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Articles avec #bergman (ingmar) tag

Bergman island

Publié le par Rosalie210

Mia Hansen-Love (2021)

Bergman island

Il n'y a selon moi que deux ou trois choses à sauver dans ce film: la musique, les paysages (très bien photographiés) ... et la bibliothèque de Ingmar Bergman. Pour le reste, il s'agit d'un exercice de style calibré pour plaire à la critique cannoise c'est à dire à une élite bourgeoise internationale ayant par le passé déjà sacré un film qui tournait autour du réalisateur suédois ("Les meilleures intentions" de Bille August en 1992). Mais pour vraiment le connaître, mieux vaut passer son chemin que de regarder ce film prétentieux et creux qui n'est même pas capable de restituer correctement ce qui fait le génie du réalisateur. On a droit au contraire à une vision caricaturale, sinistre et nombriliste qui évacue la part de magie et d'enfance de son oeuvre ("La Flûte enchantée" et "Fanny et Alexandre" en étant les plus beaux exemples) et plus généralement, tout son versant lumineux (la comédie "Sourires d'une nuit d'été" n'est même pas évoquée sans parler des baladins, comédiens et jeunes menant la vie de bohème pleins de joie de vivre qui peuplent nombre de ses films. Quant à "Scènes de la vie conjugale", le film le réduit à un cliché, celui des divorces que celui-ci aurait entraîné alors qu'il est bien plus complexe que cela). Et si le but était de faire de l'ironie sur le culte du cinéaste, c'est raté: Ingmar Bergman n'est certainement pas quelqu'un qui génère un tourisme de masse!

L'aspect inauthentique du prétendu hommage à Ingmar Bergman (hormis la beauté des lieux qui l'ont inspiré) est ce qui m'a le plus agacé tant il sent la posture à plein nez. Si on l'enlève, il n'y a plus grand-chose à se mettre sous la dent. Le couple de scénaristes américains interprétés par Tim Roth et Vicky Krieps est lui aussi l'objet d'une enfilade de clichés (paraît-ils, autobiographiques. Mais on ne fait pas des films que pour soi ou pour l'entre-soi, surtout que ni Mia Hansen-Love, ni Olivier Assayas son ancien compagnon ne sont Ingmar Bergman): la différence d'âge déjà entre les deux (la deuxième pourrait être la fille du premier), leur très vague crise conjugale à peine effleurée, leurs scénarios bidons (comme l'est celui du film qui ouvre des pistes sans les explorer). De celui de monsieur, on ne saura absolument rien sinon qu'il contient des dessins copiés sur le Kamasutra (ou inspirés de Sade?) Quant à celui de madame, il fait l'objet d'une double mise en abyme totalement inutile au vu de la vacuité de son sujet (un couple qui se sépare, se retrouve, se sépare à nouveau etc. joués par Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie, ce dernier tout aussi monolithique que dans "Oslo 31 août" de Joachim Trier) Tout cela se termine en queue de poisson, logique puisqu'il n'y avait rien à dire.  

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Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett äktenskap)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1972)

Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett äktenskap)

