Je n'avais jamais vu "Les sept mercenaires", contrairement au film original, "Les 7 samourais" (1954) de Akira KUROSAWA, grand pourvoyeur de scénarios de blockbusters américains malgré lui*. J'ai trouvé le film historiquement instructif, car Eli WALLACH, Charles BRONSON et James COBURN s'illustreront quelques années plus tard dans les westerns novateurs de Sergio LEONE** qui les feront tous trois passer à la postérité. Cela fait d'autant plus ressortir les conventions du film de John STURGES, non réaliste au possible. Beaucoup ont ironisé sur les invraisemblances du scénario, notamment le fait que le chef des brigands raccompagne gentiment les mercenaires jusqu'à la sortie du village où il leur rend leurs armes, mais on peut en dire autant des trois enfants mexicains qui accompagnent Bernardo (le personnage de Charles BRONSON) sur les lieux des fusillades sans récolter une seule égratignure ou encore de la grotesque infiltration de Chico (d'autant que l'acteur, Horst BUCHHOLZ brille plus pour sa belle gueule que pour sa finesse de jeu) dans le camp des bandits qui finissent par ne plus être pris au sérieux. Cette théâtralisation outrancière des enjeux est complètement assumée ce que souligne également le choix de parer les villageois de vêtements d'un blanc éclatant en plein Far West, sans parler des ponchos pimpants, des barbes bien taillées ou des visages imberbes à des années lumières de la crasse et de la sueur des trognes des films de Sergio LEONE.
"Les sept mercenaires", est donc un film efficace, qui bénéficie d'un casting de haut vol (en plus des trois futurs acteurs "léoniens", les deux chefs de bande joués par Yul BRYNNER et Steve McQUEEN sont fort charismatiques) et d'une musique accrocheuse mais dont le résultat est plutôt lisse et convenu. S'y ébauche une réflexion existentielle intéressante sur le statut du "poor lonesome cowboy" sans racines ni attaches mais la réponse apportée à la fin du film est également on ne peut plus conventionnelle (se fixer, se marier etc.)
* Pour rappel, Georges LUCAS a avoué s'être fortement inspiré de "La Forteresse cachee" (1958) pour l'épisode IV de sa saga intergalactique.
** Dont le premier western, "Pour une poignee de dollars" (1964) est lui-même inspiré d'un film de Akira KUROSAWA, "Yojimbo" (1960).
Bien que le livre de David Grann, "La Note américaine" ne puisse pas totalement, faute d'archives, documenter la totalité des faits relatifs aux meurtres des Osage dans l'entre-deux-guerres parallèlement à la naissance du FBI, son enquête exhume un pan sordide du passé des USA. Rien que le choix de porter à l'écran un tel livre montre s'il en était encore besoin l'engagement de Martin SCORSESE d'écrire cinématographiquement une autre histoire de l'Amérique que celle, officielle des vainqueurs.
"Killers of the flower moon" est pourtant quelque peu différent d'autres grandes fresques de sa filmographie. Son traitement est classique, voire académique (mais certainement pas télévisuel comme j'ai pu le lire, rien que par sa durée, il n'entrerait pas dans la case du téléfilm!) et c'est à l'évidence un choix délibéré. Il faut donc chercher autre part les audaces stylistiques auxquelles le réalisateur nous a habituées, audaces mises au service de l'histoire. Encore que la petite musique ironique de la fin qui tourne en dérision le verdict du procès n'est pas sans rappeler la première bataille de "Gangs of New York" (2002) transformée en pugilat grotesque. Il y a d'abord le choix du personnage principal, Ernest Burkhart (Leonardo DiCAPRIO) qui est tout à fait atypique. L'acteur ne devait pas à l'origine incarner ce personnage mais plutôt l'enquêteur du FBI (un rôle purement fonctionnel) et il a bien fait de changer de rôle. Car cet Ernest est pour le moins dérangeant en tant que figure majeure du déni. Il incarne une Amérique que celle-ci ne veut pas voir et lui-même d'ailleurs refuse de se voir tel qu'il est et ce, jusqu'à la fin du film. Il se dépeint comme un américain type, bon mari et bon père dont les actions ont été guidées par le souci de protéger sa famille. Son pire aveuglement