"Une femme qui est au-dessus de moi, ça me coupe tout" ^^. Cette citation que j'ai lue un jour dans un bouquin de psycho me fait toujours penser à L.B. Jeffries (James STEWART) cloué dans son fauteuil roulant, visuellement autant que psychologiquement dominé par Lisa Fremont (Grace KELLY). Heureusement que pour compenser cet état d'impuissance, il y a la pulsion scopique optimisée par les jumelles et l'objectif qui sont autant de phallus portatifs se substituant à la jambe plâtrée de L.B. Jeffries. "Fenêtre sur cour" est sans doute à ce jour le plus grand métafilm de l'histoire du cinéma en ce qu'il ne se contente pas d'une réflexion désincarnée sur les mécanismes du septième art (et ses dérivés télévisuels, les fenêtres étant autant de petites lucarnes par où épier la vie des autres), il lie ces mécanismes à la sexualité dans toutes ses déclinaisons possibles. Comme le dit Lisa en fermant les rideaux "d'autres attractions vont suivre". "Fenêtre sur cour" est donc autant un traité sur le cinéma que sur la sexualité et les relations amoureuses. Jeffries et Lisa forment un couple sulfureux pour l'époque, non seulement parce que les stéréotypes de genre y sont inversés mais également parce qu'il s'agit d'un couple libre comme le montrent tous les coups d'œil-caméra ultra significatifs du détective Doyle (Wendell COREY) sur la toilette de nuit apportée par Lisa chez Jeffries. Un passage qui en dit long sur le bouillonnement hormonal de Lisa caché derrière son apparence de mannequin sur papier glacé (Grace KELLY atteignant la perfection de la blonde hitchcockienne). C'est l'angoisse typiquement masculine de la dévoration (la photo de l'accident de Jeffries est particulièrement évocatrice avec le pneu détaché de la voiture de formule 1 en train de lui foncer dessus) qui ratatine littéralement Jeffries sur son siège, celui-ci essayant pitoyablement de donner le change avec ses soi-disant exploits d'aventurier photographe qu'une femme ne pourrait pas supporter. Trouillard du sentiment et de l'engagement, il l'est aussi vis à vis de la sexualité qu'il transfère donc dans un voyeurisme exacerbé. A défaut de s'épanouir dans sa vie personnelle, il observe celle des autres, des jeunes mariés accaparés par la passion physique pas encore émoussée aux vieux couples sans enfant en passant par la nymphette croqueuse d'hommes et "Mademoiselle Cœur solitaire", une vieille fille mélancolique. Chacun est une histoire à lui tout seul, d'où la fragmentation de l'écran par les fenêtres qui est aussi signifiante que les champs-contrechamps. Le spectateur s'identifie à Jeffries en voyant par ses yeux tous ces petits fragments d'histoire et en se faisant ses propres films à partir d'eux (par exemple Sébastien Ortiz a écrit un livre entier sur "Mademoiselle Cœur Solitaire" en 2005 extrapolant à partir des 7 minutes de film qui lui sont consacrés). Evidemment la variante meurtrière de l'amour ne pouvait échapper à Alfred HITCHCOCK et c'est l'intrigue autour du représentant de commerce qui prend le dessus sur toutes les autres, transformant le film en polar dont Lisa est l'héroïne et Jeffries le metteur en scène. Un troisième personnage a une importance capitale dans l'histoire, il s'agit de l'infirmière Stella (Thelma RITTER) qui nous livre ses réflexions sur le voyeurisme mis en abyme par le film: "L'intrusion dans la vie privée est répréhensible et il n'y a pas de fenêtres dans les pénitenciers. Autrefois on brûlait les yeux avec un fer rougi à blanc. Ces bikinis affriolants en vaudraient-ils la peine? (…) Nous sommes une race de voyeurs. Les gens feraient mieux de s'occuper de ce qui se passe chez eux."
