La violence de "La Horde sauvage" qui a fait l'effet d'une bombe lors de sa sortie est celle d'un monde désenchanté. C'est l'un des films qui permettent de toucher du doigt ce que signifie un monde sans Dieu (au sens large c'est à dire un monde sans foi ni loi... ou presque*). Le western classique est mort et ses valeurs avec. Il y a comme une odeur de charnier qui règne dans le film avec une fin dans laquelle planent les vautours. On y voit des bandits loqueteux, des soldats impuissants et déboussolés, une ligue de vertu tournée en ridicule et deux cow-boys charismatiques mais vieillissants et désabusés, Pike (William HOLDEN) et Deke (Robert RYAN) que seul un concours de circonstances a séparé de part et d'autre de la barrière de la légalité. Mais dans la chasse à l'homme que constitue "La Horde sauvage" le plus à plaindre est celui qui doit défendre la loi contre son gré car il est absolument seul face au néant qui s'étend devant lui. Les autres au moins peuvent assumer leur statut de malfrats moins unis par l'amitié (les sentiments ont peu sinon aucune place dans l'univers du film où c'est le monde du chacun pour soi qui règne) ou même par l'appât du gain (rapidement mis à la poubelle avec les autres "valeurs") que par un certain anarchisme qui ne dit pas son nom. Di Dieu ni maître, et ce jusqu'au-boutisme mène à des explosions de violence spectaculaires, orgiaques et d'un réalisme inédit pour l'époque (au sens où l'on voit l'impact des balles trouer les chairs et faire gicler le sang) mais dont le spectateur ne perd pas une miette (parce qu'elles sont chorégraphiées et parsemées de ralentis) ciblant les pouvoirs capitalistes et contre-révolutionnaires* et dans laquelle aucune vie, pas même la leur n'a d'importance. Il faut dire que de multiples signes montrent que leur univers se meurt (l'automobile, la mitrailleuse) et que eux-mêmes sont des morts en sursis qui se payent un ultime baroud d'honneur avant de disparaître. Ce nihilisme s'exprime particulièrement par l'insistance de Sam PECKINPAH à montrer le comportement des enfants lors des deux grandes scènes de tueries au début et à la fin du film. Pris au milieu de toute cette violence, ils la reproduisent, soit en devenant de petits soldats au Mexique, soit en jouant à brûler des scorpions et des insectes côté américain. "La Horde sauvage" est tellement iconoclaste qu'il va jusqu'à montrer une locomotive (symbole du "progrès") en marche arrière. Tout un symbole!
* Le contexte de guerre froide dans lequel a été réalisé le film ne peut être occulté, celui-ci étant contemporain de la guerre du Vietnam et du soutien des USA aux dictatures anti-communistes partout dans le monde. L'un des malfrats qui à mon avis n'est pas nommé Angel (Jaime SÁNCHEZ) par hasard est en effet mexicain et révolutionnaire, c'est le seul qui a des convictions et la tuerie finale prend pour point de départ son massacre par le général Mapache et ses soutiens allemands. Et est-ce un hasard si le seul refuge qui s'offre à Deke (qui, séparé des autres n'a pu participer à l'apocalypse finale) est justement le village d'Angel?
