C'est un film qui permet de retrouver son âme d'enfant, y compris dans ses défauts (une morale trop appuyée, des personnages caricaturaux...) Il faut dire que l'œuvre d'origine est issue d'une époque dénuée de cynisme.
Visuellement, le film ressemble à un bonbon acidulé ou à un jouet coloré: on se situe à hauteur d'enfant. Plus précisément à la hauteur des maisons de poupée et des vignettes d'un Wes Anderson que ce soit la fable animalière "Fantastic M. Fox" ou la prison et la pâtisserie du "Grand Budapest Hôtel". On pourrait y ajouter l'univers des trains à vapeur (un train jouet qui devient réalité) et de la fête foraine. Le livre pop-up fait de papier découpé en trois dimensions s'anime comme par magie alors que les gags déclenchés par Paddington convoquent l'humour et la candeur du cinéma burlesque muet des années 10 et 20 (la scène où Paddington est pris dans les engrenages évoque directement les "Temps modernes" de Chaplin).
Mais la magie de l'enfance s'exprime aussi à travers les acteurs. Hugh Grant, génial, allie charme et autodérision avec brio. Il s'amuse comme un petit fou à endosser le rôle d'un méchant excentrique qui adore se déguiser. La famille Brown n'est pas en reste. Le père (Hugh Bonneville alias le comte de "Downton Abbey") se retrouve à faire un grand écart zen entre deux trains, sa femme interprétée par Sally Hawkins (vue dans "Persuasion", téléfilm de la BBC d'après Jane Austen avant d'être recrutée par Woody Allen) joue les Sherlock Holmes en herbe alors que la grand-mère n'est autre que Julie Walters, la Molly Weasley des Harry Potter. Un autre acteur issu du casting des Harry Potter, Jim Broadbent joue le rôle de l'antiquaire, M. Gruber.
Le titre qui possède de multiples sens pourrait être traduit par "Défoncé et étourdi." C'est en effet sous l'empire de l'ivresse (bibinesque mais aussi amoureuse) que notre héros se met à jouer les funambules sur une corniche étroite située à 20 mètres du sol. Il y retrouve Mildred Davies en pleine crise de somnambulisme qui en jouant les filles de l'air provoque des frissons à chacun de ses mouvements. Tombera? Tombera pas?
Près d'un siècle après son tournage, ce film provoque toujours des palpitations et soulèvements d'estomac auprès d'un public pourtant gavé d'effets spéciaux en tous genres. Des trucages, il y a en bien sûr: la technique d’Harold Lloyd, identique dans tous les films utilisant la hauteur était de faire construire une fausse façade de quelques étages au sommet d’un building. Il faisait empiler des matelas devant la fausse façade en cas de chute. Le résultat donne le vertige. Et lui hérisse les cheveux, comme dans "Le Manoir hanté".
Même si cette séquence est le clou du film, le reste n'est pas à dédaigner et comporte de bons gags, essentiellement dus encore une fois à l'ivresse: apparitions et disparitions, cascades, jeu avec la sonnette de l'hôtel, avec une porte à miroir...
Ce court-métrage d'Harold Lloyd se distingue par son petit côté surréaliste. Il interprète l'employé d'un théâtre qui perd la boule à cause d'une actrice et commet bourde sur bourde. Par exemple il oublie d'ouvrir le rideau au moment de la représentation ou s'invite sur scène à côté de l'acteur pour lui disputer la jeune femme. Cette négation/transgression des conventions théâtrales s'accompagne de sympathiques tours de passe passe qui estompent la frontière entre le vrai et le faux: bar en trompe l'oeil, tuyau sans gaz, cage entourant un escalier fantôme prétexte à un gag illusionniste particulièrement bien millimétré, patate chaude du serpent que l'on se repasse de main en main etc. Bref le spectacle est à plusieurs niveaux et il faut admirer la virtuosité et l'inventivité des numéros.
Une fille de la ville (Barbara Pepper) qui débarque à la campagne et fait tourner la tête d'un paysan, John Sims (Tom Keene) au détriment de sa femme Mary (Karen Morley) cela fait penser au scénario de "L'Aurore" de Murnau. Sauf qu'ici la tentatrice ne met pas seulement en péril un mariage mais l'existence d'une communauté toute entière dont les membres repartent à zéro dans le contexte de la crise de 1929. Le collectif et l'individuel, la politique et l'amour sont en effet ici indissociables.
