit d'une version teintée qui offre des images d'une précision incomparable par rapport à l'autre version (dans laquelle les monuments semblent réduits à des silhouettes prises à contre-jour) et surtout qui ajoute des plans inédits (dont je vais reparler) sur la fin insufflant une puissance fantastique, poétique et cinématographique au métrage bien moins présente dans l'autre version.
"Paris qui dort" comme "Entr'acte" témoigne des deux sources d'inspiration majeures du cinéaste à ses débuts: l'avant-garde expérimentale et surréaliste (dans la lignée d'un Jean EPSTEIN par exemple) et le cinéma primitif, celui de Georges MÉLIÈS en particulier, les deux courants ayant l'onirisme pour trait commun. Un oeil dans le rétroviseur et l'autre tourné vers l'avenir en quelque sorte (ce qui s'accorde bien avec son pseudonyme "clairvoyant", son véritable nom étant René Chomette). S'y ajoute dans "Paris qui dort" une fascination pour la tour Eiffel et sa dentelle de métal aux formes géométriques que l'on retrouve dans son court-métrage ultérieur "La Tour" (1928) (que l'on peut voir en bonus sur le DVD ou gratuitement sur la plateforme de streaming de la Cinémathèque HENRI).
"Paris qui dort" n'est pas un film parfait (il y a quelques longueurs au milieu du film en dépit de sa courte durée), néanmoins c'est un film incontournable pour tous les amoureux du cinéma. Le début et la fin (grâce aux plans rajoutés dans la restauration la plus récente) sont d'une immense poésie rétrofuturiste. On y voit le gardien de la tour Eiffel qui en descendant de son perchoir découvre que toute la ville a été mystérieusement pétrifiée à 3h25 du matin. Le sous-titre du film "Le Rayon diabolique" nous laisse deviner par quoi et de fait, ce fameux rayon s'actionne dans un dispositif qui fait penser à celui de "Metropolis" (1927), film rétrofuturiste qui lui est contemporain. On a donc une assez saisissante définition visuelle de ce qu'est le cinéma: un art du mouvement dans l'espace et le temps qui est aussi l'enfermement dans un cadre et la suspension du temps. Le cinéma fabrique de l'éternité en capturant l'instant comme le fait la photographie mais recréé l'illusion du mouvement naturel ce que dissipe René Clair en créant des arrêts sur image à volonté à l'intérieur de son film ou bien au contraire en accélérant leur défilement. Très loin de l'image méprisante que plus tard la nouvelle vague a donné de lui (le fameux "cinéma de papa" destiné aux "vieilles dames" pour reprendre des expressions de François TRUFFAUT), René CLAIR s'avère avoir été un esprit pionnier et un poète de l'image aux visions pas si éloignées de celles d'un Terry GILLIAM (l'influence du rétrofuturisme et de Georges MÉLIÈS est très forte dans leurs deux univers).
Dans la mémoire collective, "Charlotte" peut renvoyer à Charlotte Corday, la militante révolutionnaire pro-Girondins qui a assassiné Marat ou bien éventuellement à Charlotte Delbo, résistante rescapée du camp d'Auschwitz et de Ravensbrück. En aucun cas à Charlotte Salomon qui n'est connue que des seuls milieux artistiques spécialisés. Comme Alice GUY, elle a été effacée de l'histoire alors qu'elle a été une pionnière en son domaine: le roman graphique ou plus exactement l'autobiographie graphique dont une descendante directe pourrait être Marjane SATRAPI. Entre 1941 et 1943, pressentant qu'il lui restait peu de temps à vivre, elle a peint et réuni plus de 700 gouaches narrant sa vie sous le titre "Vie? Ou théâtre?" avant de les confier à un ami peu de temps avant d'être déportée à Auschwitz où elle est gazée à son arrivée à l'âge de 26 ans. Mais le pressentiment de Charlotte Salomon quant à la proximité de sa mort n'était pas tant lié à la Shoah qu'à une lourde problématique familiale. Son geste créateur fut sans doute une réaction à la révélation par son grand-père en 1940 suite au suicide de son épouse (la grand-mère de Charlotte) du fait que ses deux filles (la mère et la tante de Charlotte portant le même prénom) s'étaient également suicidées ainsi que d'autres femmes de la lignée maternelle. Hantée par la crainte de sombrer également dans la folie suicidaire, Charlotte pensa que s'adonner à son art pourrait la maintenir à flot. D'autres éléments semblent montrer un climat malsain voire incestueux autour de Charlotte. D'abord sa relation toxique avec son grand-père, un odieux tyran ne supportant pas qu'elle regarde d'autres hommes, la réduisant au rôle de boniche (à son service personnel) et la maltraitant jusqu'à la pousser à utiliser du poison (une scène à suspense puisque on ne sait pas durant plusieurs minutes à qui elle va l'administrer). Ensuite sa propension à former des triangles amoureux avec des hommes ayant une liaison (plus ou moins secrète) avec une de ses bienfaitrices-mère de substitution: d'abord sa belle-mère cantatrice, Paula puis sa mécène, l'américaine Ottilie Moore. Tout cela semble avoir joué un rôle bien plus important que le nazisme, dont elle a évidemment beaucoup souffert mais auquel elle aurait pu échapper de par ses origines aisées et un réseau important lui ayant offert sa protection et la possibilité d'émigrer. Mais son refus de quitter Nice (où elle avait rejoint ses grands-parents depuis Berlin au début de la guerre) pour les USA ainsi que le fait d'aller se déclarer aux autorités après que les nazis aient pris le contrôle de l'Italie en 1943* laisse penser qu'elle aurait agi de façon suicidaire comme le fait le personnage joué par Ludivine SAGNIER dans "Un secret" (2007) lorsqu'elle montre ses papiers tamponnés avec la mention juif.