"Danse avec les loups" s'inscrit dans la lignée des westerns révisionnistes qui depuis les années cinquante n'ont cessé de réécrire l'histoire de la conquête de l'ouest dans un sens de moins en moins pro-occidental, de moins en moins manichéen (et raciste) et donc de plus en plus proche de la vérité historique. C'est d'ailleurs ce qu'un excellent numéro de l'émission Blow-Up consacré à l'histoire des indiens au cinéma démontre brillamment. Alors qu'on aurait pu croire que le film avait vieilli (c'était ce qui d'ailleurs ne me donnait pas envie de le revoir) avec son plaidoyer pacifiste pour la tolérance et la fraternité entre les peuples façon "united colors of Benetton", il dépasse largement le niveau du discours politiquement correct avec une vision d'ensemble dont la cohérence m'a frappé et qui rend le film plus actuel que jamais. En effet la rencontre entre John Dunbar (Kevin Costner) et la tribu de Sioux qui l'adopte revêt un caractère existentiel. John Dunbar découvre sa vraie nature à leur contact alors qu'au sein de l'armée américaine, il était dirigé contre elle (autrement dit vers son autodestruction). D'ailleurs les premières scènes qui sont aussi celle de ses premiers actes d'insoumission le montrent échapper de peu à une amputation puis à la mort. C'est pour ne plus servir de chair à canon qu'il se coupe de la société coloniale en partant se réfugier dans un avant-poste (provisoirement) isolé. Une retraite spirituelle dans le désert qui lui permet de se recentrer sur lui-même et de poser un regard neuf sur ce qui l'entoure comme préalable à sa renaissance en tant que membre de la tribu des Sioux. Durant la période de transition où il est coupé des hommes, il fraternise avec des animaux qui à son image sont des rebelles ou des atypiques: son cheval qui refuse de se laisser emmener et revient toujours vers lui et un loup solitaire qui lui tourne autour et qu'il apprivoise lentement. Sans le savoir, il a déjà basculé (et nous avec) dans la vision du monde des indiens, fondée sur l'harmonie avec la nature. Le retour des soldats blancs aux 2/3 du film fait prendre conscience du caractère dégénéré de leur "civilisation" prédatrice qui blesse, enlaidit et détruit par goût du pouvoir et de la convoitise mais aussi par bêtise et ignorance (ce sont les pires sujets, brutes et analphabètes qui servent de trouffions). Une profondeur de champ historique est suggérée par le casque de conquistador conservé par le doyen de la tribu mais aussi par l'alliance que les blancs passent avec des tribus ennemies des Sioux (diviser pour mieux régner, la technique infaillible ayant permis aux occidentaux d'assurer leur suprématie en Amérique et en Afrique au moins autant que la technologie de leurs armes). En montrant les dégâts que les conquérants laissent derrière eux (les bisons écorchés par exemple), "Danse avec les loups" acquiert une dimension écologiste en symbiose avec les civilisations autochtones qui même réduites à peau de chagrin continuent inlassablement à voir leur espace vital se réduire et leurs membres se faire massacrer en toute impunité par les exploitants de l'agriculture capitaliste alors même que la terre entière est entré dans une spirale de catastrophes dont nul ne sait jusqu'où elle ira.
En regardant "Coups de feu dans la Sierra", le deuxième film de Sam PECKINPAH sorti la même année que "L Homme qui tua Liberty Valance" (1962) de John FORD, j'ai pensé à la chanson des Doors "The End". Car ces deux films ont en commun leur enterrement de première classe du western dit "classique", pionnier, solaire, héroïque, rempli de certitudes et de manichéisme (même s'il y a une infinité de nuances à l'intérieur du genre) au profit du western "moderne", désenchanté, critique, nostalgique bref "crépusculaire" dans lequel les cow-boys ont pris un sacré coup de vieux et le gris a remplacé le noir et le blanc. Joel McCREA et Randolph SCOTT (dont ce fut le dernier rôle), deux vétérans du western de série B (même si le premier a eu une carrière plus diversifiée en tournant pour Alfred HITCHCOCK, Maurice TOURNEUR, William WYLER, King VIDOR ou encore Ernest B. SCHOEDSACK) interprètent respectivement Steve Judd, un ancien shérif et Gil Westrum son ex-adjoint réduits à vivre d'expédients dans une société qui désormais les méprise. Gil travaille dans