Avec Stanley Donen, c'est l'un des derniers grands représentants de l'âge d'or hollywoodien qui s'est éteint à l'âge de 94 ans. Il était le réalisateur de la plus célèbre et célébrée comédie musicale de tous les temps, "Chantons sous la pluie" en 1952, il n'avait alors que 27 ans. Trois ans auparavant, il avait déjà tourné une comédie musicale avec Gene Kelly, "Un jour à New-York" après avoir rencontré ce dernier sur les planches d'un spectacle de Broadway où il était danseur professionnel. Tous deux révolutionnent le genre au cinéma en le sortant du carcan des studios et en multipliant les audaces formelles. En 1957, il dirige Audrey Hepburn et Fred Astaire, l'idole de son enfance dans "Drôle de Frimousse" après avoir déjà dirigé ce dernier dans "Mariage royal" en 1951. Outre ses comédies musicales, Stanley Donen a brillé dans la parodie du film d'espionnage hitchcockien avec notamment son fabuleux "Charade" de 1963 réunissant Audrey Hepburn et Cary Grant.
J'adore John FORD lorsqu'il fait des westerns et des drames situés aux USA, le ton y est toujours très juste. Mais sa comédie irlandaise "L'Homme tranquille" me fait rire jaune. Les qualités cinématographiques du film, je les voie, notamment la beauté des paysages, volontairement artificialisés par la photographie et le cadre pour souligner le caractère fantasmée d'une Irlande de carte postale. Mais je n'adhère pas du tout à l'histoire que je trouve affreusement réactionnaire en dépit de toutes les démonstrations qui tentent de prouver le contraire. Réactionnaire et content de l'être sur l'air de "ah c'était le bon vieux temps, celui des verts pâturages où l'on savait vivre, où l'on était bien entouré par la chaleur humaine de la communauté et où on ne souffrait pas de maux existentiels tant chacun et chacune savait rester à sa place". Sauf que cette petite communauté villageoise certes joviale et conviviale mais où l'on pratique l'entre-soi et la beauferie autosatisfaite n'accueille Sean l'américain (John WAYNE) que parce qu'il a ses racines dans le pays. La scène du bar montre bien que s'il n'avait pas eu le bon mot de passe, celui de ses origines, il aurait été exclu. D'autre part si Sean retourne au pays de ses ancêtres c'est pour se ressourcer après un drame (remarquablement filmé et intégré dans le récit) qui lui a coûté sa combativité, c'est à dire sa virilité. Laquelle revient le titiller sous la forme d'une mégère très près de ses sous (Maureen O HARA) et de son frère caractériel (Victor McLAGLEN) avec lequel il se lance dans un concours de bistouquette… euh non, de poignée de main (c'est qui-qui se-rrera le plus fort, Trump ou Macron? ^^^^^). Heureusement le bain de jouvence à base de traditions qui fleurent bon le terroir, bastons, parties de pêche, fêtes de la bière, course de chevaux avec pour trophée le chapeau des spectatrices (forcément spectatrices des exploits de ces messieurs) fonctionne à ravir. Mary Kate peut jubiler, elle a réussi à réveiller le fauve, celui qui la traîne devant tout le village sur le mode primate "Moi Tarzan, toi Jane" et pour lequel elle va se hâter de confectionner de bons petits plats. Parce qu'une femme de caractère, c'est juste une frustrée en attente de l'homme qui viendra la dompter et réveiller ses instincts de ménagère accomplie. De ce point de vue, la mission est réussie.
"La Corde" est un tour de force technique mais contrairement à l'acte commis par Brandon et Phillip (et à la vision de Alfred HITCHCOCK lui-même qui qualifiait son film de simple "truc"), il n'a rien de gratuit. Difficile de faire plus oppressant, plus irrespirable que "La Corde". La mise en scène est à l'image du titre et de l'acte commis, elle nous enserre et nous étouffe avec son huis-clos et son illusion de filmage en temps réel. Illusion créée par les raccords de plans-séquence (impossible de faire autrement à l'époque) mais aussi par les changements de luminosité perceptibles à travers la grande baie vitrée. Plus on avance dans le film, plus l'atmosphère s'assombrit, rétrécissant encore plus l'espace vital des protagonistes jusqu'à le réduire à celui du coffre à secret autour duquel ils gravitent tous. Un double secret, sexualité et mort étant indissolublement liés chez Alfred HITCHCOCK sans parler du double sens du "cadavre dans le placard". Ce qui est dissimulé dans ce coffre-placard, c'est autant le non-dit de l'homosexualité du couple dominant-dominé Brandon-Phillip (John DALL et Farley GRANGER) et de leur professeur Rupert (James STEWART) qu'une victime des théories raciales nazies pour lesquels les êtres supérieurs autoproclamés ont le droit de supprimer les improductifs inférieurs. Le tout justifié philosophiquement par une interprétation erronée de la pensée nietzschéenne.
