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Scarface

Publié le par Rosalie210

Brian de Palma (1983)

Scarface

"Scarface" est un film énorme, fruit de la rencontre de trois génies du cinéma alors au sommet de leur art: Al PACINO, Oliver STONE et Brian DE PALMA. Et on peut même doubler la mise si on ajoute les créateurs du film original auquel est dédié le remake, Howard HAWKS et Ben HECHT sans oublier l'idée de génie de Sidney LUMET (premier réalisateur pressenti) de transposer l'histoire originale dans le milieu de la pègre cubaine à Miami. Le résultat est un film culte qui réussit la fusion entre la tragédie antique et shakespearienne et le grand-guignol pop et kitsch. Tragédie par les thèmes abordés (l'ascension et la chute implacable d'un caïd de la drogue empêtré dans des contradictions insurmontables, sa jalousie incestueuse vis à vis de sa soeur qui s'inspire de l'histoire des Borgia) mais traitement outrancier, caricatural qui tourne en dérision le rêve américain et par extension, la réussite capitaliste. Tout n'est que mensonge, vacuité, sauvagerie et vulgarité bling-bling. De ce point de vue, Tony Montana est l'antithèse absolue de Michael Corleone et bien que l'on sache qu'ils sont incarnés par le même acteur, il est impossible de les confondre. Personnages bigger than life, ils ont droit tous les deux à une sortie théâtrale mais là où le second inspire selon les propos d'Aristote la terreur et la pitié, le premier n'est qu'un risible bouffon qui gesticule le nez dans la semoule ou plutôt la coke et n'a que trois mots à son vocabulaire (dont le mot "fuck", répété 182 fois!) La bêtise du bonhomme qui tombe dans tous les panneaux du mirage américain n'a d'égale que sa sauvagerie incontrôlée. Celui-ci allant logiquement de frustration en déception au fur et à mesure que ses illusions se dissipent avance inéluctablement vers sa propre fin. J'ai pensé au court-métrage diffusé récemment sur Arte "Camille" qui raconte par la bouche d'une petite fille la chute de Jérôme Kerviel qui croyait "tenir le monde par les couilles". Le globe terrestre orné de la formule "The world is yours" qui orne le hall de la villa de Tony Montana en est un avatar. On sait quel traitement Charles CHAPLIN a réservé à ceux qui se prennent pour les maîtres du monde. Tony Montana a oublié que la formule qu'il a fait graver sur le globe, il l'a d'abord aperçue sur un ballon dirigeable qui a fini par lui exploser à la figure, libérant le néant qui l'habitait.

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Aristocrats (Anoko wa Kizoku)

Publié le par Rosalie210

Yukiko Sode (2022)

Aristocrats (Anoko wa Kizoku)

"Aristocrats" est le premier long-métrage de Yukiko SODE distribué en France. Il dépeint la persistance de traditions archaïques dans les hautes sphères de la société japonaise. Obsédées par leur reproduction sociale, elles exercent un contrôle étroit sur leurs enfants dans tous les aspects de leur vie. Ceux-ci se retrouvent donc enfermés dans un rôle depuis leur naissance et ne peuvent pas aspirer à avoir de vie propre. La réalisatrice s'attache à montrer que si les deux sexes sont victimes de ce système, les femmes le sont encore plus que les hommes, ces derniers ayant la possibilité d'avoir une (ou plusieurs) vies clandestines. C'est pourquoi, la réalisatrice démontre que c'est par les femmes que le système patriarcal japonais peut être remis en cause. Ainsi Hanako, la jeune fille de bonne famille qui sous la pression de sa famille finit par accepter un mariage arrangé se rapproche de Miki, une ex-hôtesse issue d'un milieu bien plus modeste qu'elle une fois qu'elle découvre qu'elle fréquente son mari Koichiro. Et elle découvre lors d'une cérémonie l'existence d'une femme bannie par la famille parce qu'ayant décidé de divorcer au prix du renoncement à élever son enfant, lequel reste la "propriété" du mari. Mais divorce ou pas divorce, la femme n'a a fait pas son mot à dire sur l'éducation et l'avenir de ses enfants, tout étant décidé à l'avance. Aussi après avoir subi la pression de sa famille pour qu'elle se marie, Hanako subit celle de sa belle-famille pour qu'elle tombe enceinte, sa belle-mère allant jusqu'à l'inscrire dans une clinique de fertilité. Mais c'est sur ce point précis que les pressions familiales atteignent leurs limites et même si cela n'est jamais explicité, Koichiro et Hanako semblent s'éviter le plus possible justement pour que cela n'arrive pas. Cela va dans le sens d'un Japon dont la démographie décline depuis vingt ans et de systèmes clos sur eux-mêmes (comme l'aristocratie britannique) qui faute de parvenir à se renouveler finissent par disparaître.