concerne sa femme qu'il croit sincèrement aimer alors que ses actes visent à la détruire, elle et sa famille. Car en réalité, il est guidé par sa cupidité et sa soumission à son oncle, William Hale (Robert De NIRO) qui est le cerveau du complot visant à éliminer les Osage pour prendre leurs richesses. Car le deuxième choix fort du film réside dans la centralité de ce personnage de grand manipulateur au sourire affable et dans la description du système mafieux et meurtrier qu'il a mis en place, rendu possible par l'écoeurante mise sous tutelle du peuple Osage, victime des préjugés racistes des dirigeants des USA. Si la justice fédérale n'en était qu'à ses balbutiements, en revanche pour envoyer des administrateurs gérer l'argent et les biens de ce peuple indien déplacé qui découvre que dans la réserve qu'on leur a attribuée l'or noir coule à flots, le gouvernement n'a pas perdu de temps. Comme dans "La Perle" de John Steinbeck, la richesse des Osage est en même temps une malédiction qui attire sur eux la convoitise et la haine dans un système dominé par les blancs et où les dés sont donc pipés dès le départ. Ceci étant, c'est parce qu'ils sont riches que les Osage peuvent tout de même agir jusqu'au sommet de l'Etat et qu'une enquête finit par voir le jour. Enquête qui révèle le plan diabolique de William Hale, comparable à celui de Mme de Villefort dans "Le Comte de Monte-Cristo" qui empoisonne un à un les membres de sa famille par alliance pour que l'héritage finisse entre les mains de son clan. Enfin, le troisième choix fort s'appelle Lily GLADSTONE. Le secret le mieux gardé du cinéma de Kelly REICHARDT a tapé dans l'oeil de Martin SCORSESE qui lui confie le rôle de Mollie, l'épouse d'Ernest qui voit mourir un par un les membres de sa famille avant d'être empoisonnée à petit feu. Le fait que les Oscar aient boudé le film et raté une occasion historique de couronner une actrice d'origine indigène est révélateur du déplaisir que celui-ci suscite et donc, que Martin SCORSESE a visé juste.
J'avoue avoir eu beaucoup de mal à entrer dans cet ovni dont j'ai trouvé le début lourd et démonstratif dans sa critique du western classique et des valeurs qui l'accompagnent. La pendaison de Sandy (Hunter von LEER) qui soulève le problème de l'auto-justice et du lynchage durant la conquête de l'ouest par les "barons du bétail" donne lieu à une critique qui est traitée avec la finesse d'un pachyderme. A l'inverse, l'indulgence envers les voleurs de chevaux, dépeints comme une sympathique bande de gosses immatures et turbulents apparaît simpliste pour ne pas dire simplette, dans la lignée de "Pat Garrett et Billy le Kid" (1973), autre film des années 70 renversant les rôles entre shérif-flic et hors la loi-hippies. De toutes manières, le cadre "western" est malmené par le "rentre-dedans" très moderne de la fille du propriétaire (Kathleen LLOYD) en pleine rébellion vis à vis du paternel sur la personne du chef des hors-la-loi (Jack NICHOLSON). Et encore plus par un "régulateur" (entendez par là un "exterminateur") joué par un Marlon BRANDO en roue libre qui semble sous LSD avoir inventé le rôle du Joker de Heath LEDGER et de bon nombre de psychopathes sadiques jouant les divas par exemple chez David LYNCH! Néanmoins à la longue, le film de Arthur PENN finit par faire mouche, grâce principalement au personnage de Tom Logan, joué par un Jack NICHOLSON étonnamment sobre voire introverti. Peut-être que face à la performance monstrueuse de Marlon BRANDO devenu incontrôlable sur le tournage, a-t-il choisi de prendre le contrepied, en tout cas c'est en grande partie son personnage qui empêche le film de sombrer dans le grand-guignol parodique. En achetant un ranch et en cultivant un potager jouxtant la propriété du "baron", même sous prétexte d'offrir une couverture au trafic de la bande, il se prend au jeu et offre un modèle alternatif au capitalisme prédateur tout en se séparant de ses amis sans avenir, bien qu'il ait été inspiré par le plus mature de la bande, Calvin (joué par Harry Dean STANTON, encore une préfiguration du cinéma de David LYNCH!)