un stand de foire déguisé en Billy the kid alors que Steve doit cacher à ses commanditaires les signes de son vieillissement, allant chausser ses lunettes pour lire son contrat dans les toilettes. Tous deux acceptent de reformer leur équipe afin de convoyer de l'or d'une mine jusqu'à la banque mais leur état d'esprit diverge. Si Steve a gardé ses valeurs "old school", Gil, dégoûté par leur déclassement et leur misère est prêt à trahir leurs anciens idéaux et à voler l'or. Ca ne l'empêche pas de manifester du respect à son compagnon (qui l'a d'ailleurs percé à jour) et de former Heck (Ron STARR), un petit jeune tête brûlé dénué de savoir-vivre mais qui a la fin du film apparaît comme un gentleman comparé aux brutes épaisses rencontrées dans la ville minière. Comme quoi Gil n'est pas dénué d'ambiguïtés ce qui rend son personnage passionnant. Le fameux gris évoqué par le quatrième personnage important du film, Elsa (Mariette HARTLEY), jeune fille révoltée et fugueuse qui comprend que le monde ne se divise pas en deux catégories, les bons et les méchants, contrairement au bourrage de crâne qu'elle recevait de son père (R.G. ARMSTRONG), fondamentaliste chrétien assez effrayant par son fanatisme et son oppression sur sa fille qu'il cherche à "posséder". Celle-ci n'est pas au bout de ses peines. A cause de son inexpérience liée à sa claustration, elle manque de peu tomber dans un piège sordide, son mariage donnant lieu à une séquence cauchemardesque et très audacieuse pour l'époque qui participe pleinement à démythifier le western par son ambiance glauque (pour ne pas dire dégénérée). Mais les deux vieux briscards veillent sur elle. Heck et Elsa représentent donc leurs héritiers dans ce très beau et prenant western travaillé par sa propre finitude mais encore plein de panache! Et les paysages, très expressifs (y compris celui, "lunaire" de la ville minière) sont somptueux.
Jack LEMMON dans un western (ce sera d'ailleurs le seul de sa carrière), voilà qui surprend. Pourtant en réfléchissant un peu, ce n'est pas complètement absurde. Et ce pour deux raisons. D'abord parce que la comédie burlesque étant très physique, Jack LEMMON a les qualités lui permettant d'être crédible dans le far-west et ensuite parce que le film fonctionne comme une démythification du métier de cow-boy. Frank Harris (Jack LEMMON) est au début du film un réceptionniste d'hôtel qui pose un regard enfantin sur les cowboys durs à cuire qui viennent y prendre du repos. L'un d'eux, Reece (Glenn FORD, excellent) se charge de le ramener à la réalité, d'abord avec des paroles qui résonnent comme une douche froide puis avec des actes quand Frank Harris décide de s'engager à ses côtés pour convoyer du bétail. Le film qui commence comme une comédie devient alors un récit initiatique d'abord assez drôle (les déboires de Harris avec sa monture en particulier) puis le ton se durcit lorsque le réalisateur adopte un point de vue quasi-documentaire pour nous montrer l'étendue de la rudesse du métier de cowboy: la poussière, la chaleur, le confort plus que spartiate, les difficultés de la tâche consistant à convoyer un troupeau de milliers de bêtes, les multiples dangers (serpents, indiens voleurs de chevaux, emballement du troupeau). Mais le plus marquant reste l'état de deshumanisation voire de sauvagerie des cowboys qui adoptent des comportements individualistes révoltants voire dangereux. En dépit d'un final qui revient à la comédie de façon quelque peu artificielle lorsque Glenn FORD et Jack LEMMON deviennent amis en déteignant l'un sur l'autre, ce qu'on retient, c'est plutôt l'autodestruction de l'ex-shérif qui ne sait plus gérer les relations humaines autrement qu'avec un flingue. Peut-être aurait-il fallu davantage assumer ce ton sans concessions pour que le film atteigne sa pleine puissance au lieu de la désamorcer avec ce final conventionnel bien peu crédible. Il n'en reste pas moins que s'il n'est pas le meilleur western de Delmer DAVES, "Cow-boy" n'est pas non plus un film médiocre, il est rempli de scènes fortes et bien filmées (s'il y a si peu de films de convois de bétail c'est justement parce que c'est une gageure pour un cinéaste), pose un regard intéressant sur la réalité du métier de cow-boy et a un discours pertinent sur la question. Il n'est juste pas complètement abouti.