Le film de Yukiko SODE est donc d'un grand intérêt social et sociétal. Hélas la mise en scène qui manque parfois de rythme est trop calibrée, trop retenue, tout comme le jeu des des acteurs pour pleinement captiver.

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Philadelphia

Publié le par Rosalie210

Jonathan Demme (1993)

Philadelphia

"Philadelphia" est un film qui a fait date dans l'histoire du cinéma hollywoodien. C'était la première fois qu'on y abordait aussi frontalement le sida, l'homosexualité et l'homophobie. Les talents de documentariste de Jonathan DEMME qui sortait tout juste de son formidable thriller "Le Silence des agneaux" (1989) n'éclatent pas seulement dans le générique d'ouverture sur le tube de Bruce SPRINGSTEEN "Streets of Philadelphia" qui prend le pouls d'une ville en mouvement. Ils sont également présents dans les scènes du cabinet d'avocat dans lesquelles Andrew Beckett (Tom HANKS) doit dissimuler son orientation sexuelle pour adopter les codes du milieu qui l'emploie dans lequel la connivence masculine s'accomplit par la misogynie et l'homophobie. Jusqu'à la scène de son renvoi où il est isolé face à sa hiérarchie qui lui fait face comme dans un tribunal (ce qui annonce la suite). Ils sont présents aussi dans la scène où il vient rendre visite à Joe Miller (Denzel WASHINGTON) et où la caméra, adoptant le regard de ce dernier scrute avec angoisse le moindre objet avec lequel celui-ci entre en contact. Plus tard, dans la scène de la bibliothèque, Miller encaisse à l'inverse le regard ouvertement méprisant d'un usager qui le toise en contre-plongée. Puis il est témoin de la scène où un bibliothécaire tente de forcer Andrew à s'isoler de ses voisins de table. La prise de conscience de la similarité de leur condition se fait également par son regard filmé en gros plan. L'aspect documentaire du film passe aussi par la métamorphose de Tom HANKS qui a perdu 12 kg pour le rôle (moins toutefois que pour "Seul au monde") (2001) et qui après avoir essayé de cacher ses lésions, les dévoile au cours de son procès, offrant ainsi son corps supplicié aux regards alors qu'à l'inverse, le couple qu'il forme avec Miguel (Antonio BANDERAS) s'il est filmé de façon réaliste se dérobe quant à lui aux regards. Mais la scène la plus forte du film est celle dans laquelle un Joe Miller là encore réduit à son seul regard écoute Andrew commenter avec émotion la musique qu'il est en train d'écouter, celle d'un extrait de l'opéra "Mamma Morta" d'André Chénier chanté par Maria CALLAS. Une musique qui le poursuit jusque dans l'intimité de son foyer et qui lui insuffle l'inspiration de sa dernière plaidoirie. La beauté singulière de "Philadelphia" est ainsi de nourrir le procès qui est au coeur de son intrigue de toutes ces scènes dans lesquelles une âme finit par se déverser dans une autre qui lui était hostile au départ, changeant ainsi le regard porté sur les homosexuels.

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New-York, New-York

Publié le par Rosalie210

Martin Scorsese (1977)

