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Le Daim

Publié le par Rosalie210

Quentin Dupieux (2019)

Le Daim

Le premier film que je vois de Quentin DUPIEUX m'a paru tout simplement brillant! Et loin de le trouver "absurde", j'y ai vu au contraire une mise en abyme de l'art cinématographique et la mise en relief de la mécanique implacable du serial killer:

1. Il est dénué d'affects comme de personnalité, d'ailleurs le film s'ouvre sur la chanson de Joe Dassin "Et si tu n'existais pas, dis-moi pourquoi j'existerais?" Comme un écho un peu plus tard sa femme lui dit au téléphone "qu'il n'existe plus".

2. Comme il est une coquille vide, son apparence devient une obsession car c'est elle qui définit sa personnalité. Le daim est une seconde peau exactement comme la veste en peau de serpent que porte Nicolas CAGE dans "Sailor & Lula" (1990) (inspirée de celle que porte Marlon BRANDO dans le titre au titre éponyme). J'ai pensé aussi au personnage de "Le Silence des agneaux" (1989) qui se fabrique un vêtement avec des morceaux de peau prélevé sur ses victimes. Comme il est immature, c'est le vêtement qui mue à sa place. Celui de Georges (Jean DUJARDIN) renvoie autant à l'aspect infantile du personnage* qu'à la sauvagerie. Ses propos sur "son style de malade" qui "bute" (on pourrait ajouter "qui flingue") prennent un double sens tout à fait savoureux.

3. Plus on avance dans le film, plus le personnage s'enfonce dans sa folie obsessionnelle et par conséquent "s'ensauvage": le daim recouvre progressivement toutes les parties de son corps alors même qu'il bascule progressivement dans la folie meurtrière (dans la sauvagerie, terme plus approprié que l'animalité proprement dite).

4. Pour pleinement "jouir" de sa toute-puissance (être le seul être au monde à porter un blouson), il a besoin d'un miroir. Comme Robert De NIRO dans "Taxi Driver" (1976) autre être solitaire en pleine dérive meurtrière, il se parle à lui-même dans le miroir (ou bien il donne une anima à sa veste lorsqu'elle est pendue en face de lui). Mais la suite ressemble davantage à "Le Voyeur" (1960) sauf que celui qui se rince l'oeil devant les images de ses crimes n'est pas celui qui tue. "Le Daim" est un monstre à deux têtes. Georges qui est mythomane se prétend cinéaste mais il est en réalité un acteur en costume, dirigé (manipulé) par sa serveuse-monteuse, Denise (Adèle HAENEL) qui l'encourage a aller toujours plus loin (ou plus près, c'est selon ^^) dans sa mise en scène sanglante et l'aide également à compléter sa peau de bête.

5. Et pour en finir avec les références cinématographiques, j'ai beaucoup pensé à un autre film avec Robert De NIRO, "Voyage au bout de l Enfer" (1978) alias "The Deer Hunter" (1978) d'autant que l'histoire se déroule dans un décor de montagnes et que des plans d'authentiques daims scandent l'intrigue. Georges avec sa panoplie de cow-boy d'opérette finit par y prendre la place du daim, c'est à dire de la cible chassée comme les héros du film de Michael CIMINO qui de chasseurs se muent en soldats avant de revenir (ou pas) dans la peau (dans le rôle) de la victime.

* Comment ne pas songer aux personnages des films de Wes ANDERSON, notamment celui joué par Owen WILSON dans "La Famille Tenenbaum"? (2002)

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Les 8 Salopards (The Hateful Height)

Publié le par Rosalie210

Quentin Tarantino (2015)

Les 8 Salopards (The Hateful Height)

