Après avoir vu le film grâce à Arte, je trouve décidément l'original 100 fois (!) meilleur que la copie propre, intellectualisée mais sans âme qu'ont réalisé les frères Joel COEN et Ethan COEN. Je sais qu'ils prétendent s'être inspiré du roman et non du film et qu'une partie de la critique les a encensés pour cela entre autre mais je campe sur mes positions car les deux versions se ressemblent trop pour que cela soit simplement dû à leur source commune. J'en veux pour preuve le clin d'oeil du bandeau ou le passage où Mattie Ross sort de la rivière miraculeusement sèche qui devient sans doute une allusion ironique chez les Coen sauf qu'en fait, on accepte les invraisemblances de ce genre si le film sonne juste par ailleurs et est incarné. La différence pour moi se loge en effet dans les détails et entre les lignes, dans la relation qui se construit entre Rooster Cogburn et Mattie Ross avec le personnage de Leboeuf en intermédiaire. Contrairement à la Mattie des Coen réduite à son rôle de vengeresse désincarnée, celle de Henry HATHAWAY n'a pas abdiqué son humanité si bien que derrière sa quête revendiquée de vengeance s'en cache une autre, implicite qui est la recherche d'un père de substitution (ce qui d'ailleurs entraîne un fin bien différente de celle, glaciale, des Coen). Ca tombe bien, Rooster Cogburn a échoué à en construire une et en particulier à créer un lien avec son fils. Il a donc droit à une seconde chance avec un "garçon manqué". On sourit d'autant mieux devant ses accès de jalousie quand Mattie se détourne trop du "coq" (rooster en VO) pour regarder d'un peu trop près "le boeuf" envers qui elle manifeste une tendresse évidente. Là-dessus John WAYNE nous régale avec une composition pleine de saveur en shérif revenu de tout, borgne, bedonnant et porté sur la bouteille et la gâchette. L'Oscar qu'il a reçu était mérité mais il s'agissait surtout de le couronner pour l'ensemble de sa carrière avant qu'il ne soit trop tard. Comme Ennio MORRICONE dans le domaine de la composition musicale couronné seulement en 2016 à 88 ans, il a payé cher son étiquette d'acteur de films de divertissement alors que plusieurs de ses compositions antérieures auraient dues être récompensées, dans le registre dramatique (comme "La Riviere rouge" (1946) ou "La Prisonniere du desert") (1956) ou dans le registre de la comédie ("Rio Bravo") (1959).
Enfin pour l'anecdote, le film fait jouer dans de petits rôles deux acteurs d'avenir dans le nouvel Hollywood, Robert DUVALL et Dennis HOPPER.
Un classique du western dont l'intérêt repose sur l'amitié virile entre le shérif incorruptible Wyatt Earp (Burt LANCASTER) et l'ex-dentiste devenu chasseur de primes Doc Holliday (Kirk DOUGLAS). Tiré de faits réels plusieurs fois racontés au cinéma, le duel l'ayant opposé avec ses frères et Doc Holliday aux Clanton est depuis entré dans la légende. En témoigne la popularité de l'expression "règlements de comptes à O.K. Corral" ou la célébrité des noms de lieux (la ville de Tombstone en Arizona devenue un lieu touristique pour nostalgiques de l'univers western, le cimetière de Boot Hill associé aujourd'hui à celui qui se trouve à Disneyland dans son "Frontierland"). La célèbre chanson du film, interprétée par Frankie LAINE a contribué à donner au film son lyrisme au détriment de la réalité historique (car la fusillade ne s'est pas déroulée dans un enclos mais dans la rue). Si le personnage de Earp est assez lisse, celui, autodestructeur de Holliday est plus intéressant, notamment dans sa relation compliquée avec Kate (Jo Van FLEET) qui l'accuse non sans raison de lui préférer Wyatt Earp. Pour tenter de lever les ambiguïtés, le scénario flanque dans les pattes de Earp une joueuse de poker (Rhonda FLEMING) certes bien mise en valeur mais qui une fois l'hétérosexualité du shérif démontrée disparaît de l'image. On aperçoit aussi Dennis HOPPER dans un rôle secondaire où il est sous-exploité malgré un charisme assez évident. Et que dire de Lee VAN CLEEF qui n'apparaît que quelques minutes au début du film mais marque les esprits! Bref on est typiquement dans une oeuvre maîtrisée où ont convergé nombre de talents mais bridée par les conventions de l'époque. Les fans de western aimeront, les autres risqueront de rester sur leur faim.