J'aime beaucoup la sensibilité de Delmer Daves, particulièrement dans ses western. "La Flèche brisée" est sans doute celui qui est le plus connu. Pour au moins deux raisons. D'abord parce qu'il s'agit d'un plaidoyer humaniste, anti-raciste et pacifiste s'intéressant véritablement aux indiens et à leur culture (ce qui était le cas du réalisateur). Ce n'est pas le premier western montrant les indiens comme des hommes égaux aux colons européens et non comme des barbares, John Ford avait déjà ouvert la voie. Il n'en reste pas moins que "La Flèche brisée" a fait date dans ce domaine. D'autre part c'est aussi avec ce film et "Winchester 73", le premier des cinq magnifiques western qu'il a tournés avec Anthony Mann que James Stewart inaugure la seconde partie de sa carrière avec des compositions nettement plus sombres et torturées que celles qu'il proposait dans les comédies des années 30. Le contact rugueux du Far West fait surgir chez lui les éclairs de folie, les pulsions meurtrières (et sexuelles) sous la grande douceur qui le caractérise.
Bien que s'inscrivant dans les conventions hollywoodiennes (et ayant l'honnêteté de l'annoncer puisque la voix-off précise dès les premières secondes que les indiens parleront anglais -indiens qui par ailleurs sont joués par des blancs grimés-), le film, outre ses qualités esthétiques (voir la science du cadre de l'image par laquelle j'ai choisi de l'illustrer) tient en haleine de bout en bout et propose un discours remarquablement nuancé sur la question interraciale. Tiré de faits réels, il montre que les hommes de paix que sont Cochise et Tom Jeffords loin d'être des pleutres se retrouvent au contraire dans une position particulièrement délicate, dangereuse et inconfortable. Au sein de leur communauté, ils doivent affronter les sceptiques et surtout les extrémistes prêts à tout pour continuer la guerre jusqu'à l'anéantissement de l'ennemi (on entend d'ailleurs leurs propos typiques "avec nous ou contre nous", "un bon indien/blanc est un indien/blanc mort" etc.) En dehors, il leur faut gagner la confiance du camp opposé et trouver les bons interlocuteurs (le général Howard, antithèse du général Custer). Si l'autorité de Cochise est contestée (notamment par Geronimo dont la suite de l'histoire a montré hélas qu'il n'avait pas tort), Jeffords risque sa vie tant auprès des indiens qu'auprès de sa communauté d'origine. Et c'est comme nombre de héros chez Delmer Daves un homme seul (les premières images et les dernières ont dû inspirer celles de la BD de Lucky Luke remplie de références aux classiques du genre) qui ne parvient pas à trouver sa place dans la société. A "lonesome cowboy" désaffilié qui tombe amoureux d'une indienne mais leur amour est placé sous le signe de l'impossibilité. Aux USA, les couples mixtes sont particulièrement malmenés et encore aujourd'hui les statistiques ethniques catégorisent les individus selon leur "race" en niant les mélanges, résidus du passé raciste empreint de la phobie du métissage propre au pays.
