"The Shock" ("La Terre a tremblé" en VF) est un mélodrame christique dans la plus pure tradition des évangiles. Plus exactement il s'agit d'une version contemporaine de la guérison à la piscine de Béthesda telle qu'elle est racontée dans l'Evangile selon Saint-Jean. "Lève-toi et marche!" aurait dit Jésus à un paralytique. Bien entendu, en échange du miracle, Jésus sauve/achète l'âme de l'infirme en lui faisant jurer de ne plus jamais pécher. La culture religieuse américaine fondée sur la Bible transpose cette histoire à l'époque du film, c'est à dire au début des années 20. Le péché est symbolisé par le quartier de Chinatown de San Francisco (celui-là même dans lequel sera tourné le film de Roman POLANSKI au titre éponyme), plus précisément par le "Mandarin café" tenu par une certaine "Queen Ann" (Christine MAYO, diabolique à souhait). Son homme de main est le fameux paralytique de la parabole des Evangiles. Et l'acteur prédisposé à ce type de rôles est bien évidemment Lon CHANEY qui avait déjà impressionné la pellicule avec le cul-de-jatte de "Satan" (1920) qui lui avait causé d'immenses souffrances (faute d'effets spéciaux, il jouait avec les membres inférieurs repliés ce qui les a traumatisés). Même si dans "The Shock", il a "seulement" un pied tordu et marche avec des béquilles ou est sur un fauteuil roulant, il est toujours d'une troublante crédibilité. Et il en va de même sur le plan psychologique. Car si l'on suit la parabole biblique, ses péchés sont rachetés en échange de sa guérison. Dans le film, Jésus s'incarne dans la figure d'une jeune fille pieuse, Gertrude (Virginia VALLI) dont il tombe amoureux. Cependant, non seulement la belle n'est pas libre mais elle est menacée par Queen Ann (qui a un vieux compte à régler avec son père) ce qui pousse logiquement Wilse (le personnage joué par Lon Chaney) jusqu'au sacrifice. En matière d'intensité émotionnelle se reflétant sur les expressions du visage, Lon Chaney "envoie du bois" mais il n'aurait pas pu soulever les montagnes s'il n'avait pas été aidé par un deus ex machina spectaculaire qui donne son titre au film en VF. Et comme entretemps Gertrude a goûté temporairement à la condition d'infirme et a découvert la lâcheté de son prétendant, disons qu'au final Wilse, transfiguré par sa rencontre avec le Christ rédempteur a toutes ses chances.
Dans le cadre de sa programmation consacrée au cinéma taïwanais en octobre, MK2 propose en salle et sur sa plateforme de streaming, MK2 Curiosity des films inédits en France dont "Missing Johnny", le premier film de Xi Huang qui a longtemps travaillé aux côtés de HOU Hsiao-Hsien, ce dernier ayant contribué à produire le film.
Bien que cela ne soit pas précisé, je pense que cette mise en avant du cinéma taïwanais par la plateforme alors que la menace géopolitique d'invasion de l'île par la Chine continentale se fait de plus en plus précise n'est pas un hasard d'autant que le congrès du Parti communiste chinois vient de donner un troisième mandat à Xi Jinping, partisan d'une ligne dure qui semble plus puissant que jamais. La plateforme de la Cinémathèque a créé une rubrique consacrée au cinéma ukrainien qui va dans le même sens, rappelant que la culture est un pilier du soft power à l'heure où les autocraties gagnent du terrain au détriment des démocraties.
"Missing Johnny" est avant tout un film d'atmosphère qui filme les pulsations de la capitale de Taïwan, Taipei qui comme toutes les grandes métropoles mondialisées possède sa Skyline (ou à défaut un CBD) et ne dort jamais. Le film suit trois personnages cohabitant dans le même environnement: deux vivent dans le même immeuble, le troisième y travaille. Chacun d'eux vit dans sa bulle. Hsu élève un couple de perroquets dans son appartement, Lee est autiste et accumule des piles de journaux dans sa chambre, Feng semble passer sa vie dans sa voiture. Sauf que l'un des perroquets de Hsu s'envole, que Lee disparaît durant des heures et que la voiture de Feng ne cesse de tomber en panne ce qui a pour conséquence de créer des interactions entre eux. Si l'intrigue reste tout de même très ténue (il ne se passe pas grand-chose en dehors du fait que l'on découvre la situation personnelle compliquée de Hsu au cours du film qui incarne la diaspora chinoise), les images de la ville sont absolument magnifiques: chaque plan semble construit comme un tableau animé, souvent de belles couleurs vives. Sur le plan esthétique, le film est un enchantement.