Bien que "Scènes de la vie conjugale" soit considéré comme un mètre-étalon dans le domaine de la dissection du couple et de ses faux-semblants*, il est à mon avis bien plus que cela. C'est surtout une quête de vérité, une recherche de soi et aussi de ce qui permet de se sentir vivant et relié au monde et aux autres: une quête des sens, des émotions, des sentiments perdus dans la facticité de la persona**. En effet le film commence au travers d'une vitrine sociale, celle de l'interview pour un journal féminin d'un couple modèle puisque dans les sociétés occidentales fondées sur le culte de la réussite il faut également "réussir son couple". Mais dès la scène suivante par le truchement d'un couple d'amis qui se déchire violemment puis de la confession d'une femme qui avoue avoir le coeur sec et les sens émoussés, le miroir aux alouettes vole en éclats. Derrière la vitrine du bonheur conjugal, il n'y a qu'un sinistre jeu de rôles consistant en des rituels d'affichage creux devant "parents" et "amis". Des liens qui disparaissent d'eux-mêmes lorsqu'ils s'avèrent aussi faux que le couple lui-même tel qu'il nous était présenté au début du film. Car à un moment donné, Johan (Erland JOSEPHSON) décide de jeter un pavé dans la mare en cessant de faire semblant. Une remise en question complète qui passe aussi par une redéfinition de lui-même. Renonçant progressivement à l'image de l'ambitieux à qui rien ne résiste, il s'avère être un homme peu sûr de lui, rongé par le doute mais qui éprouve un besoin viscéral de tendresse et d'intimité pour lesquels il est prêt à tout perdre. Par ricochet, sa femme, Marianne (Liv ULLMANN) est amenée à s'interroger elle aussi sur son identité et ce qu'elle souhaite, découvrant qu'elle a été formatée dès le plus jeune âge de façon à plaire, à se conformer et à n'avoir aucun désir personnel. A force de se chercher et à travers moultes crises étalées sur un certain nombre d'années***, Johan et Marianne vont être amenés à redéfinir profondément leur relation par un jeu de vases communicants, celle-ci gagnant en authenticité au fur et à mesure qu'elle se défait de ses oripeaux sociaux. Ce film de Ingmar BERGMAN me fait par ailleurs beaucoup penser au cinéma de John CASSAVETES. Lui aussi lacérait les contrats de mariage avec une rage équivalente à l'urgence de traquer en gros plan le besoin d'amour sur les visages d'acteurs mis à nu.

* On ne compte plus les films qui s'en sont inspirés de "Maris et femmes" (1992) de Woody ALLEN à "Marriage Story" (2019) de Noah BAUMBACH en passant par "Loin du paradis" (2002) de Todd HAYNES qui reprend le principe de l'interview pour un magazine féminin censé présenter un bonheur conjugal qui s'avère fondé sur des mensonges.

** "Persona" (1965) est d'ailleurs le titre d'un film de Ingmar BERGMAN. Ce mot désigne le masque social (à l'origine, c'était le masque que portaient les acteurs de théâtre).

*** Comme pour "Fanny et Alexandre" (1982) il existe deux versions, une mini-série télévisée de cinq heures et une version pour le cinéma de presque trois heures (celle que je connais).

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Le Lien (The Touch/Beröringen)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1970)

Le Lien (The Touch/Beröringen)

Je n'avais jamais entendu parler de ce film de Ingmar BERGMAN avant que Arte ait la bonne idée de le diffuser. Il faut dire qu'en France, pour une raison que je ne m'explique pas, beaucoup de films classiques de très grands réalisateurs étrangers sont inaccessibles car peu diffusés, non édités en DVD zone 2, non disponibles en VOD... Les exemples abondent comme "Le Limier" (1972) de Joseph L. MANKIEWICZ, "Leo the Last" (1970) de John BOORMAN, "Le Gouffre aux chimères" (1951) de Billy WILDER, "Les Quatre filles du Dr. March" (1933) de George CUKOR, "Boule de feu" (1941) de Howard HAWKS etc.