Le seul film de Quentin TARANTINO que je n'avais pas vu était "Les 8 Salopards". La raison? "Il y a des têtes qui explosent" m'avait-on dit et cela avait suffi à me bloquer. En réalité, la violence est tellement exagérée qu'elle en perd tout son côté horrifique (le terme "grand-guignol" convient parfaitement au film qui est en réalité très supportable) et "Les 8 Salopards" n'est au final pas plus violent que "Pulp Fiction" (1994). Mais celui auquel il ressemble le plus est sans conteste "Reservoir Dogs" (1992), le premier film de Tarantino, comme si celui-ci avait voulu revenir aux sources*, l'habillage western en plus (d'ailleurs Michael Madsen est présent dans les deux films). Car "Les 8 Salopards" a beau être un huis-clos façon panier de crabes dans lequel tout le monde finit par s'entretuer à la manière des polars d'Agatha Christie, l'habillage est quant à lui super classe. Il y a d'abord une atmosphère très particulière: le film commence dans les grands espaces mais ceux-ci sont brouillés par le blizzard qui oblige les hommes à se confiner d'abord dans une diligence puis dans la mercerie de Minnie où se déroule la majeure partie de l'intrigue. A cette photographie (bi)polaire vient s'ajouter la bande originale composée par Ennio MORRICONE qui lui valut sur le tard l'Oscar de la meilleure musique de film et qui donna enfin à Quentin TARANTINO l'occasion de travailler avec son compositeur de prédilection. Ensuite, si le film comporte des longueurs et est un poil trop bavard, il reste néanmoins assez jouissif grâce à une mise en scène maîtrisée qui lorgne ouvertement du côté de Alfred HITCHCOCK. Ainsi lorsque le Major Warren (Samuel L. JACKSON) pénètre dans la mercerie, il se focalise (et la caméra également) sur des indices (un bonbon orange coincé entre deux planches de parquet et un bocal de bonbons manquant sur l'étagère) qui permettront plus tard au spectateur d'anticiper les événements. Il en va de même avec une diligence garée près de la mercerie que l'on retrouvera plus tard, preuve que chaque détail a son importance et que le film des événements se reconstitue comme un puzzle dans lequel chaque pièce s'emboîte parfaitement avec les autres. Par delà l'aspect ouvertement ludique du film, c'est (une nouvelle fois) la question du racisme qui est au coeur de l'histoire et le film pourrait tout à fait s'appeler "la revanche du major Warren", sa principale antagoniste étant la tueuse manipulatrice Daisy Domergue (Jennifer JASON LEIGH de plus en plus tuméfiée et peinturlurée au cours du film, certains pensent que c'est un hommage à "Carrie au bal du diable" (1976), moi je pense que c'est surtout un moyen -très efficace au demeurant- de dissimuler son visage lifté).

* "Réservoir Dogs" et "Les 8 Salopards" ont tous deux pour modèle avoué par Quentin Tarantino le désormais classique film d'horreur de John CARPENTER, "The Thing" (1982) et pour mieux enfoncer le clou, son acteur fétiche, Kurt RUSSELL joue l'un des principaux rôles dans "Les 8 Salopards" sans parler du trait d'union effectué par Ennio MORRICONE compositeur de BO inoubliables pour les westerns de Sergio LEONE mais aussi du film de John CARPENTER.

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L. 627

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1992)

