L. 627
Bertrand Tavernier (1992)
Après l'avoir vu, j'ai compris pourquoi "L.627" faisait partie des films les plus importants tournés par Bertrand TAVERNIER et était devenu une référence. En effet celui-ci accomplit avec l'aide précieuse de Michel ALEXANDRE, ancien policier spécialisé dans le trafic de drogue un film qui colle à la réalité du terrain sans que pour autant cette démythification du boulot de flic, inhabituelle dans le cinéma français ne provoque l'ennui. En fait je pense que beaucoup de fonctionnaires peuvent y reconnaître leurs propres conditions de travail façonnées par les coupes budgétaires: locaux inadaptés ou vétustes, système D pour se procurer les fournitures essentielles (et encore, le film ne parle pas des pénurie de savon et de PQ dans les WC), manque de véhicules fonctionnels (la scène de la fuite d'essence que les policiers ont bien du mal à faire reconnaître pour ce qu'elle est est un cas d'école) et salaires visiblement insuffisants (puisque l'un d'eux complète ses revenus en filmant des mariages). A ce manque flagrant de moyens financiers viennent s'ajouter la passion française pour la paperasserie administrative inutile (des rapports que personne ne lira jamais), pour les stages totalement déconnectés du réel (l'un des flics est un bleu qui, dépassé par les situations qu'il est amené à vivre et par les réactions de ses collègues passe son temps à dire "qu'on ne lui a pas appris ça") et pour "la culture du chiffre" qui confine à l'absurde. Le boulot de ces flics est en effet un travail de Sisyphe, condamné à la répétition pour un butin dérisoire. Mais comme il faut néanmoins afficher des résultats, chacun se débrouille comme il le peut, bien souvent en dehors de la loi (elle aussi déconnectée des réalités du terrain). Le film met particulièrement en évidence le rôle des indicateurs et les relations forcément complexes qui se nouent entre eux et les flics. En échange de renseignements sans lesquels il leur serait impossible d'agir, ceux-ci deviennent leurs protecteurs voire leurs fournisseurs, n'hésitant pas à prélever une partie de la marchandise confisquée pour ceux qu'ils appellent les "cousins". On voit même se nouer une relation trouble faite de séduction et de tendresse filiale entre Lulu (Didier BEZACE) qui est investi à 100% dans son métier au point d'en négliger ses proches et une prostituée toxicomane, Cécile (Lara GUIRAO). Eux aussi sont dépeints avec un grand réalisme (social et médical), parfois éprouvant. Mais si Lulu est le personnage principal, les membres de son équipe sont également importants, chacun ayant sa personnalité propre sans lequel le film n'aurait pas le même relief. J'ai particulièrement apprécié les touches d'humour qui constituent des respirations salutaires pour les flics comme pour le spectateur.