"Impitoyable" c'est le western désenchanté par excellence, celui qui enterre tout un pan du genre dans un magnifique contre-jour funèbre sur fond de coucher de soleil. Les "héros" (?) y sont vieux et fatigués. Leurs idéaux, inscrits sur une pierre tombale ou sur un panneau à l'entrée d'une petite ville y tombent en lambeaux. Le biographe (chantre?) ironiquement chargé d'écrire l'histoire de quelques légendes de l'ouest dans la plus pure tradition de John FORD se retrouve bien en peine de tirer quelque chose de glorieux de la sordide et pathétique réalité qui se déroule devant ses yeux. Celles de cowboy, (ex) hors la loi, chasseur de primes ou shérif qui ont renié leur rôle et sombré dans l'impuissance c'est à dire dans la violence. Dès les premières scènes, on est prévenus: la violence surgit à la suite du rire d'une prostituée devant la taille ridicule de "l'engin" que l'homme exhibe devant elle. Défigurée pour avoir osé transgresser un système fondé sur le virilisme, elle est qui plus est victime d'une autre forme de violence par le biais du shérif qui croit régler le problème par une transaction compensatrice envers le proxénète en laissant totalement de côté la victime considérée comme une marchandise endommagée qui logiquement devant ce déni d'humanité et de justice crie vengeance. Voilà comment en quelques scènes, Clint EASTWOOD règle ses comptes avec la mythologie du genre ainsi qu'avec son image de réac misogyne voire facho sur les bords forgée notamment au contact des films tournés avec ses mentors, Sergio LEONE et Don SIEGEL ainsi que dans ses premières réalisations. Son point de vue est en effet à la fois très humain et très critique. Très humain car ses personnages n'ont rien de héros, ils sont plein d'imperfections pour ne pas dire souvent totalement pathétiques (Munny aussi fiévreux que ses porcs qui se traîne au sol sous les coups du shérif par exemple ou Ned qui s'avère incapable de tirer). Très critique car tout le monde en prend pour son grade à commencer par le shérif, brillamment interprété par Gene HACKMAN dont les méthodes barbares ébranlent sa fonction de représentant de la loi et de l'ordre à l'image de sa maison mal construite ou le tueur English Bob (Richard HARRIS) qui tombe méchamment du piédestal qu'il tentait de faire forger à la gloire de ses exploits. Lesquels se résument encore et toujours à un concours de bites. Quant aux exécutions, elles sont volontairement ramenées à leur niveau le plus crade, le plus écoeurant avec tel homme qui n'en finit plus d'agoniser en criant, le bide transpercé ou tel homme qui se fait tirer dessus en pleine défécation. Histoire d'empêcher qu'une nouvelle légende puisse pousser sur le tas de merde semble nous dire Clint EASTWOOD.
On a beaucoup rapproché à juste titre "Adieu Gary" du western. La référence est de toute façon explicite et ce dès le titre "Adieu Gary" (Cooper). Plusieurs extraits de western avec l'acteur ponctuent l'intrigue. Mais c'est surtout dans son atmosphère assez envoûtante que l'idée s'incarne: un incroyable décor de cinéma constitué par une cité ouvrière désaffectée brûlée par le soleil et balayée par la poussière qui semble être un no man's land perdue quelque part au bout du monde bien que longée par une voie ferrée sur laquelle passe de temps à autre un train dont on se demande s'il est bien réel. Dès le générique dans le tunnel, l'idée d'un voyage vers un ailleurs qui s'avère être un ailleurs immobile prend corps. D'ailleurs si ce voyage est immobile sur le plan géographique, il ne l'est pas sur le plan temporel. En effet la cité porte les stigmates de son histoire au travers du local syndicaliste transformé en mosquée sur lequel on distingue encore l'enseigne rouillée de la CGT et les lettres peintes sur la façade "maison du peuple". Une manière très matérielle de montrer comment le monde ouvrier d'origine immigrée a basculé de Marx à Mahomet avec la désindustrialisation du pays. Cependant ce qui frappe dans le film, c'est la façon dont les irréductibles habitants de ce lieu abandonné s'accrochent à des rituels dérisoires tendant à nier le temps qui passe et l'absence d'avenir. C'est Francis (Jean-Pierre BACRI) qui se rend tous les jours sur son ancien lieu de travail pour entretenir la seule machine qui a survécu à la fermeture de l'usine. C'est José (Alexandre BONNIN), le fils mutique (autiste?) de Maria (Dominique REYMOND), la maîtresse de Francis qui passe ses journées assis sur sa valise à attendre le retour hypothétique d'un père qu'il imagine sous les traits d'un cow-boy ayant les traits de Gary COOPER en train de sillonner la région à cheval. Ce sont aussi les fils de Francis, Samir (Yasmine BELMADI) et Icham (Mhamed AREZKI) et leur ami handicapé Abdel qui vivotent dans les boulots du secteur tertiaire* précaires et mal payés ou survivent de petits trafics. Une jeune génération particulièrement malmenée par l'absence de perspectives. Seule la belle Nejma (Sabrina OUAZANI) aura le courage de s'arracher à cet espace pour tenter sa chance ailleurs.