Après avoir vu le film grâce à Arte, je trouve décidément l'original 100 fois (!) meilleur que la copie propre, intellectualisée mais sans âme qu'ont réalisé les frères Joel COEN et Ethan COEN. Je sais qu'ils prétendent s'être inspiré du roman et non du film et qu'une partie de la critique les a encensés pour cela entre autre mais je campe sur mes positions car les deux versions se ressemblent trop pour que cela soit simplement dû à leur source commune. J'en veux pour preuve le clin d'oeil du bandeau ou le passage où Mattie Ross sort de la rivière miraculeusement sèche qui devient sans doute une allusion ironique chez les Coen sauf qu'en fait, on accepte les invraisemblances de ce genre si le film sonne juste par ailleurs et est incarné. La différence pour moi se loge en effet dans les détails et entre les lignes, dans la relation qui se construit entre Rooster Cogburn et Mattie Ross avec le personnage de Leboeuf en intermédiaire. Contrairement à la Mattie des Coen réduite à son rôle de vengeresse désincarnée, celle de Henry HATHAWAY n'a pas abdiqué son humanité si bien que derrière sa quête revendiquée de vengeance s'en cache une autre, implicite qui est la recherche d'un père de substitution (ce qui d'ailleurs entraîne un fin bien différente de celle, glaciale, des Coen). Ca tombe bien, Rooster Cogburn a échoué à en construire une et en particulier à créer un lien avec son fils. Il a donc droit à une seconde chance avec un "garçon manqué". On sourit d'autant mieux devant ses accès de jalousie quand Mattie se détourne trop du "coq" (rooster en VO) pour regarder d'un peu trop près "le boeuf" envers qui elle manifeste une tendresse évidente. Là-dessus John WAYNE nous régale avec une composition pleine de saveur en shérif revenu de tout, borgne, bedonnant et porté sur la bouteille et la gâchette. L'Oscar qu'il a reçu était mérité mais il s'agissait surtout de le couronner pour l'ensemble de sa carrière avant qu'il ne soit trop tard. Comme Ennio MORRICONE dans le domaine de la composition musicale couronné seulement en 2016 à 88 ans, il a payé cher son étiquette d'acteur de films de divertissement alors que plusieurs de ses compositions antérieures auraient dues être récompensées, dans le registre dramatique (comme "La Riviere rouge" (1946) ou "La Prisonniere du desert") (1956) ou dans le registre de la comédie ("Rio Bravo") (1959).
Enfin pour l'anecdote, le film fait jouer dans de petits rôles deux acteurs d'avenir dans le nouvel Hollywood, Robert DUVALL et Dennis HOPPER.
La Malédiction d'Arkham est la sixième des huit adaptations de Edgar Allan Poe par Roger CORMAN. En réalité, le film s'inspire de deux oeuvres. "The Haunted Palace", un poème de Poe qui donne son titre au film en VO et est cité rapidement à deux reprises. Mais surtout, "L'Affaire Charles Dexter Ward", un court roman (ou une longue nouvelle) de Lovecraft qui a guidé l'écriture du scénario et qui a inspiré le titre en français. Arkham est une ville imaginaire du Massachussets créée par Lovecraft et reliée au mythe de Cthulhu, des entités cosmiques monstrueuses cherchant à rétablir leur domination sur la terre. Un univers trop ésotérique pour une production souhaitant attirer un large panel de spectateurs. On a donc un film d'horreur gothique de série B ne déparant pas avec les autres films de la série dans lequel un châtelain est possédé par son ancêtre désireux de se venger des villageois qui l'ont brûlé à la fin du XVIII° siècle pour avoir pratiqué la magie noire. Une magie se rattachant toutefois à Lovecraft puisque l'obsession du mage consiste à créer une race hybride en jetant des mortelles en pâture à l'une des créatures extra-terrestres enfermé dans sa crypte. Tous deux sont joués par Vincent PRICE et de même, les villageois et leurs descendants sont interprétés par les mêmes acteurs. La fracture n'est donc pas temporelle mais géographique: d'un côté le château hanté et son cimetière dans la plus pure tradition gothique anglo-saxonne et de l'autre le village, davantage dans le style western propre à l'imaginaire américain. On se dit que Tim BURTON y a puisé sans doute une certaine inspiration pour "Edward aux mains d'argent" (1990) d'autant que Vincent PRICE y joue également le rôle d'un sorcier. Quant à la scène où des villageois difformes entourent les protagonistes, elle n'est pas sans rappeler "Thriller" avec la voix de ce même Vincent PRICE. Notons également que si la production reste à petit budget, elle bénéficie d'une esthétique plus soignée que d'ordinaire, c'est à dire moins carton-pâte ainsi que d'une musique prenante. Cela compense le caractère hybride et donc bancal du scénario.