Une personnalité et une oeuvre (conservée au musée juif d'Amsterdam) passionnantes donc mais l'adaptation, très fonctionnelle, ne se hisse pas à la hauteur de son sujet. Le fait que des voix célèbres doublent les personnages n'apporte pas de plus-value (du moins en VF), l'animation est conventionnelle (sauf quand on se plonge dans les oeuvres de la jeune artiste mais il aurait fallu le faire en permanence!), la mise en scène est sans relief. Cela s'explique sans doute par le fait qu'il s'agit d'une production internationale (avec pour producteurs exécutifs Xavier DOLAN, Keira KNIGHTLEY et Marion COTILLARD, les deux dernières doublant Charlotte dans la version en VO et en VF) dans laquelle les réalisateurs et scénaristes (qui d'ailleurs ont été pour la majorité changés entre le projet initial et sa réalisation) ne semblent être que des exécutants. C'est dommage.
* Jusqu'en 1943, Nice est un refuge sûr pour les juifs car la région est occupée par l'Italie de Mussolini. Mais sa chute précipite l'occupation de la péninsule par les allemands qui déportent alors les juifs qui s'y trouvent, incluant ceux du comté de Nice (comme Simone Veil, déportée en 1944).
Pain, tulipes et comédie" est un récit d'émancipation qui m'a fait penser (les couleurs pop en plus) à un film français bien postérieur "Lulu femme nue" (2013). Dans les deux cas, les personnages principaux sont des femmes au foyer d'une quarantaine d'années opprimées par le patriarcat qui peu à peu se libèrent de leur mari goujat (et plus largement des injonctions sociales liées à la bonne épouse-bonne mère) en multipliant les actes manqués. Lulu ratait son train et perdait son alliance. Rosalba rate son car de tourisme, son train, fait tomber des objets dans les WC et casse un bibelot. Par conséquent ces femmes désormais sans foyer passent un moment de transition à l'hôtel et font de nouvelles rencontres avant de se créer un nouveau foyer bohème temporaire qui répond mieux à leurs aspirations. Dans le cas de Lulu il s'agissait d'une caravane. Dans celui de Rosalba (Licia MAGLIETTA) qui sur une impulsion soudaine fait une virée à Venise (la ville du cliché romantique où elle n'est jamais allé, tout un symbole), c'est une pièce dans un logement occupé par Fernando (Bruno GANZ) qu'elle a rencontré dans un restaurant où il faisait le service. Rosalba se trouve également rapidement un travail en tant qu'assistante d'un fleuriste anar, se lie d'amitié avec Grazia (Marina MASSIRONI), une masseuse holistique (!) et sort du placard un accordéon qui s'accorde avec la personnalité de Fernando, lequel n'a pas seulement des talents de cuisinier mais aussi de chanteur. Mais avant de pouvoir s'exprimer, il doit lui aussi se libérer des boulets qu'il a au pied. Léger et pétillant, le film est extrêmement plaisant à regarder en dépit d'une fin très prévisible. Les seconds rôles très proches de la bouffonnerie apportent leur lot d'humour*. Le film s'avère émouvant aussi quand on le regarde aujourd'hui. Car pour rendre hommage à cet acteur hors-normes qu'était Bruno Ganz**, sa tombe a été fleurie avec des centaines de tulipes comme on peut le voir dans le documentaire "Bruno Ganz, les Révolutions d'un Comédien" (2021).
* Le titre français se réfère également à la culture italienne, plus exactement à des comédies antérieures "Pain, amour et fantaisie" (1953) et "Pain, amour et jalousie" (1954).
** Bruno Ganz était polyglotte (il parlait couramment cinq langues) notamment en raison de ses origines: un père allemand, une mère italienne et une enfance en Suisse. Mais sa manière de parler l'italien, comme le français était plus littéraire que naturelle. Aussi le scénario en fait un... islandais!