Cependant la "Corde" a aussi une dimension ludique de par son suspense haletant. Le spectateur ayant vu le crime se dérouler sous ses yeux se demande quand celui-ci sera découvert.Alfred HITCHCOCK joue sur cette attente et ne cesse de tendre un peu plus la corde tantôt avec la mise en scène perverse, macabre et provocante de Brandon, tantôt avec les réactions apeurées de Philip qui parvient difficilement à se contrôler, tantôt à l'aide de la mise en scène du film lui-même, que ce soit par les mouvements de caméra (l'apparition "surprise du chef" de Rupert dont on sait qu'il est le seul qui peut découvrir le secret) ou la science du cadre et de la profondeur de champ en plan fixe (la servante qui va et vient entre la cuisine et le coffre dont elle débarrasse le dessus pendant que les autres discutent en hors-champ avant de s'apprêter à l'ouvrir, une gestion de l'espace-temps que l'on retrouve à l'identique par exemple dans "Pas de printemps pour Marnie") (1964). Il est également intéressant de souligner que Rupert comprend tout bien avant d'ouvrir le fameux coffre car il partage les secrets de Brandon et Phillip. Mais il fait tout pour retarder le moment où il devra regarder la vérité en face et assumer ses responsabilités dans le crime commis par ses anciens élèves.
"Les Amants du Capricorne" est un grand film incompris ou un grand film "malade" comme le disait François TRUFFAUT à propos de "Pas de printemps pour Marnie" (1964) qui a pour point commun avec le film de 1949 de mettre en avant les troubles du comportement d'une jeune femme déséquilibrée. Et j'ai toujours soupçonné la hiérarchie établie par les spécialistes des œuvres hitchcockienne d'être légèrement orientée sexuellement (beaucoup d'histoires d'hommes ou de femmes fantasmées et/ou manipulées par des hommes même si c'est souvent plus complexe et tant mieux!) D'autant que "Les Amants du Capricorne" est un mélodrame romanesque en costumes presque dénué d'action, le genre à réserver aux midinettes donc. Sauf que non en fait, il est beaucoup plus que ça. Alfred HITCHCOCK a choisi d'entremêler une caractérisation des personnages empruntée à la littérature romantique, des monologues de théâtre et des techniques d'écriture proprement cinématographiques avec une mise en scène en longs plans séquences proche de "La Corde" (1948). Cette ambition d'art total a pour but d'atteindre la vérité intime des personnages. Et c'est là que le film frappe fort et c'est ce qui fait que c'est l'un de mes Alfred HITCHCOCK préféré, un "chef d'oeuvre inconnu" pour reprendre l'expression de Jean Domarchi des "Cahiers du cinéma". Et ce alors que le film a été mal aimé par ceux-là même qui l'ont fait, Alfred HITCHCOCK et les deux acteurs principaux, Ingrid BERGMAN et Joseph COTTEN.