L. 627

Après l'avoir vu, j'ai compris pourquoi "L.627" faisait partie des films les plus importants tournés par Bertrand TAVERNIER et était devenu une référence. En effet celui-ci accomplit avec l'aide précieuse de Michel ALEXANDRE, ancien policier spécialisé dans le trafic de drogue un film qui colle à la réalité du terrain sans que pour autant cette démythification du boulot de flic, inhabituelle dans le cinéma français ne provoque l'ennui. En fait je pense que beaucoup de fonctionnaires peuvent y reconnaître leurs propres conditions de travail façonnées par les coupes budgétaires: locaux inadaptés ou vétustes, système D pour se procurer les fournitures essentielles (et encore, le film ne parle pas des pénurie de savon et de PQ dans les WC), manque de véhicules fonctionnels (la scène de la fuite d'essence que les policiers ont bien du mal à faire reconnaître pour ce qu'elle est est un cas d'école) et salaires visiblement insuffisants (puisque l'un d'eux complète ses revenus en filmant des mariages). A ce manque flagrant de moyens financiers viennent s'ajouter la passion française pour la paperasserie administrative inutile (des rapports que personne ne lira jamais), pour les stages totalement déconnectés du réel (l'un des flics est un bleu qui, dépassé par les situations qu'il est amené à vivre et par les réactions de ses collègues passe son temps à dire "qu'on ne lui a pas appris ça") et pour "la culture du chiffre" qui confine à l'absurde. Le boulot de ces flics est en effet un travail de Sisyphe, condamné à la répétition pour un butin dérisoire. Mais comme il faut néanmoins afficher des résultats, chacun se débrouille comme il le peut, bien souvent en dehors de la loi (elle aussi déconnectée des réalités du terrain). Le film met particulièrement en évidence le rôle des indicateurs et les relations forcément complexes qui se nouent entre eux et les flics. En échange de renseignements sans lesquels il leur serait impossible d'agir, ceux-ci deviennent leurs protecteurs voire leurs fournisseurs, n'hésitant pas à prélever une partie de la marchandise confisquée pour ceux qu'ils appellent les "cousins". On voit même se nouer une relation trouble faite de séduction et de tendresse filiale entre Lulu (Didier BEZACE) qui est investi à 100% dans son métier au point d'en négliger ses proches et une prostituée toxicomane, Cécile (Lara GUIRAO). Eux aussi sont dépeints avec un grand réalisme (social et médical), parfois éprouvant. Mais si Lulu est le personnage principal, les membres de son équipe sont également importants, chacun ayant sa personnalité propre sans lequel le film n'aurait pas le même relief. J'ai particulièrement apprécié les touches d'humour qui constituent des respirations salutaires pour les flics comme pour le spectateur.
 

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Un homme courageux (West of hot dog)

Publié le par Rosalie210

Percy Pembroke (1924)

Un homme courageux (West of hot dog)

Stan LAUREL eut une carrière artistique avant son duo avec Oliver HARDY, d'abord sur les planches (notamment en tant que doublure de Charles CHAPLIN) puis au cinéma dès 1917. "Un homme courageux" est l'un des 16 courts-métrages le mettant en vedette entre 1923 et 1925. Il avait à cette époque signé un contrat de 12 films pour le producteur Joe ROCK et travaillait également pour les studios de Hal Roach. "West of hot dog", réalisé par Percy PEMBROKE (une production Joe ROCK) transpose son personnage décalé et lunaire dans l'univers du western où il n'est évidemment pas à sa place. D'ailleurs pour bien marquer sa différence avec les brutes patibulaires qui le malmènent, il ajoute à son air ahuri une énorme paire de lorgnons. Le film, d'une durée de deux bobines enchaîne des gags allant du plus simple (les mains en l'air qui font tomber le pantalon) aux plus sophistiqués (la partie de cache-cache dans la maison qui transforme Laurel en héros alors que les bandits meurent les uns après les autres suite à une série de hasard et coïncidences parfaitement orchestrés). Entre les deux, une scène spectaculaire, celle de la lecture du testament où les brutes ne cessent de passer le pauvre Laurel par la fenêtre, le faisant tomber de plusieurs étages mais celui-ci revient aussitôt par la porte presque comme si de rien n'était. Une sacré prouesse!