Récit typique de la Grande Dépression (on pense aux "Raisins de la colère" d'autant plus qu'il y a un acteur commun aux deux films, John Qualen mais aussi à "L'Extravagant M.Deeds" de Capra), il ne s'agit pas pour autant d'une chronique historique réaliste. On navigue plutôt entre l'utopie collectiviste et la parabole religieuse:
- Le récit est d'une part une fable humaniste qui déploie une vision du travail et de l'argent très éloignée de la doxa capitaliste. La crise rend l'individualisme tragique. C'est pourquoi la solution passe par la formation d'une collectivité. Il ne s'agit pas de socialisme car l'Etat est absent mais plutôt d'anarcho-syndicalisme c'est à dire d'une coopérative autogérée où les biens sont mis en commun et où la solidarité et l'entraide jouent un rôle essentiels.
- D'autre part le retour à la terre est raconté comme une parabole religieuse. Le titre reprend un morceau de la prière "Notre père". John Sims est un nouveau Moïse qui guide les chômeurs vers la terre promise. Il est aidé par Louie (Addison Richards) qui en fait est un truand mais dont le sacrifice permet à la communauté de survivre. C'est également le fantôme de Louie qui remet John sur le droit chemin quand il est sur le point de tout abandonner. Louie est à la fois la voix et le fils de Dieu. Cela donne de quoi réfléchir.
Tout un symbole: l'année même où mourrait Laurence Olivier dont le premier film en 1944 avait été "Henry V" sortait sur les écrans la version de Kenneth Branagh dont c'était également le premier film. Au Royaume-Uni on l'appelait déjà le nouveau Laurence Olivier en raison de sa jeune (il n'avait pas encore 30 ans en 1989) et brillante carrière théâtrale dans les adaptations de pièces de Shakespeare.
Film au départ confidentiel, réalisé avec peu de moyens, "Henry V" tapa dans l'oeil de Gérard DEPARDIEU qui partageait avec Branagh l'amour des Belles Lettres et le sens de la démesure. Il finança sa distribution en France et supervisa le doublage. C'est ainsi que Kenneth Branagh se fit connaître outre-Manche.
"Henry V" est un modèle d'adaptation réussie. Ne pouvant financièrement se permettre une reconstitution fastueuse, Branagh privilégie la stylisation afin de stimuler l'imagination à la manière de John Boorman dans "Excalibur". L'excellence de l'interprétation, le souffle épique de la musique (signée Patrick Doyle), l'atmosphère onirique créée par les plans filmés en clair-obscur, l'emphase des ralentis lors de la bataille d'Azincourt ont une puissance d'évocation dont des films plus réalistes sont privés.
La pièce de Shakespeare fait partie d'un ensemble de chroniques historiques des rois d'Angleterre participant à la construction du "roman national". Autrement dit: guerre, conquête, héroïsme, sang versé... Un programme peu excitant en soi mais outre la beauté du film c'est une passionnante réflexion sur la responsabilité que donne le pouvoir. Un pouvoir charnel fait de renoncements (les flashbacks sur le passé de débauche du roi montrent qu'il a dû sacrifier ses compagnons de beuverie à sa nouvelle fonction) de trahisons, de doutes et de tourments. La fin avec Emma Thompson offre une rupture de ton bienvenue et annonce le marivaudage de "Beaucoup de bruit pour rien".
En dépit de son statut de film culte, "La fureur du dragon" est un gros nanar. Entre la réalisation amateuriste, le montage approximatif, le timbre-poste qui tient lieu de scénario, les incohérences, le jeu outré et ridicule des acteurs, la galerie de personnages au cerveau de pois chiche et le cabotinage narcissique de Bruce Lee tout heureux d'exhiber ses pectoraux il y a de quoi hurler de rire à de nombreuses reprises. Et ce même si la rapidité et l'agilité du petit dragon (ou plutôt du chat furieux comme le surnomme mon fils) impressionnent à mains nues, au bâton ou au nunchaku.
Ce qui sauve le film du néant tout comme dans le "Jeu de la mort" est un court-métrage inséré dans le long-métrage. Il s'agit du combat de gladiateurs dans le Colisée (réel ou pas, certaines versions affirment que la scène a été tournée sur place au petit matin, d'autres qu'elle a été reconstituée en studio à Hong-Kong). Comme Bruce Lee, Chuck Norris en fait des tonnes pour intimider son adversaire notamment en exhibant sa pilosité et en secouant sa crinière mais leur combat ne manque pas de panache. Certains évoquent même la perfection cosmique du ying et du yang dans un mandala pour le qualifier.