Voilà un documentaire exceptionnel dont la portée va bien au-delà du sujet. 40 ans après le suicide de Patrick DEWAERE à l'âge de 35 ans, sa fille Lola DEWAERE a mené une enquête salutaire dans sa propre famille pour faire toute la lumière sur l'histoire de son père, pouvoir enfin mettre des mots sur la souffrance et le malaise que beaucoup de gens pouvaient ressentir quand ils le voyaient jouer ou plutôt mettre toute son âme dans ses rôles. Son besoin de vérité, sa pugnacité et sa franchise rendent justice à ce père qu'elle n'a pas eu le temps de connaître et à qui elle en a longtemps voulu de l'avoir abandonnée. En se délivrant du poids des secrets que sa grand-mère (la mère de Patrick DEWAERE) avait si bien cachés mais qu'elle a réussi à lui faire avouer, elle fait éclater pas mal d'hypocrisies. J'ai pensé à la phrase prononcée par l'actrice Corinne MASIERO "il y a deux mots que je déteste, c'est amour et famille" car comment ne pas les haïr quand ils ne sont que mensonges? On est ainsi saisi d'un profond malaise quand on voit dans des images d'archives la mère de Patrick DEWAERE afficher fièrement sa tribu d'apprentis-comédiens devant la caméra en proclamant combien elle aime ses enfants alors que les faits prouvent exactement le contraire, tout particulièrement en ce qui concerne Patrick DEWAERE a qui elle a menti sur ses origines, qu'elle a exploité (même après sa mort) et surtout livré en pâture à un beau-père pédophile (qu'elle a en plus fait passer pour son père). Une fois qu'on a digéré ces informations relatives à l'enfance et admis la réalité de la maltraitance au sein de familles que la norme sociale juge modèle (mais il y a de nombreux domaines dans lesquels il y a un gouffre entre le jugement social et la réalité), tout le reste devient limpide, à commencer par les interprétations si habitées mais aussi si torturées de Patrick DEWAERE, parfois à la limite du soutenable (comme dans "Série noire" (1979) ou "Un mauvais fils") (1980). Le documentaire revient sur ses 10 plus grands films et offre le témoignage d'acteurs et de réalisateurs l'ayant bien connu et fréquenté de façon saine (j'ai découvert à cette occasion des aspects méconnus de Francis HUSTER et de Jean-Jacques ANNAUD). Car l'histoire de Patrick DEWAERE jette aussi un trouble sur d'autres personnalités avec lesquelles il semble avoir rejoué une partie de son enfance: Gérard DEPARDIEU le pseudo-frère et redoutable concurrent, MIOU-MIOU, la mère de sa première fille qui l'a largué pour Julien CLERC -même si on se doute qu'il devait être impossible à vivre- et COLUCHE qui a dû porter avant sa mort prématurée à lui aussi le poids de l'avoir trahi et de lui avoir donné l'arme avec laquelle il a mis fin à ses jours.
Les tribulations d'un âne, "EO" (l'équivalent de "Hi-Han" en polonais) qui passe de maître en maître comme son lointain ancêtre "Au hasard Balthazar" (1966) de Robert BRESSON mais avec une plus grande amplitude géographique puisque son périple commence en Pologne et se termine en Italie. Si le rôle de l'âne reste le même à savoir témoigner (en martyr) de la folie des hommes qui ont créé un monde insensible aux êtres vivants, le long-métrage a un caractère bien plus expérimental qui a pour but de nous immerger dans la vision du monde de l'âne. Ainsi, chacune de ses mauvaises expériences (qui sont nombreuses) se traduisent par un "trip hallucinogène" qui a fait dire à certains que le film ressemblait à un Terrence MALICK sous ecstasy. La couleur rouge envahit l'écran avec en plus des effets de lumière stroboscopiques ou de caméra tournoyante et des bruitages anxiogènes. La maltraitance animale ne se réduit pas à celle que subit l'âne, la plupart des animaux qu'il rencontre vivent en cage et sont promis à l'euthanasie ou à l'abattoir. De toutes façons, lorsque EO parvient à arracher quelques instants de liberté, ce n'est pas mieux: il manque se faire écraser sur la route ou faucher par une pale d'éolienne ou une balle de chasseur quand il n'est pas pris pour punching-ball par une bande de supporters fortement alcoolisés.