New-York, New-York

Qui ne connaît pas la chanson "New York, New York", énorme hit de Frank SINATRA en 1979? Elle contribua à la reconnaissance publique du film de Martin SCORSESE sorti deux ans plus tôt qui avait été un échec commercial. Il faut dire qu'avec sa seule comédie musicale, le réalisateur tentait le mariage de la carpe et du lapin: un hommage aux comédies musicales en technicolor de la MGM des années 50 et une relecture critique du genre à l'aune du cinéma d'auteur indépendant des années 70 lorgnant du côté de John CASSAVETES. A l'image du couple improbable formé par Liza MINNELLI rejouant à la fois la partition de son père (la séquence "Happy Endings") et de sa mère (avec une trajectoire comparable à celle de "Une étoile est née") (1954) et de Robert De NIRO en saxophoniste de jazz au comportement ingérable. Plus qu'à une histoire d'amour à laquelle on ne croit guère (il n'y a aucune alchimie entre les deux acteurs qui semblent évoluer dans des sphères séparées), c'est à une guerre d'ego à laquelle on assiste entre deux personnalités artistiques aux parcours incompatibles avec en point d'orgue la chanson qu'ils sont censé écrire à quatre mains mais là encore, on ne verra rien d'autre que le résultat final. Si tout l'aspect grand spectacle du film est très réussi avec quelques scènes vraiment superbes comme celle de la rencontre entre Francine assise à table et Jimmy fendant la foule pour draguer tout ce qui bouge le tout dans un bain de danse et de musique d'une grande fluidité avec une bande originale en or (due aux compositeurs de "Cabaret" (1972) qui mettait déjà en scène Liza MINNELLI), l'aspect intimiste fait lui cruellement défaut. Les deux personnages s'évitent ou s'affrontent comme dans un ring de boxe tout en restant dans la superficialité. On est très loin de la profondeur des tourments endurés par les personnages de John Cassavetes et de la mise à nu humaniste dont son cinéma était capable.

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Al Pacino: Le Bronx et la Fureur

Publié le par Rosalie210

Jean-Baptiste Pérétié (2021)

Al Pacino: Le Bronx et la Fureur

"Al Pacino: Le Bronx et la fureur" laisse entendre rien que par le choix de son titre qu'il ne s'agit pas de bêtement compiler des archives mais qu'il y a un projet derrière. Mieux, une vision. Et c'est ce qu'il faut pour un acteur de cette trempe. Se concentrant sur les années fondatrices de sa carrière et lui donnant au maximum la parole au travers d'archives audio, le film met en évidence le lien organique qui relie l'acteur à sa ville et à une époque révolue, le New-York des années 70 ainsi que son lien très fort avec le Nouvel Hollywood qu'il contribua à façonner. C'est également un film habité par la passion de Al Pacino pour le théâtre, shakespearien en particulier et sa fidélité à des acteurs formant autour de lui une seconde famille (Marlon BRANDO son mentor formé comme lui à l'Actors studio et qui joue son père dans "Le Parrain" (1972), John CAZALE qu'il considérait comme son grand frère et qui l'était également dans ce même film ou encore Lee STRASBERG qui était alors directeur de l'Actors Studio et qui est le premier à prononcer son nom correctement, ce qui n'est pas un détail). Une flamme qui l'habite encore comme au premier jour comme le montre la conclusion du film, qui lui a permis de traverser cinquante ans de cinéma sans s'étioler et l'a régulièrement aidé à se ressourcer, à ne pas se faire "asphyxier" par un succès avec lequel on le devine, il n'a jamais été à l'aise, l'homme étant de nature réservée "le succès était fuyant, c'était étrange, cela me faisait peur. Ce qui me satisfaisait, c'était de jouer, c'est ce qui comptait. C'était vital, c'est ce qui me faisait tenir". L'homme est humble aussi. Lorsqu'il reçoit un Oscar après sept nominations pour un rôle dans un film pourtant mineur ("Le Temps d un week-end") (1993)", il évoque avec une émotion extrême ses origines modestes dans le sud du Bronx et le fait d'avoir donné de l'espoir à des jeunes issus du même milieu. De fait, Al PACINO a été le pionnier d'une lignée d'acteurs italo-américains issus des bas-fonds qui a vu la lumière grâce à la génération de réalisateurs contestataires du Nouvel Hollywood (qui voulait imposer des acteurs "non-aryens" à la culture WASP* dominante) et dont la légitimité à interpréter Shakespeare a sans cesse au début de sa carrière été interrogée en raison notamment de son accent**. Ce qui s'avère être d'une bêtise abyssale. Car où Shakespeare a-t-il puisé son inspiration sinon dans la tragédie antique c'est-à-dire en Grèce et en Italie, le berceau de la civilisation européenne mais aussi américaine. D'une certaine façon, Al Pacino qui incarne ce feu sacré ne fait que rappeler cette évidence.

* White anglo-saxon protestant.
** Cela m'a fait penser à Michael CAINE lui aussi issu d'un milieu populaire marqué par son accent cockney et qui affronte l'acteur shakespearien Laurence OLIVIER dans un duel cruel et feutré aux allures de lutte des classes dans "Le Limier" (1972) de Joseph L. MANKIEWICZ.