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Les Saisons

Publié le par Rosalie210

Jacques Perrin et Jacques Cluzaud (2015)

Les Saisons

"Les Saisons" est le dernier documentaire animalier réalisé par le duo formé par Jacques PERRIN et Jacques CLUZAUD. Après les airs et les fonds marins, c'est la forêt (européenne) qui est au centre du film. Ne dérogeant pas aux principes qui ont guidé leurs précédents documentaires, "Les Saisons" se place du point de vue des animaux, l'homme n'occupant dans le film qu'une place très périphérique. Sa principale utilité est de permettre de mesurer le temps qui passe. En effet si la forêt (que l'on voit apparaître à la fin de l'ère glaciaire) semble obéir à des principes immuables (et cycliques, d'où le titre), l'évolution de l'homme joue le rôle d'élément perturbateur. Ainsi sur 1h30 de film, près d'une heure est consacrée au paléolithique, considérée comme la période la plus harmonieuse de cohabitation entre l'homme et la nature. Cela se gâte dès le néolithique avec les premiers défrichages puis avec la construction des routes qui segmentent le territoire des animaux*. Si Jacques PERRIN montre qu'une faune se développe dans paysages ruraux façonnés par l'homme, il passe très rapidement sur la période industrielle en dépit de quelques allusions aux dégâts écologiques de la première guerre mondiale ou aux ravages des pesticides sur les abeilles. Si l'on attend de la pédagogie ou bien des informations exhaustives, ce documentaire où les commentaires sont réduits au strict minimum (comme dans les autres films de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud) ne pourra pas combler les attentes. En revanche, il est tout comme eux d'une grande poésie grâce notamment à des images d'une qualité exceptionnelle. Et il nous rappelle l'urgence à protéger ce monde qui avec le réchauffement climatique risque de disparaître de plusieurs régions françaises.

* Il est d'ailleurs intéressant d'établir un parallèle avec le sort réservé aux femmes. Dans le livre de Titiou Lecoq "Les grandes oubliées", celle-ci aboutit à la même conclusion que Perrin et Cluzaud dans "Les Saisons" en se basant sur les travaux de l'archéologue et préhistorien Jean-Paul Demoule: le Paléolithique (ère des chasseurs-cueilleurs plus ou moins nomades vivant dans la forêt et se partageant ses richesses) se caractérisait par une certaine égalité des sexes (les femmes chassaient aussi contrairement aux idées reçues) alors qu'avec le Néolithique apparaît la séparation homme-nature (les forêts ont désormais une lisière c'est à dire une frontière, là où commencent les champs et les premières villes) mais aussi la hiérarchie sociale (liée à la sédentarisation et à l'appropriation des terres) avec une explosion des inégalités et de la violence ce qui entraîne la relégation des femmes à l'arrière-plan au profit du culte du chef viril et guerrier.

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Garçon d'honneur (The Wedding banquet)

Publié le par Rosalie210

Ang Lee (1993)

Garçon d'honneur (The Wedding banquet)

Le deuxième film de Ang LEE a également été celui de sa consécration internationale puisqu'il obtient d'Ours d'or à Berlin. C'est une comédie souvent désopilante mais porteuse d'un message grave sur la difficulté d'être soi quand on est tiraillé entre deux appartenances incompatibles entre elles (un sujet que connaît bien le réalisateur puisqu'il est dans la même situation que son héros). On rit beaucoup devant les contorsions de Wei-Tong qui tente de préserver sa vie personnelle (individualiste, new-yorkaise, moderne, homosexuelle) tout en faisant plaisir à ses parents taïwanais traditionnalistes qui veulent une belle-fille et un héritier. Comme il est incapable de leur avouer la vérité, il imagine avec son amant, Simon un stratagème censé contenter tout le monde: contracter un mariage blanc avec Wei-Wei, sa locataire chinoise en situation irrégulière pour lui permettre d'obtenir une carte verte et en même temps se délivrer de la pression familiale. Mais ce qu'il n'avait pas prévu c'est que ses parents allaient débarquer à New-York bien décidés à s'installer chez lui pour organiser son mariage en grande pompe avec toute la communauté taiwanaise de New-York qui s'assure que celui-ci a été bien consommé. Wei-Tong qui tout au long de ces péripéties a révélé sa faiblesse de caractère face au poids des traditions de son pays d'origine et également face à Wei-Wei qui en pince pour lui se retrouve donc pris au piège de son mensonge au point de mettre en péril son véritable couple avec Simon relégué au rang de garçon d'honneur qui en vient à se demander ce qu'il fait dans cette galère. A force de vouloir marier la carpe et le lapin, Wei-Tong pourrait bien tout perdre d'autant que son père a le coeur fragile ce qui sert de prétexte pour repousser toute velléité de clarifier la situation. Mais ce père redouté s'avère bien plus fine mouche qu'il n'y paraît et on retrouve avec plaisir la subtilité d'approche de l'humain, par delà les différences culturelles du réalisateur de "Raison et sentiments" (1995).