* Le secteur du lumpenprolétariat qui a succédé au secondaire depuis les années 70.
Oui Géant est une saga familiale qui s'étire sur plus de 3h, un quart de siècle et trois générations. Oui l'histoire se déroule au Texas et on y évoque l'enrichissement par le pétrole. Non ce n'est pas un pudding indigeste pour autant et la comparaison avec les soap des années 80 tels que "Dallas" ne rend pas justice à la qualité de "Géant". D'ailleurs il existe une autre façon de présenter le film, tout aussi parcellaire mais néanmoins nettement plus valorisante, celle qui consiste à mettre en avant James DEAN dont ce fut le troisième et dernier film puisqu'il se tua quelques jours après que le tournage fut terminé. Quoique parler de James Dean est à double tranchant car plusieurs articles préférèrent se focaliser sur son comportement détestable durant la réalisation du film et les frasques entourant les autres acteurs symboles de la démesure (mais aussi de l'hypocrisie en matière de moeurs) de l'âge d'or hollywoodien (alcoolisme, chantages, débauche, fiestas débridées etc.) plutôt que de parler du film en lui-même.
Toujours est-il que ce qui frappe dans ce "Géant", c'est le talent du réalisateur George STEVENS pour composer des plans-tableaux à la Edward Hopper ("La maison au bord de la voie ferrée" a inspiré celle des Benedict) et le progressisme de l'oeuvre originale de Edna Ferber (adapté par Ivan MOFFAT) qui donne au film son caractère humaniste. D'autre part les acteurs de "Géant" étaient peut-être remuants mais ils étaient extrêmement bien choisis. Elizabeth TAYLOR qui n'avait que 23 ans et qui était belle à se pâmer joue le rôle d'une femme de caractère venue du Maryland pour suivre son mari, Bick, rancher au Texas. Elle découvre comme on peut se l'imaginer un "Ploucland" sexiste et raciste dans lequel elle met son grain de sel, infléchissant quelque peu le destin de sa belle-famille. Rock HUDSON qui était alors au faîte de sa gloire joue son mari assez brut de décoffrage mais qui finit par amour pour elle par s'avérer plus tolérant que ses paroles et son comportement psychorigide ne le laissent penser (au point de se retrouver vingt-cinq ans plus tard de l'autre côté de la barrière à la grande joie de sa femme d'ailleurs). Inutile de dire que l'acteur est plus que parfait pour jouer un tel rôle dans lequel le masque social s'avère de plus en plus en décalage avec la réalité de ses actes. James DEAN joue le rôle de Jett, l'employé des Benedict plein de rancoeur et de frustration qui hérite d'un bout de terre à la mort de la soeur de Bick, Luz, vieille fille frustrée secrètement amoureuse de lui (joué par Mercedes McCAMBRIDGE tout juste sortie de "Johnny Guitare" (1954) et tout aussi revêche) avec lequel il fera fortune grâce au pétrole qui se trouve en-dessous. Un argent qui néanmoins ne lui apporte pas le bonheur mais au contraire précipite son autodestruction (quand je disais que les rôles étaient bien choisis). La sourde rivalité entre Bick et Jett qui incarnent deux formes de capitalisme (et de spoliation des indiens comme cela est rappelé) se nourrit de la confrontation de deux acteurs au style très différent (même s'il est ironique d'en avoir fait deux amoureux transis du personnage de Elizabeth TAYLOR alors que dans la réalité ils étaient tous deux homosexuels). Le travail sur le vieillissement des trois acteurs est remarquable étant donné qu'ils étaient dans leur vingtaine et qu'à la fin, leurs personnages sont censés en avoir plus de cinquante. Cela permet d'avoir une idée de la façon dont James Dean aurait évolué s'il avait vécu (personnellement je lui ai trouvé des airs de Johnny DEPP). A ce trio, il faut rajouter un quatrième personnage et un quatrième acteur, Jordan, le fils de Bick joué par Dennis HOPPER qui était à peine plus jeune que les trois stars (19 ans) mais qui incarne (déjà) la rébellion d'avec le modèle féodal et ségrégationniste du père promis au déclin. D'une part parce qu'il rejette la propriété terrienne au profit d'une profession libérale (médecin), ensuite parce qu'il épouse une mexicaine et s'installe avec ceux de sa communauté alors que ceux-ci sont traités en parias par les texans WASP. Il faut dire que sa mère a sauvé contre l'avis des siens un bébé mexicain qui devenu adulte est mort à la guerre (et qui joue ce mexicain? Sal MINEO alias Plato dans "La Fureur de vivre" (1955), film dans lequel joue également Dennis HOPPER!)