En dépit de son inventivité et de ses qualités plastiques (Jerzy SKOLIMOWSKI est également peintre), j'ai trouvé que le réalisateur ne parvenait pas à maintenir sa proposition jusqu'au bout. Dans la dernière demi-heure, le propos oublie presque l'âne pour se focaliser sur des intrigues humaines, d'abord avec un camionneur assez louche puis un prêtre endetté dont la mère est jouée par Isabelle HUPPERT (dont on se demande ce qu'elle vient faire là). Ces scènes assez ridicules de surcroît nous sortent du film. D'autre part, les changements de situation de l'âne sont incessants ce qui ne permet pas de creuser quoi que ce soit. Ainsi la relation de proximité avec la jeune fille Cassandra est réduite à l'état d'ébauche alors qu'elle était centrale dans "Au hasard Balthazar" (1966) et il en va de même des différents humains avec lesquels l'âne interagit alors que Bresson prenait le temps de les faire exister à l'appui de sa fable religieuse. Les défenseurs de la cause animale sont montrés comme contre-productifs parce que là encore, ils sont traités en quelques secondes là où dans "Okja" (2016) ils étaient bien plus développés et donc nuancés. "Okja" montrait aussi une relation forte entre un animal et une humaine-médiatrice tout comme "Princesse Mononoké" (1997) avec là encore une réponse nuancée, Hayao MIYAZAKI ne cherchant pas à éluder ses propres contradictions d'être humain sensible à la nature mais vivant dans une société capitaliste et industrialisée.
A la fin de "La Ligne rouge", on entend "God, Yu Tekkem Laef Blong Mi", chanté par une chorale d'enfants mélanésiens, une composition de Hans ZIMMER qui pour l'anecdote a été reprise plus récemment dans la campagne publicitaire des assurances GMF. Une chorale qui répond à un film choral, une communion qui s'adresse à dieu à la manière d'un gospel car pour reprendre la chanson sur l'enfance de Peter HANDKE " Lorsque l'enfant était enfant (...) pour lui, tout avait une âme, et toutes les âmes n'en faisaient qu'une". Aussi, bien que les huit soldats mis en avant dans "La Ligne rouge" aient chacun une individualité qui n'hésitent pas à s'affronter, lorsque le film s'élève vers les cieux, on les écoute penser comme les anges écoutaient les monologues des humains dans "Les Ailes du désir" (1987) et ce que l'on entend nous fait comprendre que ces hommes par delà leurs différences partagent la même nature. Terrence MALICK réussit avec "La Ligne rouge" un authentique exploit. Il nous déroule un récit de guerre limpide et contextualisé (la bataille de Guadalcanal en 1942, l'un des tournants de la guerre du Pacifique) avec une grande précision dans la mise en scène de la prise de la colline 210 et en même temps, il inscrit celle-ci au sein d'une entité plus vaste qui se moque des enjeux géopolitiques et idéologiques qui agitent les armées des pays en guerre ce qui en décentre le propos. "La propriété! Tout ce foutoir, c'est pour la propriété" s'exclame le sergent Welsh (Sean PENN) qui prétend ne croire en rien mais n'hésite pas à risquer sa vie pour soulager un soldat mourant. Il est particulièrement lié au soldat Witt (Jim CAVIEZEL), un mystique qui voit en chaque être l'étincelle divine qui est en lui et n'hésite pas à déserter pour partager la vie simple des indigènes qui vivent en communion avec la nature. Eux aussi se moquent bien de ce qui agite japonais et américains, renvoyés dos à dos lorsqu'ils ne sont plus que de la chair meurtrie ou pourrie que viennent s'arracher les chiens errants ou les vautours. Car la vie reprend toujours ses droits comme le montre la dernière image du film. Mais même lorsqu'il doit se confronter à la laideur de la guerre, Terrence MALICK parvient à en extraire de la beauté, que ce soit le soldat Bell (Ben CHAPLIN) qui se remémore les jours heureux passés avec sa femme ou le lien de confiance qui se créé entre le capitaine Staros (Elias KOTEAS) et ses hommes qu'il veut préserver des décisions va-t-en-guerre du lieutenant-colonel Tall (Nick NOLTE) qui cherche ainsi à dissimuler combien il se sent rongé de l'intérieur. Les quelques images un peu trop "léchées" qui sont prédominantes dans d'autres films du réalisateur n'altèrent ici en rien sa puissance évocatrice.