L'histoire des "Amants du Capricorne" a ceci d'original qu'elle commence bien après là où les mélodrames d'habitude s'arrêtent. D'ordinaire les histoires d'amour impossibles à base de "ver de terre amoureux d'une étoile" (pour reprendre la magnifique réplique de Ruy Blas) s'achèvent avec la mort tragique des amants. Mais le crime d'honneur projeté pour laver dans le sang la mésalliance se retourne contre l'agresseur et le couple survit à l'épreuve même si Sam Flusky le garçon d'écurie qui a épousé une noble écope de 7 ans de bagne en endossant le crime commis par Henrietta. Dix ans ont passé, Sam a été libéré et a même fait fortune en Australie mais lui et son épouse ne sont toujours pas heureux et n'ont toujours pas d'enfants tant le poids du passé pèse sur leurs épaules et les empêche d'aller de l'avant. "Les Amants du Capricorne" est également une des rares œuvres à aborder d'une manière aussi approfondie le problème des souffrances liées aux différences de condition sociale vécues au quotidien. Comme dans la trilogie de Roger Frison-Roche sur le guide de haute montagne Zian et son épouse bourgeoise Brigitte, dès que l'un des membres du couple se retrouve dans son monde, l'autre dépérit, leur entente ne pouvant s'accomplir que hors de tout cadre social (autrement dit dans la nature, "Les Amants du Capricorne" étant également proche de "Lady Chatterley"). Les codes sociaux européens ont rattrapé les Flusky jusqu'en Australie et ceux-ci vivent même une véritable crise de couple sur fond de lutte des classes. D'une part la gouvernante Milly (Margaret LEIGHTON), jalouse et haineuse veut se débarrasser de l'intruse pour accaparer Sam en la poussant vers la folie et le suicide. Elle se sert du déséquilibre d'Henrietta lié aux souffrances de l'exil et à la culpabilité dévorante d'avoir laissé Sam être condamné à sa place. De l'autre le cousin et ami d'enfance de Henrietta, Charles Adare (Michael WILDING) qui fait peu de cas de Sam à cause de son préjugé de classe s'éprend de Henrietta et la drague ouvertement. Situation d'autant plus délicate qu'en sa présence elle se sent revivre ce qui met Sam face à un dilemme cornélien: d'un côté il veut aider sa femme à retrouver la joie de vivre, de l'autre il est fou de jalousie. L'une des scènes que je trouve parmi les plus émouvantes du cinéma de Alfred HITCHCOCK est celle du collier de rubis. Le gros plan sur un objet clé, il l'a fait mainte fois avant, dans "Soupçons" (1941) avec le verre de lait ou "Les Enchaînés" (1946) avec une clé (justement). Mais ici, l'enjeu est tout autre. Sam s'apprête en témoignage de son affection à offrir le collier à Henrietta qui part s'amuser au bal avec Charles. Mais lorsqu'il en évoque l'idée, tous deux lui font comprendre son mauvais goût. Il n'a plus qu'à faire disparaître l'objet et à ravaler une fois de plus son amertume d'être rejeté, une fois de trop sans doute car son explosion ultérieure attisée par Milly s'explique aussi par cette énième petite humiliation. Quant à Charles, il apprend au contact de la grandeur d'âme de ce couple (il a pu mesurer la profondeur de leur amour et leur sens du sacrifice lors du grand monologue de Henrietta) à dépasser ses désirs égoïstes pour se mettre à leur niveau ce qu'il fait par son témoignage final qui est pour eux une délivrance et peut-être un nouveau départ.
Peter WEIR n'a pas son pareil pour dépeindre des microcosmes sous emprise totalitaire tels que "Pique-nique à Hanging Rock" (1975), "Le Cercle des poètes disparus" (1989), "The Truman Show (1998)" ou "Mosquito Coast" réalisé en 1986.