Le générique de "Pale Rider", le troisième des quatre westerns réalisés par Clint EASTWOOD* alors que le genre était moribond est un modèle d'épure cinématographique en plus d'être un film sur les origines de l'Amérique. Dès le générique, alors qu'aucun mot n'a encore été prononcé, le spectateur a déjà saisi l'enjeu principal du film à savoir celui de la lutte entre deux conceptions opposées du monde grâce au principe du montage alterné. D'un côté, une communauté de petits prospecteurs qui vit en harmonie avec la nature ce que souligne une bande son paisible. De l'autre, le bruit et la fureur des mercenaires envoyés par le magnat Coy LaHood (Richard DYSART) pour terroriser les villageois et les faire partir afin que ce dernier puisse faire main-basse sur leurs terres. C'est l'histoire de la lutte entre les petits entrepreneurs indépendants et les trusts qui en dépit des lois votées par les gouvernements dans la deuxième moitié du XIX° pour tenter de les dissoudre ont largement façonné le capitalisme américain. Une lutte sociale bien sûr mais aussi une lutte écologique. L'entreprise de Coy LaHood est montrée comme prédatrice aussi bien sur les hommes (les raids sur le village, la tentative de viol sur Megan par le fils LaHood joué par Chris PENN) que sur la nature: paysages défoncés, eaux détournées, pollutions etc.
Pour arbitrer cette lutte entre deux directions possibles pour une Amérique alors en construction propre à la mythologie du western, Clint EASTWOOD choisit non pas une dimension civique comme l'aurait fait John FORD mais une dimension mystique. Son personnage énigmatique est un fantôme revenu d'entre les morts à la suite de la prière de Megan (Sydney PENNY) dans la forêt qui demande qu'un miracle vienne la sauver, elle et l'ensemble des villageois. Le caractère biblique du personnage ne fait pas de doute, il apparaît aux yeux de Megan et de sa mère alors que la première récite un extrait de l'Apocalypse: " Et voici que parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se nommait "la Mort", et l'enfer l'accompagnait." Cette figure d'ange de la mort provient également des légendes païennes convoquées par la prière de Megan dans la forêt tout comme le "prêcheur" (nouvel avatar de "l'homme sans nom") s'avère être un impitoyable justicier qui règle des comptes personnels tout en insufflant aux villageois la force qui leur manque pour tenir tête à leurs adversaires corrompus. Sur un plan plus intime, il travaille de même à souder Hull Barrett (Michael MORIARTY), Sarah (Carrie SNODGRESS) et Megan en se servant du désir qu'il suscite auprès de ces deux dernières. J'aime beaucoup cette ambivalence du sauveur, son aspect très masculin mais son apparition due à la magie féminine, son comportement individualiste et en même temps le fait qu'il prend la défense des plus faibles et de la nature, son détachement vis à vis des passions terrestres et en même temps la caractère impitoyable de ses actes. L'économie de gestes, l'économie de mots, le hiératisme de la haute figure du prêcheur lui confèrent un charisme directement héritée des films de Sergio LEONE qui renforce sa dimension surnaturelle.
* Que beaucoup considèrent comme se situant dans la continuité des précédents voire de toute sa carrière dans le western et comme une relecture moderne de "L'Homme des vallées perdues" (1953) à qui il emprunte la plupart de ses thèmes et motifs mais auxquels il donne une direction différente.