Si "Le Lien" n'est sans doute pas le meilleur film que Ingmar BERGMAN ait réalisé, il est loin d'être inintéressant. Tourné en partie en langue anglaise, il raconte l'histoire la plus banale qui soit: une bourgeoise (Bibi ANDERSSON) qui s'ennuie ferme avec son mari insipide (Max von SYDOW) prend un amant déraciné, solitaire et tourmenté qui lui en fait voir de toutes les couleurs (Elliott GOULD). Tenir 1h50 sur une histoire d'adultère n'est pas spécialement enthousiasmant. Néanmoins, l'incapacité de l'amant à créer du lien, que ce soit avec un lieu ou avec une personne, son imprévisibilité, son instabilité, sa violence amène le réalisateur à évoquer en creux les séquelles de la Shoah à long terme sur ceux qui en ont été victimes, leurs descendants et les sociétés qui en ont été complices (comme la société suédoise). Est-ce ce lourd contexte qui explique que la relation entre Karin et David soit à ce point difficile? Leur passion est douloureuse, empreinte d'incommunicabilité, de violence et de frustrations, y compris sexuelles (leurs étreintes ne semblent jamais aboutir à une quelconque satisfaction*). Et on ne peut pas dire que les symboles qui les environnent soient plus positifs: statue de vierge en bois rongée par les insectes, serpent qui se mort la queue, appartement(s) de David soulignant son déracinement par leur dépouillement. Bref aucune réconciliation ne semble possible. Karin rompt certes avec son bonheur conjugal factice (souligné ce qui est inhabituel chez Ingmar BERGMAN par une esthétique publicitaire avec notamment une musique guillerette célébrant les joies d'être une femme au foyer pleine d'ironie) mais pour embrasser le destin de David: une vie d'exil et de solitude.

* Le nom marital de Karin, Vergerus est récurrent dans l'univers de Ingmar Bergman. Il est notamment associé au terrifiant évêque protestant qui tyrannise Alexandre dans "Fanny et Alexandre" (1982).

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Sourires d'une nuit d'été (Sommarnattens leende)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1955)

Sourires d'une nuit d'été (Sommarnattens leende)

Alors que Ingmar BERGMAN est perçu comme un cinéaste austère réalisant des films ésotériques, c'est paradoxalement avec une comédie légère située à la Belle Epoque qu'il a rencontré le succès international au milieu des années cinquante. Pourtant c'est pour échapper à des idées suicidaires qu'il a réalisé "Sourires d'une nuit d'été" (d'ailleurs si on est attentif, des traces de cet esprit suicidaire demeurent dans la comédie: le père et son rival qui "jouent" à la roulette russe, le fils qui tente de se pendre) comme le faisait également Billy WILDER*. De fait le film qui est virevoltant et plein d'esprit avec des dialogues particulièrement percutants se place sous un double héritage. D'une part celui du théâtre, première passion de Ingmar BERGMAN (Shakespeare évidemment, c'est d'ailleurs limpide dans le choix du titre qui adapte la nuit d'été au jour permanent qui règne la nuit de la Saint-Jean dans le grand nord scandinave mais aussi Marivaux et Beaumarchais), d'autre part la screwball comédie du remariage américaine dans lesquelles les femmes mènent les hommes par le bout du nez. De fait le pauvre avocat Fredrick Egerman (Gunnar BJÖRNSTRAND) dont les agissements sont dictés par un souci permanent de respectabilité ne cesse de se faire ridiculiser: par sa jeune épouse, Anne (Ulla JACOBSSON), qui se refuse à lui avant de s'enfuir avec son fils Henrik (Björn BJELVENSTAM) et par sa maîtresse, Désirée (Eva DAHLBECK) qui le met en présence d'un rival, le comte Malcolm (Jarl KULLE) le contraignant à fuir dans la chemise de nuit dudit rival après qu'il soit tombé à l'eau devant elle. Mais Désirée avec la complicité de Charlotte (Margit CARLQVIST), l'épouse du comte Malcolm qui désire se venger des infidélités de son mari se joue également de l'officier pour mieux ferrer son poisson d'avocat. A ces chassé-croisé libertins entre aristocrates et bourgeois, il faut ajouter l'inévitable soubrette peu farouche, Petra (Harriet ANDERSSON) qui a pour mission de déniaiser Henrik avant qu'il n'effectue le grand saut de la conjugalité. Car cette comédie friponne qui débride les désirs par le biais d'un vin aphrodisiaque et d'un système de lit pivotant et de cloison coulissante qui permet de passer d'une chambre à l'autre accouche au final d'une remise en ordre très conservatrice, chacun finissant dans les bras de la chacune qui lui correspond le mieux en terme d'âge et de classe sociale.