Merian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack (1933)
"King-Kong" est un film inégalable en dépit de ses nombreux remake et ce pour au moins trois raisons:
- C'est un film matrice de l'histoire du cinéma car pour la première fois, le septième art accouche d'un mythe 100% cinématographique. Il fusionne en réalité deux mythes plus anciens "Saint-Georges et le Dragon" et "La Belle et la Bête". Cependant il apporte une originalité propre à ces deux mythes. L'humanisation interne de la bête et le comportement prédateur des humains opère un renversement des valeurs de Bien et de Mal que l'on observe dans le premier mythe (dont l'aspect guerrier et triomphant est remis en cause) alors que la métamorphose de la bête ne le transforme pas en homme pour autant contrairement au second. La jeune fille n'éprouve rien d'autre que de la terreur à son égard, n'apprend rien de son "aventure" avec lui ce qui le condamne à une fin tragique.
- C'est le premier film parlant à effets spéciaux, l'équivalent du "Voyage dans la lune" de par sa parenté avec Méliès et son caractère iconique. La raison d'être n°1 des remake a d'ailleurs consisté à réactualiser la technologie du film. Mais "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" et les effets numériques bourrins (c'est à dire l'abandon de la création entre les "mains" des seules machines ce qui est de plus en plus souvent le cas de nos jours) ne pourront jamais remplacer les techniques artisanales qui nécessitent d'office un investissement humain. Ce mélange de prises de vues réelles et d'animation en stop motion est réalisé par l'un des pères du genre Willis O' Brien dont le disciple Ray Harryhausen est considéré comme le pape des effets spéciaux traditionnels. Le résultat est un basculement dans un univers onirique et poétique unique qui fascine nombre de réalisateurs actuels (entre autre Peter Jackson, auteur d'un remake et Steven Spielberg dont le "Jurassic Parc" semble sortir tout droit de Skull Island).
- Enfin le contexte de la crise économique des années 30 joue un rôle important. C'est une crise de civilisation que dépeignent les auteurs du film. La jungle n'est pas celle que l'on croit et le sort réservé à King-Kong révèle une société terrifiante d'inhumanité où les arbres ont été remplacés par des colonnes de béton armé et les insectes par des avions mitrailleurs. La cupidité ronge les êtres aussi sûrement que leur racisme ou leur misogynie. L'appât du gain, le machisme et le colonialisme sont les racines pourries sur lesquelles prospère le vrai Mal(e).
J'ai trouvé cet épisode (comme le précédent) assez inégal. Les boulets de l'épisode VII à savoir les transparents Rey et Finn n'évoluent guère et leurs acteurs sont toujours aussi insipides. L'aspect politiquement correct "United colors of Benetton" de la nouvelle trilogie est même renforcé par l'ajout d'un personnage asiatique. Il ne manque plus qu'un handicapé et le contrat sera rempli même s'il ne s'agit que de coquilles vides. À cela il faut ajouter des scènes inutiles à l'intrigue (toute la séquence sur la planète casino par exemple) qui alourdissent un film déjà trop long.
Heureusement il y a dans cet épisode la volonté de dépoussiérer la saga et de la faire coller à notre époque d'incertitudes et de remises en question. Et cela passe par la déconstruction des mythes n'en déplaisent à certains fans. Faire porter au héros de la trilogie fondatrice cette mission est un coup de génie. Mark Hamill a confessé avoir été déboussolé par le comportement de Luke pourtant il n'a jamais été aussi bon. Impérial je dirais même. Vieilli, désabusé, il mesure toute la vanité, le caractère dérisoire de l'héroïsme Jedi à qui il tourne le dos en multipliant les gestes iconoclastes. Il rejoint en cela l'autre personnage majeur du film, Kylo Ren (joué avec intensité par Adam Driver) qui lui aussi souhaite dépasser l'antagonisme stérile Jedi-Sith. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a plus de bien et de mal, leur duel (magnifique) en témoigne. Alors que la bande-son et la couleur du sol et du sabre suggèrent un Kylo Ren toujours submergé par la rage (et le trouble identitaire de Ben "fils de"), il a face à lui une pure force mentale d'une concentration si absolue qu'elle finit même par quitter son enveloppe terrestre.