A l'époque de la sortie de "Mosquito Coast", la guerre froide n'est pas terminée. Le monde est encore divisé entre le capitalisme et le communisme et a peur d'une attaque nucléaire venue de l'un ou de l'autre des deux blocs. Peter WEIR commence par montrer pourquoi Allie Fox (Harrison FORD, remarquable dans un rôle à contre-emploi) peut dans un premier temps représenter une alternative à ces deux idéologies. Son discours anti système à la fois altermondialiste, écologiste et anti consumériste est encore plus pertinent aujourd'hui qu'hier. D'ailleurs son employeur dit que s'il est enquiquineur et "monsieur je-sais-tout", il a "quelquefois raison". De plus, c'est un bricoleur de génie qui récupère nombre de déchets dans les décharges pour leur donner une seconde vie. Sa décision de quitter les USA pour le Honduras afin de tenter une expérience "rousseauiste" de retour à la nature s'avère donc en cohérence avec ses paroles. On est donc d'autant plus tenté de le suivre. Néanmoins, on découvre bien vite que dans le petit royaume qu'il s'est construit au Honduras, il règne en seigneur et maître sur une communauté qui lui est entièrement soumise: sa femme qui n'a même pas de prénom, tout au plus un surnom, "Mother" (Helen MIRREN), ses quatre enfants (dont l'aîné est joué par River PHOENIX) et un groupe d'indigènes vus (évidemment) comme de grands enfants à rééduquer. Allie Fox ne peut pas avoir d'égal parce que celui-ci est forcément un rival qui ne peut que remettre en question son "monde parfait". Très vite, il se heurte à un autre pouvoir spirituel et temporel que le sien, celui du révérend Spellgood (Andre GREGORY) à qui il a enlevé sa communauté de fidèles pour les convertir à sa cause. Cette confrontation suggère que Allie Fox est lui aussi un missionnaire en croisade, impression confirmée lorsqu'il se rend dans une autre communauté indigène pour les convaincre de le rejoindre. Mais les obstacles s'accumulent: la glace qu'il a fabriqué a fondu avant qu'il atteigne son objectif et trois bandits armés investissent son royaume déserté par les indigènes qui ont rejoint le révérend en son absence. C'est alors seulement que Allie Fox révèle qui il est vraiment: un dangereux extrémiste qui n'a aucune considération pour l'avis/la vie des autres. Il détruit ce qui lui résiste, tyrannise et manipule sa femme et ses enfants qui en dépit de quelques mouvements de révolte sont sous son emprise et se montre d'une insupportable arrogance paternaliste, colonialiste et raciste vis à vis de la seule personne qui veut l'aider. Le plus ironique toutefois est dans le fait que l'explosion de sa super-machine à glace contamine la rivière: pas très écologique tout ça…
"Les 39 marches" est le premier grand film de Alfred HITCHCOCK mené tambour battant, sans temps mort et sans une once de gras. C'est un film d'autant plus capital que sa trame annonce nombre de longs-métrages à venir déclinant le thème du faux coupable qui doit se démener seul contre tous pour faire reconnaître son innocence. Mais surtout, il est très proche de "La Mort aux trousses" (1959) avec son fugitif pris malgré lui dans une intrigue d'espionnage, poursuivi dans un train et obligé de forcer la porte et le coeur de Pamela (Madeleine CARROLL), la première blonde hitchcockienne d'une longue liste. De façon plus générale, ce sont les femmes qui mènent la danse dans le film ce qui créé toute une série de scène équivoques absolument jubilatoires. Elles ne sont d'ailleurs pas pour rien dans la réussite du film, celui-ci étant moins un thriller d'espionnage (une intrigue-prétexte avec le secret pour McGuffin) qu'un vaudeville, voire une screwball comédie. Les ennuis de Richard Hannay commencent lorsqu'il héberge chez lui une belle espionne (Lucie MANNHEIM) qui lui transmet les secrets de sa mission avant d'être assassinée. Pris à tort pour le meurtrier, il s'enfuit en Ecosse où est censé se trouver le chef de l'organisation secrète des "39 marches" qui convoite un secret d'Etat. A son tour, il est hébergé par un couple de fermiers dont l'épouse qui comprend très vite la situation tombe sous son charme, suscitant la jalousie du mari. Alfred HITCHCOCK réussit à tout nous faire comprendre par de simples jeux de regards, comme au temps du muet. Mais le summum est atteint avec la scène où Richard Hannay et Pamela se retrouvent attachés ensemble par une paire de menottes et obligés de passer la nuit ensemble dans une chambre d'hôtel. On a même droit à une scène chargée d'érotisme lorsqu'elle enlève ses bas et que ce dernier en profite pour laisser négligemment sa main glisser le long de ses jambes. Tout ceci rappelle d'autant plus "New York - Miami (1934) de Frank CAPRA que l'excellent (et moustachu) Robert DONAT qui joue Richard Hannay est surnommé le "Clark GABLE british" même si par sa décontraction et son humour il me fait aussi penser à Cary GRANT. Pour s'en sortir, il doit constamment multiplier les exploits (et les bobards plus gros que lui parce que lorsqu'il dit la vérité, on ne le croit pas!), le cinéma faisant le reste (car si le film avait été réaliste il serait mort dix fois mais comme le disait Alfred HITCHCOCK, un film ce n'est pas une tranche de vie mais une tranche de gâteau ^^). Quant à Pamela, après s'être longtemps enfermée dans le rôle de la vierge outrée par l'intrusion de celui qu'elle prend pour un loup dans la bergerie, elle se révèle drôle et sensuelle lorsqu'elle comprend qu'il s'agit d'un brave toutou apprivoisé. Enfin, bien que structuré par la cavale du héros, le film a un caractère cyclique, débutant et se dénouant sur la scène d'un théâtre avec un personnage clé, "Mister Memory" qui fait penser au joueur de cymbales de "L Homme qui en savait trop" (1956).