* " Quand je suis très heureux je réalise des tragédies, quand je suis déprimé je fais des comédies. Pour "Certains l'aiment chaud" (1959) j'étais très déprimé, suicidaire."

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Sonate d'automne (Höstsonaten)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1978)

Sonate d'automne (Höstsonaten)

"Sonate d'automne" fait partie des affrontements à huis-clos particulièrement éprouvants qu'affectionnait Ingmar BERGMAN. Il y interroge (magistralement) la relation mère-fille(s) dans ce qu'elle peut avoir de plus sombre, de plus aliénant, tant d'un côté que de l'autre. Et ce au final sans jugement. On est plutôt dans la philosophie de Jean RENOIR "Chacun a ses raisons". Je ne sais si c'était une volonté délibérée de Ingmar BERGMAN ou si c'est le jeu de sa compatriote qu'il fait tourner pour la première (et dernière) fois, Ingrid BERGMAN plus connue pour les rôles hollywoodiens de ses jeunes années que pour celui de la femme vieillissante à qui sa fille, Eva (Liv ULLMANN) demande de rendre des comptes "sur le tard". Plus l'affrontement entre ces deux femmes gagne en intensité jusqu'à l'étouffement, plus on constate leur incapacité fondamentale à communiquer et à ressentir, chacune restant enfermée dans sa prison intérieure qui les condamne à une solitude absolue. Ce que le spectateur constate également en effet, c'est la reproduction de la même stratégie d'évitement (de la vie) de génération en génération. Charlotte, la mère s'est réfugiée dans sa carrière de pianiste et dans son jeu d'actrice consommée du lien social pour masquer son incapacité à donner de l'amour à ses enfants. Incapacité liée au fait qu'elle n'a elle-même pas reçu d'amour et qu'elle en est donc restée sur ce plan à un stade infantile, espérant même renverser les rôles en réclamant que sa fille lui en donne. Ses carences se remarquent également dans le fait qu'elle a oscillé toute sa vie entre une conduite d'évitement (qui se reproduit à la fin du film) et des exigences de perfection aliénantes que l'on retrouve même dans son jeu au piano tout en contrôle et en retenue. Besoin de contrôle qui se paye par des maux psychosomatiques. Eva, la fille qui est filmée au début et à la fin de la même façon (observée de loin par son mari, seule au piano dans un surcadrage accentuant sa solitude et son enfermement) semble ne jamais avoir accédé au statut d'adulte. Ses propos, son maintien, ses tenues, ses tresses font d'elle une éternelle petite fille "pleurnicheuse" (selon sa mère) c'est à dire perpétuellement en demande. Et lorsque toutes ses rancoeurs finissent par sortir de sa bouche, cela ressemble à une régurgitation assez vaine puisqu'elle reste scotchée à une mère qui est un arbre mort (comme le suggère la séquence de fin). A cause de cette fixation maladive sur le ressentiment qu'elle éprouve envers sa mère, Eva ne peut ni donner d'amour, ni donner la vie puisqu'elle a avorté d'une première relation puis perdu le fils qu'elle avait eu avec son mari qui par son âge avancé et son regard rempli de compassion ressemble davantage à un père (il est pasteur). Eva s'est d'ailleurs réfugié dans un mysticisme qui ressemble à un refus de faire le deuil de ce fils et qui contribue à l'impression de temps figé que véhicule le film. Pour le remplacer, Eva a accueilli chez elle sa soeur handicapée, Héléna qui symbolise en mode "brut" les dégâts de l'abandonisme de leur mère puisque ne pouvant ni parler ni marcher, elle en est réduite à hurler son besoin que sa mère s'occupe enfin d'elle (il y a aussi un peu du complexe d'Electre là-dedans -au sens de séduire le père pour se substituer à la mère- comme on le découvre par la suite). La présence d'Héléna est une façon de matérialiser le mal qui ronge Eva et de maximiser la culpabilité de leur mère, laquelle comprend lorsque Eva l'évoque pour la première fois qu'elle a été "piégée" rendant tout réconciliation impossible.