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Une heure près de toi (One hour with you)

Publié le par Rosalie210

Ernst Lubitsch, George Cukor (1932)

Une heure près de toi (One hour with you)

Cette petite comédie musicale d'apparence désuète mais en réalité polissonne (on est encore dans la période pré-code) a d'abord un intérêt historique. Au début des années 30, Maurice CHEVALIER commençait une belle carrière d'acteur à Hollywood notamment sous la houlette de Ernst LUBITSCH qui le dirigea à cinq reprises en l'espace de six ans. On en voit d'ailleurs l'écho dans le film contemporain des Marx Brothers, "Monnaie de singe" (1931) quand les frères passagers clandestins dérobent un passeport à son nom et tentent de se faire passer pour lui en chantant (ou mimant pour Harpo) tour à tour avec un canotier sur la tête un extrait de "You brought a new kind of love to me". Maurice Chevalier avait d'ailleurs passé sa première soirée en Amérique à un de leurs spectacles de Broadway. Vingt-cinq ans plus tard, Billy WILDER qui avait commencé sa carrière comme scénariste notamment pour Ernst LUBITSCH et le considérait comme son mentor lui dédia tout particulièrement un film, "Ariane" (1957) avec Audrey HEPBURN dans le rôle-titre et pour jouer son père, il choisit Maurice CHEVALIER.

"Une heure près de toi" est un marivaudage dans lequel un couple marié, André et Colette Bertier (Jeanette MacDONALD qui avait déjà joué avec Maurice Chevalier dans la première comédie musicale de Lubitsch, "The Love Parade") (1929) cherche à entretenir la flamme du désir menacée par la routine conjugale. Après s'être fait passer pour un couple illégitime auprès de la police, il cède à l'attrait d'une aventure extra-conjugale. La mise en scène élégante et rythmée de Ernst LUBITSCH agence un savant quiproquo dans lequel Colette soupçonne la mauvaise personne alors que celle dont elle devrait se méfier a toute sa confiance puisqu'il s'agit de sa meilleure amie, Pitzi (Genevieve TOBIN). Celle-ci est en instance de divorce avec un mari pressé de s'en débarrasser et qui veut prendre le docteur Bertier à témoin de l'infidélité de sa femme. Colette de son côté est courtisée par Adolphe (Charles RUGGLES) et pourrait bien céder à ses avances pour se venger de son mari. Lequel, sommet d'immoralisme préfère prendre le public à témoin avec forces minauderies (et regards caméra appuyés) pour le rendre complice de son forfait. Certains ont vu dans ce film l'ancêtre de "Eyes wide shut" (1999) en tant que voyage initiatique d'un couple marié dans le monde des désirs débridés (et interdits). "Une heure près de toi" ne se contente pas d'évoquer l'adultère avec légèreté, il évoque d'autres désirs encore plus sulfureux tels que l'homosexualité (l'un des serviteurs d'Adolphe lui fait croire qu'il doit se déguiser pour aller à la soirée des Bertier juste pour le plaisir de le contempler en collants!) Le contraste entre le fond finalement assez osé et la forme désuète est l'un des charmes du film.

A noter que c'est à George CUKOR que Ernst Lubitsch avait d'abord confié la réalisation du film car il était pris sur un autre tournage mais sans doute insatisfait du résultat, il a repris le film en main, Cukor étant finalement crédité en tant qu'assistant-réalisateur. D'autre part une version française du film a existé (une pratique courante avant l'invention du doublage) mais a disparu.