Film-culte que j'ai découvert (comme beaucoup) grâce à son remake musical des années 80 réalisé par Frank OZ. On voit tout de suite que c'est une production fauchée transcendée par son état d'esprit déjanté et sans limites (vis à vis du bon goût notamment). J'ai pensé aux films des Monty Python ou plus récemment à "Le Daim" (2019) ou encore à " Coupez !" (2021). Le film de Roger CORMAN est en effet un agrégat de contraintes liées au caractère cheap et bricolé du film (tournage dans le décor de studio recyclé d'une production préexistante avant qu'il ne soit détruit et donc dans l'urgence, ajout de scènes extérieures réalisées avec tout ce qui tombait sous la main). Cependant, si les limites techniques sont évidentes, elles sont compensées par un scénario malin et une mise en scène maîtrisée (quoique foutraque en apparence). Le film est une petite mécanique d'horlogerie fondée sur le comique de répétition et d'accumulation ainsi que sur un ballet de personnages plus loufoques les uns que les autres. De plus, le potentiel comique des personnages est mis en valeur par un certain art du contraste qui accentue l'humour noir du film: le mangeur de fleurs et la plante carnivore (en réalité un monstroplante ^^ moins proche de "Jayce et les Conquérants de la Lumière" (1985) que de "Alien, le huitième passager" (1979) mais en carton-pâte et animé de façon très basique), le dentiste sadique et son patient masochiste (Jack NICHOLSON alors tout jeune s'en donne à coeur joie dans un rôle qui sera ensuite repris tout aussi génialement par Bill MURRAY dans le remake), l'employé naïf et maladroit qui devient assassin presque malgré lui (Jonathan HAZE, un habitué des films de Corman tout comme Mel WELLES et Dick MILLER, le Murray Futterman de "Gremlins" (1984) qui partage avec le film de Corman l'idée d'une créature inoffensive qui devient monstrueuse) ou encore des personnages qui prennent avec une légèreté déstabilisante la mort de leurs proches.
"The Shock" ("La Terre a tremblé" en VF) est un mélodrame christique dans la plus pure tradition des évangiles. Plus exactement il s'agit d'une version contemporaine de la guérison à la piscine de Béthesda telle qu'elle est racontée dans l'Evangile selon Saint-Jean. "Lève-toi et marche!" aurait dit Jésus à un paralytique. Bien entendu, en échange du miracle, Jésus sauve/achète l'âme de l'infirme en lui faisant jurer de ne plus jamais pécher. La culture religieuse américaine fondée sur la Bible transpose cette histoire à l'époque du film, c'est à dire au début des années 20. Le péché est symbolisé par le quartier de Chinatown de San Francisco (celui-là même dans lequel sera tourné le film de Roman POLANSKI au titre éponyme), plus précisément par le "Mandarin café" tenu par une certaine "Queen Ann" (Christine MAYO, diabolique à souhait). Son homme de main est le fameux paralytique de la parabole des Evangiles. Et l'acteur prédisposé à ce type de rôles est bien évidemment Lon CHANEY qui avait déjà impressionné la pellicule avec le cul-de-jatte de "Satan" (1920) qui lui avait causé d'immenses souffrances (faute d'effets spéciaux, il jouait avec les membres inférieurs repliés ce qui les a traumatisés). Même si dans "The Shock", il a "seulement" un pied tordu et marche avec des béquilles ou est sur un fauteuil roulant, il est toujours d'une troublante crédibilité. Et il en va de même sur le plan psychologique. Car si l'on suit la parabole biblique, ses péchés sont rachetés en échange de sa guérison. Dans le film, Jésus s'incarne dans la figure d'une jeune fille pieuse, Gertrude (Virginia VALLI) dont il tombe amoureux. Cependant, non seulement la belle n'est pas libre mais elle est menacée par Queen Ann (qui a un vieux compte à régler avec son père) ce qui pousse logiquement Wilse (le personnage joué par Lon Chaney) jusqu'au sacrifice. En matière d'intensité émotionnelle se reflétant sur les expressions du visage, Lon Chaney "envoie du bois" mais il n'aurait pas pu soulever les montagnes s'il n'avait pas été aidé par un deus ex machina spectaculaire qui donne son titre au film en VF. Et comme entretemps Gertrude a goûté temporairement à la condition d'infirme et a découvert la lâcheté de son prétendant, disons qu'au final Wilse, transfiguré par sa rencontre avec le Christ rédempteur a toutes ses chances.
Dans le cadre de sa programmation consacrée au cinéma taïwanais en octobre, MK2 propose en salle et sur sa plateforme de streaming, MK2 Curiosity des films inédits en France dont "Missing Johnny", le premier film de Xi Huang qui a longtemps travaillé aux côtés de HOU Hsiao-Hsien, ce dernier ayant contribué à produire le film.