Enfin il y a deux femmes de caractère à qui le film offre un rôle étendu de commandement. Léia la générale (Carrie Fisher qui aura joué ce rôle jusqu'à la mort) fait usage pour la première fois de la force dans une scène aussi transcendantale que celle de la dématérialisation de son frère. Et la vice-amirale Holdo, jouée par Laura Dern accomplit un sacrifice qui réussit le miracle de nous plonger quelques instants dans le silence du vide spatial. Toutes deux témoignent de l'accès des femmes aux postes à responsabilité et savent remettre vertement à leur place les petits macho trop impulsifs.
"L'homme que j'ai tué" réalisé au début des années 30 est un film peu connu de Lubitsch car il s'agit d'un drame et non de l'une de ces comédies sophistiquées dont il avait le secret et qui ont fait sa gloire. Pourtant c'est une œuvre remarquable que la relecture d'Ozon avec "Frantz" en 2015 a permis de redécouvrir.
Adaptation d'une pièce de théâtre de Maurice Rostand, "L'homme que j'ai tué" est un film profondément antimilitariste, humaniste et pacifiste. Source d'inspiration française permettant à un réalisateur d'origine allemande d'interroger ses racines. L'ouverture, géniale, superpose bruits de bottes et coups de canon célébrant le premier anniversaire de l'armistice de 1918 aux stigmates et aux cris des soldats mutilés dans leur chair et dans leur âme. Cette charge virulente contre des sociétés qui glorifient la puissance de destruction continue tout au long du film. Allemagne et France sont renvoyées dos à dos. C'est le héros, Paul, révolté par le discours du prêtre qui l'absoud de sa responsabilité puisqu'il n'a fait "que son devoir" en tuant un Allemand. C'est le père de Walter, mis au ban de la communauté parce qu'il a accueilli Paul, qui condamne un à un tous les pères et professeurs qui ont envoyé leurs enfants à la mort tout en se réjouissant d'en avoir fait des tueurs.
Face à ce système perverti (Lubitsch souligne particulièrement le ressentiment allemand, condition d'une nouvelle guerre dont il ausculte les prémices "9 millions de morts et déjà on parle d'une autre guerre qui en fera 90 millions") les réponses ne peuvent être qu'individuelles. Paul refuse la culture de la déresponsabilisation et de l'oubli qu'on veut lui imposer. En tuant, il a été amputé d'une partie de lui-même (celui qu'il a tué aurait pu être son frère jumeau) et il refuse de se laisser déposséder de ce qui lui reste d'humanité. Sa démarche consistant à remplacer le défunt auprès de sa famille est une manière de se racheter par le don de soi (un aspect christique fortement souligné) Elsa, la fiancée de Walter lui dit d'ailleurs que leurs personnes comptent peu au regard de l'acte du pardon et du rachat. La scène de fin, sublime, permet la communion de toutes ces âmes meurtries.
Satoshi Kon est un cinéaste d'animation japonais dont la particularité consiste à abolir les frontières entre l'imaginaire et la réalité comme entre présent, passé et futur. Cet aspect "flottant" de son univers s'explique par le fait qu'il souhaite rendre compte de toutes les dimensions d'un individu et notamment de sa vie imaginaire qui est aussi réelle pour lui que sa vie matérielle. Darren Aronofsky s'inspirera d'ailleurs du premier film de Satoski Kon "Perfect blue" pour réaliser "Black Swan" où un univers réel est progressivement contaminé par la folie intérieure d'un personnage au point de se confondre avec lui.
"Tokyo Godfathers" est le troisième film réalisé par Satoshi Kon après "Perfect blue" donc et "Millenium Actress". Il s'agit d'une transposition du film "Le fils du désert" dans la jungle urbaine tokyoïte. Comme chez John Ford, les trois rois mages au chevet du bébé en danger sont des parias. Sauf qu'au lieu d'être des bandits, ils sont SDF. Ils forment une drôle de famille recomposée. Il y a Gin qui a perdu travail et famille à cause de ses dettes, Hana, un travesti orphelin licencié de la boîte où il se produisait et Miyuki, une adolescente fugueuse. Leur présent qui consiste à sillonner la ville pour retrouver la mère de l'enfant est rattrapé par leur passé sous la forme de rencontres aussi improbables que miraculeuses (Gin retrouve sa fille et Miyuki son père). Le film mêle inextricablement réalisme et surnaturel, exactement comme dans la "Vie est belle" de Capra, film auquel on pense forcément puisque dans les deux cas il s'agit d'un conte de noël festif et familial.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.