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Revoir Paris

Publié le par Rosalie210

Alice Winocour (2022)

Revoir Paris

"Revoir Paris" c'est le "diamant dans le trauma" pour reprendre l'expression du film. Pour comprendre cette expression et la philosophie qu'elle véhicule, on peut se replonger dans "Un merveilleux malheur", le livre de Boris Cyrulnik sorti en 2002 qui popularisa la notion de résilience en soulignant que le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur*. Et pour cause, comment saurions-nous que nous sommes heureux si nous n'avons jamais souffert et vice-versa. Or avant de devenir une rescapée, une survivante, jamais Mia (Virginie EFIRA) ne s'était posé cette question du bonheur. Mais son stress post-traumatique qui se traduit par une amnésie partielle et des fragments de souvenirs récurrents qui s'invitent dans son présent dès qu'un stimulus vient les déclencher (un couloir, un gâteau d'anniversaire, une averse) l'empêche de reprendre une vie normale. Mia ne peut plus faire semblant tant elle ne cesse d'être ramenée à la soirée qui a fait basculer sa vie. Ne peut plus faire semblant par exemple de vivre avec un compagnon qui l'a planté en plein dîner au restaurant peu avant le drame sous prétexte d'une urgence alors qu'en revanche, un autre homme, Thomas (Benoît MAGIMEL) en décalage lui aussi avec le bonheur auquel il est sensé participer ce soir-là (sa fête d'anniversaire) lui a lancé un regard pénétrant -presque entendu- dans la brasserie où elle s'était abritée de la pluie juste avant l'attaque. Nul doute qu'il avait noté sa solitude, sa tristesse voire sa détresse (l'encre de son stylo qui coule sur ses doigts alors qu'elle essayait d'écrire dans son carnet de travail). Thomas comme Mia a survécu, lui aussi bien amoché physiquement et psychiquement mais leur duo aux tempéraments complémentaires fonctionne parfaitement. Mia, telle la Mariée dans "Kill Bill : Volume 1" (2003) enfile son armure de guerrière avant de chevaucher sa moto en quête de ses souvenirs perdus que Alice WINOCOUR fait revenir par fragments alors que Thomas dont la mémoire est excellente mais dont la mobilité est réduite se soigne par l'humour. En dépit de leurs évidentes affinités, leur rencontre ne pouvait se faire que sur le mode de la gueule cassée c'est à dire dans des chambres d'hôpital et au sein d'un groupe de victimes se réunissant régulièrement sur les lieux du drame, inspiré des attentats du Bataclan**. Parmi elles, la jeune Félicia (Nastya GOLUBEVA CARAX, la fille de Leos CARAX) symbolise la philosophie du film: une simple carte postale "léguée" par ses parents à laquelle elle n'aurait pas prêté attention dans d'autres circonstances l'amène à se plonger dans la contemplation des "Nymphéas" de Monet au musée de l'Orangerie. L'art, l'humour, le combat, autant de moyens de retrouver le chemin du monde des vivants auquel il faut rajouter un quatrième élément, le plus important, le lien fraternel qui circule désormais entre tous ceux qui ont vécu la même expérience. Un lien qui dans le cas de Mia prend valeur de quête initiatique. A la recherche d'un homme qui l'a aidé à survivre le soir du drame, elle s'aventure dans les bas-fonds de la société, au milieu des immigrés clandestins dont la survie est le quotidien et qui font aussi partie du paysage parisien, au pied même de la tour Eiffel mais qu'on ne remarque même pas. Jusqu'à ce qu'au seuil de la mort, on en découvre la valeur, celle du "diamant dans le trauma".


J'ajoute que dans ce beau film qui a la puissance de son évidence (au sens de sa justesse), un autre personnage joue un rôle clé: la ville de Paris, de sa vitrine huppée et touristique à ses arrière-cuisines les plus sordides.