Bien que cela ne soit pas précisé, je pense que cette mise en avant du cinéma taïwanais par la plateforme alors que la menace géopolitique d'invasion de l'île par la Chine continentale se fait de plus en plus précise n'est pas un hasard d'autant que le congrès du Parti communiste chinois vient de donner un troisième mandat à Xi Jinping, partisan d'une ligne dure qui semble plus puissant que jamais. La plateforme de la Cinémathèque a créé une rubrique consacrée au cinéma ukrainien qui va dans le même sens, rappelant que la culture est un pilier du soft power à l'heure où les autocraties gagnent du terrain au détriment des démocraties.
"Missing Johnny" est avant tout un film d'atmosphère qui filme les pulsations de la capitale de Taïwan, Taipei qui comme toutes les grandes métropoles mondialisées possède sa Skyline (ou à défaut un CBD) et ne dort jamais. Le film suit trois personnages cohabitant dans le même environnement: deux vivent dans le même immeuble, le troisième y travaille. Chacun d'eux vit dans sa bulle. Hsu élève un couple de perroquets dans son appartement, Lee est autiste et accumule des piles de journaux dans sa chambre, Feng semble passer sa vie dans sa voiture. Sauf que l'un des perroquets de Hsu s'envole, que Lee disparaît durant des heures et que la voiture de Feng ne cesse de tomber en panne ce qui a pour conséquence de créer des interactions entre eux. Si l'intrigue reste tout de même très ténue (il ne se passe pas grand-chose en dehors du fait que l'on découvre la situation personnelle compliquée de Hsu au cours du film qui incarne la diaspora chinoise), les images de la ville sont absolument magnifiques: chaque plan semble construit comme un tableau animé, souvent de belles couleurs vives. Sur le plan esthétique, le film est un enchantement.
Voilà un documentaire exceptionnel dont la portée va bien au-delà du sujet. 40 ans après le suicide de Patrick DEWAERE à l'âge de 35 ans, sa fille Lola DEWAERE a mené une enquête salutaire dans sa propre famille pour faire toute la lumière sur l'histoire de son père, pouvoir enfin mettre des mots sur la souffrance et le malaise que beaucoup de gens pouvaient ressentir quand ils le voyaient jouer ou plutôt mettre toute son âme dans ses rôles. Son besoin de vérité, sa pugnacité et sa franchise rendent justice à ce père qu'elle n'a pas eu le temps de connaître et à qui elle en a longtemps voulu de l'avoir abandonnée. En se délivrant du poids des secrets que sa grand-mère (la mère de Patrick DEWAERE) avait si bien cachés mais qu'elle a réussi à lui faire avouer, elle fait éclater pas mal d'hypocrisies. J'ai pensé à la phrase prononcée par l'actrice Corinne MASIERO "il y a deux mots que je déteste, c'est amour et famille" car comment ne pas les haïr quand ils ne sont que mensonges? On est ainsi saisi d'un profond malaise quand on voit dans des images d'archives la mère de Patrick DEWAERE afficher fièrement sa tribu d'apprentis-comédiens devant la caméra en proclamant combien elle aime ses enfants alors que les faits prouvent exactement le contraire, tout particulièrement en ce qui concerne Patrick DEWAERE a qui elle a menti sur ses origines, qu'elle a exploité (même après sa mort) et surtout livré en pâture à un beau-père pédophile (qu'elle a en plus fait passer pour son père). Une fois qu'on a digéré ces informations relatives à l'enfance et admis la réalité de la maltraitance au sein de familles que la norme sociale juge modèle (mais il y a de nombreux domaines dans lesquels il y a un gouffre entre le jugement social et la réalité), tout le reste devient limpide, à commencer par les interprétations si habitées mais aussi si torturées de Patrick DEWAERE, parfois à la limite du soutenable (comme dans "Série noire" (1979) ou "Un mauvais fils") (1980). Le documentaire revient sur ses 10 plus grands films et offre le témoignage d'acteurs et de réalisateurs l'ayant bien connu et fréquenté de façon saine (j'ai découvert à cette occasion des aspects méconnus de Francis HUSTER et de Jean-Jacques ANNAUD). Car l'histoire de Patrick DEWAERE jette aussi un trouble sur d'autres personnalités avec lesquelles il semble avoir rejoué une partie de son enfance: Gérard DEPARDIEU le pseudo-frère et redoutable concurrent, MIOU-MIOU, la mère de sa première fille qui l'a largué pour Julien CLERC -même si on se doute qu'il devait être impossible à vivre- et COLUCHE qui a dû porter avant sa mort prématurée à lui aussi le poids de l'avoir trahi et de lui avoir donné l'arme avec laquelle il a mis fin à ses jours.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.