"Pat Garrett et Billy the Kid" avait beaucoup d'atouts (entre autre son background historique, sa photographie, sa musique, une partie de son interprétation, de belles idées de mise en scène et de montage) pour être un grand film dans sa portée comme peut l'être par exemple la saga du Parrain qui transcende aussi bien l'époque de sa réalisation (les années 70 pour les deux premiers volets, 1990 pour le troisième) que son genre (gangsters) pour devenir une tragédie humaine intemporelle et universelle. On pourrait en dire autant de nombre de westerns classiques ou baroques comme théâtres des passions humaines à l'oeuvre. Mais "Pat Garrett et Billy the Kid" n'en fait pas partie. Il a selon moi au moins deux défauts assez rédhibitoires.
D'une part une narration relâchée, presque "je m'en foutiste" qui fait traîner le film en longueur et rend ses enjeux presque absurdes. Les exemples abondent mais je n'en citerai qu'un, la scène où le Kid s'évade de prison, en prenant tout son temps, mais vraiment tout son temps, à croire que le Far west était un espace propice à la flânerie presque bucolique. Autre exemple de ce manque de rigueur, "l'amitié" entre Pat et Garrett n'est pas montrée de façon convaincante alors qu'elle est pourtant basée sur des faits réels. Ca n'aurait pas eu d'importance si l'idée la plus intéressante du film à savoir que la quête de Pat consiste en fait à tuer la partie libre et sauvage de lui-même pour rentrer dans le moule de la civilisation (corrompue) avait été incarnée avec plus de conviction. Mais elle ne l'est que par intermittences. Le plus beau plan de ce point de vue reste celui où après avoir tiré sur le Kid il tire sur son propre reflet dans le miroir. Enfin, cette narration brouillonne se remarque également dans le fait que le personnage joué par Bob DYLAN semble ne jamais trouver une place satisfaisante dans le récit. Tout le monde l'épargne alors que ça tire à qui mieux mieux dans tous les coins et on ne sait pas pourquoi, pas plus qu'on ne sait ce qu'il fabrique là, autrement que comme symbole.
Cela m'amène au deuxième défaut du film. Comme nombre de ceux qui ont été réalisés à cette époque, il porte l'empreinte des idéaux post soixante huitard, lesquels s'incarnent dans le personnage du Kid et de sa bande. Ils ne sont pas pacifiques certes mais ce sont des "bandits joyeux, insolents et drôles qui attendaient que la mort les frôle" pour reprendre la chanson de Bernard Lavilliers "On the road again". Bref, les motards de "Easy Rider" (1968) confrontés à la haine de "Ploucland" ne sont pas loin, d'ailleurs Pat (James COBURN) est montré comme un croque-mort qui veut enterrer ses idéaux de jeunesse pour comme il le dit "finir peinard". Sauf que ce plaquage forcé est très simpliste. Billy est joué par un beau gosse au sourire charmeur (Kris KRISTOFFERSON) à des milliards de lieues des trognes burinées de Sergio LEONE et son comportement hédoniste fait croire que les lois humaines sont celles de la jungle (plus exactement celles de la mafia) et qu'à l'inverse ce sont celles de la jungle qui sont humaines (même pas comme Robin des bois d'ailleurs car il est trop égoïste pour cela, ne pensant qu'à prendre du bon temps avec ses potes). Cela me fait d'autant plus rager que l'appropriation capitaliste du bien commun par le système des enclosures transplanté d'Angleterre est bien montré mais la critique est rendu inopérante par cette glorification du hors la loi, instrumentalisé au profit d'un discours contestataire bêta. Enfin, si le progressisme d'un film se mesure à la façon dont il traite la gent féminine, celui-ci est l'un des plus réacs que j'ai vu. je l'ai trouvé proprement imbuvable. Toutes (ou presque) sont des putes interchangeables servant d'objets de plaisir et réduites au silence de surcroît (mais avec le smile!!). La seule exception, la femme de Pat est une pisse-froid qui lui fait la morale et qu'il ne touche donc même plus, CQFD.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.