Après "L'Esprit de la ruche" (1973) il y a quelques jours qui évoquait l'imaginaire d'une petite fille face à la mort dans un contexte de dictature franquiste, "Apocalypse Now" (1976) est le deuxième film que je visionne baignant presque entièrement dans la lumière dorée des heures magiques de l'aube et du crépuscule, prolongées en nocturne par la lueur des flambeaux. Le dantesque chef-d'oeuvre que Francis Ford COPPOLA a consacré à la guerre du Vietnam est un voyage dans l'espace-temps dont la dernière demi-heure atteint des sommets de mysticisme magnifié par la renversante photographie. Le colonel Kurtz (Marlon BRANDO) et son alter ego le capitaine Willard (Martin SHEEN) sont filmés comme des idoles de sang et d'or à demi noyées dans l'obscurité. Des idoles condamnées à un crépuscule éternel. Car si le film s'ouvre et se ferme sur "The End" des Doors, il est composé comme une relecture de la tétralogie de Wagner: l'Or du Rhin, c'est le fleuve Congo de la nouvelle de Joseph Conrad "Au coeur des ténèbres" ayant servi de base scénaristique au film. C'est aussi une métaphore: "Apocalypse now" est un film-fleuve. C'est enfin le Nung, nom du fleuve vietnamien que remonte Willard et son équipage à la recherche du colonel Kurtz devenu un seigneur de la guerre vivant avec ses fidèles à la frontière du Cambodge. Pour avoir accès au fleuve, Willard doit faire appel au lieutenant-colonel Bill Kilgore (Robert DUVALL) qui lui fraie un chemin avec sa cavalerie d'hélicoptères au son de la chevauchée des Walkyries. Une séquence entrée dans la légende du cinéma d'autant que l'épique y est modéré par l'horreur et le grotesque qui souligne que Francis Ford COPPOLA n'est pas dupe des images qu'il filme en coupant court à toute héroïsation. Car personne n'a oublié la petite phrase de Kilgore regardant brûler la jungle avec satisfaction "j'aime l'odeur du napalm le matin" alors que sur son ordre deux de ses hommes surfent en terrain pas tout à fait conquis. Puis le film se mue en fleuve-movie oscillant entre séquences introspectives (la lecture des lettres de Kurtz qui "hante" l'ensemble du film bien avant qu'il ne se matérialise en chair et en os) et rencontres symboliques et oniriques qui forment autant de jalons expérimentaux dans la quête de ce nouveau Sigfried qu'est Willard. Outre des soldats abandonnés à eux-mêmes continuant absurdement le combat tels "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021), l'une des plus saisissantes est celle des colons français qui a été rajoutée lorsque Francis Ford COPPOLA a pu remonter le film a postériori. Baignant elle aussi majoritairement dans une lumière crépusculaire, elle peut s'interpréter comme une halte au pays des revenants d'une époque révolue vivant en vase clos hors-sol, celle de l'Indochine française dont la disparition avait donné lieu à une première guerre dans laquelle les USA avaient soutenu la France. Francis Ford COPPOLA parvient ainsi à une rare osmose entre mythologie, histoire et critique: "La Charge héroïque" (1948) du lieutenant-colonel Kilgore avait elle-même de relents de conquête de l'ouest génocidaire du XIX° siècle. Et que dire de la fin avec son décor d'autel païen rempli d'offrandes sanglantes à un monstre terré dans son antre se prenant pour un Dieu et incarnant de même que la lumière en clair-obscur la dualité humaine ("qui fait l'ange fait la bête"). Monstre qui doit être sacrifié par un double adoubé sorti des eaux comme Nessie et devant lequel on se prosterne pour que l'Amérique puisse conserver la conscience claire.