Etrange film qui parle d'une adolescente d'aujourd'hui confrontée au divorce de ses parents par le biais d'un mouvement du passé, celui de la nouvelle vague. Sont ainsi cités François TRUFFAUT ("Les Quatre cents coups" (1959) surtout, de la psy pour enfant à l'image arrêtée du dernier plan), Jacques DEMY (du passage Pommeraye à Nantes à la boutique de parapluies et jusqu'au prénom "démodé" de l'héroïne, Solange qui fait la paire avec son père joué par Philippe KATERINE ^^) et même Alain RESNAIS (la fin de Romaine dans "Mélo" (1986), c'est sans doute un pur hasard mais le frère de Solange dans le film s'appelle Romain). Outre cet aspect suranné, le film ouvre des pistes sans les creuser (par exemple les tentatives de Solange pour attirer l'attention ou s'émanciper apparaissent dérisoires tant la jeune fille issue d'un milieu aisé est propre sur elle. On est aux antipodes de "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée...") (1981) et d'autre part se répète beaucoup (que de plans sur le visage de la jeune fille noyée dans sa mélancolie ou bien sur celui, indéchiffrable de son frère ou encore de sa mère jouée par Léa DRUCKER fondant en larmes après avoir essayé de sourire!) Le résultat n'est pas désagréable d'autant que la petite Jade SPRINGER a une présence gracile à la Audrey HEPBURN mais m'a semblé somme toute assez insignifiant et mou du genou. En tout cas il renvoie tellement à un passé révolu qu'il ne renouvellera pas le genre du teen-movie.
"Salé sucré" est une chronique familiale à la sauce délicate, subtile et riche en goût pour filer la métaphore culinaire. Il m'a fallu d'ailleurs deux visionnages pour en saisir toutes les nuances ce qui n'est guère étonnant avec un cinéaste de l'étoffe de Ang LEE qui n'est jamais meilleur selon moi que dans ce registre comme l'a confirmé par la suite son inoubliable "Raison et sentiments" (1995).
Deux thèmes majeurs traversent de part en part le film: celui du flux et celui de la place. Alors que des images de circulation de piétons, d'usagers de transports en commun et de voitures reviennent à intervalles réguliers, symbolisant le mouvement de la vie, la famille de M. Chu (Sihung LUNG) se caractérise au contraire par la fixité et la rétention. Fixité des rituels, tel celui du repas dominical auquel ses trois filles adultes n'osent se soustraire sans pour autant parvenir à "goûter" les plats raffinés que leur chef cuisinier de père leur a pourtant concocté avec soin. Pas plus que lui d'ailleurs qui dit avoir perdu le sens du goût. On est d'autant plus désarçonné par cette soupe à la grimace que toute l'introduction nous faisait saliver avec la promesse d'un festin. C'est qu'il manque la dimension fondamentale de la convivialité dans ces repas qui loin de réunir le père et ses filles les enferment dans des rôles qui les étouffent à petit feu, faute d'une circulation adéquate de la parole. Et cela concerne aussi leur entourage. Lorsque Madame Liang (Ah LEI GUA) qui a des vues sur M. Chu en parle à sa fille, Jin-Rong (Sylvia CHANG), quadragénaire en instance de divorce, elle s'exprime d'une manière éloquente: "M. Chu, qu'est ce que tu en penses? Je le trouve très charmant moi, il cuisine très bien, il ne parle pas beaucoup, mais on communique quand même." Quand on connaît la fin du film, on ne peut que sourire devant la naïveté de son propos. A l'image du quatuor formé par Madame Liang, Jin-Rong, sa fille écolière Shan-Shan et M. Chu, les relations sentimentales (et sexuelles) de ses trois filles sont marquées par les quiproquos, les