Bruno GANZ aura incarné au cinéma pour le meilleur et non pour le pire le meilleur et le pire de l’homme. Qui veut faire l’ange fait la bête disait Blaise Pascal et dans "La Marquise d O..." (1976) de Éric ROHMER, Edith CLEVER lui disait (lui prédisait ?) qu’il ne lui aurait pas semblé être le diable si à sa première apparition, elle ne l’avait pris pour un ange. Bruno GANZ en véritable « étoile noire » a donc incarné les deux polarités extrêmes de l’être humain, sa part céleste d’une part et la bête immonde tapie en lui de l’autre avec une profondeur proprement sidérante. « La Chute », grand film crépusculaire sur l’agonie du III° Reich ressemble à un terrifiant cauchemar entre ruines fumantes et bunker lugubre. Il montre avec un réalisme saisissant de crudité ce que deviennent les hommes lorsqu’ils sont acculés dans leurs derniers retranchements et qu’ils ont la certitude que leur fin est proche. Entre recherche de l’oubli dans l’alcool et les orgies, règlements de comptes et petits calculs sordides, ce qui ressort le plus, c’est la terrifiante litanie des suicides dans une ambiance oppressante et claustrophobique. La culture de mort qui a fait des millions de victimes se referme sur les bourreaux eux-mêmes dont certains entraînent leur famille avec eux. Les plus fanatiques, Hitler et Goebbels en arrivent à souhaiter que le peuple allemand tout entier y passe pour se venger sur eux de leur défaite. Les autres, plus lucides regardent le Führer se décomposer avec consternation et désarroi. Bruno GANZ offre une interprétation hallucinée du personnage entre bouffées délirantes où il donne des ordres à une armée qui n’existe plus, accès de mégalomanie quand il élabore les plans de la future Germania avec Albert Speer, fureur contre ses généraux et son peuple qui lui servent d’ultime bouc-émissaire, larmes de rage et d’impuissance face à l’inéluctable défaite, tremblements incontrôlables dus à la maladie de parkinson. Mais en dépit de tous ces signes qui indiquent à quel point Hitler était diminué à la fin de sa vie, celui-ci continue à exercer sa tyrannie délétère faite de séduction et de terreur sur tout son entourage qu’il veut pousser à mourir avec lui. Le bunker devient alors un véritable tombeau où s’accumulent les cadavres pendant qu’à Berlin encerclé par les russes, les enfants des jeunesses hitlériennes fanatisés lui répondent en miroir en sacrifiant inutilement leur vie.
Ce n’est pas parce que Oliver HIRSCHBIEGEL a humanisé les bourreaux que le film est complaisant ou suscite l’empathie. C’est l’effroi qui domine devant des personnes pour qui la vie (la leur comme celle des autres) n’a aucune valeur et qui n’ont comme solution que la mort à offrir. Il s’interroge également sur la notion de responsabilité en choisissant de privilégier le point de vue de la secrétaire d’Hitler. Celle-ci est incarnée par une jeune actrice pour les faits relatifs à la fin de la guerre mais elle apparaît aussi en personne au début et à la fin du film en tant que témoin ayant effectué un travail de mémoire dans lequel elle reconnaît sa responsabilité dans les choix de vie qu’elle a fait. L’exemple de Sophie Scholl qui avait le même âge qu’elle lui a rappelé que la jeunesse n’était pas une excuse. De ce fait elle tend un miroir aux allemands, les incitant à en faire de même.