Oui Géant est une saga familiale qui s'étire sur plus de 3h, un quart de siècle et trois générations. Oui l'histoire se déroule au Texas et on y évoque l'enrichissement par le pétrole. Non ce n'est pas un pudding indigeste pour autant et la comparaison avec les soap des années 80 tels que "Dallas" ne rend pas justice à la qualité de "Géant". D'ailleurs il existe une autre façon de présenter le film, tout aussi parcellaire mais néanmoins nettement plus valorisante, celle qui consiste à mettre en avant James DEAN dont ce fut le troisième et dernier film puisqu'il se tua quelques jours après que le tournage fut terminé. Quoique parler de James Dean est à double tranchant car plusieurs articles préférèrent se focaliser sur son comportement détestable durant la réalisation du film et les frasques entourant les autres acteurs symboles de la démesure (mais aussi de l'hypocrisie en matière de moeurs) de l'âge d'or hollywoodien (alcoolisme, chantages, débauche, fiestas débridées etc.) plutôt que de parler du film en lui-même.
Toujours est-il que ce qui frappe dans ce "Géant", c'est le talent du réalisateur George STEVENS pour composer des plans-tableaux à la Edward Hopper ("La maison au bord de la voie ferrée" a inspiré celle des Benedict) et le progressisme de l'oeuvre originale de Edna Ferber (adapté par Ivan MOFFAT) qui donne au film son caractère humaniste. D'autre part les acteurs de "Géant" étaient peut-être remuants mais ils étaient extrêmement bien choisis. Elizabeth TAYLOR qui n'avait que 23 ans et qui était belle à se pâmer joue le rôle d'une femme de caractère venue du Maryland pour suivre son mari, Bick, rancher au Texas. Elle découvre comme on peut se l'imaginer un "Ploucland" sexiste et raciste dans lequel elle met son grain de sel, infléchissant quelque peu le destin de sa belle-famille. Rock HUDSON qui était alors au faîte de sa gloire joue son mari assez brut de décoffrage mais qui finit par amour pour elle par s'avérer plus tolérant que ses paroles et son comportement psychorigide ne le laissent penser (au point de se retrouver vingt-cinq ans plus tard de l'autre côté de la barrière à la grande joie de sa femme d'ailleurs). Inutile de dire que l'acteur est plus que parfait pour jouer un tel rôle dans lequel le masque social s'avère de plus en plus en décalage avec la réalité de ses actes. James DEAN joue le rôle de Jett, l'employé des Benedict plein de rancoeur et de frustration qui hérite d'un bout de terre à la mort de la soeur de Bick, Luz, vieille fille frustrée secrètement amoureuse de lui (joué par Mercedes McCAMBRIDGE tout juste sortie de "Johnny Guitare" (1954) et tout aussi revêche) avec lequel il fera fortune grâce au pétrole qui se trouve en-dessous. Un argent qui néanmoins ne lui apporte pas le bonheur mais au contraire précipite son autodestruction (quand je disais que les rôles étaient bien choisis). La sourde rivalité entre Bick et Jett qui incarnent deux formes de capitalisme (et de spoliation des indiens comme cela est rappelé) se nourrit de la confrontation de deux acteurs au style très différent (même s'il est ironique d'en avoir fait deux amoureux transis du personnage de Elizabeth TAYLOR alors que dans la réalité ils étaient tous deux homosexuels). Le travail sur le vieillissement des trois acteurs est remarquable étant donné qu'ils étaient dans leur vingtaine et qu'à la fin, leurs personnages sont censés en avoir plus de cinquante. Cela permet d'avoir une idée de la façon dont James Dean aurait évolué s'il avait vécu (personnellement je lui ai trouvé des airs de Johnny DEPP). A ce trio, il faut rajouter un quatrième personnage et un quatrième acteur, Jordan, le fils de Bick joué par Dennis HOPPER qui était à peine plus jeune que les trois stars (19 ans) mais qui incarne (déjà) la rébellion d'avec le modèle féodal et ségrégationniste du père promis au déclin. D'une part parce qu'il rejette la propriété terrienne au profit d'une profession libérale (médecin), ensuite parce qu'il épouse une mexicaine et s'installe avec ceux de sa communauté alors que ceux-ci sont traités en parias par les texans WASP. Il faut dire que sa mère a sauvé contre l'avis des siens un bébé mexicain qui devenu adulte est mort à la guerre (et qui joue ce mexicain? Sal MINEO alias Plato dans "La Fureur de vivre" (1955), film dans lequel joue également Dennis HOPPER!)