malentendus et les secrets. L'aînée, Jia-Jen (Yang KUEI-MEI), professeure de chimie qui à la suite d'une soi-disant déception sentimentale a renoncé à l'amour pour embrasser la foi chrétienne reçoit jour après jour dans son lycée des lettres d'amour enflammées mais anonymes juste au moment où elle sympathise avec le capitaine de volley. La seconde, Jia-Chien (Jacqueline WU), directrice adjointe d'une compagnie aérienne n'arrive pas à rompre clairement avec son ex tout en flirtant avec un collègue de travail qu'elle soupçonne d'être à l'origine du célibat de sa grande soeur. Enfin la plus jeune, Jia-Ning (Yu-Wen WANG) qui est étudiante jette son dévolu sur un garçon qu'elle croit libre puisque sa copine jure qu'il ne l'intéresse plus. On remarque également qu'à force de monopoliser la sphère culinaire, le père empêche ses filles d'y accéder ce qui menace la transmission de sa culture. Jia-Chien a hérité de son talent mais ne se sent pas le droit de l'exprimer, son métier de femme d'affaires étant une inversion des rôles subie plus que choisie et Jia-Ning a un boulot d'appoint dans un fast-food ce qui rend très concrète la menace d'acculturation (plusieurs personnages ont des liens avec les USA comme Ang LEE lui-même dont une part de la filmographie s'est acculturée).
Bien évidemment les images de flux présentes dans le film dont l'une est associée à la petite Shan-Shan vont finir par faire sauter les digues et entraîner la famille dans son courant, redéfinissant les places en fonction des vrais désirs de chacun. La scène finale est de ce point de vue particulièrement symbolique.
"Une histoire d'eau" est l'une des rares collaboration entre Jean-Luc GODARD et François TRUFFAUT bien qu'il ne soit pas le fruit d'un travail commun. Les images sont tournées par François Truffaut qui a l'idée de se rendre avec Jean-Claude BRIALY et une jeune actrice inconnue, Caroline Dim sur les lieux des inondations touchant l'Ile-de-France en 1958. Mais déçu par le résultat qui pèche par son manque de scénario, il abandonne le film. Jean-Luc Godard reprend le matériau délaissé par Truffaut et décide d'y imprimer sa marque très "nouvelle vague" par un riche montage visuel et sonore qui donne tout son piment au film. Celui-ci adopte le ton d'un itinéraire géographique et sentimental à la manière de la carte du tendre (que Godard citera ultérieurement dans "Bande à part") (1964). Une jeune fille souhaite se rendre à Paris depuis Villeneuve-saint-Georges ce qui va s'avérer pour le moins compliqué. Echouant à plusieurs reprises dans son entreprise à pied, en barque et faute d'autobus elle finit par se laisser embarquer dans une voiture conduite par un jeune homme entreprenant. Mais la voiture prenant l'eau, c'est plutôt la direction du flirt que prend le couple ainsi nouvellement formé dans des images impressionnistes très picturales qui font penser à celles de "Une partie de campagne" (1936) de Jean RENOIR. Ce couple, on ne l'entend qu'en voix-off, essentiellement celle de Caroline Dim dont le commentaire brode voire digresse sur les images et enchaîne les citations littéraires et philosophiques alors que celle de Jean-Claude Brialy est doublée par Godard comme avec Jean-Paul BELMONDO pour "Charlotte et son jules" (1960). A intervalles réguliers, la flânerie du couple est interrompue par des images aériennes des inondations sur une musique de percussions afro-cubaines qui créé un énième décalage assez loufoque avec ce qui est montré ce qui peut expliquer l'hommage rendu à Mack SENNETT à la fin du film.