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La nuit des femmes (Onna bakari no yoru)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1961)

La nuit des femmes (Onna bakari no yoru)

"La nuit des femmes" est l'avant-dernier film de Kinuyo Tanaka qui bénéficia pour l'occasion des gros moyens des studios Toho: le chef-opérateur des plus grands films de Kurosawa et un format Cinémascope, le compositeur de "L'île nue" et une pléthore de vedettes nippones.

Le titre fait référence à "Femmes de la nuit", tourné en 1948 par Kenji Mizoguchi avec en vedette Kinuyo Tanaka justement. Elle y interprétait une jeune femme poussée par le chaos et la misère de l'après-guerre à se prostituer. Par conséquent "La nuit des femmes" est une sorte d'état des lieux de la prostitution et de son rapport avec la société japonaise 13 ans plus tard. Et le constat n'est guère glorieux. Le film se situe au lendemain de l'interdiction de la prostitution en 1956 qui entraîna la fermeture des maisons closes et la répression du racolage de rue. Les prostituées furent prises en charge par des maisons de réhabilitation qui ouvrirent dans la plupart des grandes villes. Leur mission était d'aider les anciennes prostituées à se réinsérer par le travail. Mais dans une société aussi rigide et bien-pensante que celle du Japon, cette réinsertion prend l'allure d'un chemin de croix pour la pauvre Kuniko qui est pourtant pleine de bonne volonté. Mais partout où elle va, dès que ses patrons ou ses collègues apprennent son ancienne condition, elle se retrouve rejetée, maltraitée, harcelée. Je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec Fantine dans "Les Misérables" qui cherche à gagner sa vie honnêtement mais qui est bannie de la société en raison de sa condition de fille-mère jusqu'à tomber dans la prostitution. Dans "La nuit des femmes", Kuniko est tentée de retourner à son ancienne condition mais elle subit aussitôt la répression policière. Sa situation semble donc sans issue. Cependant Kinuyo Tanaka évite la surenchère mélodramatique. Au contraire, elle aide (avec sa scénariste Sumie Tanaka) la jeune femme à sortir la tête haute des différentes épreuves qu'elle endure. Sa vengeance contre l'odieuse femme de l'épicier qui l'emploie est par exemple des plus cocasses. Et face à l'opprobre, elle interroge ouvertement le spectateur sur le bien-fondé des persécutions qui visent "le plus vieux métier du monde". Enfin, face à l'injustice, Kuniko trouve refuge et secours auprès d'autres communautés de femmes dont les ama, des pêcheuses en apnée qui m'ont fait penser aux filles de l'air qui recueillent la petite sirène lorsqu'elle est sur le point de se transformer en écume.

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Lettre d'amour (Koibumi)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1953)

Lettre d'amour (Koibumi)

Kenji MIZOGUCHI est connu pour être le réalisateur de l'âge d'or du cinéma japonais le plus sensible à la condition féminine. Ce que l'on sait moins, c'est qu'il a travaillé avec les deux premières réalisatrices du cinéma nippon. "Lettre d'amour" est en effet le premier film de Kinuyo TANAKA qui a longuement collaboré avec lui en tant qu'actrice. Avant elle, Tazuko SAKANE avait elle aussi travaillé avec Kenji MIZOGUCHI notamment en tant que scripte et assistante-réalisatrice.