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Les fraises sauvages (Smultronstället)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1957)

Les fraises sauvages (Smultronstället)

Bien que "Les Fraises sauvages" soit tenaillé comme nombre de films de Ingmar BERGMAN par la contradiction entre pulsion de vie et pulsion de mort, c'est sans doute l'un de ses films les plus accessibles, l'un des plus humains et l'un des plus optimistes aussi. Bien que le personnage principal, Isak Borg (dont les initiales renvoient comme un miroir à un autoportrait déguisé du cinéaste) soit décrit comme un fossile fâché avec la vie, tourmenté par de terribles cauchemars et de pénibles souvenirs, c'est le mouvement de la vie qui l'emporte. Plutôt que de prendre l'avion pour rejoindre Lund où doit se tenir la cérémonie de son jubilé, il a l'idée salvatrice de faire le trajet en voiture. Trajet ponctué de rencontres symboliques qui apparentent le film a un road-movie avant la lettre. Isak est accompagné par sa belle-fille Marianne (Ingrid THULIN) qui est elle-même tiraillée entre son amour pour Evald, le fils d'Isak qui s'avère être son double rajeuni et l'horreur que lui inspire les difficultés à vivre et à aimer de la famille Borg qui flirte ouvertement avec les tombeaux. Ils croisent d'abord un joyeux trio d'auto-stoppeurs qui représente la part lumineuse de la vie d'Isak, quand il était jeune et amoureux de sa cousine Sara qui lui a préféré son frère moins guindé, Sigfried. L'auto-stoppeuse s'appelle d'ailleurs elle-même Sara et elle est jouée par la même actrice, Bibi ANDERSSON. Avec eux, c'est la vie et la lumière qui entrent dans la voiture et on pense forcément aux baladins du film "Le Septième sceau" (1957). Mais peu de temps après, ils manquent se faire renverser par un couple en crise, rempli de haine l'un envers l'autre que Marianne a la bonne idée de chasser hors de la voiture avant qu'ils ne les contaminent de leur fiel. Si Isak a raté sa vie sentimentale en perdant les femmes de sa vie à force de les mettre à distance, Marianne espère encore sauver son mariage avec Evald et parvenir à le rattacher à la vie avec l'enfant qu'elle porte. Et Isak d'essayer de sauver ce qui peut l'être pour adoucir le temps qui lui reste à vivre. La magnifique prestation de Victor SJÖSTRÖM, grand réalisateur scandinave au temps du muet dans le rôle de Isak confère au personnage une grande humanité et le rend infiniment attachant en contradiction avec la mauvaise image qu'il véhicule auprès de son entourage. Il faut voir ses traits s'affaisser quand Marianne lui dit que son fils le hait ou au contraire s'éclairer quand Sara l'auto-stoppeuse lui procure spontanément de l'affection.

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Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1982)

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander)

"Fanny et Alexandre" fut le premier grand choc cinématographique de ma vie. Gloire à Ingmar Bergman d'avoir réalisé une version pour la télévision car c'est elle que j'ai vue étant donné qu'à l'époque, j'avais l'âge de Fanny et d'Alexandre et je n'aurais eu aucune chance de découvrir le film au cinéma. C'est d'ailleurs cette version longue que j'ai tenu à revoir pour écrire mon avis. Bien que je possède le coffret contenant également la version courte, je pense que "Fanny et Alexandre" doit être vu dans son intégralité. Et comme il s'agit d'un chef d'oeuvre prenant, haletant et ce à tout âge, les presque six heures passent à la vitesse de l'éclair.