Un classique du western dont l'intérêt repose sur l'amitié virile entre le shérif incorruptible Wyatt Earp (Burt LANCASTER) et l'ex-dentiste devenu chasseur de primes Doc Holliday (Kirk DOUGLAS). Tiré de faits réels plusieurs fois racontés au cinéma, le duel l'ayant opposé avec ses frères et Doc Holliday aux Clanton est depuis entré dans la légende. En témoigne la popularité de l'expression "règlements de comptes à O.K. Corral" ou la célébrité des noms de lieux (la ville de Tombstone en Arizona devenue un lieu touristique pour nostalgiques de l'univers western, le cimetière de Boot Hill associé aujourd'hui à celui qui se trouve à Disneyland dans son "Frontierland"). La célèbre chanson du film, interprétée par Frankie LAINE a contribué à donner au film son lyrisme au détriment de la réalité historique (car la fusillade ne s'est pas déroulée dans un enclos mais dans la rue). Si le personnage de Earp est assez lisse, celui, autodestructeur de Holliday est plus intéressant, notamment dans sa relation compliquée avec Kate (Jo Van FLEET) qui l'accuse non sans raison de lui préférer Wyatt Earp. Pour tenter de lever les ambiguïtés, le scénario flanque dans les pattes de Earp une joueuse de poker (Rhonda FLEMING) certes bien mise en valeur mais qui une fois l'hétérosexualité du shérif démontrée disparaît de l'image. On aperçoit aussi Dennis HOPPER dans un rôle secondaire où il est sous-exploité malgré un charisme assez évident. Et que dire de Lee VAN CLEEF qui n'apparaît que quelques minutes au début du film mais marque les esprits! Bref on est typiquement dans une oeuvre maîtrisée où ont convergé nombre de talents mais bridée par les conventions de l'époque. Les fans de western aimeront, les autres risqueront de rester sur leur faim.
"El Perdido" est un western atypique, y compris dans la carrière de Robert ALDRICH. Scénarisé par Dalton TRUMBO et co-produit par Kirk DOUGLAS qui tient l'un des rôles principaux, le film a les apparences d'un western classique avec des thèmes archi-rebattus comme celui du convoyage de troupeau, du duel ou de la chasse à l'homme. Cependant, il s'en écarte en prenant l'allure d'une tragédie antique doublée d'un mélodrame flamboyant à la Douglas SIRK. Le fatum poursuit O'Malley (Kirk DOUGLAS), "lonesome cowboy" perdu dans le désert dont les efforts pour effacer ses erreurs passées et repartir à zéro se heurtent à une impasse existentielle nourrie de son incapacité à se connaître lui-même et donc à changer. La scène avec le chien en dit long sur le fait que son instinct meurtrier reste indompté et le rejet de Belle (Dorothy MALONE) son ancien amour qu'il a délaissé mais qu'il souhaite récupérer comme si elle n'avait pas évolué et comme si elle lui appartenait est sans appel. Quant à son transfert amoureux sur la fille de Belle, Missy (Carol LYNLEY) qu'il voit comme un nouveau départ, il ne fait que précipiter la tragédie. Le fatum pèse aussi de tout son poids sur le mari alcoolique et pathétique de Belle, John (joué par un étonnant Joseph COTTEN à contre-emploi) qui espère lui aussi échapper à son passé en refaisant sa vie en Californie. Quant au "troisième homme", le shérif qui attend son heure pour coffrer O'Malley et représente donc pour lui une épée de Damoclès, il est interprété par Rock HUDSON qui n'est pas pour rien dans l'ambiance "sirkienne" du film. Plus mature et plus lisse que les deux autres hommes, il a lui aussi un passé que l'on pourrait qualifier de "traumatique" et qui ne peut s'effacer que par le sacrifice de O'Malley. On le voit dans cette description, les personnages masculins du film sont moins des héros que des anti-héros et les seconds couteaux sont soit des mexicains qui servent de choeur, soit de sombres crapules qui se font impitoyablement corriger (dont Jack ELAM, future inoubliable trogne de l'ouverture de "Il était une fois dans l'Ouest") (1968). Par conséquent les femmes occupent une place plus importante que d'ordinaire dans les westerns et j'aime beaucoup la scène de la tempête de poussière qui symbolise le brouillage des repères. Le personnage de Belle est particulièrement fouillé et moderne, incarnant une force et une lucidité qui fait défaut à la plupart des personnages masculins. Dans la scène de la tempête où une brute tente de lui prendre les rênes et de l'abuser, elle s'en défait seule. Sa fille Missy est une adolescente qui s'éveille à la féminité et à l'amour ce qu'incarne la superbe scène de la robe jaune, véritable soleil (éphémère) dans la nuit.