Après un début en forme de spot publicitaire célébrant béatement les joies de l'American dream des années cinquante, ses clôtures immaculées et fleuries, ses jardins taillés au cordeau, la bonhommie de ses agents, voilà que la belle histoire déraille* avec la crise cardiaque d'un homme arrosant son jardin permettant à David Lynch de plonger dans le gazon jusqu'à rencontrer la vermine qui grouille**. Cette introduction annonce le principe du film qui fonctionne sur deux niveaux, celui de la romance cucul la praline et celui du thriller horrifique et érotique avec le personnage principal, Jeffrey (Kyle Maclachlan) à l'intersection des deux niveaux. Jeune homme d'apparence très lisse et sans histoire, le voilà qui glisse vers l'assouvissement de ses fantasmes inavoués via un conduit d'oreille coupée trouvée dans l'herbe. Un changement d'échelle suggéré par la caméra dès les première images qui évoque "Alice au pays des cauchemars". Jeffrey devient alors dual, satisfaisant la nuit ses penchants voyeuristes et sadomasochistes auprès de la sulfureuse et brune Dorothy*** (Isabella Rossellini) tout en courtisant le jour la blonde et un peu bécasse Sandy (Laura Dern). Et quand le sous-sol remonte à la surface pour parasiter les clichés du teen movie on est à la limite de la parodie jouissive. Par exemple lorsque le petit ami officiel de Sandy qui est un joueur de football américain (pléonasme) vient avec ses potes régler son compte à Jeffrey parce qu'il lui a piqué Sandy voilà que surgit sans prévenir Dorothy à poil couverte d'ecchymoses qui telle un zombie se jette dans les bras de Jeffrey. S'ensuit une autre scène décalée chez les parents de Sandy où Dorothy toujours aussi nue colle un Jeffrey très embarrassé et évoque leurs ébats torrides sous les yeux d'une Sandy éplorée dont les grimaces grotesques font penser aux meilleurs cartoons! Et puis cette galerie de tordus ne serait pas complète sans l'incroyable prestation de Denis Hopper en psychopathe shooté à l'oxygène dont le comportement déviant semble lié à une homosexualité refoulée. Encore une dualité paradoxale car d'un côté Frank surjoue la virilité en terrorisant Dorothy et malmenant Jeffrey, de l'autre il ne semble pas très net avec son ami efféminé Ben (Dean Stockwell) et semble trouver Jeffrey à son goût.
* Les cinéastes qui soulignent le caractère factice des banlieues et des petites villes américaines en ouvrant la porte aux monstres refoulés sont nombreux. On pense par exemple à Hitchcock ("L'ombre d'un doute"), Burton ("Edward aux mains d'argent") ou Weir ("The Truman show").
** Evidemment cette ambivalence oscillant entre le conte de fée et le film de monstres en rejoint une autre qui est celle du sexe (féminin) et de la mort. Le premier est évoqué par le gazon mais aussi le velours bleu que porte Dorothy et qui est un substitut de la fourrure. La vermine qui grouille en dessous, le corps tuméfié ou le conduit de l'oreille en décomposition libère des images angoissantes d'anéantissement qui vont de pair avec celles que véhicule le sexe féminin auprès d'une partie de la gent masculine.
*** David Lynch est un fervent admirateur du "Magicien d'Oz" qu'il cite dans "Blue Velvet" au travers du prénom du personnage d'Isabella Rossellini mais aussi dans "Sailor et Lula" qui peut être considéré comme une adaptation hallucinogène.
"Speed" est l'un des meilleurs films d'action de la fin du XX° siècle avec "Piège de cristal" (1988). Un film haletant, sans temps morts où la gestion intelligente de l'espace-temps et des rebondissements ne fait jamais retomber la tension. Il faut dire que les deux films sont des huis-clos plus propices au suspense qu'à l'action proprement dite qui se déploie dans de grands espaces. Les interactions entre les otages enfermés à l'intérieur des lieux clos jouent un rôle aussi important que les tentatives extérieures pour les délivrer. Le héros est lui-même enfermé avec les otages tout en étant distinct d'eux car il a plus de marge de manœuvre. Néanmoins il est faillible et ne peut s'en sortir seul ni physiquement, ni psychiquement. Dans "Piège de cristal" (1988), le soutien téléphonique du sergent Powell et les pieds nus ensanglantés du héros symbolisaient cette vulnérabilité. Dans "Speed", Jack (Keanu REEVES) échoue dans sa tentative de désamorcer la bombe placée sous le bus, n'est ramené à l'intérieur que grâce à l'aide des passagers avant de craquer lorsqu'il apprend la mort de son coéquipier. Il ne reprend le dessus que par le soutien psychologique de la passagère devenue conductrice Annie (Sandra BULLOCK qui a été révélée par le film). Car, d'une autre manière que dans le film de John McTIERNAN, "Speed" remet en cause les canons de la virilité de l'époque, l'invincibilité, l'appât du gain (principale motivation de terroristes très charismatiques, Dennis HOPPER étant un habitué des rôles de psychopathes), le goût du pouvoir, la tour phallique carcérale étant remplacée par une vitesse devenue piège mortel. Dans cette nouvelle donne, la femme se trouve une nouvelle place aux côtés du héros et non à sa remorque pour l'épauler et non subir sa loi. Enfin les deux films soulignent le rôle délétère que peuvent jouer les médias dans les situations de crise bien que Jack parvienne à les retourner à son avantage.