Dans ce premier film sorti en 1953 et dont l'action se déroule dans le Tokyo d'après-guerre, ce qui frappe d'emblée est son caractère néoréaliste. Ainsi de nombreuses scènes sont tournées en extérieur. On reconnaît le quartier de Ginza grâce au grand magasin d'angle art déco Wako achevé en 1932 et qui est un des rares bâtiments de Tokyo à avoir survécu à la guerre (il apparaît dans de nombreux films et c'est un des lieux de visite incontournable de la ville) et surtout celui de Shibuya. Bien qu'ayant changé du tout au tout (rien à voir entre l'aspect futuriste et high-tech actuel et celui de l'enchevêtrement d'échoppes et de bicoques de fortune de l'après-guerre que filme Tanaka, sinon son effervescence humaine), un repère permet de l'identifier, celui de la statue du chien Hachiko. Celui-ci est en effet célèbre pour avoir attendu quotidiennement et pendant près de dix ans son maître à la gare de Shibuya après la mort de ce dernier, jusqu'à son propre décès en 1935. La première statue en son honneur ayant été fondue pendant la guerre, une nouvelle fut érigée en 1948 et c'est celle-là que Kinuyo TANAKA filme longuement, en écho à l'histoire qu'elle raconte. "Lettre d'amour" ajoute en effet une couche de mélodrame à ce contexte âpre où pour survivre dans le chaos des années d'après-guerre, hommes et femmes vivant dans la précarité sont obligés de recourir à des expédients pas toujours honorables. Ainsi le personnage principal, Reikichi est un soldat démobilisé qui doit se résoudre à devenir écrivain public pour des femmes essayant d'extorquer par tous les moyens de l'argent à des G.I. dont elles ont été les maîtresses. C'est dans ce contexte qu'il retrouve son grand amour de jeunesse, Michiko à qui il est resté fidèle mais qui est devenue l'une d'entre elles. Reikichi tombe de haut car il a idéalisé Michiko. Blessé dans son amour-propre, il la repousse et la juge avec dureté ce qui change notre regard sur lui. Son frère et l'ami pour lequel il travaille, tous deux bien plus réalistes, débrouillards et tolérants essayent de le raisonner. Cette partie qui verse parfois dans la surenchère moralisatrice et mélodramatique est la moins réussie mais "Lettre d'amour" reste un premier film prometteur.

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Oussekine

Publié le par Rosalie210

Antoine Chevrollier (2022)

Oussekine

C'est en lisant des articles sur "Nos frangins" (2022) de Rachid BOUCHAREB que j'ai découvert l'existence de cette remarquable mini-série sortie quelques mois auparavant sur la plateforme Disney +. Même si je ne suis pas une amatrice de séries, j'ai entendu les échos flatteurs autour de "Baron Noir" (2016) et de "Le Bureau des légendes (2015), les deux séries co-réalisées par Antoine CHEVROLLIER qui avec le concours d'un quatuor de scénaristes sensibles aux problèmes des discriminations et du multiculturalisme (Faïza Guène, Cédric IDO, Lina Soualem et Thomas LILTI, le réalisateur de "Hippocrate") (2014) réussit une fresque à la fois intime et politique qui donne au drame de Malik Oussekine sa véritable dimension: celui d'un crime d'Etat. Si toute la complexité du contexte social de l'époque n'est peut-être pas aussi bien retracée que dans le film de Rachid Bouchareb, la mini-série frappe fort sur plusieurs points cruciaux et provoque une onde de choc émotionnelle que le film de Bouchareb aussi réussi soit-il n'a pas. La trajectoire tragique de Malik la nuit du 5 au 6 décembre 1986 est en effet mise en relation avec l'histoire de sa famille, soit trois décennies d'histoire de l'immigration algérienne en France. S'ensuit un système d'échos qui fonctionne à merveille. A commencer par la reconstitution du massacre de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 qui fit 200 morts à Paris. Un évènement de la guerre d'Algérie en métropole longtemps occulté qui n'a fait l'objet d'une reconnaissance officielle qu'en 2021 et auquel échappent les parents de Malik en se cachant avec leurs enfants. Impossible de ne pas faire le rapprochement entre le préfet de police de Paris sous De Gaulle, Maurice Papon et vingt ans plus tard le tandem Pasqua-Pandraud, ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur à la Sécurité du gouvernement Chirac durant la cohabitation avec Mitterrand de 1986 à 1988. Là où s'appuyant sur les images d'archives, Rachid Bouchareb incrimine dans son film le ministre de l'intérieur Charles Pasqua, Antoine CHEVROLLIER préfère donner toute la place à son homme de l'ombre excellemment joué par l'un des spécialistes de "L Exercice de l État" (2010), Olivier GOURMET. J'ai fait l'expérience après avoir vu la série de lire un portrait fasciné de Robert Pandraud du Monde daté de mars 1987 (trois mois donc après la mort de Malik Oussekine) par un thuriféraire épaté par sa "prudence", "au point que "personne dit-on ne l'a vu laisser de trace écrite derrière lui". Manque de bol, dans les années 80, l'écrit n'est plus le seul moyen de "laisser des traces" et Pandraud restera dans l'histoire (et dans la série) pour cette phrase prononcée à propos de Malik Oussekine "si j'avais un fils sous dialyse, j'éviterais de le laisser sortir faire le con la nuit". Re-manque de bol: il y a des témoins oculaires des faits et Malik Oussekine est un modèle d'intégration réussie qui cerise sur le gâteau était sur le point de se convertir au catholicisme et voulait devenir prêtre. Impossible donc d'étouffer l'affaire contrairement à celle de Abdel Benyahia tué la même nuit par un policier ivre (évoquée au détour d'une phrase dans la série alors qu'elle est traitée en parallèle de Malik Oussekine dans le film). Reste la diffamation, ce dont l'extrême-droite se charge très bien. La série insiste beaucoup plus que le film sur le climat de haine raciste porté par un Front national en pleine progression dont la famille Oussekine est victime: insultes, agressions (verbales, matérielles, physiques), harcèlement et un numéro complet du journal "Minute" dont le contenu obscène nous fait penser à celui, beaucoup plus récent sur Christiane Taubira. De même que les méthodes peu scrupuleuses de certains journalistes pour tenter de discréditer les victimes de violences policières prises en flagrant délit (je pense au producteur noir Michel Zecler, insulté et roué de coups de matraque par quatre policiers dans son studio de musique en 2020 qui estime devoir la vie aux caméras de surveillance qui ont également prouvé aussi qu'il était bien la victime et non l'agresseur). C'est tout le mérite de la série comme du film de montrer que les "dérapages" des policiers ne sont pas des errements individuels mais des violences systémiques avec une chaîne de responsabilités qui remonte jusqu'au plus haut niveau. Et aucun bord politique n'est épargné dans la série: ni François Mitterrand qui médiatise sa visite à la famille pour faire de la récupération politique, ni SOS Racisme qui tente d'en faire de même avec Sarah Oussekine que l'on voit arracher le badge "Touche pas à mon pote" qu'on lui a collé sur le blouson, ni la justice censée être impartiale mais qui accorde un traitement de faveur aux policiers et rend un verdict plutôt clément au vu de la gravité des faits.