Au bout de quelques minutes de visionnage du film, j'ai eu l'impression de me retrouver dans un sympathique nanar. Rien n'est vraiment crédible dans le scénario qui est mal ficelé. John WAYNE déguisé en Davy Crockett s'invite tranquillement dans la calèche d'une belle jeune femme qu'il séduit d'un claquement de doigts pendant que son fiancé officiel tourne le dos. Ladite jeune femme s'avérant être une sérieuse candidate au rôle de la meilleure potiche de l'année 1949. Là-dessus débarque le faire-valoir de Davy Crockett qui n'est autre que Oliver HARDY lui aussi déguisé en trappeur dont les gags sont si laborieux qu'on ne rit presque jamais. Leur régiment disparaît et réapparaît à volonté selon les besoins du scénario et on ajoute plein de protagonistes, hommes et femmes qui n'ont pas assez de développement à l'écran pour que leur rôle ait de la consistance. Je conçois qu'en 1949, le public américain qui sortait de la guerre ne faisait pas le difficile et avait besoin de légèreté mais force est de constater que le film a mal vieilli. Il faut attendre la dernière demi-heure pour qu'enfin il y ait un peu d'action lorsqu'une bataille rangée oppose d'anciens généraux de Napoléon venus s'installer avec leur famille en Alabama après la défaite de Waterloo (fait historique authentique) aux notables véreux qui essayent de s'emparer de leurs terres dont le meneur n'est autre que le fiancé officiel de la jeune femme séduite par John WAYNE un peu plus tôt. C'est l'occasion d'entendre en fond sonore résonner la Marseillaise mais on a du mal à voir ce que le régiment de trappeurs du Kentucky et les frenchies ont en commun. L'argument des beaux yeux (et épaules) de Fleurette (Vera RALSTON) est à l'image du film, un peu léger. Tout à fait dispensable et même parfois disons-le, ridicule.
Enfin j'ai réussi à voir le premier western réalisé par Anthony MANN, avant son fabuleux quinté avec James STEWART ("La Porte du diable" a en effet été tourné avant "Winchester 73" (1950) mais est sorti après lui). Un acteur à l'affiche de l'autre grand western pro-indien sorti en 1950, "La Fleche brisee" (1949) de Delmer DAVES.
Avant cette date en effet, les westerns, réussis ou non étaient pour la plupart des monuments de patriotisme qui célébraient les héros américains blancs de la conquête de l'ouest face à des indiens cantonnés le plus souvent à des rôles de méchants caricaturaux. Le plus souvent car si John FORD est le réalisateur de "La Chevauchee fantastique" (1939) qui est emblématique du western patriotique, il montre déjà une toute autre image des indiens dans "Le Massacre de Fort Apache" (1947) ". Cependant ce sont bien La Fleche brisee" (1949) et "La Porte du diable" (1950) qui marquent un tournant décisif. Tous deux sont d'ailleurs cités dans le Blow up d'Arte consacré à l'histoire de la représentation des indiens au cinéma. On peut également citer "Bronco Apache" (1954) de Robert ALDRICH avec Burt LANCASTER. En effet, si le discours a changé, les indiens restent interprétés à cette époque par des blancs grimés qui s'expriment en anglais. Une concession à l'industrie hollywoodienne pour permettre sans doute l'adhésion du grand public. Peu importe. Lance Poole, le héros indien de "La Porte du diable" est interprété par Robert TAYLOR qui est absolument remarquable, donnant à son personnage beaucoup de charisme et de dignité.