« C’est dur d’être libre quand on est un produit acheté et vendu sur le marché. Mais ne leur dit pas qu’ils ne sont pas libres, ils sont capables de massacrer pour prouver qu’ils le sont. S’ils voient un individu libre, ils ont peur, ça les rend dangereux. »
Cette citation de George Hansen (Jack Nicholson dans son premier film important) est l’étendard d’ « Easy Rider ». Le film narre l’odyssée de deux motards hippies, Wyatt (Peter Fonda, fils de Henry et frère de Jane) et Billy (Dennis Hopper), « Born to be Wild » pour reprendre le titre phare de Steppenwolf (mais toute la BO est somptueuse). Sur leurs choppers achetés avec l’argent de la drogue, ils traversent l’Amérique à contresens (ils sont d'ailleurs pour la majorité des sédentaires un contresens) pour aller fêter Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans. Leur apparence et leurs manières jugées provocatrices (Wyatt par exemple arbore une panoplie de motard aux couleurs du drapeau US qui lui vaut le surnom de « Captain America ») leur vaut un rejet systématique qui les oblige à vivre en marge, c’est à dire à littéralement coucher dehors en attendant de servir de défouloir à la violence verbale et physique des rednecks haineux et bornés. C’est ça le prix de la liberté dont parle le personnage de Nicholson. Le nihilisme qui clôt le film suggère qu’elle n’existe pas ce qui remet en cause la prétendue démocratie américaine. "Born to be wild" devient comme en écho "Born to kill" dans "Full Metal Jacket" de Kubrick qui commence par la tonte des cheveux de la chair à canon destinée au bourbier vietnamien (les cheveux longs des hippies obsèdent les rednecks).
« Easy Rider » n’est pas qu’un plaidoyer pour la liberté sur le fond, il l’est aussi sur la forme. Le film est considéré comme le point de départ du Nouvel Hollywood, ce courant cinématographique né à la fin des années soixante qui s’inspire à la fois du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française. Du premier, il a ce regard documentaire très cru sur l’Amérique profonde et son intolérance viscérale à l’égard de l’autre ainsi que sur le mouvement hippie. Du second, il adopte le style heurté d’un « À bout de souffle »avec les « flashs mentaux » et le trip hallucinogène dans le cimetière, la jeunesse de ses protagonistes et leur côté indomptable. Des deux mouvements, il reprend le tournage à petit budget, en décors naturels avec un sens de la débrouille qui produit un résultat confondant de naturel.
La majorité des critiques français qui se sont exprimés sur "L'Ami américain" ont souligné son caractère morbide, inscrit dans les décors, l'atmosphère et la trajectoire de son personnage principal dont on apprend dès le début qu'il est condamné. Certains critiques plus finauds ont souligné à quel point il était inclassable, à mi chemin entre le film noir américain et le film d'auteur européen. Peu, très peu en revanche ont souligné que le film tout entier était parcouru de tensions contradictoires parfaitement gérées qui le rendent fascinant, surtout dans sa deuxième partie.Le morbide et le cafardeux se mêlent à des aspects comico-ludiques quelque peu régressifs (comme dans "Si Loin si proche!" qui a également un aspect néo-noir) même si le film est bien plus sombre que le titre du roman original de Patricia Highsmith dont il est adapté "Ripley s'amuse".