* Boris Cyrulnik et Alice Winocour sont des survivants ou descendants de survivants de la Shoah.

** Le frère de Alice Winocour était au Bataclan le soir des attentats et a survécu.

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Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus

Publié le par Rosalie210

Sandrine Veysset (2021)

Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus

"Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus" est un documentaire qui a été diffusé sur France 3 en septembre 2021 et qui se situe dans le prolongement de "Annette" (2019), le dernier film de Leos CARAX. Il a été réalisé par Sandrine VEYSSET qui avait rencontré Leos Carax sur le tournage de "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) alors qu'elle ne se destinait pas au cinéma. Il l'avait encouragée à transformer ses souvenirs d'enfance en un récit qui avait finalement abouti au remarquable "Y aura-t-il de la neige à Noël ?" (1996).

Comme son titre l'indique, le documentaire est consacré au travail des deux marionnettistes, Estelle Charlier et Romuald Collinet qui ont conçu et animé "Baby Annette" et ses nombreuses déclinaisons (selon l'âge et les émotions exprimées par son visage) à la demande de Leos Carax: « Annette ne pouvait pas être une vraie petite fille, ne pouvait pas être de la synthèse, ne pouvait pas être un robot. Alors que pouvait-elle être ? Un objet animé que je pourrais voir et filmer au milieu des acteurs et qu’eux pourraient toucher, enlacer. Un regard. Une marionnette. Ou une “mariannette”, comme on l’appelait. » Bien que très éloigné sur le fond de "Mary Poppins" (1964) ou de "Qui veut la peau de Roger Rabbit" (1988), "Annette" appartient en effet au monde des univers hybrides dans lesquels interagissent des acteurs de chair et d'os et des personnages animés. Une rencontre délicate. Outre un travail d'artisan et de technicien qui force le respect par sa minutie, sa patience, son amour du travail bien fait, on découvre l'ampleur des défis liés à l'intégration d'Annette dans un univers cinématographique, en particulier lorsqu'il est nécessaire qu'elle soit prise dans les bras: les teintes de peau doivent parfaitement correspondre. L'ingéniosité des marionnettistes pour lui donner vie est sans limite alors que eux-mêmes disparaissent dans des caches improbables et inconfortables dignes de R2D2 (l'intérieur d'une valise par exemple). Mais le résultat est digne d'un film qui est lui-même hors-normes: d'une grande poésie.

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Y aura-t-il de la neige à Noël?

Publié le par Rosalie210

Sandrine Veysset (1996)

Y aura-t-il de la neige à Noël?

A la frontière du drame social, du documentaire naturaliste sur le monde rural des années 70 et du conte, "Y aura-t-il de la neige à Noël?" est un film tout à fait atypique dans le paysage cinématographique français. Son histoire est elle-même digne d'un conte puisque la réalisatrice, Sandrine VEYSSET qui n'était pas issue du sérail et n'avait jamais pensé faire du cinéma a réussi à réaliser son premier film grâce à deux rencontres décisives. La première, avec Leos CARAX pour qui elle travaillait sur "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) en tant que assistante-décoratrice et surtout chauffeur. Comme dans "Drive My Car" (2021), celui-ci l'écoute raconter son enfance et l'encourage à la transformer en récit. On mesure la fidélité de Sandrine VEYSSET à celui qui lui mis le pied à l'étrier au fait qu'elle a récemment réalisé "Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus", le très beau documentaire sur la création et l'animation de la marionnette qui est au coeur de "Annette" (2019), encore un conte, décidemment! La deuxième rencontre décisive fut avec le producteur Humbert BALSAN qui fut le seul à lui laisser une liberté inconditionnelle pour la réalisation de son film, succès-surprise tant critique (prix Louis-Delluc, César du meilleur premier film) que public grâce à un excellent bouche-à-oreille.