"La Porte du diable" impressionne par la rigueur de son scénario, sa maîtrise formelle et son refus de toute concession. Anthony MANN applique les caractéristiques du film noir dont il est un spécialiste à son western, lui donnant dès les premières images l'allure d'une tragédie écrite d'avance en clair-obscur sans pour autant oublier la profondeur de champ nécessaire à une histoire de guerre de territoire. Alors que Lance revient de la guerre avec les honneurs et est reçu chaleureusement par ses amis dans le saloon, le coin de l'image fait apparaître la figure menaçante de celui qui sera son ennemi juré, l'avocat Coolan (Louis CALHERN qu'on associe justement à un célèbre film noir, "Quand la ville dort") (1949). Le film adopte alors une trajectoire linéaire dont il ne déviera jamais, montant progressivement en tension jusqu'au dénouement tragique mais logique. En effet, les individus quels que soit leurs sentiments personnels sont broyés par ce qui les dépasse. Non la fatalité divine mais les lois discriminatoires du gouvernement qui ne reconnaissent aucun droit aux indiens, notamment celui de posséder de la terre. Les blancs racistes comme Coolan ont donc la loi de leur côté alors que ceux qui apprécient Lance sont réduits à l'impuissance comme son avocate Orrie Masters (Paula RAYMOND) ou se retrouvent face à un dilemme impossible comme le shérif (Edgar BUCHANAN). Les tentatives d'Orrie pour aider Lance s'avèrent particulièrement pathétiques, puisqu'en appelant la cavalerie pour l'empêcher de se faire lyncher par les éleveurs elle le condamne tout aussi sûrement, n'ayant le choix qu'entre Charybde et Scylla. La délicate question de l'amour interracial, ultra-tabou aux USA est évoquée avec la même forme de lucidité désespérée. "La Porte du diable" est un réquisitoire sans appel contre le racisme institutionnel et annonce le soulèvement pour les droits civiques des minorités.
Pedro ALMODOVAR avait déjà approché le genre du western par le biais de citations: "Johnny Guitar" (1954) dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" (1988), "Duel au soleil" (1946) dans "Matador" (1986). Des choix logiques au vu de son univers coloré, mû par la loi du désir et les passions violentes. Mais c'est à un autre western que l'on pense en regardant "Strange way of life": "Le Secret de Brokeback Mountain" (2005) qui avait fait date en évoquant frontalement une romance gay entre deux cowboys contrariée par les normes sociales. Plus récemment, "The Power of the Dog" (2021), Jane CAMPION remettait ça en évoquant l'homosexualité refoulée et la virilité toxique. "Strange way of life" ressemble à un prolongement ou une variation du film de Ang LEE (Pedro ALMODOVAR avait d'ailleurs été pressenti pour le réaliser) mais avec les codes propres au western classique: étoile de shérif, pistolet, ranch, fusillade, nuages de poussière. Un univers viril bien mis en valeur pour être mieux détourné par la romance entre Jake le shérif et Silva, anciens amants qui se retrouvent 25 ans plus tard autour d'un différend concernant le fils de Silva. Un simple prétexte permettant d'aborder la vraie question du film "Mais que peuvent faire deux hommes seuls dans un ranch?" ^^. On retrouve la tonalité mélancolique voire testamentaire de l'un des derniers films d'Almodovar, "Douleur et gloire" (2019), le poids des ans se répercutant dans la fiction. Ethan HAWKE dans le rôle de Jake est particulièrement convaincant. En revanche la courte durée du film ne permet pas de donner de l'ampleur à l'histoire. On voit bien qu'il s'agit à la base d'une pièce de théâtre articulée autour du dialogue entre les deux personnages, le tout filmé comme un roman-photo. De plus, son aspect publicitaire est marqué avec des placements incessants de la marque Saint-Laurent qui produit le film. Il est donc dommage que Almodovar n'ait pas été pour une fois jusqu'au bout de son désir en réalisant son premier long-métrage en anglais.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.