Le personnage principal de l'histoire, c'est Jonathan Zimmermann (joué par Bruno Ganz), un petit artisan de Hambourg sans histoire vivant modestement avec sa femme et son fils. Ce qui le détruit à petit feu, c'est justement d'être sans histoire. Alors va lui tomber dessus une histoire complètement invraisemblable "bigger than life" qui va peut-être (on ne le saura jamais vraiment) précipiter sa fin mais aussi lui permettre de vivre dangereusement, c'est à dire intensément ses derniers moments. Et dans le rôle du père noël/ange gardien/ange de la mort, "l'ami américain" alias Tom Ripley, alias Dennis Hopper, le symbole de la contre-culture US. Ce monstre de charisme est habillé et filmé de façon à encore amplifier son statut de mythe vivant.
La relation Zimmermann/Ripley, intime et complexe est faite d'attraction-répulsion. Zimmermann refuse de lui serrer la main pour ensuite mieux tomber dans ses bras pour ensuite mieux le fuir. Et Ripley est celui qui précipite Zimmermann dans un cauchemar éveillé à base de diagnostics médicaux truqués et de contrats criminels à remplir tout en intervenant pour le protéger. Le jeu outrancier de Dennis Hopper tire son personnage vers le burlesque, un genre qui occupe une place importante dès le début du film avec une allusion au "Mecano de la General" de Buster Keaton. Il faut dire que la séquence du train ou l'on voit le tueur amateur allemand et son doppelgänger américain multiplier les tours de passe-passe dans les toilettes pour éliminer un truand et son garde du corps est 100% jouissive (et le train est présent dans un autre livre de Patricia Highsmith adapté par Hitchcock pour le cinéma, "L'inconnu du Nord-Express"). Comme dans d'autres films de Wenders, les personnages fonctionnent en miroir l'un de l'autre. Ripley est pour Zimmermann "l'autre soi", ce soi inconnu sauvage, violent, fou que seule l'approche de la mort peut faire sortir du bois. La femme de Zimmermann (Lisa Kreuzer) est mise à l'écart par ce couple Eros-Thanatos qu'elle a bien du mal à briser.
Film sur le pouvoir du cinéma, "l'Ami américain" est rempli de références cinéphiles. Pas moins de sept réalisateurs y font des apparitions de Nicholas Ray à Samuel Fuller en passant par Jean Eustache dans les trois villes où se déroule le film (Hambourg, Paris et New-York).
"La Fureur de vivre", film culte et film maudit est aussi un témoignage d'une incroyable puissance sur la fracture générationnelle des années cinquante. Cette époque fut marquée aux USA par le triomphe de l'American way of life, un modèle de société fondé sur une classe moyenne consumériste et matérialiste aux valeurs très conservatrices. C'est dans cette société qu'une nouvelle classe d'âge est apparue, celle des adolescents, se caractérisant à la fois par un pouvoir d'achat lui permettant d'affirmer une culture spécifique et un allongement de la durée des études. Une jeunesse trop à l'étroit dans les cadres normatifs des parents ce qui a expliqué son rôle essentiel dans l'avènement de la contre-culture.
C'est à cette jeunesse et à son mal-être que s'intéresse Nicholas Ray au travers des trois personnages principaux du film. Jim Stark (James Dean devenu le symbole de l'éternel ado rebelle autant par son charisme et son jeu que par sa mort prématurée peu de temps avant la sortie du film), Judy (Natalie Wood) et Platon (Sal Mineo) sont trois adolescents mal dans leur peau qui font connaissance dans un commissariat. Chacun d'eux réclame désespérément des repères que leurs parents semblent incapables de leur donner. Le père de Jim est une carpette écrasée par sa femme, celui de Judy ne sait que la rabrouer et la frapper, ceux de Platon ont démissionné et se contentent d'envoyer de l'argent à leur fils, confié aux soins d'une gouvernante.
Freud avait écrit au début des années trente "Le malaise dans la civilisation". Ce titre apparaît parfaitement approprié à une société qui n'offre que le néant à ceux qui représentent son avenir. Chaque scène culte est une représentation de ce grand désert affectif et existentiel: celle du planétarium souligne la solitude de ces jeunes et annonce la fin du monde, la course de voitures se termine dans un gouffre, la maison abandonnée est une sinistre caricature du foyer que cherchent Jim, Judy et Platon. Les figures d'adulte sont systématiquement discréditées. Soit elles sont faibles et ridicules soit elles sont brutales et répressives et souvent les deux
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.