"Novembre" de Cédric JIMENEZ est l'autre film à voir en ce moment au cinéma sur le sujet des attentats du 13 novembre 2015. Là où "Revoir Paris" (2021) portait un regard intimiste sur les victimes et leur reconstruction, Cédric Jimenez réalise un film d'action sobre et efficace qui s'intéresse à l'enquête et à la traque des terroristes durant les cinq jours qui ont suivi l'attentat. Son approche fait penser à "Zero Dark Thirty" (2012) de Kathryn BIGELOW notamment sur la fin qui culmine avec la spectaculaire intervention du RAID et du BRI dans la planque des derniers membres du commando à Saint-Denis. Si le spectateur est plongé en immersion durant 1h40 dans les opérations de filature, d'écoute, d'arrestations et d'interrogatoires musclés, le film a tendance à se répéter et surtout à survoler ses très nombreux personnages comme une machine bien huilée mais quelque peu désincarnée. Heureusement, il y a tout de même un aspect déterminant de cette enquête qui est creusé et qui va complètement à l'encontre de cette approche ultra "testostéronée". Il s'agit du choix de l'une des enquêtrices (jouée par Anaïs DEMOUSTIER) de s'écarter de la procédure pour se fier à son intuition, en s'appuyant notamment sur le témoignage d'une lanceuse d'alerte, Samia (Lyna KHOUDRI) qui au départ ne recueille quasiment que du scepticisme voire de la défiance au sein des enquêteurs alors qu'il va s'avérer déterminant pour parvenir à localiser Abdelhamid Abaaoud, le chef du commando terroriste. On peut déplorer de l'avoir représentée avec un foulard comme s'il était impossible que des maghrébins puissent être athées (ou juifs ou chrétiens ou bouddhistes!) ce que la principale intéressée a fait rectifier par une mention à la fin du film mais il est intéressant de voir comment cette jeune femme qui n'entrait décidément pas dans les cases a obligé la législation à s'adapter en mettant en place pour elle le statut de témoin protégé en principe réservé jusque-là aux repentis (du jihadisme).
"L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty" est le deuxième film pour le grand écran de Wim WENDERS mais il est considéré comme son premier long-métrage véritablement professionnel (le premier "Summer in the city" était son film de fin d'études). Bloqué près de trente ans en raison de problèmes de droits (Wim WENDERS avait utilisé des extraits musicaux sans en demander l'autorisation au préalable), il constitue aujourd'hui une curiosité, intéressante surtout pour les fans de Wim WENDERS. Le style y est déjà très maîtrisé, on sent que chaque plan a été soigneusement composé (normal pour un cinéaste qui est aussi photographe) et il annonce toute la filmographie à venir. Déjà parce qu'il s'agit de l'adaptation du roman éponyme de Peter HANDKE qui avait déjà collaboré avec Wim Wenders pour la télévision allemande et qui plus tard signera le scénario de "Faux mouvement" (1975) et surtout la "partition écrite" inoubliable de Les Ailes du désir" (1987). Ensuite parce qu'il s'agit de l'histoire d'une errance comme on en verra beaucoup d'autres chez Wenders, sans but, ni début, ni fin comme si le personnage était enfermé dans une prison à ciel ouvert (le film commence et se termine de la même façon, ramenant le personnage à son point de départ). La répétition est le motif dominant du film. Comme dans "Faux mouvement", le personnage semble faire du sur-place, revenant toujours dans le même type de lieux (hôtel, bus, cinémas, bars avec juke-box, stades de foot). Néanmoins, il y a une différence à mes yeux fondamentale entre ce film et ceux qui suivront, c'est son absence complète d'humanité. Joseph Bloch (Arthur BRAUSS) est un personnage dénué de tout affect qui agit plus comme un robot que comme un être humain. On le voit ainsi tuer sans raison apparente et laisser des indices compromettants (d'origine américaine d'ailleurs, est-ce le retour au pays natal qui provoque cet état de glaciation affective?) sans que cela ne semble provoquer en lui la moindre crainte de se faire attraper (peut-être même le souhaite-t-il, cela arrêterait son errance sans fin). Ce type de personnage désincarné, on le retrouve dans les plus beaux films de Wim Wenders, sauf que dans ceux-là, une ou plusieurs rencontres (avec un enfant, avec un ami, avec une femme) se produisaient qui les ramenaient ou les faisaient entrer dans la vie, leur faisaient découvrir ou redécouvrir le monde des émotions, des sentiments. Rien de tel ici et le nihilisme qui imprègne le film finit par rendre celui-ci rebutant.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.