Les émotions de l'enfant que j'étais alors ne m'ont jamais quitté. Je me souviens de l'émerveillement que j'ai ressenti devant la magnificence du repas de noël de la famille Ekdahl puis du contraste violent avec le dépouillement de la chambre du presbytère dans laquelle les enfants étaient enfermés comme dans une prison. Par dessus tout, je me souviens de l'horreur que m'a inspiré le père fouettard Vergerus. Plus encore que la résistance d'Alexandre à l'emprise de l'ignoble pasteur, ce sont les yeux perçants de Fanny qui m'ont marqué lors du châtiment reçu par son frère et son visage qui se détourne lorsque la main de Vergerus veut la toucher. Lorsque bien plus tard j'ai commencé à lire les livres d'Alice Miller ("C'est pour ton bien", "L'enfant sous terreur" etc.) ce sont les images du père Vergerus abusant de son autorité pour martyriser Alexandre qui m'ont accompagnée. Par la suite mon moment préféré est devenu le formidable numéro d'illusionnisme hautement jouissif par lequel Isak Jacobi investit la demeure du sinistre pasteur pour subtiliser les enfants. En revoyant le film adulte, j'ai continué de vibrer aux mêmes passages tout en appréciant les aspects que je ne pouvais comprendre alors tels que les rapports de classe ou les rapports de couple.

"Fanny et Alexandre" est en effet une fresque grandiose, riche et d'une grande beauté visuelle mettant en vedette une grande famille de la bourgeoisie de Stockholm au début du XX° siècle écartelée entre Eros et Thanatos avec une puissance rarement égalée dans l'histoire du cinéma. Il faut dire que ce combat traversait toute l'oeuvre de Ingmar Bergman et que le film a une valeur autobiographique et testamentaire certaine (comme son livre "Lanterna Magica"). Testamentaire mais joyeuse car c'est le tourbillon de la vie qui l'emporte. Bien que conforme aux codes de son temps et de son milieu (on pense tantôt aux salons Napoléon III, tantôt à du Maupassant), la famille Ekdahl s'en démarque sur plusieurs points. Ce qui frappe d'emblée, c'est sa générosité débordante perceptible à travers des décors somptueux, foisonnants (comme le film) mais aussi à travers des caractères truculents comme celui du priapique Gustav-Adolf et de son insatiable appétit sexuel envers des femmes aux formes elles-mêmes généreuses. Son frère aîné Oscar, frappé à l'inverse d'impuissance déverse le trop-plein dans sa passion pour le théâtre qu'il dirige, offrant à sa famille et aux public le spectacle d'une féérie perpétuelle*. Même le troisième frère, l'aigri Carl aux propos d'une épouvantable cruauté envers son épouse germanique (certes agaçante) qui m'ont rappelé ceux que j'ai entendu chez Haneke peut improviser des tours de magie inventifs (pour souffler les bougies par exemple). Mais la générosité de la famille se remarque aussi dans l'importance qu'y prennent des éléments exogènes tels que lsak Jacobi l'usurier juif et Maj la bonne. "L'oncle Isak", le grand amour d'Héléna, la grand-mère et matriarche de la famille qui en raison de la religion n'a pu former avec elle qu'une union clandestine vit pourtant dans un monde qui à échelle réduite ressemble à celui des Ekdahl avec ses dominantes rouges (sans doute en référence aux rideaux de théâtre), son encombrement baroque, ses marionnettes et son ambiance surnaturelle (comme chez les Ekdahl, Alexandre y voit des fantômes et même une momie s'animer). Il est l'allié décisif face au redoutable ennemi qu'est Vergerus. Quant à Maj, la petite bonne boîteuse qui sert de substitut maternel aux enfants, elle est engrossée par Gustav-Adolf dans la plus pure tradition des "amours" ancillaires du XIX° mais bénéficiant comme ses consoeurs d'une considération supérieure aux bonnes de ce temps (la scène inaugurale où elles mangent à la même table que les maîtres a valeur de symbole), elle finit par réussir à s'émanciper avec la fille aînée de Gustav Adolf et leur départ semble se faire sur un pied d'égalité.

* Le format télévisuel épouse le style théâtral avec un prologue, des actes et un épilogue qui se substituent aux épisodes.