"Nuages d'été", premier film de Mikio NARUSE en couleurs et cinémascope est également moins dramatique que ses précédentes œuvres, sans doute grâce à l'influence de Shinobu HASHIMOTO, l’un des plus grands scénaristes du cinéma japonais qui a souvent collaboré avec Akira KUROSAWA sur ses plus grands films tels que "Rashômon (1950)", "Les Sept samouraïs (1954)" ou "Les Salauds dorment en paix" (1960). "Nuages d'été" est également moins intimiste. Il s'agit en effet de la chronique d'une famille traversée par les profonds bouleversements économiques et sociaux du second miracle japonais à la fin des années cinquante. Comme en Europe avec les 30 Glorieuses, ce changement de civilisation va de pair avec l'émancipation de la jeunesse vis à vis du patriarcat et l'exode rural, accéléré par la réforme agraire initiée par les américains. Le patriarcat est incarné dans le film par le propriétaire terrien Wasuké (Ganjiro Nakamura) qui a trois fils de trois lits différents. On apprend que lui-même a dû se soumettre à la loi paternelle qui a répudié ses deux premières femmes parce qu'elles menaçaient d'une manière ou d'une autre la prospérité de la propriété familiale. Wasuké a intégré cette domination et veut également diriger l'avenir de ses fils. Il souhaite trouver une épouse à Hatsu l'aîné mais lorsque celle-ci est trouvée, il les fait attendre parce qu'il veut organiser un grand mariage pour une question de prestige social alors qu'il n'en a pas les moyens. Il souhaite conserver Shin le second à ses côtés alors que celui-ci qui a fait des études et est devenu banquier veut aller vivre à Tokyo. Il veut faire épouser au troisième Jun sa propre cousine Hamako afin de récupérer sa terre en dot alors que Jun veut devenir garagiste. Wasuké a en effet étendu sa domination aux parents d'Hamako (sa sœur et son beau-frère dur d'oreille) à qui il a ordonné de ne pas lui faire faire d'études (contrairement à son souhait à elle).
Mais que peut ce conservatisme forcené lorsqu'il est à contre-courant du temps? Pour une fois, son écoulement n'est pas synonyme d'érosion mais de changement. Les enfants vont s'appuyer pour réaliser leurs désirs sur Yaé (Chikage AWASHIMA), la sœur de Wasuké, paysanne elle aussi. Veuve de guerre, soumise à une belle-mère qui la méprise et l'exploite, elle comprend les bouleversements du monde mieux que les autres. Non seulement elle aide ses neveux à s'émanciper de la tutelle paternelle mais c'est grâce à elle que Wasuké renoue le contact avec sa première épouse (ce qui est une manière symbolique de désobéir à son propre père). Mais Yaé finit par être rattrapée par le fatalisme propre à Mikio NARUSE. Dès qu'elle apprend que son amant Okawa (Isao KIMURA) est muté à Tokyo, elle baisse les bras alors qu'elle avait commencé à apprendre à conduire et que celui-ci lui avait promis de lui montrer un endroit plus vaste pour qu'elle soit plus forte et plus heureuse...
Grand comédien de théâtre ayant joué entre autre sous la direction de Patrice Chéreau, Matthias Langhoff, André Engel, Alain Françon, et marqué à jamais par ses deux interprétations du "Roi Lear" de Shakespeare, Serge Merlin a également tourné dans une vingtaine de films dont les plus connus sont ceux de Jean-Pierre Jeunet: "La Cité des enfants perdus" et surtout "Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain" où il interprétait Raymond Dufayel, le voisin atteint de la maladie des os de verre. Il est mort samedi 16 février 2019 à l'âge de 86 ans.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.