"Y aura-t-il de la neige à Noël" frappe d'abord par la manière dont s'emboîtent harmonieusement deux genres a priori plutôt opposés: le réalisme documentaire décrivant un monde âpre fait de pauvreté et de pénibilité et une esthétique recherchée tant picturale (on pense par exemple à Millet et autres peintres de la ruralité) et photographique qui nous projette dans l'univers des teintes et des costumes des années 70. Il en va de même avec ce que raconte ce film, très proche du vécu des petites gens des années 70 mais en décalage avec le récit officiel, celui d'une modernité dont les personnages du film ignorent à peu près tout. Tout semble archaïque en effet dans le film, tant au niveau des conditions de vie que des moeurs comme si l'univers campagnard décrit par Sandrine VEYSSET n'avait pas évolué depuis l'époque féodale. On y voit en effet une mère célibataire et ses sept "bâtards" (un mot qui en dit long sur le fait que mai 68 n'avait pas atteint les campagnes, pas plus que la contraception ou l'avortement alors que le chiffre sept renvoie évidemment au conte de Blanche-Neige et des sept nains) trimer aux champs et à la ferme sous la houlette intermittente du patriarche tyrannique. Le film offre en effet un panorama édifiant du système patriarcal le plus opprimant qui n'a rien à envier à celui que l'on ne cesse aujourd'hui de dénoncer chez "les autres" (dans les anciennes colonies notamment ou dans les pays musulmans). Régnant sans partage sur un large domaine en seigneur et maître, le "père" (qui n'a pas d'autre appellation dans le film) est un séducteur compulsif du genre trousseur de domestiques, un polygame qui navigue entre ses deux familles, l'officielle et celle de l'une de ses boniches ramassée à l'assistance publique dont il a fait sa favorite mais qu'il engrosse à la chaîne pour l'enchaîner un peu plus à lui alors qu'elle est déjà totalement dépendante de son bon vouloir et doit subir ses crises de jalousie, sa goujaterie et sa radinerie (entre autres). Il se comporte pareillement envers ses enfants qu'il exploite tout en les privant (d'électricité ou de chauffage par exemple) sans parler de l'ultime preuve de son besoin de domination qui est l'attitude incestueuse qu'il adopte envers sa fille aînée lorsqu'il la surprend en train de s'amuser avec un jeune garçon extérieur à l'exploitation. C'est que dans l'imaginaire de ces tyrans domestiques, le besoin de contrôle est absolu: les seules personnes autorisées à travailler à la ferme en dehors de sa seconde famille sont les fils du premier lit, adultes mais totalement soumis eux aussi et des travailleurs agricoles marocains qui ne sont pas en position de réclamer quoi que ce soit.

Face au pouvoir absolu de cet homme qui apparaît également comme un ogre de conte de fées, la "mère" (elle aussi n'est appelée qu'ainsi) joue un rôle complexe. Débordante d'amour pour ses enfants, elle les protège autant qu'elle le peut et le talent de Sandrine VEYSSET à filmer la magie de l'enfance ainsi que l'aspect esthétique (une atmosphère chaleureuse issue de la lumière en été, de la féérie de noël en hiver) confère au film un aspect proprement merveilleux: jeux dans les bottes de paille, avec une ferme miniature ou dans la neige, légumes transformés en bateaux, trajet à l'école en groupe sous une bâche, chahuts le soir dans la chambre. Le père lui-même apprécie ponctuellement de s'immerger dans ce qui est un lieu de vie, de mouvement, de désir aussi, celui que la mère a toujours pour lui alors que l'ambiance dans sa famille officielle est celle d'un tombeau. Néanmoins, au fil des saisons qui s'assombrissent et de l'attitude de plus en plus oppressante du père, la vitalité de la mère est peu à peu asphyxiée ("de l'air" dit un de ses fils en voyant le père partir) au point d'envisager la mort comme seule issue et l'on mesure alors à quel point l'emprise de cet homme (économique, juridique mais aussi psychologique) est puissante ainsi que le fait qu'en dépit d'évolutions considérables, elle a encore de beaux restes de nos jours.

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