Malgré cette richesse du traitement politique de l'affaire, la série est avant tout centrée sur l'humain, c'est à dire les portraits des différents membres de la famille Oussekine (le père Miloud mort en 1978, la mère Aïcha et les enfants, ces derniers ayant collaboré avec l'équipe de la série et apparaissant à la fin). Comme dans le film, les personnalités de Mohamed et de Sarah émergent aux côtés de leurs autres frères et soeurs (ils étaient sept au total, ramenés à 5 dans la série et 3 dans le film). Cependant la profondeur historique permise par la série donne un relief particulièrement douloureux à leur parcours d'enfants d'immigrés nés et élevés en France, devenus plus français que les français (la réussite entrepreneuriale de Mohamed, le ménage de Sarah avec un policier) et qui face au meurtre de leur frère voient cette construction identitaire se dissoudre. La tentative avortée de leur père de retour au pays à la fin des années 70 les avaient déjà confrontés à une désillusion semblable, le pays ayant beaucoup changé depuis l'indépendance et les immigrés n'y ayant plus leur place. Trop francisés pour l'Algérie, trop racisés pour les français, les voilà obligés de se réinventer dans l'inconnu. La scène où Sarah s'émancipe en coupant ses cheveux sur le titre de William Sheller "J'me gênerais pas pour dire que je t'aime encore" est particulièrement forte.

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Nos frangins

Publié le par Rosalie210

Rachid Bouchareb (2022)