 

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Persona

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1966)

Persona

La persona qui donne son titre au film provient de la psychanalyse jungienne qui désigne par là le rôle social prédéfini que chacun est appelé à jouer et qui peut aller jusqu'à se confondre avec l'identité. Mais comme nombre de concepts freudiens, Jung a puisé la persona dans l'antiquité. Le verbe "personare" (parler à travers) désignait les masques que les acteurs de théâtre devaient porter pour endosser l'apparence du personnage qu'ils interprétaient et qui les obligeaient à parler de façon suffisamment audible pour être entendus des spectateurs.

L'énigmatique film de Ingmar Bergman porte ce titre pour orienter la vision du spectateur sur ce qui se joue à huis-clos et la plupart du temps en gros plan sur les visages d'Elisabeth (Liv Ullmann) et Alma (Bibi Andersson). Toutes deux ont de "super persona". La première est en effet actrice de théâtre (domaine de prédilection de Bergman) c'est à dire qu'elle incarne des rôles, jusqu'au jour où elle cesse de parler et se retire du monde. La seconde est infirmière c'est à dire l'un des rôles sociaux les plus assignés aux femmes avec celui d'épouse et ménagère. Mais cela aussi c'est prévu puisque Alma est fiancée et pense déjà à sa future vie familiale toute tracée. De là à penser que Elisabeth est une projection de l'esprit d'Alma il n'y a qu'un pas car son mutisme et son inexpressivité en font une page blanche ou un écran noir (Bergman joue beaucoup sur le contraste noir/blanc, lumière/obscurité) que Alma, très volubile n'a plus qu'à remplir avec ses confidences ininterrompues. Alma entretient alors un rapport fusionnel avec Elisabeth qui est pour elle un alter ego. Mais vient le moment où le miroir se brise et l'altérité se fait jour lorsque Alma lit une lettre indélicate écrite par Elisabeth qui non seulement rapporte à un tiers les confidences intimes qu'elle lui a faite mais lui prête des intentions et des sentiments qu'elle n'a peut-être pas et se permet aussi de juger son comportement. La lettre relate également que pour Elisabeth, Alma est un "sujet d'étude" c'est à dire qu'elle la voit exactement comme un nouveau rôle à endosser. La perspective se renverse alors: ce n'est pas tant Alma qui fusionne avec Elisabeth qu'Elisabeth qui vampirise Alma (version étayée par le fait qu'on la voit boire son sang et lui embrasser le cou) comme le font tous les artistes qui ont besoin de puiser dans le mouvement de la vie la matière de leurs créations.

A cette colonne vertébrale qu'est la relation complexe et fascinante entre les deux femmes qui s'aimantent (s'amantent ^^) et se repoussent (avec beaucoup de violence, psychologique pour Elisabeth, physique pour Alma qui frappe et blesse ce qu'elle a adoré, l'analogie avec la passion amoureuse étant ici une évidence autant que l'est la parabole sur l'art) s'ajoutent des passages au début et à la fin en forme de "flashs mentaux" tournant autour de la sexualité et de la violence. L'un des plans sur un sexe masculin en érection fut d'ailleurs longtemps coupé ce qui en dit long sur les sociétés qui diffusèrent le film. Film qui s'attaque par ailleurs à un autre tabou, celui de l'enfant non désiré avec les thématiques de l'avortement (pour Alma) et de l'infanticide (pour Elisabeth qui rejette son enfant).

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Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1957)

Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet)