Nos frangins

Rachid BOUCHAREB est le cinéaste qui à travers des films comme "Indigènes" (2006) et "Hors-la-loi" (2010) a mis en lumière la part d'ombre de l'histoire contemporaine de la France au travers d'une mémoire immigrée largement occultée dans le récit national. Non sans bousculer les consciences, voire créer parfois la polémique. "Nos frangins" n'y échappe pas. Les frères de Abdel Benyahia, tué par un policier la même nuit que Malik Oussekine en marge des manifestations contre la loi Devaquet n'ont pas apprécié la manière dont le cinéaste a dépeint leur père (Samir GUESMI) en garagiste immigré muet et résigné. Cette maladresse est effectivement regrettable mais Rachid Bouchareb a le mérite de sortir de l'oubli cette affaire étouffée à l'époque par les autorités, soucieuses de couvrir la police éclaboussée par la mort de Malik Oussekine. Comme le dit très bien l'employé africain de la morgue chargé des deux corps "toi tu as un nom, toi tu n'en a pas". Se situant dans les quelques jours qui ont suivi les faits, le cinéaste mêle habilement images d'archives et reconstitution de fiction pour retracer une époque de contestation explosive de la jeunesse contre un pouvoir remettant en cause l'accès pour tous les bacheliers à l'université et jouant la surenchère sécuritaire dans un contexte de racisme endémique vis à vis des enfants d'immigrés*. Le parallèle avec les violences policières contre les Gilets Jaunes est souligné mais pas les attaques actuelles (trop récentes) contre l'éducation des plus fragiles (à travers le projet de réforme des lycées professionnels par exemple). A travers les portraits des membres des familles des deux victimes et en contrepoint, l'enquête d'un inspecteur (Raphaël PERSONNAZ) prié de la boucler par ses supérieurs manipulateurs, Rachid Bouchareb dénonce le racisme des institutions françaises (police, justice), l'omerta au nom de la raison d'Etat (visible jusque dans la plaque commémorative de Malik Oussekine ne mentionnant pas les responsables de sa mort et encore moins leur fonction) et les limites de l'intégration. Ainsi le grand frère de Malik (joué de façon remarquable par Reda KATEB) qui s'est embourgeoisé tout comme la soeur (jouée par Lyna KHOUDRI) découvre que Malik était sur le point de se convertir au catholicisme et d'embrasser la vocation de prêtre ce qui le trouble profondément. Certes, le film de Rachid Bouchareb manque de profondeur et d'émotion mais sa piqûre de rappel est salutaire.

* C'est l'époque de la cohabitation Mitterrand/Chirac et son ministre de l'intérieur ultradroitier Charles Pasqua, celle de la montée en puissance du Front National mais aussi des actions militantes de SOS Racisme créée en 1985, deux ans après "la marche des beurs" qui a médiatisé en France les crimes racistes dont les maghrébins immigrés et leurs enfants étaient régulièrement victimes en France dans les années 70 et 80 ("Dupont Lajoie" (1974) de Yves BOISSET, autre réalisateur engagé en est le parfait exemple).

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Au Poste !

Publié le par Rosalie210

Quentin Dupieux (2018)

Au Poste !

Plus j'avance dans la découverte du cinéma de Quentin DUPIEUX et plus sa cohérence me frappe. Et ce d'autant plus que je vois ses films dans le désordre. "Fumer fait tousser" (2021) et "Au Poste !" qui se succèdent dans mon visionnage ont ainsi beaucoup en commun. A commencer par l'aspect rétro-futuriste. Les deux films lorgnent du côté des années 80 avec pour "Au Poste !" des références évidentes aux polars de l'époque et en particulier à "Garde à vue" (1981) renommé "Garde à l'oeil". Un organe pris au sens propre qui aurait presque tendance à s'autonomiser du reste du corps comme la bouche (un clin d'oeil à Salvador DALÍ?) de "Fumer fait tousser", sans parler de la fumée de tabac qui s'échappe d'orifices qui eux par contre ne sont pas naturels. Et si j'ai pensé dans ce dernier cas au nonsense des Monty Python, le parallèle avec les derniers films de Luis BUÑUEL m'a sauté aux yeux dans "Au Poste !" ^^. Que ce soit des citations littérales comme le lever de rideau de "Le Charme discret de la bourgeoisie" (1972), mise en abime dont on trouve l'équivalent cinématographique dans "Le Daim" (2019), des souvenirs retravaillés par l'onirisme dans lesquels les repères temporels se brouillent ou les jeux sur le langage (là encore comme dans "Le Daim" (2019), autre perle surréaliste du réalisateur). Mais le point commun le plus important entre tous ces films, c'est leur abîme de désespérance. C'est sans doute une des raisons pour laquelle j'y suis si sensible. L'humour, c'est "la politesse du désespoir" que l'on retrouve aussi bien dans l'arrière-plan grisâtre de la vie de Georges que dans l'ambiance pré (ou post, puisque les repères temporels y sont également brouillés) apocalyptique de "Fumer fait tousser" ou dans le quotidien blafard de Fugain (Grégoire LUDIG) qui se retrouve dans une situation aussi absurde et sans issue que celle de monsieur K. dans "Le Procès" (1962). Est-il simplement coupable d'exister? En tout cas il fait la paire avec le commissaire Buron (Benoît POELVOORDE) dont la vie est tout aussi vide et par conséquent dont l'identité se résume à un rôle (comme celle de Georges tient à son costume). "C'est pour ça" qu'ils étaient fait pour s'entendre.

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