"Le Septième Sceau", l'un des grands classiques d'Ingmar Bergman est traversé par la même dichotomie que son chef d'œuvre testamentaire "Fanny et Alexandre". D'un côté la joie de vivre et la fantaisie portée par le monde du spectacle forain (la bonne chère et les belles filles peu farouches en prime)*, de l'autre une religion mortifère avec ses représentants dévoyés (ici un prêtre pesteux voleur et violeur), son iconographie terrifiante captée dans une série de plans picturaux saisissants (allégorie de la mort en grande Faucheuse jouant aux échecs avec un chevalier revenu des croisades, danse macabre, vanités, processions de flagellants), ses références bibliques (l'Apocalypse d'où provient le titre) et sa chasse aux sorcières (qui est postérieure au Moyen-Age mais que l'on assimile à ces "temps obscurs"). Cette dichotomie est celle de Bergman lui-même, fils d'un pasteur luthérien rigoriste du même type que celui du film "Le Ruban Blanc" de Michael Haneke** et en même temps passionné de théâtre et de cinéma. "Le Septième Sceau" est l'un de ces grands films de contraires qui se touchent illustrant la phrase d'Agnès Varda à propos de "La Jeune fille et la mort" de Hans Baldung Grien, " La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort". Ainsi le chevalier (Max Von Sydow) est à l'intersection de ces deux forces contraires puisqu'il est hanté par la mort mais qu'il cherche aussi un sens à la vie, des réponses à ses questions existentielles et métaphysiques avant que cette dernière ne l'emporte.

* On retrouve la foi dans l'art des comédiens forains comme antidote à la mort dans le film de Jacques Demy "Le Joueur de flûte" qui se déroule également au Moyen-Age pendant une épidémie de peste.

** L'enfance de Bergman et "Le Ruban Blanc" (film d'ailleurs très influencé par Bergman) sont deux parfaits exemples de ce que Alice Miller appelait la pédagogie noire c'est à dire les sévices physiques et psychologiques infligés aux enfants "pour leur bien" (extirper le péché de leur être pour en faire des incarnations vivantes des idéaux puritains) avec les conséquences terribles qui en découlent, certains considérant "Le Ruban Blanc" comme une allégorie du nazisme. Bergman a réalisé un des films que je considère parmi les plus terrifiants sur ce thème, "L'Œuf du Serpent".

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La Flûte enchantée (Trollflöjten)

Publié le par Rosalie210

Ingmar Bergman (1975)

La Flûte enchantée (Trollflöjten)

On associe aujourd'hui l'œuvre d'Ingmar Bergman ainsi que l'opéra en général à un certain élitisme. Historiquement, rien n'est plus faux. Le singspiel, genre d'où est issu "La flûte enchantée" se rapproche de l'opéra-comique français de par son mélange des genres (de la farce au drame) tout en puisant son inspiration dans le folklore allemand. C'est justement pour reconnecter l'œuvre de Mozart à ses racines populaires que Bergman a eu l'idée de ce film prévu au départ pour être diffusé à la télévision suédoise. Cette volonté de vulgarisation explique aussi la traduction du livret en suédois, les nombreux plans sur les spectateurs au profil varié (à l'inverse de ce que l'on observe dans une salle d'opéra habituellement) ou les coupes effectuées dans l'histoire. En effet si la musique est célébrissime, l'histoire est des plus absconse, sans doute peuplée de références maçonniques auquel le non-initié ne comprend rien. L'implication politique est d'ailleurs ce qui différencie le singspiel de l'opéra-bouffe ou de l'opérette. Bergman rend les enjeux de l'histoire limpides avec un combat du bien contre le mal et met aussi en valeur l'aspect ludique et enfantin de l'opéra à travers l'oiseleur Papageno notamment qui est assez irrésistible. Il rend également hommage au monde du théâtre en filmant régulièrement ses coulisses ce qui donne lieu à des scènes assez cocasses notamment pendant l'entracte. Son film fusionne ainsi harmonieusement trois arts: le théâtre, l'opéra et le cinéma. En effet de nombreux plans cinématographiques (zooms avant et arrière, champs et contrechamps, plongées et contre-plongées etc.) contredisent l'impression de théâtre filmé qui s'en dégage au premier abord.

Ainsi aux antipodes de l'image que l'on peut s'en faire, Bergman est un formidable passeur de culture et un magnifique peintre du monde de l'enfance. Je peux en témoigner, l'ayant découvert vers l'âge de 10 ans avec une autre œuvre diffusée pour la télévision à l'époque où je n'avais pas accès au cinéma: "Fanny et Alexandre". Un film-testament où il recrée son enfance entre lanterne magique et ténèbres.

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